Le Père Raphaël LAURENT

Il est né le 28 septembre 1868 à Siévoz, canton de Valbonnais. Son père, instituteur à Meylan, était de ces admirables "maîtres d'école", attachés à tous leurs devoirs, y compris leurs devoirs envers Dieu, en cette époque où l'on n'avait point encore imaginé d'opposer l'école à l'église et l'instituteur au curé. Raphaël était l'aîné de ses neuf enfants.

Après ses classes primaires à Simandres, il entra au petit séminaire de La Côte-Saint-André. Au témoignage du supérieur de l'établissement, il était "comme piété et conduite au-dessus des enfants de son âge, et ses progrès dans la vertu, comme dans l'étude, allaient en augmentant avec les années." On lit par exemple dans le carnet personnel qu'il tenait déjà : "En classe, j'adorerai Jésus dans le cœur de mes professeurs et de mes condisciples ; je saluerai leurs anges gardiens et remercierai mon Dieu de m'avoir donné de si bons maîtres . ... En récréation, je tâcherai d'aller avec tout le monde ; je saluerai aussi les anges gardiens de mes condisciples, après avoir adoré Jésus présent dans leurs cœurs." (Ne croiraît-on pas entendre les paroles de St Jean Berchmans ?).

Il entra au grand séminaire en 1886 et obtint le baccalauréat de théologie à l'université de Lyon. Après trois années, il fut envoyé comme professeur àl'Externat Notre-Dame, rue Sainte-Claire à Grenoble. Il y passa six ans dans les classes de neuvième et de septième. Il fut ordonné prêtre pour le diocèse en 1892. C'est en 1895, après avoir satisfait à certains devoirs de famille qu'il demanda à entrer au noviciat de Grignon à Orly.

A 28 ans, voici comment il se prépare à émettre ses premiers vœux : "Je bénis la Providence qui m'a fait entrer dans cette congrégation, d'abord par les relations de ses missionnaires d'Afrique, puis au grand séminaire par la lecture de la vie du Vénérable Père Libermann, enfin tout dernièrement par la connaissance que j'ai eu de la congrégation à la communauté de St Joseph de Seyssinet. En conséquence, je vous promets, mon Révérend Père, de m'appliquer, pendant le peu de temps qui nous sépare de la profession, à devenir un peu moins indigne de la congrégation, un peu moins indigne d'être entre les mains de Notre Seigneur et par vous, mon Révérend Père, une victime que Jésus veuille bien immoler à la Gloire de son Père, pour la joie du Cœur de Marie et le salut des âmes abandonnées."

Le 15 août 1896, il fait sa profession religieuse et reçoit son obédience pour le Congo français. Le soir de ce même jour, le Père ' e maître des novices disait à un ancien missionnaire retournant au Congo : "Vous emmenez avec vous la fleur du noviciat." Cette fleur ne fera que gagner en éclat sous le soleil d'Afrique.

A Loango, Mgr Carrie lui confia la direction de son petit séminaire. Si importante que soit cette œuvre, il est incontestable que, généralement, elle répond mal aux ardentes aspirations des jeunes missionnaires. Ils ont rêvé de porter la Bonne Nouvelle du salut aux peuplades les plus reculées. Mais le P. Laurent est venu en mission pour se sacrifier en tout, suivant la volonté de Dieu manifestée par ses supérieurs ; durant sept ans, il soutiendra généreusement cette vie de sacrifice, sans un moment de défaillance. L'année suivante, le petit séminaire est transféré à Mayumba ; le P. Laurent y suit ses élèves, et il y construit une sorte de petit ermitage, consacré à Ste Anne. C'est là, sur une pointe sauvage, dominant la belle lagune de Mayumba, que le saint religieux aimait aller prier et méditer.

En 1902, la maladie l'obligea de rentrer en Europe. Durant son séjour en France, il fut occupé quelque temps comme sous-directeur au noviciat des Frères à Chevilly. On eut même un instant la pensée, à la Maison-Mère, de le garder pour cette œuvre. Mais il aimait tant sa chère mission, qu'on ne voulut pas l'en séparer.

A son retour au Congo, en août 1903, le P. Laurent fut chargé par Mgr Carrie de la procure du diocèse. Il ne s'attendait nullement à recevoir cette fonction nouvelle. Il l'accepta cependant avec un esprit de parfaite obéissance, et il s'en acquitta avec autant de tact et de prudence que de dévouement. Aussi chacun faisait-il des vœux pour qu'il conservât cette charge, quand, sur son désir, il fut nommé à la station de Boudianga, située à douze jours de marche au nord-est de Loango.

La mission de Boudianga était sans contredit la plus pénible du vicariat. Ravitaillement difficile (les deux caravanes de ravitaillement qu'il reçut mirent 30 jours pour l'une et 40 jours pour l'autre), population réfractaire àla civilisation, site peu enchanteur, rien n'y satisfait la nature. Mais le P. Laurent s'attache malgré tout à cette station. Il n'y a qu'une chose qui l'afflige, c'est d'y avoir la charge de supérieur, bien qu'il soit le plus jeune de la communauté. Travailleur infatigable, il s'applique avec ardeur à l'étude de la langue kota et commence une série d'instructions très goûtées des indigènes. On vante sa bonté, sa douceur, son zèle, et la population se rapproche du missionnaire qui se donne si généreusement à elle.

Malheureusement, la terrible fièvre palustre le visite trois fois en six mois. Sur le conseil de ses confrères, il se décide à venir consulter le docteur à Loango. Il y arrive le 24 mai. Il était un peu fatigué du voyage, mais à cette époque des grandes pluies, la forêt du Mayombe, avec ses rivières débordées et ses sentiers glissants, est difficile à traverser même pour les plus vaillants. Cependant, trois semaines plus tard il paraissait convenablement rétabli et lui-même se trouvait si bien qu'il se mit à préparer sa caravane pour retourner à Boudianga. Le 17 juin, dans la soirée, il arrangeait ses dernières charges, quand il se sentit repris par la fièvre. Malgré tous les soins dont il bénéficia, la bilieuse hémoglobinurique l'emporta rapidement. Après avoir reçu le saint viatique, il dit : "Je suis heureux de mourir pour le salut des Congolais ; et vous direz à mes parents que je leur dis au revoir près de Jésus." C'était le 21 juin 1904, il n'avait pas encore 36 ans, ... mais la sainteté ne se mesure pas au nombre des années.

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