Le Père Paul LAMOISE
1824-1899


De Saint-Dié à Dakar.

Paul Lamoise naquit le 14 janvier 1824 à Uxegney, petit village proche de Saint-Dié dans les Vosges. Ses parents, qui vivront très âgés, possédaient une ferme qui leur permit d'assurer une relative aisance à leurs quatre enfants : deux garçons et deux filles. Profondément chrétiens, ils se dévouaient dans les œuvres de la paroisse.

Le petit Paul fut confié de bonne heure à son frère aîné, instituteur dans le gros village voisin de Damas-sur-Dompaire. dont le curé se chargea si bien d'enseigner à son nouveau paroissien les premières pages de la grammaire latine, qu'il le faisait entrer. en 1840, au collège de Saint-Dié, puis, trois ans plus tard, au grand séminaire.

Dès l'année suivante, le séminariste devenait à La Neuville-lès-Amiens le disciple du Père Libermann, auprès de qui quatre de ses condisciples de Saint-Dié venaient le rejoindre.

Le 15 avril 1847 à Bordeaux, il embarquait comme simple clerc sur le trois-mâts l'Etoile de Marie", en compagnie de Truffet. Vicaire apostolique des Deux-Guinées, de trois confrères prêtres. les Pères Bouchet, Chevalier et Dréano du sous-diacre Gallais et de l'abbé Durand, comme lui simple clerc.

Débarqués à Gorée le 5 mai, les missionnaires gagnaient, trois jours plus tard, Dakar, alors petit village de la presqu'île du Cap-Vert, devenue, depuis près de deux siècles, République Léboue. Avec le consentement des Lébous, les premiers missionnaires du Père Libermann avaient édifié, deux ans plus tôt, en bordure de mer, un grand bâtiment qui reçut les nouveaux venus.

A Dakar et à Mbour.

Tandis que certains d'entre eux secondaient à Gorée les prêtres du clergé colonial, ou tentaient d'évangéliser les environs, Paul Lamoise devenait, à Dakar, le surveillant et le professeur des petits écoliers et séminaristes, souvent rachetés de l'esclavage, qui y étaient élevés. De cet internat le Père Chevalier était le supérieur. "Nos enfants, écrira un jour le Père Lamoise, avaient un joli costume bleu uniforme. Souvent je les conduisais dans les villages, chantant les prières en wolof sur le ton des psaumes, et faisant le catéchisme. Nous étions vite entourés d'enfants et de grandes personnes."

Six mois après son arrivée à Dakar, Mgr Truffet meurt, emporté par ses excès de privation de nourriture. Il est remplacé, le 15 mars 1849, par Mgr Bessieux assisté de Mgr Kobès qui, le 9 juin, confert la prêtrise au Père Lamoise avec une dispense de Rome. De naissance, en effet, le Père avait le côté droit de la figure et une partie du corps couvert d'une tache violacée, dite lie de vin. Au cours d'un voyage à Rome, le Père Libennann avait obtenu du Pape Pie IX la dispense nécessaire. "Puisque la nature l'a formé semi-africain, accorda le Saint Père, il faut croire qu'il est fait pour l'Afrique et espérer qu'il l'évangélisera longtemps." Le saint Père fut bon prophète.

A la fin du même mois, le Père Lamoise partait avec le Père Poussot et le Frère Amand ouvrir à Mbour (entre Poponguine et Ngasobil) la mission des saints Pierre et Paul, tandis que deux autres missionnaires fondaient celle de Ndiangol entre Dakar et Mbour.

Dans ses "Esquisses Sénégalaises", l'abbé Boilat décrit Mbour comme un ensemble de quatre villages groupés au milieu d'une dense forêt de baobabs, de rôniers, de tamariniers et de fromagers, peuplée d'animaux sauvages, de perruches et de perroquets.

A cette époque les rois des divers royaumes du Sénégal faisaient lever les impôts par leurs soldats, les Tiédos, esclaves plus ou moins affranchis, qui profitaient de cette fonction officielle pour piller les villages qu'ils traversaient et s'approprier les biens des villageois.

En juillet 1850, la jeune mission de Mbour reçut leur visite. Sans vergogne, ils pénètrent dans la chapelle en planches, qu'il est interdit de construire en pierres, bousculent et frappent les missionnaires qui tentent de s'opposer, et enlèvent tout ce qui leur tombe sous la main : calice, ciboire, tabernacle, chasubles et même la statue dorée de la Sainte Vierge, qu'ils croient en or. La mission de Ndiangol les voit aussi passer et tout saccager.

