Le Père Jacques LE BOZEC

Jacques LE BOZEC né le 10 septembre 1822, à Gouézec. Appelé en 1902 à donner la conférence traditionnelle du 2 février, à la communauté de Langonnet, le P. Le Bozec débutait par ces mots, qui nous révèlent le secret de sa vocation :

" Je n'ai pas connu le Vénérable Père Libermann : il y avait cinq ans qu'il était mort quand je suis entré dans la congrégation. Mais je l'ai beaucoup lu ; et ce sont ses écrits qui m'ont gagné.

" En 1856, j'étais vicaire à Brest, à la paroisse Saint-Sauveur, lorsque trois missionnaires, partant pour la Sénégambie, usèrent de notre hospitalité en attendant le départ du vaisseau. C'était d'abord le P. Emmanuel Barbier, qui, à de grands talents, unissait un physique si avantageux qu'au Sénégal on l'appelait "la fleur du désert". Le martyr de la charité, lui conviendrait mieux encore, car il est mort de la fièvre Jaune, contractée en soignant les malades en 1859. C'était ensuite le P. Gabriel Chenay, mort en retraçant en sa personne les vertus du plus saint des prêtres. Le troisième était le Père Joseph Strub, mort provincial des Etats-Unis.

" Ces bons Pères nous édifièrent beaucoup. Le P. Barbier me prêta à lire les instructions aux missionnaires. Le beau chapitre de l'abnégation, et celui des avantages de la vie religieuse m'impressionnèrent fortement. - "Vous admirez les écrits de notre Vénéré Père, me dit le P. Barbier, que serait-ce donc si vous l'aviez, comme moi, vu et entendu parler du bon Dieu ? "

"Ce bon Père était porteur d'une relique précieuse, c'était la langue du Vénérable Père qu'il apportait à Dakar. Un an après, en 1857, j'entrais au noviciat. " Ce que l'humble religieux ne dit pas, c'est le témoignage si élogieux que lui rendait son évêque. Mgr Sergent écrivait au T.R.Père Général: " M. Le Bozec est un très bon sujet sous tous les rapports : piété, capacité, bon esprit. Il a tout ce qu'il faut pour rendre de grands services à l’Eglise.

Le prédécesseur de Mgr Sergent sur le siège de Quimper, Mgr Graveran, avait eu aussi à porter son jugement sur l'abbé Le Bozec. Voici en quelle circonstance : Pierre Le Bozec, l'âiné de douze enfants, dont Jacques était le dernier, était recteur de Saint Goarec, après y avoir été vicaire. Il n'a jamais eu d'autre paroisse. Il prit là avec lui son petit frère, l'initia aux premiers éléments du latin, et l'envoya à Gourin, paroisse voisine, à l'école de maître Kerdavid, qui céda plus tard son établissement à M. Maupied, lequel le passa à son tour à la congrégation. Jacques fut ensuite envoyé au petit séminaire de Pont-Croix. Doué d'un esprit sérieux et pénétrant, il ne manqua pas de se distinguer parmi ses condisciples, comme il se fit également remarquer dans les études théologiques au grand séminaire de Quimper. Il passait régulièrement ses vacances chez le recteur de Saint-Goazec ; et ordonné prêtre le ler août 1847 à Quimper, par Mgr Graveran, il débuta dans le saint ministère en cette même paroisse, en qualité-de vicaire ou d'auxiliaire de son frère. Mais voici que bientôt l'évêque de Quimper juge à propos de nommer l'abbé Jacques vicaire à Brest. A cette nouvelle, le bon recteur de St-Goazec bondit du fond de ses Montagnes-Noires au chef-lieu. - "A quoi pensez-vous, Monseigneur ? Les choses vont si bien dans l'état où elles sont : comment troubler ainsi l'œuvre de Dieu ? - Ah! cher recteur, répond le prélat, vous trouvez que tout va bien ainsi. Mais nous devons viser au mieux. Votre frère est un sujet d'avenir: il ne donnerait pas, dans une petite paroisse de campagne, ce que la sainte Eglise est en droit d'attendre de lui. Faites appel à votre esprit de foi. Je destine votre frère à cette paroisse de ville c'est dans son intérêt et pour la gloire de Dieu."

Tel était le jeune prêtre qui, après ses entretiens avec le Père Barbier et la lecture des écrits du Vénérable Père, sollicitait humblement, par lettre du 26 novembre 1856, son admission au noviciat. Il fit sa profession le 5 juillet 1859, et s'embarqua peu après pour la Martinique. Employé d'abord au pèlerinage de N.D. de la Délivrande au Morne Rouge, il passe bientôt au séminaire collège de Saint-Pierre , puis il est adjoint au P. Simonet, pour la direction du grand séminaire que l'on avait alors au "Trou-Vaillant". Quelques années après, au départ pour la France du Père Emonet, en 1865, il revient au collège pour le remplacer comme professeur de rhétorique. Se trouvant très fatigué, il rentre lui-même en Europe à la fin de la même année.

