MONSEIGNEUR LEEN 1926- 1949
Annales du Diocèse de Port-Louis 1950 - 1956 p. 49 - 56


5 MARS 1951 . Dans le compliment d'adieux qu'ils devaient présenter à Monseigneur l'Archevêque, les prêtres disaient à Sa Grâce : " ... Nous vous adressons une dernière requête que nous vous demandons de ne pas nous refuser : veuillez vous choisir de notre part un or-nement sacré qui vous rappellera votre clergé de Maurice chaque fois que vous le revêtirez pour célébrer le Saint Sacrifice de la Messe ... "

La mort du prélat rendit cette prière sans objet . Mais une somme assez importante avait déjà été souscrite à cette fin . Très considérablement arrondie sur la cassette personnelle de Monseigneur l'Evêque, elle a défrayé l'exécution d'une plaque commémorative . Celle-ci, longue de 30 pouces, large de 20, est de marbre jaune tirant sur le marron clair; le visage de l'Archevêque se profile en bas relief sur un médaillon circulaire de marbre blanc, avec, au-dessous, cette inscription :

A MONSEIGNEUR LEEN 1926 - 1949 SON CLERGÉ RECONNAISSANT
C'est une véritable œuvre d'art . Elle est placée dans l'église-mère, face aux fidèles, du côté de l'évangile, non loin de l'angle que forme la rencontre du chœur avec le transept .

Son inauguration se fit aujourd'hui . On lit dans Le Mauricien : " II y eut foule ... à la cathédrale St.-Louis pour la cérémonie du dévoilement du Mémorial en l'honneur de Mon-seigneur James Leen ... Aux premiers rangs de l'assistance se trouvaient S.H. M. Georges Espitalier-Noël, président de la Fabrique de la cathédrale, et Mme Espitalier-Noël, S.H. M. Bhujoharry, maire de Port-Louis, Mme J. A. Thivy, le commandant H. Paturau, Consul de France, l'Hon. Dr E. Laurent, vice-président du Conseil Législatif, M. J. H. Constantin, M. et Mme Gabriel Martial, M. et Mme Raymond Hein, M. et Mme Félix Laventure, le Dr . E. Millien, MM. Jules Krenig, G. M. D. Atchia, A. R. Mohamed, V. Ducasse, E. de Robillard, A. Leclézio, C. B. de la Giroday, des religieux et religieuses, etc.

" A 15 heures 30, au son des cloches, le clergé, en double rangée - comme il y a une année, pour l'intronisation du successeur de Monseigneur Leen - fit son entrée, les chanoines, les supérieurs religieux et les prélats de Sa Sainteté précédant immédiatement Monseigneur l'Evêque de Port-Louis . Celui-ci se recueillit un instant, puis il prit place au Trône et, aussi-tôt, le chanoine Giraud, après s'être incliné devant l'Evêque, gagna la chaire . L'orateur, dans une magnifique allocution, évoqua une fois de plus, en termes émouvants, avec une piété toute filiale, et sans nulle redite, la noble figure, l'existence exemplaire du grand prélat que fut Monseigneur Leen . Il souligna, avec tout le talent qu'on lui connaît, jusque les aspects les plus simples d'un apostolat fécond et prestigieux entre tous ... "

Voici, au reste, le texte du discours .
Mementote praepositorum vestorum, qui vobis locuti sunt verbum Dei ; quorum in-tuentes exitum conversationis imitamini fidem . Souvenez- vous de vos chefs qui vous ont an-noncé la parole de Dieu ; et en reportant votre pensée sur la fin de leur existence, imitez leur foi, (Heb. XIII.7)
Excellence, Messeigneurs, Monsieur le Maire, Monsieur le Consul de France, Mes Révérends Pères, Mes Frères,