Le gouverneur de Saint-Louis, l'amiral Protet, décide de s'opposer aux exactions de ces bandits. Pour laisser le champ libre à l'expédition militaire qu'il envoie, il demande à l'évêque de Dakar le rappel de ses missionnaires.

A Joal (le centre d'où il rayonnera toute sa vie)

En mai 1851, le Père Lamoise est chargé de la mission de Joal. En mars 1848, trois missionnaires avaient réouvert cette mission, jadis fondée par des prêtres portugais du diocèse des Îles du Cap-Vert, et visitée épisodiquement par le clergé de Gorée, comme le rappelle l'abbé Boilat dans ses "Esquises Sénégalaises". On y vénérait dans le cimetière une tombe où avaient été enterrés, en septembre 1777 et en juillet 1784, deux missionnaires de Gorée.

Dans son livre, l'abbé Boilat raconte le voyage mouvementé, à pied, des deux Pères Arragon et Gallais, de Mbour à Joal, et le mauvais accueil reçu à leur arrivée. Deux anciens du village, Michel-Malie et Papaille, se prétendant, le premier, préfet de Joal et roi des chrétiens, et le second, curé de Joal, ayant ameuté leurs paroissiens contre les nouveaux venus, ceux-ci durent se résigner à vivre en bordure de plage dans deux cases délabrées, résider dans le village leur étant interdit. Ce qui n'empêchait pas Michel-Marie et son adjoint de s'imposer à longueur de journées chez les missionnaires, sous prétexte de s'unir à leur prière, et d'exiger, pour vider les lieux, du "sangara", leur boisson préférée.

Principal village côtier du Sine, Joal était un petit centre commercial qui, la culture de l'arachide s'y développant, avait attiré des traitants de Gorée, dont un ami des Pères, Jean Dupuy. Assez régulièrement, le Bour du Sine, Amat Diouf Gwilane Faye, y venait passer quelques jours avec son entourage. Maître du pays, il estimait de son droit de tirer profit de la population et des commerçants. Un jour, pour obtenir ses bonnes grâces, les Pères lui offrirent une couronne fabriquée par le Frère Claude, recouverte de papier doré et de verroteries. Si le roi ne se lassa pas de la porter et de la faire admirer, on ne put obtenir de lui ce qu'on espérait, la construction d'une église en pierres.

Las des exigences des Joaliens, parfois accompagnées de brutalités, le Père Arragon regagna Dakar, remplacé par le Père Le Bronnec, puis, en mai 1851, par le Père Lamoise.

Dix mois plus tard, dans l'espoir d'obtenir du Damel, Maïssa Tenda II, du Cayor, en même temps Teigne du Baol, l'autorisation de restaurer les missions de Mbour et de Ndiangol, Mgr Kobès lui envoie, en février 1852, les deux missionnaires de Joal, les Pères Gallais et Lamoise.

L'abbé Boilat raconte encore dans ses Esquises Sénégalaises ce voyage des deux missionnaires de Dakar à Nguinguis, le village royal. Trois jours de chevauchée les mènent d'abord à Mboul, le village du premier ministre, Fara Cava, qui leur offre une aimable hospitalité. Mais constatant, que ni pour lui ni pour le roi n'a été apportée la moindre bouteille d'eau de vie, son amabilité fait place à un refus. Le Cayor, affirme-t-il, est déjà converti à la Loi de Dieu. Il n'a besoin de personne pour le convertir. Que les missionnaires retournent chez eux. Malgré cette mise en demeure, ceux-ci gagnent le village royal de Nguinguis. Mais aucun cadeau n'étant en vue, et puisque le premier ministre n'a pas estimé nécessaire une audience du roi, les gardes répondent que celui-ci n'a pas à les recevoir Et l'entrée de la case royale leur est refusée.

De retour à Joal, le Père Gallais laisse sa place au Père Stéphan. Avec celui-ci, durant de longues années, le Père Lamoise acceptera une vie austère et isolée au milieu d'un peuple qui voit en eux des étrangers, qu'on supporte en raison de ce qu'on peut en obtenir Les journées se passent à apprendre le sérère en parlant avec les enfants et les vieillards, à soigner les malades qui se laissent approcher, à trouver du réconfort dans la prière et les petites occupations de la communauté.

La vie était alors bien dure à Joal.

