M. ALEXANDRE-JEAN-BAPTISTE LEGUAY
9e SUPÉRIEUR DE LA CONGRÉGATION ET DU SÉMINAIRE
DU SAINT-ESPRIT ET DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION
(29 avril 1845 - 2 mars 1848)


Élection. -- Réorganisation du clergé paroissial. - Rapports avec la propagande et le ministère.

Un point d'abord à éclaircir.

Comment M. Leguay a-t-il pu devenir Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, lui qui, jusqu'à la mort de M. Fourdinier, ne lui avait pas appartenu? Pendant son séjour à Paris (1832 à 1842), il avait lié connaissance avec les Messieurs du Saint Esprit, s'était fait leur ami, leur commensal et même, pendant quatre ans, avait logé au Séminaire: puis nommé en 1842 vicaire général de Mgr de Saunhac-Belcastel, évêque de Perpignan, il avait gagné son nouveau poste. Après le décès de M. Fourdinier (5 janvier I845), il fut convenu entre ces Messieurs qu’on offrirait à M. Leguay la charge de Supérieur de la Congrégation et du Séminaire.

Provisoirement, pour l'expédition des affaires, on nomma M. Warnet, comme il a été dit dans sa notice; il était bien entendu entre eux qu'il donnerait sa démission dés que M. Leguay ferait connaître, son acceptation. Mais ce dernier avait une position très honorable : il hésitait. Sur de nouvelles instances, il finit par donner son consentement, sauf toutefois l'agrément du Nonce, de l'Archevêque et du Ministère. Cette condition remplie, M. Warnet donna sa démission, le 28 avril 1845, et, le lendemain, l'on procéda à l'élection de M. Leguay, encore à Perpignan. Les électeurs furent MM. Gaultier, Texier, Sainte Colombe et Warnet. « Considérant, disaient-ils, que M. Leguay a séjourné, pendant quatre ans dans notre Communauté, et qu à raison des besoins présents de notre oeuvre, il peut être dispensé de certaines conditions requises par nos Statuts pour les temps ordinaires, nous avons élu et élisons à l'unanimité, pour notre Supérieur, le dit M. Alexandre Leguay, qui a déclare accepter; et, conformément à l'art. 15 du chapitre IV de nos Constitutions, avons soumis la présente élection à la confirmation de Mgr l'Archevêque de Paris. »

Mgr Affre, qui occupait le siège archiépiscopal de Paris depuis le 26 mai 1840, et par conséquent connaissait M. Leguay, ne fit aucune difficulté pour ratifier et confirmer l'élection, le 2 mai 1845. Informé de cette élection et de son approbation, M. Leguay se rendit à Paris. Son installation eut lieu le 17.

M. Warnet, ayant donné connaissance au Cardinal Fransoni de sa démission et de son remplacement par M. Leguay, reçut la réponse suivante :

« Le zèle que vous avez montré pour le bien du Séminaire du Saint-Esprit et pour celui des Missions qui lui sont confiées, en acceptant la charge de Supérieur, s'est manifesté par votre démission spontanée que vous avez jugée devoir être utile à ce Séminaire. Comme j'ai envoyé à M. Leguay une réponse favorable et les pouvoirs ordinaires, j'ai cru aussi devoir vous demander d'assister le nouveau Supérieur de vos conseils et de l'aider à imprimer aux Missions la direction la meilleure.

Le 3 octobre, M. Warnet fut nommé par le Conseil premier assistant, et M. Gaultier second.

Le premier soin de M. Leguay fut de reprendre le projet de M. Fourdinier, relatif à la réforme et, à la réorganisation du clergé colonial; il s'y appliqua avec une grande énergie. Son premier plan fut à peu près celui de M. Fourdinier : le voici dans ses grandes lignes.