Il y a déjà plus d'un an que la grande figure de Monseigneur Leen a disparu . Du moins avons-nous l'avantage, qui faillit nous être ravi par le destin, de posséder ses restes mortels dans notre cathédrale . Là, dans ce chœur où nous l'avons vu si souvent présider de mémorables solennités, où nous avons admiré son calme et sa dignité dans la majesté des cé-rémonies pontificales, notamment dans l'office cher entre tous aux prêtres, celui de la consé-cration des saintes huiles le Jeudi Saint, Monseigneur Leen repose avec les Evêques ses pré-décesseurs . Un peu comme les anciens rois d'Israël qui, nous dit l'Ecriture, étaient couchés avec leurs pères . N'est-ce pas bien la place qui convient au pasteur ? A la base de l'édifice qui s'est élevé par ses mains au centre de son diocèse, Il demeure à jamais, lui-même la pierre fondamentale sur laquelle repose la structure spirituelle de son œuvre . Longtemps nos yeux chercheront cette silhouette qui nous était familière ; il nous semblera encore entendre son pas ferme et régulier descendant le grand escalier du palais ; lorsque nous nous trouvons ainsi rassemblés il nous semble qu'il va paraître ; sa présence plane sur les lieux où a rayonné sa personnalité ; son souvenir nous obsède . Aussi avons-nous voulu que la pierre elle-même de notre cathédrale retienne son image pour la remettre sans cesse devant nos yeux et la faire connaître aux générations à venir . Que nos doyens dans le clergé, à qui revient le mérite de cette initiative, trouvent ici l'expression de nos félicitations et de nos remerciements .

Déjà la Municipalité de Port-Louis nous avait devancés en donnant par un geste gra-cieux le nom de notre regretté Archevêque à la grande avenue qui mène au Monument de Marie Reine de la Paix, témoignage de la parfaite entente qui régna toujours entre l'adminis-tration spirituelle et l'administration temporelle de la Cité pour la réalisation d'une œuvre commune .

De la terre lointaine d'Italie, patrie des arts, où se modela l'âme de Monseigneur Leen au cours de sa formation romaine, de là-même d'où nous était venue la blanche statue de Ma-rie Reine de la Paix, nous avons fait venir son effigie sculptée dans le marbre . Nous en de-vons la présentation à notre grand artiste religieux et national, M. Max Boullé . Le profil est celui de Monseigneur Leen, jeune, tel que nous l'avons connu au début de son épiscopat, avant que les travaux de sa charge n'aient blanchi ses tempes et avant que l'épreuve de la souf-france ne l'ait marqué de son empreinte . Visage clair et noble qui pose à jamais devant les yeux de son clergé et fixe dans tous les cœurs les traits du Prêtre, du Chef, du Père, que dans les desseins de Sa miséricorde Dieu préposa pendant vingt-quatre ans à la garde du diocèse de Port-Louis .

Des voix plus autorisées ont retracé ici-même la carrière pastorale, combien féconde, de Monseigneur Leen . Il me serait difficile d'y ajouter . Qu'il me soit permis de rendre sim-plement un hommage filial au nom du clergé à sa mémoire, m'arrêtant à ces trois aspects qui caractérisent sa physionomie et peuvent servir d'exemple à ceux qui ont partagé son labeur apostolique : "Souvenez-vous, nous dit l'Apôtre, de vos chefs qui ont annoncé la parole de Dieu ; et en reportant votre pensée sur la fin de leur existence, imitez leur foi " .

1. Le Prêtre
Sur le pIan de la prédestination, celui qui doit être investi de la dignité épiscopale est certainement l'objet d'un choix spécial de la part de Dieu . " Ceux qu'Il a d'avance connus, nous dit saint Paul, Il les a prédestinés a être des images ressemblantes de son fils ... Et ceux qu'Il a prédestinés, Il les a appelés " . (Rom. V111.29)

Or, dans l'Evêque, la ressemblance de l'image atteint la perfection . Il reçoit la pléni-tude du sacerdoce du Christ . Il est préposé non seulement au troupeau mais aux pasteurs, aux yeux desquels il représente, selon la belle expression de saint Pierre, " le prince des pasteurs " . Il fait alliance avec l'Eglise dont il devient l'époux, comme en témoigne cet anneau qu'il re-çoit au jour de son Sacre : " Recevez, lui est-il dit, cet anneau comme une marque de la fidéli-té inviolable avec laquelle vous devez garder l'épouse de Dieu qui est la Sainte Eglise " .