Un enfant du village, un certain Diamé, racontera plus tard les premières années du Père dans ce village qu'il transformera. " De ce lointain passé, écrit-il, j'ai encore le souvenir des catéchismes pleins d'intérêt qu'il faisait tous les jours aux enfants, et des longues conversations avec les vieillards qu'il surprenait par sa connaissance profonde du wolof et du sérère. La vie était alors bien dure pour les missionnaires. Ils habitaient à l'extrémité du village sous de simples cases de paille. Le roi du Sine avait édicté la peine de mort contre quiconque bâtirait une maison qu'une balle ne pourrait traverser. Les Joaliens avaient aussi reçu secrètement la consigne de ne rien vendre aux missionnaires qui durent ainsi, plusieurs années, se contenter de riz et de quelques légumes de leur jardin pendant la saison des pluies. Six années consécutives, j'ai vu les Tiédos piller la communauté sous prétexte de percevoir l'impôt, insulter et maltraiter de mille façons les missionnaires. En sa qualité de supérieur, le Père Lamoise recevait la plus grande partie de ces avanies. Il lui arrivait d'être bousculé, injurié, souffleté, couvert de crachats, par ces bandits à moitié ivres de sangara."

Petit à petit, quelques Joaliens parmi les plus jeunes et les vieillards, et des étrangers attirés par le commerce, se rapprochent des missionnaires. "En octobre 1857, écrit le Père à Mgr Kobès, malgré la lenteur dans la conversion de tant de nombreux infidèles, nous avons néanmoins chaque année un assez grand nombre de baptêmes, surtout parmi les gens venus d'ailleurs. Nous avons déjà un petit noyau de chrétiens pratiquants. Nous comptons annuellement une trentaine de baptêmes d'enfants et d'adultes, près d'une cinquantaine de communions pascales, une douzaine de premières communions et quelques mariages."

Parmi ces paroissiens dont parle le Père, se trouvaient des réfugiés du Cayor, du Baol et du Saloum, chassés de leurs villages par les rivalités incessantes qui opposaient les détenteurs du pouvoir et les prétendants évincés. Les missionnaires secouraient ces réfugiés, les soignaient, les nourrissaient.

Depuis quelque temps, en métropole, on estimait le moment venu de contraindre désormais les autorités locales du pays à laisser aux traitants européens toute liberté de commerce, en particulier là où se développait la culture de l'arachide. Jusqu'alors les commerçants avaient "composé" avec les rois et leurs représentants. Ils voulaient maintenant "s'imposer".

C'est à cela que Faidherbe s'emploie lorsqu'il arrive en 1854 à Saint-Louis. Il s'impose dans le Oualo et le Djolof ; puis, Dakar étant devenue terre française en 1857, il étend son pouvoir sur la Petite-CÔte et dans le Sine.

Joal, terre française.

Un soir de mai 1859, deux navires de guerre français jettent l'ancre devant Joal : en débarquent Faidherbe et une partie de son corps expéditionnaire. Par la route, arrive le reste de sa petite armée commandée par le commandant Pinet-Laprade. Devant toute la population réunie sur la place publique, Joal est proclamée terre française, et un peloton d'une douzaine de soldats commandé par un sergent occupe un blockaus que Von construit entre la mer et la place avec son puits. Ce sera une solide bâtisse en pierres, couverte d'une terrasse et comprenant deux pièces au rez-de-chaussée et à l'étage.

Désormais libre de donner à Dieu une véritable église, le Père obtient de ses chrétiens qu'ils apportent les pierres qui jongent le sol et la chaux des nombreux tas de coquilles d'huîtres. Mgr Kobès lui ayant assuré raide de trois Frères maçons et menuisiers, la première pierre est bénite par l'évêque le jour de l'Ascension 1861, en présence de la population du village et de la garnison du poste militaire. De nombreux bras s'offrent pour aider les Frères à construire ; certains traitants, parfois musulmans, mettent leurs cotres à la disposition de la mission ; des vivres sont gracieusement apportés pour nourrir les travailleurs.

Profitant de la tranquillité qui règne maintenant sur la Petite-Côte, et qu'entretient à Joal le détachement militaire, le Père porte son ministère hors du village et tout d'abord dans les environs proches. Le roi du Sine ayant chargé un émissaire de combattre les "sorciers", souvent d'inoffensives vieilles femmes sont accusées de jeter des sorts ; on en profite alors, à l'exemple des Tiédos, pour semer la terreur dans les villages voisins. Le Père Lamoise, aidé par le chef du poste français, se fait le défenseur de la population. Puis, le choléra sévissant, il soigne les malades et recueille même à la mission des moribonds qu'il assiste jusqu'à leurs derniers moments. " En moins d'un an, raconte encore Diamé Ndiaye, je vis mourir dans la case du Père Lainoise, une soixantaine d'adolescents, auxquels il ferma les yeux, après les avoir baptisés et consolés. Tandis que la peur affolait plus ou moins tout le monde, lien ne troublait la patience et la sérénité du bon Père."

