Le Père Ernest LECOMTE,
1862-1908.


Le Père Ernest Lecomte naquit le 25 mars 1862, à Mortagne, dans le diocèse de Sées, d'une famille de modestes cultivateurs.11 eut deux frères et une sœur. Après ses études primaires, il entre au petit séminaire du diocèse qu'il quitte avec les prix d'Honneur et d'Excellence et le baccalauréat. Il est reçu, en septembre 1880, au grand scolasticat des Pères du Saint-Esprit de Chevilly, où l'a précédé un de ses condisciples. Il y accomplit ses années de théologie et son noviciat, ne recueillant qu'appréciations élogieuses. Il est ordonné prêtre en juillet 1884, ayant obtenu, à cause de son jeune âge, une dispense d'un an.

Affecté à la préfecture apostolique de Cimbébasie, il s'y rend par Lisbonne, dès la fin de l'année. La préfecture de Cimbébasie, au sud de l'Angola, avait été fondée en 1879 et confiée aux missionnaires du Père Libermann. Le Père Duparquet en avait été le premier préfet. Dans son wagon tiré par huit paires de bœufs, il en avait exploré l'immense territoire à peine connu -du monde européen, limité par la colonie portugaise au nord, le Zambèze et le Counène à l'est et à l'ouest, sans véritable frontière au sud. Portugal, Angleterre, Allemagne en revendiquaient certains secteurs. Il avait fondé la mission d'Omaruru (dans. la Namibie actuelle), puis celles de Huila et de Humba à l'est de Mossamédès. Le Père Schaffer lui succédait en 1886, tandis qu'était ouverte au sud de l'intérieur du pays, chez les Amboellas, la mission de Cassinga. Le Père Lecomte avait débarqué à Mossarnédès au début de l'année précédente.

Ne subissant la tutelle d'aucune nation européenne, les nombreuses peuplades de la préfecture y vivaient sous l'autorité de leurs chefs, souvent hostiles les unes aux autres, parfois razziées par des caravanes arabes venues de l'Est. Fleuves et rivières inondaient le pays à la saison des pluies. Ni pont ni route ; des pistes qu'on élargit à la hache pour que passe le wagon, seul moyen confortable de locomotion. On circule aussi, à moindre frais, à dos de bœufs porteurs.

Débarquant à Mossamédès, le Père Lecomte vient d'avoir ses 23 ans. De taille moyenne, solidement charpenté, traits réguliers dans une figure ovale, encadrée par une forte barbe, sous un large front. Les yeux très vivants regardent droit devant eux.

Il retrouve son préfet apostolique à Huila, où il doit attendre la fin des pluies pour partir fonder une mission dans l'intérieur. Il en profite pour étudier la langue qui sera désormais la sienne, tout en préparant au baptême quelques jeunes, rachetés de l'esclavage, qui sévit alors à travers tout le pays. Il se révèle si doué dans l'étude des langues qu'en quelques mois, il peut composer à leur usage, catéchisme et grammairedictionnaire. Au moment de partir, le décès des deux missionnaires de la mission de Cassinga le fait rejoindre cette mission.

Il la trouve récemment incendiée et si dénuée de tout, qu'il lui faut se ravitailler, à six jours de là, au petit centre commercial de la région. Parti àdos de bœuf porteur, un lion le lui enlève durant la nuit. Poursuivant sa route, il se protègera en se blottissant la nuit au creux des hautes racines des arbres.

Aidé par deux Frères portugais, il relève les ruines de la mission, assure sa subsistance en élevant du bétail, en créant jardin et verger, recueille et instruit une quarantaine d'enfants rachetés de l'esclavage, prospecte les environs, rend visite aux chefs et aux notables, apprend à parler leur langue, soigne les malades, étudie les coutumes des villages, dresse la carte du pays.