Si de tout prêtre la sainteté est exigée, " Eluceat in eis totius forma justitiae ", chez l'Evêque elle revêt une splendeur dont celle des vêtements n'est que le symbole . Le rang hié-rarchique qui le situe dans l'échelle de la médiation entre Dieu et les hommes veut qu'en lui le Christ, prêtre et hostie, paraisse manifestement aux yeux de tous . Ame de son troupeau par le zèle de Dieu, c'est lui qui l'infuse aux cœurs de ses prêtres .

Celui qu'à l'âge de 35 ans le choix du Saint-Siège préposait au clergé de l'Ile Maurice et qui était alors le plus jeune Evêque du monde, nous apporta comme meilleure garantie de sa mission l'exemple de sa vie sacerdotale .

Saint Paul a caractérisé le prêtre d'un mot " Homo Dei, l' Homme de Dieu " . Homme de Dieu par son appartenance, et homme de Dieu par ce qui émane de lui . Ceux qui s'appro-chaient de Monseigneur Leen avaient le sentiment de cette présence de Dieu . Sa vie pro-fonde était en Dieu . Il avait ce regard sur l'invisible qui l'élevait au-dessus de la commune humanité .

Au petit séminaire nous le revoyons agenouillé dans ce coin obscur de la tribune qui donnait sur la chapelle et où chaque matin il se recueillait avant de célébrer la Sainte Messe . Que de fois, venu pour le consulter au palais ou à Sainte-Hélène, nous l'avons retrouvé dans cette attitude qui montrait où il puisait ses réponses . Sa vie spirituelle était centré sur l'Eucha-ristie et la Sainte Vierge qui avait " maternisé " la grâce, selon son expression .

Sa devise pastorale nous donne la trempe de son âme : " Fortis in Fide " : La force dans la foi . Toutes ses attitudes furent invariablement inspirées par ces deux vertus . Il nous souvient de l'avoir entendu, au moment où il allait se séparer de ses prêtres pour son premier voyage " ad limina ", leur adresser cette parole : " En arrivant dans ce diocèse je vous ai de-mandé de faire un acte de foi ... " Et dans son dernier message, nous révélant l'émoi profond qui fut le sien en apprenant sa nomination au siège de Port-Louis, il ajoute qu'aussitôt il fit un acte de foi dans les grâces dont Dieu se devait d'accompagner cette grande dignité qui lui était conférée .

Dans toutes ses entreprises, où souvent la sagesse humaine aurait rendu les armes de-vant les obstacles, il avait, lui, le goût de l'ascension vers les cimes . Et ce n'est pas en vain qu'il portait sur son blason ces trois lances qui sont la signification celtique de son nom . Il aimait à signaler comme un écueil la peur des difficultés .

Lui, mêlé par état aux réceptions officielles, n'y était nullement porté par attrait et il lui arriva de se demander parfois s'il devait s'y prêter . Extrêmement simple et frugal dans sa vie quotidienne, il accordait à son corps ce qu'il fallait, mais toujours avec réserve et sobriété . Par ailleurs gai et heureux lorsqu'il était reçu, sa bonne humeur et son esprit faisaient rechercher son commerce .

Sa ponctualité était mathématique . Brûlant de fièvre et développant une inflammation, il se rendit quand même dans une paroisse fort éloignée pour la confirmation . Il avoua avoir été, à deux reprises, à son bureau la veille pour donner contre-ordre par télégramme . Le len-demain il dût subir une opération .

L'identification au Christ par la croix, il la connut sous bien des formes . Et comme on le félicitait sur sa double croix au moment où il fut promu Archevêque : " Il y a, remarqua-t-il, des croix qui sont spécialement taillées pour les Evêques " . Sa dernière maladie et les longs jours marqués de symptômes avant-coureurs, qui la précédèrent, furent pour lui la réali-sation des pages qu'il avait écrites sur la passion du Christ . Déjà il ne paraissait plus dans les fonctions pontificales et comme on lui demandait pourquoi il s'éclipsait : " Il est temps, " se contentait-il de répondre .