Le Père Lamoise rayonne dans toute la contrée.

Auparavant, en février 1860, à la demande de l'évêque, il a parcouru toute la côte de Dakar à Joal, s'arrêtant à Rufisque, à Bargny, à La Somone, à Sali-Portudal où Faidherbe a aussi implanté un poste militaire et à Mbour. Partout il visite les chrétiens isolés, instruit les catéchumènes, prépare baptêmes et mariages et soigne les malades. En plus de tous ces déplacements, profitant de la présence à Joal de ses deux confrères, il tiendra, d'avril 1860 à juillet 1862, la cure de Rufisque.

Le mois suivant, le voilà encore à Nianing, à Mbour et à Sali, heureux de pouvoir annoncer à son évêque : " Une vingtaine de personnes se sont approchées des sacrements. Neuf enfants, dont deux en danger de mort, ont reçu le saint baptême." Des jeunes garçons lui sont confiés pour son internat. Il sera bientôt si connu dans ces Villages de la Petite Côte, que tout missionnaire de passage dont on ignore le nom deviendra un "Père Lamoise".

En cette année, il envisage déjà de construire une résidence pour des religieuses et une école pour les filles du village.. Et, parce qu'il est aidé par deux confrères, le Père Poussot et l'abbé Santa-Maria, à qui il confie la paroisse, il entreprend, durant le temps pascal 1862, une nouvelle tournée dans le Sine-Saloum, remontant le fleuve à bord d'une goélette, et profitant du voyage pour donner le baptême au patron déjà catéchumène. - A Kahonc, la capitale, il est reçu par le roi du Saloum et sa mère qui s'entretiennent avec lui de religion. Revenant à Joal par la route, il rencontre les chrétiens de Kaolack et le chef du poste militaire qui facilite son ministère en lui procurant une monture. Près de Fatick, dans le Sine, il retrouve le premier ministre du roi qui compte plusieurs chrétiens dans sa famille. Et, puisqu'il possède toujours ses deux vicaires, il lui est demandé d'assurer l'intérim de Rufisque.

En mai 1863, nouveau voyage dans le Sine, malgré les dangers toujours possibles d'une rencontre avec les Tiédos. Amat Diouf, le roi, l'appelle auprès de lui. " Il me demanda devant ses gens, confia-t-il ensuite, l'explication de plusieurs points de notre religion ; puis il me prit à part pour me faire ses confidences." Deux bœufs lui sont donnés à son départ. Selon son habitude, tous les villages traversés l'ont vu s'arrêter auprès des chrétiens, des catéchumènes et des malades, et même ramener pour son internat quelques enfants sauvés de l'esclavage.

Heureuse venue des religieuses sénégalaises.

A son retour, il reçoit les religieuses qu'il estimait depuis longtemps indispensables à l'évangélisation des femmes de sa paroisse : quatre religieuses du Saint-Cœur de Marie, congrégation fondée en 1858 par Mgr Kobès. Les religieuses ouvrent aussitôt un dispensaire et une école pour les jeunes filles. La Mère Marie, de l'ancienne famille goréenne des de Saint-Jean, première postulante et novice de la congrégation, était leur supérieure.

MABA et la guerre du Saloum.

Depuis 1861, un marabout Amadi Ba, dit Ma Ba, né dans le Rip, sur la côte nord de la Gambie, s'efforçait d'islamiser la province du Saloum. Ayant réussi, bien que d'origine toucouleur, à devenir le maître de la province du Rip, il envahit le Saloum avec sa petite armée, pillant les villages, poursuivant les habitants qui se réfugient dans le Sine. Joal et Ngasobil les voient affluer. Incapable de résister, le roi du Saloum, Samba Laobé Fal, se réfugie, lui-même, sous la protection du poste militaire de Kaolack. Le Père vient l'y retrouver, à la fin de l'année 1863, espérant secourir chrétiens et catéchumènes et sauver de l'esclavage jeunes et adultes.

