LE P. Jean-Baptiste LEFEUVRE
Décédé à Port-Louis le 20 juillet 1893

B.G.TOME XVII p. 22

Né le 13 / 03 / 1837 à Pierric, Loire Inférieure, diocèse de Nantes (44) ; premiers vœux à Paris, le 23 / 08 / 1863 ; vœux perpétuels à Chevilly, le 23 / 08 / 1868 ; diacre à Nantes, le 21 / 12 / 1861 ; prêtre à Nantes, le 20 / 12 / 1862 ; Arrivé à Maurice, le 31 / 08 / 1864, il en repart pour Bordeaux, et revient en 1889 ; il meurt à St François Xavier Mu, le20 / 07 / 1893, âgé de 56 ans, après 30 ans de vie religieuse .

Jean-Baptiste Lefeuvre naquit à Pierric (Loire-Inférieure) le 13 mars 1837 . Ses études classiques terminées, il entra au grand séminaire de Nantes, en 1858 ; dès la première année, il conçut la pensée de se faire missionnaire des Noirs . Ce dessein lui était venu à la lecture de la vie du vénérable Père . En voyant les difficultés que notre saint fondateur avait rencontrées, les vertus qu'il avait pratiquées, il se sentit doucement et vivement attiré vers lui . Dans le même temps, il lut aussi la vie du B. Pierre Claver, ce qui acheva de le déterminer à se consacrer au salut des Nègres et pour cela à entrer dans notre Congrégation . Ses directeurs jugèrent à propos d'attendre encore pour éprouver sa vocation . Cependant, ses idées persistant, on lui accorda volontiers toute liberté de suivre ses attraits .

« Depuis trois ans que je suis au grand séminaire, écrivait-il dans sa lettre de demande, Ia pensée de me dévouer tout entier au salut des pauvres Noirs ne m'a pas quitté . Je suis à la fin de mon grand séminaire et le moment est venu pour moi de répondre à l'appel de Dieu . » (Lettre du 25 octobre 1861)

Dans une lettre au R. P. Frédéric Levavasseur, qu'il avait connu à Saint-Sulpice, le supérieur du grand séminaire de Nantes rendait de lui le témoignage suivant :

« Mon bon ami et Révérend Père, je vous féliciterais bien cordialement et votre pieuse Congrégation, si vous aviez beaucoup de sujets de la valeur et de la trempe de M. Lefeuvre . C'est un excellent sujet sous tous les rapports, sauf le défaut de prononciation dont il est affligé et qu'il combat avec une grande énergie ; cela ne l’empêchera certainement pas, d'ailleurs, d'exercer un ministère très précieux. (Lettre du 29 octobre 1861)

Entré déjà diacre au noviciat de Monsivry, le 15 août 1862, il y fut ordonné prêtre le 20 décembre suivant (1862) et y fit profession le 23 août 1863 .

Peu après, il était envoyé à Maurice (31/03/1864) ; il y rencontra le P. Laval, de sainte et vénérée mémoire et, à son exemple, il se dévoua avec zèle à l’évangélisation des pauvres Noirs . Depuis, il aimait souvent à rappeler quelques traits de la vie du saint missionnaire et à l'imiter dans toutes ses Vertus .

A l'expiration de ses premiers vœux, il s’empressa de demander à se consacrer au bon Dieu pour toujours dans la Congrégation . Tous les Pères de Maurice lui donnèrent unanimement leurs suffrages parce que, disait le P. Thévaux, « sous tous les rapports, il était vraiment exemplaire . »

Le P. Lefeuvre continua pendant deux ans encore à se dévouer à cette mission, mais au bout de ce temps, il tomba malade et, rappelé en France, il fut placé il la communauté de Bordeaux . Là, il remplit bientôt un ministère très fructueux . Trois années après son arrivée, il écrivait en effet au T. R. Père :

« Mon premier ministère s'est développé depuis l'année dernière . J’entends presque autant de confessions ici qu’à Maurice . J'en ai compté 1.400 dans le temps pascal . Il me semble que Dieu se sert de nous pour le retour d'un bon nombre d'âmes .

« Quant à la prédication, mon bégaiement me cause des appréhensions et des difficultés qui empêchent tout développement . Ce même défaut m'embarrasse également beaucoup dans tout l'ensemble de mes relations extérieures et me porte à un certain sentiment de pusillanimité . Cette infirmité a été la croix principale de toute ma vie, peut-être aussi un des principaux canaux de la grâce divine en mon âme ... » (Lettre du 4 oct. 1871)

Autant ce bon Père était petit à ses propres yeux, autant il était en vénération auprès de ses confrères, comme auprès de tous ceux qui le connaissaient ; aussi, à la mort du R. P. Gravière, supérieur de la communauté de Bordeaux, fut-il tout naturellement désigné pour le remplacer .

