Le P. Pierre CLÉRET de LANGAVANT,
de la Province de France, décédé à Diégo-Suarcz, le 3 mars 1947,
à l'âge de 47 ans, après 22 années de profession.


Le R. P. Pierre Cléret de Langavant était né à Saint­Malo, diocèse de Rennes, le 13 avril 1899, d'une famille nombreuse et profondément chrétienne. Son père, Joseph Cléret de Langavant, était l'un de ces offliciers qui, en 1906, à Saint-Servan, au moment des inventaires, brisèrent leur épée; par sa mère il était apparenté à Mgr de Beaumont, mort évêque de la Réunion; l'évêque actuel de la Réunion, Mgr François Cléret de Langavant, est son propre frère.

« Il était, nous écrit Mgr de Langavant, le neuvième enfant, c'est-à-dire l'avant-dernier, et moi le septième. Nous étions très unis, je ne me souviens pas d'une seule bataille entre nous et pourtant nous étions huit garçons qui aimaient bien à s'amuser et s'amusaient plus qu'ils ne travaillaient. Nous étions aussi habitués aux travaux de la maison : cirer les escaliers, laver la vaisselle, faire les cuivres, etc., et tout cela était un jeu pour nous.

« Au Collège de Saint-Malo où les huit garçons ont fait leurs humanités, trois tenaient la tête de leur classe, et Pierre était l'un des trois. Après son baccalauréat, il entra au Séminaire de Rennes, c'était pendant la guerre 1914-1918, et il n'avait pas encore l'âge de suivre à l'armée ses six aînés. En 1921, étant séminariste, il fat envoyé comme professeur au Collège de Redon, tenu par les Eudistes. Il m'écrivit alors à Rome où j'étais scolastique au Séminaire Français pour me dire qu'il voulait être religieux, mais hésitait entre les Eudistes et les Pères du Saint-Esprit. Je lui répondis à peu près ceci : si tu veux l'enseignement il vaut mieux aller chez les Eudistes; si tu veux les missions, tu auras plus de chances en allant chez les Pères du Saint­ Esprit. Mais au fond on peut se sauver et se sanctifier dans n'importe quelle congrégation : l'essentiel est d'être fervent. Puis pour le décider je lui dis ceci : si tu entres chez les Spiritains, on trouvera cela tout naturel, puisque j'y suis déjà; si au contraire tu te fais Eudiste on dira : pourquoi donc n'est-il pas entré chez les Pères du Saint-Esprit ? Est-ce que son frère ne s'y plairait pas? Et je suis per­suadé que c'est ce qui l'a décidé; déjà il ne voulait pas se singulariser, c'était tout naturel qu'il entrât chez les Pères du Saint-Esprit, personne n'y trouverait à redire, cela suffit à fixer son choix. »

Après avoir reçu le Sous-Diaconat à Rennes le 26 mai 1923 il entra au Noviciat des Pères du Saint-Esprit à Orly, le 7 septembre 1923, fit profession le 8 septembre 1924, fut ordonné diacre, puis prêtre à la Maison-Mère le 28 oc­tobre 1924. Après sa Consécration à l'Apostolat le 12 juil­let 1925, il fut désigné pour le Vicariat de Diégo-Suarez; c'est à Diégo-Suarez même qu'il commença un ministère qui devait être si fécond. Mais c'est à Fénérive qu'il devait travailler le plus longtemps, dix-sept ans, de mai 1927 à décembre 1944.

Sur son activité, son zèle, sa charité, nous avons le témoignage de celui qui fut son supérieur, le R. P. Rousselière.

Il se dépensa surtout pour les chapelles de brousse. Quinze jours ou trois semaines par mois, il était en tournée, visitant chaque fois une dizaine de chrétientés, et ces visites étaient accomplies avec le soin qu'il apportait à toutes choses, et il faut bien le dire avec une complète indifférence du moindre confort : durant des années il n'eut qu'un bœuf pour monture; la somme de fatigues et d'endurance que représentent ces courses dans un pays de forêts, accidenté, marécageux, où il pleut près de trois cents jours par an, ceux-là pourraient le dire qui les ont pratiquées. Longtemps le Père s'est contenté de la nourriture indigène : riz, brèdes, poulets étiques, au risque de compromettre sa santé et même sa vie. Un jour il fut arrêté dans ses courses par une bilieuse hématurique; il ne dut la vie qu'aux soins dévoués d'une famille chrétienne européenne, établie dans la région. Il fallut l'intervention du Vicaire Apostolique pour ajouter au menu du pain et du vin.