L'exode persistant, il va de Joal au devant des réfugiés qui traînent sur les routes. "Fuyant la famine qui désole le pays, écrit encore Diamé, des centaines d'affamés se réfugiaient du côté de Joal. Les sentiers étaient bordés de cadavres. Précédé de deux ânes portant des provisions, le Père Lamoise s'en allait aussi loin que possible dans l'intérieur, pour secourir les malheureux épuisés de fatigue et d'inanition ... Il prenait un soin tout spécial des enfants de mon âge. Il y en avait beaucoup à la mission ; presque tous étaient des orphelins couverts de plaies dégoûtantes. Jour et nuit le Père les soignait, pansait leur plaies, leur portait des tisanes qu'il préparait lui-même."

Au sujet de ces orphelins que, dit-il, la Providence lui envoie, il écrit à son évêque en novembre 1864 : " Nous en avons quatre de la même famille dont le père avait été tué par les marabouts et la mère entraînée captive. Après avoir été vendus et revendus, ces enfants se sont rencontrés tous les quatre à la mission."

Terre d'asile, puisque protectorat français, Joal et ses environs verront de longues années accourir les réfugiés du Saloum, car Samba Laobe Fal étant décédé en 1864, Amadi Ba devient officiellement le maître du Saloum. Il tentera alors de pénétrer dans le Baol d'où le chassera en 1865 Pinet-Laprade. En juillet 1867, il portera ses efforts contre le Bour du Sine, Coumba Ndofene, qui met en déroute son année dans une bataille où il trouve la mort. Ses partisans commandés par son frère sont repoussés dans le Rip. Sadiouka Mbodj devient alors Bour du Saloum.

En 1864, le Père a perdu son vicaire l'abbé Santa-Maria qui, transporté malade à Gorée, y est décédé le 16 avril. Le Frère Amand vient de Dakar le seconder.

Malgré ces événements, village et mission commencent à prendre belle allure. "Jadis, les enfants étaient rachetés de l'esclavage. Maintenant se sont souvent les parents qui viennent nous les confier."

A la fin de l'année 1865, un incendie malencontreusement allumé pour nettoyer le cimetière, détruit tout le quartier de l'église. Pour enlever les herbes qui l'envahissaient, il avait pourtant été bien interdit d'y mettre le feu. Le travail devait se faire uniquement avec l'instrument habituel, l'iler. Désireux de se faire préciser les limites du cimetière, les responsable de l'équipe était venu trouver le Père. Oubliant la consigne, un travailleur brûla quelques herbes sèches. Poussé par le vent, le feu se communiqua aux cases voisines d'où il gagna la toiture en chaume de l'église et de la petite résidence en planches du missionnaire. Grâce au concours de tout le village et des militaires du poste, l'église put être réparée dès le mois de mai de l'année suivante. Mais le Père dut longtemps trouver refuge dans un coin de l'école des garçons.

Fièvre jaune et choléra.

Une fois de plus, Gorée et Dakar sont envahies, au début de 1866, par la fièvre jaune. Les deux paroisses ont déjà perdu leurs vicaires, les Pères Engel et Disch. Elles réclament l'aide du Père Lamoise. " Prenez quelques biscuits et partez à l'instant remplacer à Dakar et à Gorée les Pères emportés par la fièvre jaune ", lui mande Mgr Kobès. Deux jours plus tard, le missionnaire arrivait à Dakar ayant fait trente lieues à pied. Son dévouement pendant l'épidémie lui faudra d'être proposé pour la Légion d'Honneur ... qu'il fera décerner à un médecin de Gorée.

L'épidémie terminée il part à Bathurst secourir le Père Lacombe malade. Il commence alors à rédiger sa petite grammaire sérère.

Au début de 1868, il peut revenir à son poste, d'où il reprend ses excursions apostoliques sur la Petite-Côte. Mais Fadiouth l'appelle, car y sévit le choléra qui, s'étendant bientôt à Joal, l'oblige à y revenir. Un marabout s'était fait livrer toutes les poules du village : leurs plumes jetées au vent de façon spectaculaire devaient apaiser le mauvais sort. Le remède se révélant inefficace, un autre marabout promet la fin de l'épidémie, si les vivres du village lui sont livrés. Le commandant du poste, le sergent Turpin, met bon ordre à cette manœuvre. Dès son retour, le Père invite ses paroissiens à demander l'aide de Dieu. Une première procession présidée par l'évêque, est suivie par tous les habitants du village. L'épidémie commence à perdre sa violence. Elle cesse ses ravages, huit jours plus tard, après une deuxième procession.

Comme il arrive souvent en pareil cas, un bien est sorti du mal. Une centaine de catéchumènes se sont empressés de réclamer le baptême, note le Père dans une lettre du 26 juillet 1869. Et il a la satisfaction d'ajouter: " Le mouvement vers le bien continue. Le dimanche, l'église est remplie, et au delà. Les enfants affluent pour se faire instruire."