Son humilité eut beaucoup à souffrir de cette nomination, comme on peut le voir par la lettre suivante, où il demande à être déchargé de ce fardeau et à être envoyé en Afrique, conformément au désir de toute sa vie :

« Mon Très Révérend Père, permettez que je me serve de la plume pour vous dire l'état de mon âme, ce que, à cause du temps et de l'émotion, il ne me serait peut-être pas donné de faire de vive voix . Il me semble avoir fait ma retraite de mon mieux ; et à mesure qu'elle avance, à mesure aussi augmentent en moi deux sentiments bien distincts .

« Tout ce que j'ai eu le bonheur d'entendre, de lire et de méditer me met dans un véritable écrasement sous le poids de la charge que vous m'avez imposée .

« D'un autre côté, le désir d'aller travailler, ou au moins souffrir, en Afrique et pour l'Afrique, désir qui a été celui de toute ma vie, est comme un feu qui me dévore . Je viens donc, devant le bon Dieu et pour sa gloire, ce me semble, vous prier de m’ôter le fardeau qui m'écrase et vous prier aussi - de m'envoyer en Afrique . Quoique âgé déjà et peu riche en santé ; j'espère cependant qu'avec le secours du bon Dieu, je ne vous donnerais pas lieu de vous repentir de votre décision .

« Dans cette espérance et les larmes aux yeux, je vous demande votre paternelle bénédiction . » (Lettre du 24 août 1888)

Le cher Père aurait désiré surtout aller se dévouer à la Misson de Sierra-Leone ou du Soudan, parce que c'étaient à ses yeux les missions les plus pénibles et les plus difficiles . Plusieurs fois, il écrivit à ce sujet au T. R. Père Général . Toutefois, en vrai enfant de l'obéissance, il terminait en disant :

« Ce n'est pas par suite de mes demandes que je voudrais aller affronter le démon de l'Afrique, mais par suite seulement de l’appel et de la volonté de Dieu . C'est pourquoi, si malgré tout ce que je vous écris ici, et ce que je vous ai écrit auparavant, vous jugez bon de m'envoyer, fût-ce même faire une huitième, soyez sûr que vous me trouverez également prêt, également de bonne volonté . Je suis prêt même, si vous le jugez bon, de repousser, comme de mauvaises pensées, tous ces désirs de Sierra-Leone et de Tombouctou... » (Lettre du 26 juillet 1888)

Le T. R. Père ne crut pas devoir résister à ces ardents désirs de mission . Mais, comme il était déjà un peu âgé pour aller en Afrique, il jugea bon de le renvoyer de préférence à Maurice où il avait déjà fait tant de bien auprès des pauvres Noirs . Il partit donc en 1889 avec le P. Garmy . Mais sa santé ne put tenir longtemps aux fatigues du climat et des travaux apostoliques auxquels il se livrait . L'influenza sévissait cruellement dans l'île à cette époque . Le P. Lefeuvre en subit bientôt les atteintes . Au mois de juin 1890, il fut, sur l'avis du médecin envoyé à l’île Rodrigues, où l'on espérait qu'il pourrait se remettre . Le P. Garmy écrivait au T. R. Père à cette occasion :

« Le P. Lefeuvre vient de partir pour l’île de Rodrigues avec Mgr Meurin ... Combien je regrette ce bon Père, c'est vraiment l'homme du bon Dieu et il nous attire bien des bénédictions . Pendant la traversée, il a eu le bonheur de préparer à la 1° communion cinq matelots, et c'est Mgr Meurin, évêque de Port-Louis, qui leur a donne pour la première fois le pain des forts . » (Lettre du 23 juin 1890)

Dès son arrivée à Rodrigues, le bon Père éprouva un mieux sensible, et, peu à peu, il se remit de la fièvre qui le minait . Rappelé à Maurice au bout de huit mois (Février 1891), il fut de nouveau employé à Saint François-Xavier, où il se livrait au saint ministère avec un admirable dévouement . On espérait voir se prolonger encore quelques années sa vie tout apostolique, lorsqu'une nouvelle attaque d’influenza vint le ravir à l'affection de tous, le 20 juillet dernier (1893) . La veille, le P. Garmy lui avait donné le saint viatique et l'extrême-onction . Il écrivait ai T. R. Père, en lui annonçant sa mort :

« Mon Dieu ! quel vide immense chez nous ! Notre modèle à tous les points de vue n'est plus, il est au ciel ; et nous, nous restons écrasés sous le poids du travail . L’influenza fait des ravages affreux . Que de victimes pauvres et riches! Ils sont nombreux ceux qui sont portés au cimetière .