Le Père revenait de ces tournées fatigué, mais content, pour reprendre son travail près des petits séminaristes; il les prenait dès le matin pour une méditation parlée d'une demi-heure, avant la messe et ne les quittait pas de la journée. Il était avec eux d'une patience à toute épreuve, ressassant les mêmes notions jusqu'à ce qu'elles fassent saisies. Il forma de bons élèves qui connurent des succès au Petit Séminaire de Tananarive; aujourd'hui des prêtres indigènes remercient le Bon Dieu de le leur avoir donné comme maître au début de leurs études.

D'humeur toujours égale, il était précieux en communauté; plein d'esprit il aimait les jeux de mots et les, calembours, mais chez lui c'était encore une forme de la charité, ce qu'il cherchait c'était égayer ses confrères, même à son détriment.

Il était toujours prêt à rendre service pour n'importe quel ministère : sermons français ou malgaches, retraites, confessions, visites des malades, surtout dans la brousse; on ne l'a jamais vu manifester ni mécontentement ni ennui. Il possédait son âme dans la paix, mais cette possession de soi était le fruit d'une longue patience, à certains signes on pouvait voir qu'il se faisait violence, mais il se dominait. « Ce saint homme de Père de Langavant », disait-on dans son entourage. Eh! oui, c'était un homme du Bon Dieu.

Appelé par Mgr Fortineau à Diégo-Suarez en janvier 1945, le P. de Langavant fut chargé de la paroisse malgache. Comme à Fénérive il se dépensa sans compter, se donnant à tout et à tous, ayant la confiance de tous, surtout de ses confrères; c'est à lui de préférence que l'on s'adressait pour tout service à demander, et l'on était toujours bien accueilli : simple, humble, aimable, toujours prêt à se dévouer sans paraître se douter qu'il eut à cela quelque mérite.

Le Bon Dieu l'a rappelé à lui à l'âge de 48 ans. Sa maladie, une poliomyélite, disent les médecins, n'a duré guère que quarante~huit heures. Le Père a pris le lit le vendredi soir 28 février avec la fièvre et un mal de tête qu'il disait épouvantable; on lui donna de la quinine, des boissons chaudes et il se trouva mieux. Mais le lendemain matin il n'arrivait pas à uriner et ses jambes étaient comme paralysées. Le P. Gaston, son supérieur et son confesseur, l'avertit de la gravité de son état, le confessa et le fit hospitaliser; le mé­decin diagnostiqua une poliomyélite et interdit toute com­munication avec le malade. Mais le P. Lois Wolff, aumônier de l'hôpital, put le visiter à plusieurs reprises et lui donner les derniers sacrements. Le Supérieur Principal, prévenu par télégramme, put lui aussi voir le cher malade et s'entre­tenir avec lui, il fut profondément édifié par les sentiments admirables que le mourant manifesta, acceptant la mort avec un abandon total à la volonté de Dieu, heureux, disait-il, de mourir avant d'avoir atteint la vieillesse. Le 3 mars, vers 1 heure du matin, le Père se sentit partir : le P. Wolff récita les prières des agonisants auxquelles le malade répondit lui-même avec une grande piété; il garda sa connaissance jusqu'au bout, renouvela ses vœux, demanda pardon à tous, reçut une dernière absolution et rendit son âme à Dieu tout doucement à 2 heures et demie du matin.

Les obsèques eurent lieu le soir même, présidées par Mgr Fortineau entouré de huit prêtres et d'une foule consi­dérable de chrétiens; il est enterré dans le cimetière de la ville, dans le tombeau de la Mission.

Dans sa vie et plus encore dans sa mort, le P. de Langavant a été pour tous un sujet d'admiration et d'édification; nous ne doutons pas qu'il ait reçu la récompense des bons ouvriers, des saints missionnaires. Les chrétiens, surtout les Malgaches, l'ont beaucoup regretté, ont fait célébrer de nombreuses messes pour le repos de son âme. « Puisse ma mort ressembler à la sienne », disait l'un d'entre nous, traduisant ainsi le sentiment de tous.

Terminons par ces mots de son frère, Mgr de Langavant
Il a retrouvé là-haut son vieux père, un saint qui passait des heures en oraison dans une sorte de petit réduit où il pouvait à peine se tenir debout; il y a retrouvé aussi sa mère et cinq de ses frères qui l'ont précédé; deux d'entre eux surtout ont laissé eux aussi le souvenir d'hommes de vertu peu ordinaire. Vraiment le Bon Dieu, est bon. »
J. BESNARD.

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