Il peut alors penser à se loger A la fin de l'année, un presbytère de cinq pièces, construit en pierres du pays, est achevé. De passage à Joal, Mgr Kobe bénit le bâtiment le 15 novembre 1869.

Excursions apostoliques.

Selon son habitude en temps de Pâques, il visite en avril 1870 les villages de la Petite-Côte jusqu'à Nianing, où chrétiens et commerçants, en particulier ceux des Maisons Mourland et Maurel Frères, le voient toujours avec plaisir.

Principale base commerciale du Sine, Joal attirait souvent le roi du Sine et son entourage qui aimaient hanter les boutiques des traitants : Boutit, Soulié, Huchard, Dupuy, etc., et ne se gênaient pas pour s'approprier les marchandises qui leur plaisaient. En septembre 1871, le roi, Coumba Ndofène, ayant dérobé ses chevaux à l'un d'eux, ce dernier déchargea sur lui son révolver. Si le tribunal de Gorée condamna le meurtrier à 4 ans de prison, la peine fut réduite à la demande des Joaliens et le nouveau Bour, Sanémone Fall, lui restitua ses chevaux.

De solides bâtiments recouverts de tuiles en bois abritent, en avril 1873, ses écoles de garçons et de filles. Un an plus tard, en mai, le village a la joie de voir Mgr Duret, successeur de Mgr Kobès, conférer les ordres mineurs à un enfant de la paroisse, Simon Fal. Petit écolier, âgé de 10 ans, l'enfant avait servi la messe que Faidherbe avait fait célébrer par le Père Lamoise avant de partir avec sa petite armée s'imposer dans le Sine. Ordonné prêtre, en 1882 par Mgr Duboin, il sera jusqu'à sa mort en 1917, un ardent missionnaire de la Sénégambie.

Arrive en novembre le temps de la grande retraite annuelle, à Dakar.

Le Père s'y rend à cheval en compagnie du Père Riehl, supérieur de la mission Saint Joseph de Ngasobil. Le voyage durera cinq jours. Les voyageurs en profitent pour faire bénéficier de leur ministère les villages qu'ils traversent: Nianing, Mbour, Sali-Portudal où les accueille le sergent commandant le poste français construit non loin de la plage. La maladie du sommeil gagne ces centres, où ne cesse pourtant de se développer le commerce. Chevauchant dans les environs de Nguéréou et de Poponguine, ils constatent que les champs y sont protégés par des cornes d'animaux et autres amulettes et non plus par des versets du Coran. L'Islam n'y a donc pas encore pénétré.

Joal, que la maladie du sommeil épargne, " est, écrit le Père en 1875 à ses supérieurs de Paris, un point intermédiaire entre Dakar et la Gambie. La rade peu profonde, mais toujours calme, attire beaucoup de bateaux de petit cabotage. La population chrétienne est actuellement de 7 à 800 âmes. Il y a 11 à 12 cents infidèles. Près de Joal, le vinage infidèle de Fadiouth compte 1500 habitants, les gens y sont très laborieux. J'espère qu'un catéchiste pourra bientôt y être placé. D'autres villages, Fadial et Mbissel, sont à deux lieues. Les royaumes du Sine et du Saloum sont en relation avec Joal par terre et par mer. On y trouve çà et là, des chrétiens, surtout dans les escales de Fatick, Foundiougne et Kaolack."

Si, trois ans plus tard, il pense pouvoir écrire : " Depuis quelque temps l'influence des marabouts se fait moins sentir ; celle des missionnaires grandit au contraire de plus en plus", il changera malheureusement bientôt d'avis.

En 1877, il institue dans sa paroisse les prières des Quarante Heures. L'année suivante, à la demande de Mgr Duboin, successeur de Mgr Duret, il se rend auprès du roi du Sine, Sanemone Faye, malgré sa réputation de despote cruel. Reçu par trois fois par le roi, en présence du prince héritier et de la suite royale, il obtient pour son intemat dix jeunes garçons en échange de son cheval blanc. Un pareil arrangement est conclu pour la prochaine visite ; mais alors, il ne recevra que deux enfants volés par le roi dans les environs, et dont l'un s'empressera de retourner dans son village dès son arrivée à Joal.