1. A partir de la rentrée de 1845, ou ne recevra plus que ceux qui sont dans la disposition de devenir membres de la Congrégation.
2. Il sera établi à la Maison-Mère un noviciat qui doit durer deux ans; mais, tout en faisant, leur noviciat, les aspirants pourront suivre leurs cours. Les ecclésiastiques étant déjà prêtres, ou diacres, à leur arrivée, pourront être envoyés dans les Missions au bout de trois mois. Il en est de même pour les prêtres déjà dans les Colonies.
3. Pour assurer davantage le recrutement du Séminaire colonial et la bonne formation des sujets, on établira à la Maison-Mère un petit Séminaire.
4. Les Règles seront imprimées en entier, avec l'addition faite par la S. C. de la Propagande en 1824, ainsi que les deux notes ajoutées par M. Fourdinier en 1843.
5. Les membres de la Congrégation, autant que faire se pourra, pratiqueront la vie de Communauté dans les Colonies.
6. Tous les ans, ou au moins tous les deux ans, un visiteur sera envoyé dans les Colonies françaises d'Amérique, et un autre dans les Colonies d'Afrique. Leur mandat sera d'étudier sur les lieux l'état des choses, la conduite et les aptitudes de chacun des prêtres, de leur prêcher des retraites et de les voir en direction.
7. Il y a nécessité d'épurer le clergé colonial : on laissera aux bons prêtres leurs cures, quand bien même ils n'entreraient pas dans la Congrégation; mais les prêtres mauvais ou inaptes seront rappelés.
8. Dans chaque colonie, il y aura, outre le clergé paroissial, quatre prêtres auxiliaires, destinés à donner des Missions dans les paroisses, ou à remplacer transitoirement les prêtres malades, absents ou défunts.
9. On tâchera d'avoir, outre ceux des écoles, des Frères, et des Sœurs, pour servir de catéchistes dans les paroisses, surtout auprès des Noirs.
10. Les Préfets ou Vicaires apostoliques devront, être tirés de la Congrégation dès que cela sera possible. Le désir de M. Leguay est qu'il y ait un Vicaire apostolique pour les Colonies d'Amérique et un autre pour celles d'Afrique.
11. Pour plus d'unité, il y aura à la Maison-Mère un pouvoir central, ayant autorité et sur les Missionnaires et sur les Supérieurs ecclésiastiques eux-mêmes.
12. Quant, au temporel, (M. Leguay fera encore plus de concessions que M. Fourdinier) le traitement, les honoraires, le casuel, etc., seront laissés à chaque prêtre, sauf à verser, à la fin de l'année, le superflu dans la caisse commune. La Maison-Mère ne demandera aucun compte, ce soin est absolument abandonné au Supérieur ecclésiastique et à son Conseil dans chaque Colonie.

Dès le mois de juin 1815, M. Leguay avait informé de ses projets et la S. C. de la Propagande et le Ministère. Il leur exposa son plan et leur communiqua un aperçu historique sur le Séminaire et la Congrégation du Saint-Esprit (lequel, soit dit en passant, fourmille d'erreurs et d'inexactitudes) et, dans les lettres subséquentes, il ne cessait de revenir sur son projet. Le Cardinal Fransoni lui répondit, le 20 juin 1846 :

« Comme il n'apparaît pas encore clairement, par quels moyens pourvoir au gouvernement des Missions coloniales, la S. Congrégation n'a pu encore manifester sa pensée sur le projet que vous lui aviez déjà proposé et que vous venez de lui soumettre de nouveau par lettre du 27 mai. Votre zèle est digne de louanges dans les efforts que vous faites pour réunir dans votre Séminaire des prêtres capables, dans le but de remplir, en véritables apôtres, le saint ministère aux Colonies, et de s'y montrer un clergé parfait de tout point.

Ce dessein, étant un moyen très apte pour la propagation de la Foi, a beaucoup plu a la S. Congrégation, comme vous le connaîtrez par l'instruction que nous avons fait publier récemment, et dont vous trouverez ci-joint un exemplaire. Quant à la notice historique sur votre Séminaire, que nous avons reçue avec votre précédente lettre, elle nous a moins plu, parce qu'elle parait donner une trop large part au pouvoir civil dans les affaires religieuses; son secours, sans doute n'est pas à dédaigner, mais il importe de ne pas s'écarter de la vraie notion de l'autorité ecclésiastique; il importe d’éviter sur ce sujet, toute inexactitude, afin que la doctrine de votre Séminaire ne puisse être suspectée en aucune manière. »

L'Instruction dont il est question dans cette lettre émanait de la S. C. de la Propagande, et était adressée aux Supérieurs ecclésiastiques des Missions, le 23 novembre 1845. Elle avait pour objet de recommander beaucoup l'oeuvre du Clergé indigène dans les pays d'outre-mer. De nouveau, M. Leguay écrivit au Cardinal Préfet, le 27 août 1846, pour le mettre au courant de ce qu'il avait déjà fait et de ce qu'il comptait faire encore pour l'amélioration du Clergé, colonial.