Voici, dit le P. Le Douarin qui l'a connu à la Martinique, l'impression laissée par lui dans la colonie qu'il venait de quitter, saint prêtre, parfait religieux, bon confrère ; homme doux, obligeant, conciliant, pacifique. Dès les premières années de son sacerdoce, il avait pris l'habitude d'écrire ses sermons ; et, d'une mémoire sûre, il les donnait tels qu'il les avait écrits : ce qui ne l'empêchait pas d'y mettre, de sa voix pleine et harmonieuse, un accent de conviction et de piété, qui faisait pénétrer sa parole jusqu'au fond du cœur.

Après un repos indispensable, qu'il prit à Langonnet, le cher Père fut envoyé à Toulon, dans l'œuvre de la cité ouvrière que la congrégation dirigeait alors en cette ville. Il pouvait ainsi, tout en achevant de se remettre, exercer son zèle à l'égard des enfants et des familles pauvres. Il y demeura jusqu'en l'année 1868.

Envoyé cette année-là à la Réunion, il trouvait, en abordant, la ville de Saint-Denis en plein mouvement révolutionnaire. Peu combattif de sa nature, il se retira loin de l'agitation, alors que son confrère et compagnon de voyage, le P. Charles Gommingenger, se lançait éperdument dans la mêlée. La crise terminée, il rentre à la Providence, pour se dévouer tout entier aux œuvres de zèle et de charité de ce grand et bel établissement. Il se trouvait là, disait-il lui-même, tout à fait dans son élément. Il seconda ses confrères dans le saint ministère auprès des enfants, des vieillards, des lépreux, des malheureux de toutes sortes. Chargé spécialement de la direction spirituelle des Sœurs de St-Joseph de 'Cluny et des Filles de Marie, ainsi que de l'aumônerie de l'hospice civil de St-Denis, il apporte aussi le concours de sa parole apostolique et à la cathédrale de St-Denis et aux paroisses des quartiers. Ce ministère dura dix années, riches assurément en fruits de salut, mais aussi très fatigantes, au point d'épuiser les forces du missionnaire. En 1878, il dut regagner la France, et alla se reposer une année dans l'œuvre des clercs de St-Joseph à Beauvais, où il desservait en même temps l'aumônerie des Sœurs de St-Joseph de Cluny.

On travaillait beaucoup alors, au pays bas-breton, à reprendre le système des missions populaires qui avait si bien réussi au XVIIe siècle. Un groupe de prêtres zélés du diocèse de Quimper entrait résolument dans cette voie, et Mgr Nouvel instituait dans ce but la communauté bénédictine de Kerbénéat. Un des plus ardents à favoriser ce mouvement était sans contredit notre cher père Lejeune, qui a tant travaillé à promouvoir la cause du serviteur de Dieu, Michel Le Nobletz et du P. Maunoir. D'accord avec M. Le Grand, curé de Gourin, il décida le Père Schwindenhammer à fonder dans cette paroisse, qui confine avec les trois diocèses de langue bretonne, Quimper, St-Brieuc et Vannes, une résidence de missionnaires bretons, sous le nom de communauté de St-Corentin.

Le P. Le Bozec est nommé supérieur, il sera ainsi plus tenu à la résidence, et s'emploiera auprès du noviciat et du pensionnat des Sœurs de St-Joseph de Cluny, pendant que ses deux confrères, les Pères Lejeune et Jouan se dépenseront en prédications et missions dans les pays circonvoisins.

La commnauté de St-Coretin ayant été supprimée en octobre 1882, le P. Le Bozec se replie sur Langonnet, et se voit, en septembre de l'année suivante, appelé à Paris, pour y être chargé du soin spirituel de l’Adoration Réparatrice du St-Sacrement. On gardera longtemps dans cette nombreuse et fervente communauté le souvenir de sa pieuse et sage direction. Cependant le poids de l'âge et des infirmités se faisant plus lourdement sentir, le bon Père demandait avec insistance son envoi dans la maison de retraite de Langonnet, pour se préparer, disait-il, à bien mourir. Cette faveur lui fut accordée au mois d'octobre 1897.

Toujours occupé du bon Dieu, on le voyait, égrenant son chapelet au jardin, faisant doucement le tour du parc en priant, disant avec piété son bréviaire à la chapelle, parcourant les stations du chemin de la croix. Telle était sa vie de chaque jour. A 78 ans, il s'était rendu à pied aux bourgs de Langonnet et de Priziac pour rendre visite aux recteurs. Devenu plus qu'octogénaire, il chanta encore la messe du jour en la solennité de Noël ; et l'année suivante, il prêcha le sermon de la Pentecôte. Ce fut son chant du cygne.

En 1904, à partir du carême, le cher Père ne pouvait plus dire la sainte messe ; il y assistait cependant et faisait la sainte communion tous les jours. A partir du 5 avril, il ne pouvait plus parler, mais il gardait encore assez de connaissance pour sanctifier ses souffrances. Le mercredi de Pâques, 6 avril, à 11 heures, il partit au ciel chanter l'alléluia. Un groupe important de prêtres des environs vinrent, se joindre à nous pour lui rendre les derniers devoirs. Nous perdions en lui un vrai modèle, mais nous avons gagné un intercesseur de plus au ciel.

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