Parce qu'il possède le don d'aborder ceux qu'il rencontre, d'observer et de noter ce qu'il voit, il est envoyé par son préfet, en août .1886, étudier l'implantation d'une nouvelle mission plus au sud, dans la région du Couvango. La mission du Kouanyama y est ouverte l'année suivante. Malheureusement, survient la sécheresse. Le sorcier en rend la mission responsable ! Elle est attaquée et pillée. Attaché à un arbre, le Père subit, toute la journée, les insultes de la population déchaînée. Délivré, il est, avec son petit personnel, chassé du pays. Il se réfugie dans la mission de Cassinga, à six journées de marche vers le nord.

Sa connaissance du pays est maintenant reconnue en haut lieu. A la demande du gouverneur de Mossamédès, il est envoyé à Lisbonne : qu'il fasse profiter le gouvernement, et particulièrement le ministère de la Marine et des Colonies, de sa connaissance du pays et de ses habitants, d'autant qu'un contentieux existe entre le diocèse de Saint-Paul de Loanda et la préfecture apostolique. A Lisbonne, ses renseignements sont vivement appréciés. Il est invité à donner une conférence à la Société de Géographie, où il montre la possibilité d'assurer le développement du pays, tout en y procurant la paix. Par l'entremise du nonce, il obtient de l'évêque de Loanda que le secteur de Benguéla, où la préfecture possède une mission, soit confié au préfet apostolique avec le titre de vicaire général. Décision qui aboutira, plus tard, au dédoublement de la préfecture en Haute et Basse Cimbébasie. Cette dernière inclue dans le territoire qui sera dans la suite la Namibie.

Alors est fondée, en 1889, dans le secteur de Benguéla, la mission de Caconda, qui deviendra la procure de la préfecture. Le Père se fait une fois de plus bâtisseur, planteur, éleveur de troupeaux, maître d'école, directeur d'internat, où sont formés les futurs catéchistes. La jeunesse, en particulier les fils des notables et des chefs, veut savoir parler et écrire en portugais, signe de civilisation avec le baptême : elle accourt à son école, qui lui assure en même temps la protection contre les razzias. Il visite les villages, soigne les malades, noue des relations avec les dirigeants de la contrée, établit cartes et rapports. Son autorité est reconnue. On le sait bien en cour de Lisbonne.

Il y est de nouveau demandé. Le gouvernement veut établir le "Royal Patronat" sur les préfectures apostoliques. Nouvelle conférence à la Société de Géographie, où il plaide le devoir des nations civilisées de favoriser l'instruction et le développement de tous, en luttant, en particulier dans l'Angola, contre l'alcoolisme si répandu dans les villages, qui possèdent tous et chacun son alambic. De retour, le voilà dans l'est de la préfecture, explorant la région du Bihé en vue d'une nouvelle mission, qui sera fondée en 1891. Il en apprend la langue mboundou, compose de nouveau en cette langue, catéchisme et grammaire-dictionnaire.

En février 1892, le Père Lecomte est nommé supérieur principal des communautés de la Cimbébasie, et un décret de la Propagande du 3 avril 1892 lui confère la charge de la préfecture apostolique.

Sa préfecture, amputée de celle de la Basse Cimbébasie, est limitée au nord par le douzième degré de latitude, à l'est et à l'ouest par le Kassaï et le Counène, au sud par la frontière germano-portugaise de la Namibie. A 450 km du littoral, elle s'étend sur 400 km d'est en ouest et 600 km du nord au sud. Elle est peuplée, estime-t-il, de 10 millions d'habitants, dont 4.500 chrétiens. Elle comprend 4 missions : Cassinga, Caconda, Bihé et Catoco en pays Ganguéla. Elle instruit 250 élèves en 5 écoles et fait vivre 200 anciens petits esclaves dans 5 orphelinats. Chaque mission est organisée pour pouvoir se suffire à elle-même : les subsides du Portugal et de Rome étant notoirement insuffisants, et les transports vers les centres commerciaux du littoral lents et coûteux. Les Portugais de la préfecture, tous baptisés, ne fréquentent la mission que pour les baptêmes et les enterrements, et éventuellement pour lui demander sa protection. Toutes les missions qu'il a fondées par la suite forment chacune un petit village, à l'intérieur d'une solide palissade, protégeant des lions et des razzias, avec chapelle, maisons d'habitation, logement du bétail et magasins. Dehors, cultures sans cesse agrandies. La mission, estime-t-il, doit être un modèle, que les villages imiteront.