Son Éminence répondit, en date du 22 septembre :
« La S. Congrégation approuve votre dessein, dont témoigne votre lettre du 27 août, de n'envoyer aux Missions des Colonies que des prêtres qui offriraient, d'excellents témoignages de bonnes mœurs, de probité, de doctrine et de zèle pour la propagation de la religion, et, qui ne partiraient, qu'après avoir éprouvé, pendant quelque temps, leur vocation dans votre Séminaire ».

Le 23 juin 1847, après avoir entretenu le Cardinal du progrès de son entreprise, M. Leguay lui manifesta l'intention aussi d'envoyer aux Etats-unis des prêtres du Saint-Esprit; mais en même temps, il lui fit part de l'inquiétude que lui causaient certaines rumeurs, et en particulier celle d'un projet qu'aurait le Gouvernement de confier les Colonies aux Lazaristes. Voici la réponse du Cardinal en date du 12 juillet suivant :

« J'ai reçu votre lettre du 24 juin, qui m'a fait connaître que, grâce à votre diligence, plusieurs colonies françaises ont demandé des missionnaires capables, mais que votre Séminaire se trouve dans une telle situation que, par suite du manque d'ouvriers apostoliques, vous ne pourrez vous charger de ces missions, du moins pendant un certain temps. Le R. P. Étienne (Supérieur général des Lazaristes), que vous soupçonniez d'avoir demandé les Colonies, non seulement ne l'a jamais fait, ainsi que je vous l'ai déjà fait connaître, mais il a même déclaré ouvertement n'avoir jamais pensé vouloir enlever les Missions à ceux qui en sont déjà chargés. - Rien ne s'oppose, d'ailleurs, lorsque vous aurez pourvu suffisamment aux Missions coloniales, à ce qu'à la demande d'autres prélats, et particulièrement de ceux des États-Unis d'Amérique, vous leur fournissiez des prêtres bien éprouvés pour remplir le saint ministère suivant les règles en vigueur dans ces Missions ».

Voyons maintenant les rapports de M. Leguay avec le Ministère.
Dans un mémoire adressé à M. de Mackau, vers le milieu de 1845, il disait, pour répondre à certains projets du Gouvernement :

« 1° La Congrégation du Saint-Esprit n'avant pas démérité, et étant en possession, ne peut être remplacée par une autre Congrégation;
2° L’œuvre de la Moralisation des Noirs fait partie du ministère paroissial et ne demande pas de Missionnaires spéciaux;
et 3° le projet de mettre les Colonies sous la juridiction d'un on de plusieurs Évêques de France, est la plus mauvaise des combinaisons. »

Relativement aux Lazaristes, il écrivait le 17 novembre de la même année, au Ministre de la Marine : « Monseigneur, il est parvenu à ma connaissance qu'un rapport sur la réorganisation du Clergé colonial a été récemment adressé, au gouvernement du Roi. Après avoir passé en revue les divers projets qui ont été proposés, M. le Rapporteur se prononce pour celui qui confierait cette oeuvre importante et difficile à une Congrégation religieuse et conclut en faveur de celle de Saint-Lazare. » Et, il réfutait ensuite les quatre arguments sur lesquels se basait la proposition. Dans sa réponse, du 25 du même mois, l'amiral le rassurait : « Quel que soit le parti auquel le gouvernement du Roi puisse être amené à s'arrêter, après un mûr examen de cette importante question, je me plais à vous témoigner le haut prix que j'attache à votre utile concours et au maintien de l'établissement à la tête duquel vous avez été si dignement appelé à prendre place, pour coopérer le plus longtemps possible à l’œuvre de la régénération religieuse des Colonies françaises, etc. » M. Leguay avait traité également la question des Visiteurs apostoliques qu'il comptait envoyer.