Revenu à Joal par Fatick, il fait sur la Petite-Côte sa tournée habituelle du temps pascal, tournée qui le voit descendre jusqu'à Dakar où sévit, plus violente que jamais, une nouvelle épidémie de fièvre jaune. A Gorée, Dakar, Rufisque, il demeurera quatre mois auprès des malades, réussissant même à se faire accepter de ceux qui, par bravade, s'étaient jurés entre eux de ne jamais faire appel à un prêtre quoi qu'il arrive.

En son absence, l'épidémie gagne Joal où les missionnaires qui le remplacent voient périr 8 des 12 militaires du poste et plusieurs traitants du village et de Nianing. L'année suivante, le poste militaire sera éprouvé par la fièvre bilieuse.

En 1879, recevant l'aide &un jeune prêtre sénégalais, le Père Diouf, il organise en son école une classe du soir qui complète l'instruction des jeunes chrétiens et reçoit même des non chrétiens. Le Père Diouf avait été auparavant le messager de son évêque, Mgr Buléon, auprès du roi du Saloum, Sa Diouka Bodj, qui avait tenu à lui donner l'hospitalité dans sa résidence royale de Tiofack. A son départ, il lui fit présent d'un cheval et lui remit une lettre où il exprimait à Mgr Buléon, sa reconnaissance pour les soins apportés jadis par les missionnaires aux réfugiés du Saloum. De Joal, le jeune Père ouvrira l'année suivante la mission de Fadiouth.

Joal, petite ville.

Joal continue à se développer. " Sans compter la banlieue, écrit-il en 1882, Joal a 2.000 âmes. Le village a pris l'air d'une petite ville avec sa rade et son débarcadère où il se fait un très grand mouvement de bateaux et un trafic annuel de 1.000 tonnes d'arachides. Ayant déjà une bonne petite chrétienté à entretenir, beaucoup d'insouciants à stimuler, de nombreux infidèles à convertir, à former à la vie chrétienne, nous ne manquons pas de travail, mon confrère et moi." Il vient de recevoir l'aide du Père Jouan. Et il ajoute . " Le poids des années commence à se faire sérieusement sentir." Chaque année, il inscrit pourtant dans ses registres une centaine de baptêmes. Son école de garçons, récemment reconstruite, compte une cinquantaine d'écoliers, autant l'école des filles.

Joal est aussi un lieu de refuge pour les membres des familles royales déchues. Au Bour du Sine, Sanemone Faye, a succédé en 1880 Senomak Diouf, puis Amadia Baro Diouf, tué en 1884 au cours d'une de ces guerres qui opposent continuellement détenteurs du trône et candidats malchanceux et leurs partisans. "Le roi, écrit le Père en 1885, est Mbake Diaye. Les frères de son prédécesseur, les ministres et leur suite, sont en exil, attendant que leur tour de régner vienne. Si seulement ils pouvaient attendre leur tour ! De là, des guerres, des ravages continuels, si bien qu'une partie des habitants, surtout dans le voisinage de Joal, voudrait être français."

Autre voisinage déplaisant au Père, l'infiltration de l'islam dans son village. En octobre 1884, à la suite d'une nouvelle éclipse de lune, durant laquelle certains marabouts ont attiré l'un ou l'autre de ses chrétiens, il réunit ses paroissiens, en la fête du Rosaire, leur montre la fausseté des prétentions des marabouts, "le fléau du village", estime-t-il, et les exhorte à demeurer fidèles à leur religion. Ce que tous promettent. Le compte rendu de la réunion est transmis à l'évêque et au commandant du poste militaire.

Autre pétition envoyée en 1886 au Conseil Général de Saint-Louis, à l'occasion de travaux à réaliser à Joal. Il en obtient des subsides pour ses écoles, le dispensaire des religieuses, l'entretien du cimetière et la construction d'un pont indispensable, estime le Père, pour faciliter les communications avec l'intérieur du pays sérère.

En cette même année, nouveau voyage par terre de joal à Foundiougne, en passant par Fadial, Mbissel, Dialos. A Foundiougne, il est admis à bord d'un petit navire de guerre "Le Podor" qui le mène à Karlit où durant trois jours il prospecte les chrétiens des environs. Retour par le gros village de Palmarin où réside un catéchiste.

A l'époque, le canton de Joal, dont le chef est un chrétien, comprend 14 villages et s'étend de Nianing jusqu'à la pointe de Sangomar. " Il y a, écrit le Père, dans presque tous ces villages un bon commencement de chrétienté." A la mission de Saint Joseph, il entretient deux sémînaristes, un postulant frère et une novice religieuse.

Visites royales et rayonnement spirituel.