Quelques lueurs seulement parurent au dehors de l'immolation intérieure qui le conduisit à la dernière étape . Dans son discours de clôture des fêtes du centenaire du diocèse il prononça ces paroles, qui jettent une grande lumière sur la fin de sa vie : " J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ... Au cénacle Jésus se trouvait entouré des Douze . Ceux-ci étaient encore sous l'empire du triomphe du Dimanche des Ra-meaux ... Cependant une vague inquiétude les envahissait . Ils pressentaient l'imminence d'une tragédie . L'atmosphère était lourde de mystère . Quant à Notre Seigneur lui-même, une lu-mière merveilleuse brillait dans ses yeux . Malgré un air de profonde tristesse, ses traits por-taient cette expression caractéristique de celui qui touche enfin au but longtemps convoité . Le moment culminant de Sa vie terrestre était arrivé " ...

Ce moment où le Christ prêtre devint hostie, Monseigneur Leen le connut aussi .

2. Le Chef
"Mementote praepositorum vestrorum ... Souvenez-vous de vos chefs ... "

L'Evêque, nous dit le Concile de Trente, est le successeur des apôtres . (Sess. 23. cap. 4) A la tête de son diocèse il est le responsable de l'apostolat . Nommé par le Vicaire de Jésus-Christ et envoyé par lui auprès de cette portion de l'Eglise qui lui est dévolue, il tient la place du Souverain Pasteur . " Ce n'est pas à Pierre seul, a dit Pie XI en s'adressant aux Evêques, dont nous occupons la chaire, mais à tous les apôtres, dont vous êtes les successeurs, que Jé-sus-Christ a commandé : " Allez dans le monde entier et prêchez /'Evangile à toute créature " . D'où il suit avec évidence que si la charge de propager la foi nous incombe, vous devez sans aucun doute possible venir partager nos travaux et nous assister dans cette tâche locale et per-sonnelle . " Le gouvernement spirituel des âmes investit donc l'Evêque d'une autorité sacrée . Devant lui on fléchit le genou comme devant la personne de Notre Seigneur . Il est "docteur et maître ", nous enseigne le Code de droit . (C. 1326) Il est juge de la foi . " Episcopum opor-tet judicare ", lui est-il dit, le jour de son Sacre . C'est à ces fins qu'il reçoit la crosse pour corriger et punir sans émotion " in tranquillitate severitatis " .

Monseigneur Leen, au physique, semblait prédestiné à la noble tâche de commander . Sa belle prestance rappelait le choix de Saül pour roi, dépassant de la tête ceux qui l'entou-raient . Monseigneur Leen possédait un tel regard, que lorsqu'il avait posé sur vous ses yeux bleus et profonds, vous subissiez aussitôt son ascendant .

Gouverner est avant tout œuvre d'intelligence . Chez lui cette faculté avait le primat . " Episcopum oportet judicare . " Le jugement c'est la perfection de l'intelligence . Il suppose la vision et y ajoute l'affirmation .

Monseigneur Leen mûrissait ses jugements dans la réflexion et la prière . Les paroles hâtives ne tombaient pas de ses lèvres . Pie XI disait un jour que pour gouverner il fallait trois choses : voir, prévoir, pourvoir, " videre, praevidere, providere . " Lent à agir, Monseigneur Leen était guidé par la prudence, " recta ratio agibilium, " a dit saint Thomas .

Il consultait les lumières des autres, mais il prenait seul la décision finale et cette déci-sion prise, jamais il n 'y revenait . Cette fermeté heurtait parfois nos vues et semblait ne pas s'accorder avec les contingences de la vie ; du moins ne laissait-elle subsister aucune hésita-tion . Elle avait dû être une de ses résolutions au moment où il avait accepté la charge de l'épiscopat . Chaque esprit a sa trempe particulière . On pouvait ne pas acquiescer toujours à cette fermeté de Monseigneur Leen, mais son sens de la responsabilité personnelle donnait une grande sécurité quand on lui obéissait .

Il jugeait " in tranquillitate serenitatis . " L'admirable contrôle qu'il avait sur lui-même a toujours frappé . Celui qui n'aurait pas accepté sa sentence lui aurait cependant rendu ce témoignage: Cet homme a agi sans passion .