M. de Mackau avait trouvé ce projet très utile et prié M. Leguay de lui désigner le prêtre qui pouvait être chargé de cette mission, comme aussi de lui proposer le traitement qu'il convenait de lui allouer. (Lettre du 11septembre 1845). Le Supérieur du Saint-Esprit avait désigné, l'abbé Le Herpeur, du diocèse de Bayeux. Ce dernier devait visiter les Antilles et la Guyane, tandis qu'un autre Visiteur serait chargé de visiter les autres Colonies.

Pour ce qui concerne le temporel, le crédit de 50.000 francs figurait toujours au budget M. Leguay obtint, en outre, 6.000 francs pour la réparation des bâtiments du Séminaire et 2.000 francs pour la restauration de la chapelle.

Afin de favoriser le recrutement des sujets, il publia dans l'Ami de la Religion (29 novembre 1815), un article où on lisait : « Le Séminaire du Saint-Esprit, où se préparent les sujets qui se destinent aux Missions coloniales, vient d'être complètement réorganisé. Le local qu'il occupe, l'un des plus beaux de la capitale, a été, récemment réparé, et remis entièrement à neuf: partout y règnent l'ordre, la décence et la propreté qu'on aime à trouver dans ces sortes d’établissements. Trois prêtres de mérite viennent d'augmenter et de fortifier le personnel de la Congrégation qui le dirige. Le nombre des directeurs se trouve ainsi porté à neuf, y compris le Supérieur. Quarante-six élèves et huit prêtres, qui se destinent aux Missions coloniales, se trouvent actuellement réunis dans ce Séminaire... On y a établi, en outre, un Noviciat, destiné à préparer les ecclésiastiques qui viennent des différents diocèses de France[1] pour se vouer aux Missions des Colonies.

Un directeur en est spécialement chargé et fait chaque jour aux aspirants des conférences liturgiques, théologiques, ou spirituelles; leur donne des notions exactes sur chaque Colonie et sur les mœurs et usages des peuples qui les habitent; leur fait prévoir les difficultés et écueils qu'ils rencontreront dans ces pays si différents des nôtres; enfin, il s'applique surtout, à leur inspirer les sentiments de zèle, de dévouement et de désintéressement qui sont l'âme du ministère apostolique. Les élèves, tous boursiers du gouvernement, sont choisis avec un soin scrupuleux; aucun prêtre n'est, admis que sur des renseignements recueillis avec soin, et il sera désormais envoyé en Mission qu'après s'y être préparé pendant un temps convenable. De tels commencements nous donnent lieu de croire qu'un avenir plus prospère se prépare enfin pour la Religion dans nos Colonies; nous sommes heureux de pouvoir faire connaître ces débuts consolants à tous les Évêques et à tous les membres du Clergé de France, dans l'intérêt des vocations, qui se trouveront, ainsi assurées. Il ne nous reste plus qu'à presser de nos voeux les plus ardents la conclusion de l'organisation spirituelle des Colonies, dont on s'occupe activement, à ce que l'on assure, au Ministère de la Marine. »

Circulaire. -- Reconstitution canonique de la Congrégation.

C'est le 7 mars 1816 que M. Leguay, par une circulaire, annonça aux prêtres des Colonies françaises ses projets de Congrégation. Après avoir fait ressortir- les avantages de, l'associatton, il s'exprime ainsi : « Mon prédécesseur, de pieuse mémoire, a terminé sa carrière, hélas ! trop courte, au moment où il devait vous en faire la proposition. Eh bien! Messieurs, ce que la mort ne lui a pas permis de réaliser, je me trouve heureux de le pouvoir faire aujourd'hui : je vous propose de vous associer à la Congrégation du Saint-Esprit, de devenir d’une manière plus parfaite, nos frères en JésusChrist; de combattre avec nous et, sous la même bannière les combats du Seigneur, de vivre sous l'empire des mêmes Règles et des mêmes Constitutions, dont l’Église a reconnu la sagesse, et qu'elle a honorées de son approbation. Je dépose plusieurs exemplaires de ces Règles (celles de 1734, qui venaient d'être imprimées en entier) entre les mains de votre Supérieur ecclésiastique, afin que vous en puissiez prendre connaissance, les méditer et répondre avec connaissance de cause à la proposition officielle que j'ai l'honneur de vous faire ici.

