Le Père Raoul LEBER,
1879-1927


Le Père Raoul Leber eut dès sa première enfance un grand désavantage, celui de ne pas connaître ses parents et de manquer de cette première éducation familiale qui forme le fond du caractère ; et comme s'il n'avait pas eu le loisir d'être enfant au début de la vie, il garda toujours dans son jugement quelque chose d'enfantin qui déconcertait. En outre, il souffrait d'une infirmité de naissance : il avait le cœur gravement atteint ; il s'en ressentit toute sa vie, surtout en ses dernières années.

Il naquit à Toulouse le 21 septembre 1879, et à défaut de ses parents, il trouva d'excellents bienfaiteurs qui pourvurent à tous ses besoins. Ses études primaires, il les fit à Vaujours, dans le diocèse de Versailles, à l'Asile Fénelon. A neuf ans il éprouva en son âme les premiers désirs de se consacrer à Dieu, mais il n'osa pas en parler, de sorte que pendant quatre ans il garda son secret ; à treize ans, poussé par un irrésistible besoin, il s'en ouvrit pourtant à l'aumônier, l'abbé Machabert, qui l'exhorta à répondre à l'appel de Dieu et le fit entrer au petit séminaire de Versailles malgré les résistances des bienfaiteurs de l'enfant. Ce fut en octobre 1893 que le jeune Raoul commença sa sixième.

Il avait 19 ans quand, sa seconde achevée, il passa à Mervine pour y faire sa rhétorique, car il s'était décidé à être à la fois religieux et missionnaire chez les Spiritains. Après un an à Merville, il fit son noviciat à Orly, émit ses premiers vœux le 7 octobre 1900, et suivit à Chevilly les cours de philosophie et de théologie, non sans que son caractère impressionnable et mobile, ainsi que sa petite santé, ne donnassent quelques inquiétudes.

Prêtre le 29 octobre 1904, il se déclara prêt à partir pour l'Afrique, s'offrant à y être professeur de sciences. En réponse à ces ouvertures, on l'envoya en Portugal, où il fut employé à Formiga ; de là, au bout de deux ans il vint àSuse (Italie) à I'œuvre des Petits Clercs de Saint-Joseph. Ses réflexions, et son état maladif qui le portait à chercher du neuf, lui firent croire qu'il avait des attraits pour la vie contemplative. Il projeta en 1909 d'entrer chez les Bénédictins français de Lenno en Lombardie ; l'année suivante, après un an d'attente, il se décida pour l'abbaye cistercienne de Lérins ; il y commença même son noviciat, mais au bout de cinq mois il constata que cette vie ne convenait pas à son organisme affaibli, et il revint.

Les œuvres d'éducation n'étant pas de son fait, on le dirigea sur la Guadeloupe quand le P. Malleret partit pour prendre la paroisse de MarieGalante. Le P. Leber fut successivement placé à Basse-Terre, aux Saintes, au Gosier ; il se livra partout avec grand dévouement au saint ministère et aux œuvres matérielles qu'exigeaient ces paroisses. Il avait sans doute ses méthodes à lui, mais on s'accordait à lui reconnaître de la loyauté dans ses rapports avec tous et un zèle bien entendu pour le salut des âmes. Jusqu'en 1922, il continua de travailler ainsi ; déjà la maladie l'avait pris, troubles cardiaques, embarras du foie, des reins, etc. ; il n'y put résister et revint se reposer en France.

À la communauté de Monaco, on lui trouva l'occupation facile qui convenait à son organisme débilité. Aumônier des Frères, aumônier des Sœurs, vicaire de chœur à la Cathédrale, il se sentit la force d'accomplir toutes ces fonctions et se remit même assez bien pour qu'on pût songer àl'envover à la Réunion en 1923.

Son nouveau district lui réserva des peines. " Versé dans l'Océan Indien, dit-il lui-même dans une note d'allure plaisante, je fus d'abord curé àSainte-Clotilde ; malade, on me logea plus haut à la Plaine-des -Palmistes ; malade plus encore, on me déposa au BrasPanon, où ça ne va pas trop mal, même relativement bien, quand il n'y a pas d'ennui. " Il est très vrai, en effet, qu'il souffrit beaucoup dans les deux premières paroisses et que dans la dernière il fut souvent une énigme pour ses. supérieurs, car sa maladie prenait des formes imprévues, contradictoires, qui ne laissaient pas que d'être fort embarrassantes.

En février 1927, son état devint plus alarmant.
" Le cher Père m'était arrivé à Saint-Benoît le samedi 12 février, écrit le P. Gourtay. Il souffrait d'une de ces crises cardiaques auxquelles il était sujet depuis longtemps. Les médecins lui ordonnèrent le repos le plus complet. Au bout de quelques jours, I'oedème des jambes et des mains avait disparu ; le Père reprenait son entrain habituel. Mais les reins fonctionnaient mal, et l'intoxication, malgré les soins les plus dévoués des docteurs, s'intensifiait graduellement. Le mardi 22, il reçut les derniers sacrements en pleine connaissance, répondant lui-même aux Prières de l'extrême-onction. Le mercredi soir, Mgr de Beaumont, revenant de l'enterrement du curé de SaintPierre, vint voir le cher malade. Le Père reconnut son évêque et se montra très sensible à cette visite. Quelques heures après, à minuit dix, le Père rendait le dernier soupir.

" Les obsèques ont eu lieu le vendredi Matin à Saint-Benoît sous la présidence de Monseigneur ; puis le corps fut dirigé sur la paroisse du Bras-Panon. Toute la population, le maire et les conseillers municipaux en tête étaient là pour recevoir le corps du regretté Pasteur: il repose, comme il le désirait, au milieu de se chers paroissiens du BrasPanon. Depuis son arrivée dans l'île en 1923, le cher Père a toujours été d'une santé chancelante ; miné par la maladie, il n'a pu se dépenser comme à la Guadeloupe. Ces derniers temps, il manifestait souvent le désir de se retirer du ministère pour se préparer à la mort. "Mais qui donc, lui disais-je alors, préparera les mourants de la paroisse a paraître devant Dieu ? Vos voisins sont surchargés." Et je lui redisais les paroles que nous avions ensemble entendues si souvent dans les conférences du soir à Chevilly : "Celui qui sauve les autres se sauve lui-même". Il reprenait ensuite le collier de misère ! "

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