Le 22 (juillet 1893), le P. Meillorat a célébré ses funérailles au milieu d'un grand concours de monde ; 24 prêtres étaient présents . Mgr Meurin ; a tenu à donner lui-même l'absoute . (Lettre du 23 juillet 1893) .

Le journal la Croix de Maurice a fait un article des plus élogieux à la mémoire de notre cher et` regretté confrère . En voici un extrait :

Le diocèse de Port-Louis, dont le clergé est si fragile numériquement, vient de faite une grande et douloureuse perte en la personne du R. P. Lefeuvre, de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Cœur de Marie, qui a succombé hier au soir, à neuf heures : aux suites de l'influenza .

Nous ne disons rien de son zèle, tous ceux qui l'ont connu et qui l'ont vu à l'œuvre savent avec quel dévouement, quelle abnégation de soi, il accomplissait les devoirs de son ministère sacré ; qu'il nous soit permis de dire que ce zèle ne connaissait point de bornes : pour le rachat des âmes, il se dépensa entièrement et épuisa ses forces .

Il est mort comme il a vécu, saintement et simplement, et quoiqu'il soit assuré de la récompense éternelle, nos lecteurs voudront cependant adresser une prière pour le repos de l'âme du vaillant prêtre qui a fait tant de bien parmi nous .

Nous prions Sa Grandeur Mgr Meurin, ainsi que les Pères de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie de vouloir bien accepter l'expression de nos vives et respectueuses sympathies .

Le P. Dhyèvre, qui a intimement connu le cher défunt pendant les longues années qu'ils sont restés ensemble à Bordeaux, a bien voulu nous envoyer à son sujet les détails suivants :

Que dirai-je du bon P. Lefeuvre, sinon ce que diront tous les confrères qui l'ont connu ? C'était un bon religieux, fidèle observateur de la règle, plein de zèle pour le salut des âmes . C’était un bon et excellent confrère, aimable, charitable, et dévoué pour tous, complaisant pour soulager toutes les misères humaines.

Nos occupations dans le saint ministère nous amenaient à conférer souvent ensemble sur les dangers à éviter ; les moyens à prendre pour faire du bien aux âmes . Nous n'avions pas toujours les mêmes idées, c'est vrai ; mais, jamais, il ne cherchait à faire prévaloir sa manière de voir . Parfois même, quand il doutait, il me demandait si je lui conseillais de suivre mes idées plutôt que les siennes . De cette façon, il était difficile que nous ne fussions pas d'accord .

Nous aimions à nous consulter sur les cas de conscience qui, nous embarrassaient . C'est dans ces conversations que j'ai pu apprécier combien il était versé dans la connaissance de la théologie morale, et avec quelle prudence il résolvait les cas difficiles .

Le P. Lefeuvre était un des directeurs les plus appréciés de Bordeaux . Un très grand nombre de prêtres lui avaient confié la direction de leur conscience, et beaucoup d'entre eux venaient le consulter quand il se présentait des difficultés dans leur saint ministère .

Un mot de M. Buche, vicaire capitulaire de Bordeaux, en 1889, fera mieux comprendre combien notre cher confrère était apprécié du clergé bordelais. Le P. Lefeuvre, devant quitter la communauté sans espoir de retour, j'allai en avertir le vicaire capitulaire :

« Je regrette, me dit ce vénérable prêtre avec des paroles émues, je regrette que vos supérieurs aient jugé à propos de nous enlever le P. Lefeuvre . Je le regrette pour le clergé du diocèse auquel il faisait beaucoup de bien . Il y a plusieurs prêtres qui lui devront leur salut . J'ignore les raisons qui ont déterminé vos Supérieurs à l'envoyer à Maurice ; mais je doute qu'il fasse là-bas autant de bien qu'ici . Ramener des prêtres dans la bonne voie, c'est immense, incalculable !