Afin de vous faciliter plus encore cet examen et cette réponse, je joins ici un extrait, de ces Constitutions en français, et contenant le précis de toutes les obligations qu'elles imposent. L'association que je vous propose ne changera rien à votre position et à vos obligations temporelles à 1'égard de notre Congrégation. Voici notre devise qui est un sûr garant : Rien du temporel des Colonies pour la Maison-Mère de la Congrégation du Saint-Esprit; tout pour le bien et l'utilité de chaque Mission. Nous pouvons donc assurer hautement que notre proposition n’a d'autre but que votre avancement spirituel, le salut des âmes et la prospérité des Missions coloniales. - A cette première proposition, j’en joins une seconde, qui n’est pas un témoignage moins sincère de notre sollicitude pour votre bien-être. Nous vous proposons à tous, Messieurs, soit que vous accédiez ou que vous n’accédiez pas à notre première proposition, la fondation d'une caisse commune de retraite (espèce de tontine, désignée sous le nom de l'Étoile de la Mer), dont vous trouverez ci-joint le projet sur lequel j'appelle vos sérieuses méditations et demande votre avis motivé le plus tôt possible »

Le 2 juin 1847 eut lieu l'admission de MM. Monnet, Ducloux, Lucienne, Orinel, Beauvalet et Carlet, missionnaires, les uns à Bourbon, les autres aux Antilles.; et, le 18, celle de M. Richard, missionnaire de Mayotte. Plusieurs autres bons sujets furent admis; mais la Congrégation ne se trouvant pas encore canoniquement reconstituée, ces admissions ne pouvaient être que conditionnelles, puisque ces nouveaux associés se présentaient avec la supposition que des modifications seraient faites à la Règle, surtout quant au temporel, au contrat civil, à la composition du Conseil, etc. Or, ces modifications n'étaient pas encore bien déterminées, ni sanctionnées par qui de droit. Aussi, les admissions de cette époque ne portent pas la signature du Supérieur, ni celle des directeurs. La formule des actes se terminait ainsi : « Nous les avons admis, en sorte cependant : 1° que, s'ils quittent la dite Congrégation, même pour cause légitime, ils ne prétendent plus y avoir aucun droit; et 2° qu'ils ne jouiront des avantages stipulés dans les art. 11 du chapitre II, 3 du chapitre III et 13 du chapitre IV, que lorsque les Règlements ultérieurs auront fixé les rapports temporels qui doivent unir les membres envoyés dans les Colonies aux membres résidant à Paris. »

M. Leguay, sentant enfin toute l'irrégularité de la situation, eut recours à Rome pour y porter remède. Le 29 août 1847, le pro-Secrétaire de la Propagande, Mgr Barnabo, envoya le Rescrit suivant :

« Par audience de Sa Sainteté en date du 29 août 1847.

Conformément aux très humbles demandes de M. Jean-Baptiste Leguay, Supérieur du Séminaire du Saint-Esprit, à Paris, Sa Sainteté Pie IX, Pape par la grâce de Dieu, la question lui ayant été soumise par le pro-secrétaire soussigné, a bien voulu accorder, pour un an seulement, la faculté, d'admettre dans la société des sujets qui n'ont pas fait leurs études dans le Séminaire. Il donne aussi le pouvoir, pour cette fois seulement, de composer le Conseil de la Congrégation, en élisant des sujets méritants parmi tous les membres, même s'ils n'y ont pas passé le temps fixé par les Constitutions, Ou s'ils n'y ont pas fait leurs études; le même pouvoir est accordé pour la nomination des professeurs. Il accorde en outre le pouvoir de choisir, parmi les membres du Conseil ainsi composé, et suivant le mode d'élection approuvé par les Constitutions, les Supérieurs préposés au gouvernement de la Congrégation.

Rome, de la S. Cong. de la Propagande, le 29 août 1847.
Alex. BARABO, pro-secrétaire (1).

Ainsi le Saint-Siège accorde la faculté de dispenser des conditions exigées 1° par l'art. ler du chapitre III des anciennes Règles, pour l'admission des sujets ; 2° par l'art. ler du chapitre VII pour être. professeur; 3° par le chapitre IV pour la composition du Conseil, mais pour cette fois seulement, et pour l'élection des Supérieurs.