Revenant de son voyage à Foundiougne, il reçoit dans les premiers jours de septembre 1886, la visite du premier ministre du Sine dont presque toute la famille est chrétienne, puis celle d'un descendant de l'ancien roi Amat Diouf qui, écarté du pouvoir, le prie d'intervenir en sa faveur auprès des autorités françaises. " Que les Guélovars, fils ou frères des rois, lui répond le Père, attendent sagement leur tour de régner, sans mettre le pays en guerre."

En avril 1899, accompagné d'un confrère sénégalais, le Père Guy Grand, nouveau voyage au Saloum et au Sine. Les voyageurs embarquent sur le cotre "Le Rossignol" en direction de Foundiougne, Kaolack et Fatick, dont l'importance nécessiterait, estime-t-il, la présence habituelle d'un missionnaire ; et dans les villages voisins, ils retrouvent les chrétiens, préparent baptêmes et mariages, soignent les malades. " Nous avons pu dire nos messes tous les jours, écrira-t-il. Hospitalité chrétienne partout.

Le 22 mai, il est de retour à Joal pour se rendre, au début de juin, à Nianing, puis au pèlerinage de Poponguine.

Dans ces longs voyages où la fatigue s'ajoute à l'inconfort, ses forces semblent inépuisables. " La Providence divine, écrit-il en juin 1874 à sa famille, veut bien me conserver la santé nécessaire dans ces rudes climats. Joignez donc vos actions de grâce aux miennes." Redisant en lui même ce qu'il écrivait vingt ans plus tôt : "Malgré nos travaux et nos fatigues, nous sommes les plus heureux du monde. Dieu soit loué, Dieu nous comble!"

Pour maintenir la piété de sa paroisse, il y a établi des associations pieuses en fonction des divers âges de ses paroissiens : Enfants du Sacré-Cœur, Enfants de Marie, Congrégation des Saints Anges pour les plus petits, Société des mères de famille, Rosaire vivant. Apostolat de la Prière, Association pour la délivrance des Âmes du Purgatoire. Chaque groupe a ses fidèles. Chaque année enregistre une centaine de baptêmes.

En septembre 1890, grâce aux subventions du Gouvernement, il dote la paroisse d'un nouveau dispensaire que bénit Mgr Barthet. L'année suivante, il ajoute une petite chapelle à son église.

Nouvelle éclipse de lune en avril 1893. Des savants de l'Observatoire de Paris, étant venus la photographier, imposent silence aux marabouts encore enclins à s'affirmer les maîtres du soleil et de la lune.

Nouveaux subsides du Conseil Général en décembre 1894, en réponse à une pétition adressée par les pères de famille de Joal ; le Conseil y assure l'entretien d'un Frère de Ploërmel pour l'école.

Ses dernières années et sa mort à Joal.

L'année suivante, le Père entre dans sa 72ème année. Pour l'aider dans sa charge, l'évêque nomme un de ses confrères, le Père Messager, curé de la paroisse, tout en laissant au Père Lamoise la présidence honorifique ; et le 25 mars 1897, il vient présider pontificalement une messe solennelle à l'occasion de ses cinquante ans de présence au Sénégal. A l'issue de la messe, l'administrateur civil du District de Sine Saloum, lui exprime la reconnaissance du pays : "Sur toute la côte occidentale d'Afrique, affirme-t-il, nul ne saurait à cette heure invoquer à son actif des états de service aussi brillants que les vôtres." Le Souverain Pontife, Léon XIII, lui envoie sa bénédiction apostolique. Les chrétiens de la Sénégambie lui firent don d'une chasuble en drap d'or.

Après avoir résisté l'année précédente à une fièvre bilieuse, il fête le 5 juin 1899 ses noces d'or sacerdotales. Se rendant en septembre à Ngasobil pour confesser les religieuses, il est surpris par un orage qui le voit revenir épuisé à Joal, où veillé par son confrère, il décède, le 6 novembre en faisant un signe de la croix avec de l'eau bénite. Il avait 75 ans, n'était jamais rentré en France.

"Que dirai-je de ses funérailles, écrira le Père Kunemann supérieur de la mission de Ngasobil. Elles ont été touchantes. Ce bon missionnaire avait cent fois parcouru tout le pays de Dakar jusqu'en Gambie. Partout il avait passé faisant le bien ; il aimait et il était aimé comme un père.

Aussi les Populations se sont-elles levées en masse de tous les points touchés par la nouvelle de sa mort."

Une souscription en vue d'une plaque de marbre à poser sur sa tombe, permettra l'achat de 2 cloches, dont celle de 300 kilos qui porte son nom.

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