Monseigneur Leen avait sa conception de l'autorité . Aux yeux de certains elle le ren-dait distant . Il aimait beaucoup le ministère et éprouvait une vraie satisfaction à remplacer un de ses prêtres, mais il craignait que la familiarité n'empiétât sur son prestige .

Intellectuel et formé avant tout aux disciplines scolastiques, il avait à affronter sans préparation certains problèmes actuels ; mais il possédait un rare pouvoir d'adaptation . Il avait l'avantage de comprendre vite une situation, et la facilité d'orienter aussitôt son esprit vers un autre angle .

Dans le bureau d'un Evêque chacun apporte ses difficultés . C'est un curé qui a besoin de fonds pour une construction, c'est un aumônier scout qui vient parler d'un projet de camp, c'est une situation délicate de famille qui nécessite un doigté habile . A tous le même sourire, le même intérêt, et, vis-à-vis des autres, la même discrétion . Pour citer l'Ecriture, " Sa force était dans le silence " . (Isaïe XXX. 15)

Pour intellectuel qu'il fût, Monseigneur Leen a été un grand réalisateur .

Il suffit de regarder la variété des problèmes qu'il a affrontés et résolus en vingt-quatre ans : la cathédrale restaurée, le Monument de Marie Reine de la Paix avec l'essor des pèle-rinages, le Montmartre Mauricien avec l'œuvre de l'adoration réparatrice . la crèche du Saint-Coeur-de-Marie avec sa sollicitude pour l'enfance malheureuse, un collège catholique et l'efflorescence frappante des vocations mauriciennes .

Il suffit de constater dans le domaine social la place que tenait Monseigneur Leen pour évaluer ses qualités de Chef . Non, nous ne pouvons pas l'oublier . " Mementote praepositorum vestrorum " .

3. Le Père
Si I.Evêque est par excellence le Prêtre, si sa houlette le constitue successeur des apô-tres et chef de chrétienté, il est aussi et surtout Père . Jésus parlait sans cesse à ses apôtres de Son Père . Il faisait remonter à Lui Sa mission . " Comme Mon Père M'a envoyé Je vous en-voie . " C'était son principe et c'était le terme de sa venue parmi nous : le commencement et la consommation de Son amour pour nous .

Parlant de Son départ de ce monde saint Jean a dit : " L'heure étant venue pour Jésus de quitter ce monde pour retourner à son Père comme il avait aimé les siens qui étaient en ce monde, Il les aima jusqu'à la fin . " C'est en ce Père que Jésus replaçait Ses apôtres " Moi en eux et Vous en moi pour qu'ils soient consommés en un . " (Jean XVI.23)

La paternité, c'est la communication de la vie et de la bonté . En Dieu la paternité a pour terme le Verbe, source de vie et de sainteté, et en nous donnant ce Verbe Il nous a tout donné, nous a dit saint Paul . (Rom VIII. 32) Et c'est de cette paternité divine que I'Apôtre fait dériver " toute paternité au ciel et sur la terre " . (Ephes. III. 15) Aussi ne voulait-il céder à personne son titre de père à l'égard de ceux qu'il avait engendrés dans le Christ : " Quand vous auriez dix mille pédagogues, disait-il à ses chrétiens, vous n'auriez pas plusieurs pères car dans le Christ Jésus c'est moi qui vous ai engendrés . " (I Cor. IV. 15)

Pour ses prêtres I'Evêque est avant tout le Père . C'est de lui, ou de celui à qui son Evêque avait transmis ses pouvoirs, qu'il tient le sacerdoce . C'est la main de l'Evêque qui a oint les siennes, et qui y a placé l'hostie et le calice . Entre les souvenirs les plus émouvants de notre ordination nous gardons celui du moment suprême où le pouvoir de remettre les péchés nous fut conféré, tandis que la chasuble retenue jusque-Ià sur nos épaules . se déployait . A cet instant précis les mains placées dans les mains de l'Evêque, nous avons fait une promesse so-lennelle : " Promettez-vous à votre Evêque respect et obéissance ? " nous fut-il demandé, et nous avons répondu : " Je le promets, " et aussitôt I'Evêque a ouvert les bras pour nous em-brasser . Nous étions vraiment ses fils .