Un autre prêtre, des plus distingués du clergé de Bordeaux, curé d'une des paroisses les plus importantes de la ville m'écrivait de Cauterets, en apprenant la mort du cher Père :

« Permettez-moi de vous exprimer toute ma peine, en ce deuil de votre communauté . Il afflige bien des âmes de prêtres, la mienne notamment qui, pendant plusieurs années, bénéficia de la sage direction que lui imprimait l'excellent P. Lefeuvre ... »

Plusieurs autres ecclésiastiques m'ont demandé de vouloir bien faire son service funèbre, à une heure où ils pourraient s'y rendre, voulant rendre à leur directeur ce témoignage de sympathie ; nous n'avons pas cru devoir accéder à leur pieux désir, parce que les pauvres gens qui fréquentent notre chapelle n'auraient pu y assister ; ce qui les aurait beaucoup contristés, car c'est surtout pour eux qu'il montrait un dévouement admirable .

Ce n'était pas, en effet, seulement pour entendre les prêtres que son assiduité était proverbiale . il passait la plus grande partie de son temps, soit à la chapelle, soit à la sacristie, attendant ses pénitents . C'est là qu'ils étaient sûrs de le trouver .

Je ne dirai rien de sa patience et de sa bonté, au tribunal de la pénitence . Rien ne le rebutait, dès qu'il s'agissait du salut des âmes . Il a été souvent appelé aux extrémités de la ville pour confesser des malades : plus d'une fois, On lui a fait faire des voyages inutiles ; mais il ne s'en plaignait jamais .

Le P. Lefeuvre n'était pas orateur . Une difficulté de prononciation rendait son débit fatigant . Cependant il parlait avec tant d'onction et de feu, il mettait dans tout ce qu'il disait tant d'âme et de conviction, qu'on aimait beaucoup à l'entendre . Aussi ses prédications produisaient-elles des fruits abondants . Je pourrais raconter bien des traits édifiants de sa vie, mais j'en ai dit assez, pour faire comprendre quelle réputation de sainteté il a laissé parmi nous et dans toute la ville de Bordeaux . (Lettre du 8 novembre 1893)

L'Aquitaine, semaine religieuse de ce diocèse, a consacré ces quelques lignes à la mémoire de notre cher confrère:

Nous avons le regret d'apprendre la mort du P. Lefebvre, décédé à l’île Maurice . Il fut longtemps attaché à la maison du Saint-Cœur de Marie. Les prêtres bordelais se souviennent avec reconnaissance de l'assiduité proverbiale avec laquelle il se rendait chaque année au grand séminaire, pendant la retraite ecclésiastique, pour entendre les confessions .

Nous recommandons tout spécialement ce saint religieux aux prières du clergé de Bordeaux .

Le Père J.B. LEFEUVRE, 1837-1893

Le 13 mars 1837, Jean-Baptiste Lefeuvre naquit à Pierric. Ses études classiques terminées, il entra au grand séminaire de Nantes, en 1858. Dès la première année, il conçut la pensée de se faire missionnaire des Noirs. Ce dessein lui était venu à la lecture de la vie du Père Libermann. Entré déjà diacre au noviciat de Monsivry,' il fut ordonné prêtre le 20 décembre 1862.

Peu après, il était envoyé à l'île Maurice, dans l'Océan Indien. Il y rencontra le P. Laval (que Jean-Paul Il béatifiera le 29 avril 1979) ; à son exemple, il se dévoua avec zèle à l'évangélisation des pauvres Noirs, récemment libérés de l'esclavage. Au bout de cinq ans, il tomba malade et, rappelé en France, il fut placé à la communauté de Bordeaux.

Il remplit en cette ville un ministère très fructueux : bientôt il pourra écrire : "J'entends presque autant de confessions ici qu'à Maurice. J'en ai compté 1400 dans le temps pascal. Il me semble que Dieu se sert de nous pour le retour d'un bon nombre d'âmes." Bien des prêtres lui confiaient la direction de leur conscience, et beaucoup d'entre eux venaient le consulter quand des difficultés se présentaient dans leur saint ministère. A la mort du P. Gravière, supérieur de la communauté, il fut désigné pour le remplacer. Son humilité eut beaucoup à souffrir de cette nomination.

A sa demande, il put repartir à l'île Maurice en 1889. Au mois de juin 1890, il fut, sur l'avis du médecin, envoyé à l'île Rodrigues, où l'on espérait qu'il pourrait se remettre. Revenu à Port-Louis, une nouvelle attaque d'influenza vint le ravir à l'affection de tous. Il est mort comme il a vécu, saintement et simplement, le 20 juillet 1893. Il était âgé de 56 ans.

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