En 1892, le P. Lecomte obtient des religieuses pour sa mission de Caconda. Les jeunes filles qu'elles élèvent pourront devenir les épouses de ses jeunes gens. En 1895, puis en 1897, après de sérieuses explorations, il ouvre les missions de Baïlundo dans le nord et de Massaca dans le sud. Chacune de ses missions est désormais à moins de 300 km de sa voisine. Deux ans plus tard, la farouche tribu qui l'a jadis chassé de sa mission de Kounyama, pille tout le secteur de celle de Cassinga, sans toutefois oser s'attaquer à la mission proprement dite. Se souvenant que son roi, Kyoulou, a été jadis son élève, il s'enhardit à aller lui reprocher ses rapines. Il se fait si bien agréer que, non seulement le roi lui donne, sans rançon, les 50 prisonniers capturés, mais lui demande de rouvrir l'ancienne mission.

En 1898, de nouveau appelé à Lisbonne, il est nommé commandeur de l'ordre de Saint-Jacques et membre la Société de Géographie. Il en obtient l'impression de ses catéchismes portugais-mboundou et portugais-ganguéla.

De 1902 à 1905, période de consolidation. Les catéchistes, en particulier, ont perdu de leur ferveur primitive, leur instruction doit être approfondie, leur zèle ranimé. Le préfet apostolique multiplie ses visites dans les missions et leurs villages, dote la procure de Caconda d'une imprimerie, d'où sortent, dans les quatre principales langues de la préfecture, directives et manuels d'instruction religieuse.

Il explore, entre les missions de Caconda et de Bailundo, le secteur de Huambo, où sera placée la prochaine mission, dès l'arrivée de nouveau personnel. Il en prépare l'implantation. En 1953, s'y élèvera la ville de Nova Lisboa, qui sera fière de donner à une de ses avenues le nom du Père Lecomte : "AO GRANDIl PIONEIRO Il MISSIONARIO P. ERNESTO LECOMTIl ANGOLA AGRADECIDA: 1884-1908."

En août 1908, sa présence est requise à la mission de Bihé. Malgré sa fatigue, il entreprend, une fois de plus, un long voyage de plusieurs semaines à dos de bœuf porteur. La fièvre le prend en chemin et si fortement qu'il ne peut continuer la route. Les derniers jours, il dut se faire porter en hamac. Arrivé à la mission, les remèdes se révélant sans effet, il demande les derniers sacrements et fait ses adieux à ses compagnons. "Ne pensons plus maintenant qu'à l'autre monde" murmure-t-il. Il s'éteint doucement le 9 septembre à l'âge de 46 ans. Sa préfecture est alors forte de 9 missions dont 2 en fondation, riche de 17 prêtres, de 17000 chrétiens dont 2000 portugais, d'une centaine de catéchistes et de 110 écoles instruisant 4 500 élèves externes, garçons et fines.

Annonçant son décès à Rome, au cardinal de la Propagande, avec qui il entretenait une correspondance régulière, le supérieur, de la mission écrivit : "Ses travaux, ses voyages, ses souffrances avaient toujours en vue la plus grande gloire de Dieu, le salut des âmes, le bien de ses missions. Saint prêtre, vivant avec ses confrères comme le dernier d'entre eux, sa charité, sa douceur, sa bonté allaient parfois jusqu'à l'excès. Dans sa conversation, il gagnait tout le monde, même ceux qui s'élevaient contre lui. Les Portugais l'appelaient: le petit saint FrançoisXavier."
Père Jean Delcourt

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