La plupart des prêtres qui sont ici présents ont fait ainsi leur allégeance à Monseigneur Leen en la personne de celui qui le représentait .

C'est de lui que nous avons reçu les pouvoirs du saint ministère. C'est de lui que le plus grand nombre des curés ont reçu leur obédience . Il demeure donc à jamais le Père de notre sacerdoce et, entre tous, les jeunes prêtres mauriciens lui sont redevables d'avoir été ses " appelés ".

Père, Monseigneur Leen le fut pour ses prêtres d'abord. Avec quel soin affectueux il a veillé sur nos débuts dans le ministère ! Avec quelle bonté il accueillait toujours ceux qui venaient vers lui pour prendre conseil ! C'était une joie et une grâce de le voir, de l'entendre . Il n'oubliait rien . Il s'informait toujours de la marche de nos œuvres, demandait des nouvelles de tel ou de tel paroissien .

Sollicité pour présider une cérémonie, pour assister à une séance récréative, pour visi-ter un camp scout, il se prêtait toujours de bonne grâce . Un prêtre était-il malade ? La pre-mière visite qu'il recevait était celle de son Evêque . Il arriva même à Monseigneur Leen de veiller de longues heures au chevet de ses prêtres .

Il est certaines circonstances où le fond d'un cœur se révèle. La parole sortie de ce cœur ne s'oubliera jamais . Monseigneur Leen avait le don des bonnes paroles . Brèves et discrètes, elles chantaient longtemps dans la mémoire et déterminaient irrésistiblement les dévoûments . C'est devant une situation difficile et imprévue, capable de provoquer une réaction spontanée, qui révèle le manque de moyens, qu'on peut mesurer les ressources surnaturel-les d'une âme . Monseigneur Leen devant les situations difficiles savait se situer sur le plan de la raison pure, en analyser les éléments et surtout montrer sa bonté compréhensive . C'était au Père qu'on venait . Comme la confiance était bien placée !

A l'égard de l'immense famille de son diocèse il avait la même sollicitude. Aucune joie, aucun deuil ne le laissait insensible . Des époux célébraient-ils leur jubilé ? Monseigneur Leen offrait lui-même la Messe à leur intention, et la bénédiction du Pape était rendue avant qu'ils en aient formulé la demande . C'est ce qui faisait dire à un de ses diocésains : " Voyez comme Monseigneur prépare sa Messe longtemps à l'avance . " Il aimait qu'on lui conduisît les enfants . Un serviteur malade lui causait autant d'inquiétude que s'il s'était agi d'un membre de sa famille .

Dans ses promenades au Champ de Mars ou à la Reine de la Paix, il s'entretenait volontiers avec les gens, et certains qui n'étaient pas de notre confession lui vouèrent une vérita-ble amitié . Aussi la dernière parole qu'il nous adressa nous fit voir l'étendue du sacrifice que lui coûterait son départ : "Une douloureuse tristesse m'étreint le cœur alors que je m'adresse à vous pour la dernière fois; la douloureuse tristesse d'un père très aimant qui s'apprête à quitter ses enfants très aimés . "

Tant de souvenirs se pressant à la mémoire du cœur, le clergé a voulu exprimer l'hommage de sa reconnaissance à celui qui lui offrit si fidèlement l'image du Christ Prêtre, Chef de l'Eglise et Père des Ames .

Monseigneur,
Le mémorial que vous allez dévoiler sera l'image matérielle, mais en votre personne le clergé du diocèse de Port-Louis voit se survivre Monseigneur Leen par la transmission des pouvoirs pontificaux, dont il vous investit ici même, en notre cathédrale, en ce jour mémorable de votre Sacre, le 12 octobre 1947 .

Il avait choisi un homme selon son cœur pour être le fidèle continuateur de son esprit et de son œuvre . En vous, Monseigneur, vos prêtres ont déjà trouvé celui que saint Ignace d'Antioche appelait " Imago Patris, l'Image du Père . " Ainsi-soit-il .

Aussitôt terminé le sermon, Monseigneur l'Evêque fit tomber I'écharpe qui recouvrait la plaque. Au cours du salut qui suivit, des prières furent récitées pour le repos du prélat dé-funt .

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