Il semble que, d'après le Rescrit, on aurait dû procéder à de nouvelles élections des membres du Conseil, des assistants et du Supérieur général; mais M. Leguay, assuré de l'assentiment de ses confrères, crut pouvoir, sans aucun doute, se contenter simplement de l'acte suivant pour reconstituer canoniquement la Congrégation : « En vertu des pouvoirs précités, et selon leur teneur, le Conseil a été ainsi composé : M. Leguay, Supérieur général de la Congrégation; M. Warnet, premier assistant; M. Gaultier, deuxième assistant; MM. Loewenbruck, Hardy, Vidal, Ferroy, conseillers. »

Fait, en la Maison-Mère, établie à Paris, le 2 novembre 1847.
Signé : LEGUAY, Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit.

Arrivons maintenant au second plan de M. Leguay, quî fut examiné, et adopté en Conseil le 14 du même mois. Il est ainsi exposé :

« Notes explicatives arrêtées en Conseil sur quelques points des Constitutions :

« La Congrégation du Saint-Esprit se compose de deux catégories : celle des membres proprement dits et celle des simples affiliés. Tous, au jour de leur réception, promettent obéissance sincère et filiale au Supérieur général, signent un contrat spirituel et s'astreignent à la mêm Règle. Cependant. ils participent, dès leur entrée au Noviciat, à toutes les grâces spirituelles de la Congrégation, comme indulgences, autel privilégié, et aux prières et bonnes oeuvres de tous les confrères. - A la mort d'un associé, tous disent une messe, ou font la sainte Communion, s'ils ne sont pas encore prétres, pour le défunt; et, pendant un année entière, ils se souviennent de lui devant Dieu d'une manière spéciale.

Les membres proprement dits s’engagent par un contrat civil, à ne rien acquérir dans la Congrégation que pour la Congrégation, si ce n'est par donation eutre vifs ou par héritage. Quant à leurs biens qui n’entrent pas en Communauté, ils peuvent en disposer, ainsi que des revenus, en toute liberté. Ces membres seuls ont droit aix avantages temporels et aux dignites de la Congrégation. Au moyen de ceux de leurs revenus destinés à la caisse commune, ils pourvoient eux mêmes à leurs propres besoins et, à la fin de l'année, ils versent à la masse tout l’excédent de leur recette, sauf à rendre un compte dêtaillé (au Supérieur de la Mission et à son Conseil). Ils peuvent encore, avec le consentement du Conseil et de concert avec lui, donner un secours annuel à leurs proches parents qui seraient dans le besoin. -

La Maison-Mère reçoit dans son sein, environne de tous ses soins les menibres de la Congrégation fatigués ou infirmes, et pourvoit à tous leurs besoins spirituels et temporels. Dans le cas où ils préféeraient se retirer dans leur famille, ou ailleurs, la Congrégation, eu égard à ses ressources, pourvoirait à leurs besoins, selon l'étendue de leurs serviece . - Tous les biens meubles ou immeubles de la Congrégation appartiennent à tous ses membres, servant, à ses besoins et sont administrés par le Supérieur général et son Conseil. Aucun membre de la Congrégation, ne peut provoquer sa dissolution, ou le partage de ses biens, sous quelque prétexte que ce soit. Cette dissolution ne peut être prononcée, que par la S. Propagande; et, dans ce cas, ils se partageront les biens communs à portions égales, de manière cependant que ceux qui n'auraient pas signé le contrat civil depuis trois ans révolus, n'auraient que la moitié de la part des autres, c'est-à-dire, par exemple, que si les plus anciens avaient deux mille francs, les autres n’en auraient que mille.

« Fait et signé en la Maison-Mère de la Congrégation les dits jour et an que dessus : Leguay, Supérieur de la Congrégatiorn du Saint-Esprit, Warnet, Gaultier, Hardy, Vidal, Ferroy. »

Mais déjà, dès le ler octobre précédent, les membres du Conseil présents, c'est-à-dire tous, sauf M. Ferroy, voulant se mettre eux-mêmes en conformité avec le nouvel ordre de choses, s'étaient liés envers la Congrégation du Saint-Esprit par un contrat civil et spirituel dans la forme qui suit : « L'an mil huit cent quarante-sept et le premier jour du mois d'octobre, les membres du Conseil du Séminaire et de la Congrégation du Saint-Esprit, MM. Leguay, Supérieur, Warnet, premier assistant, Gaultier, deuxième assistant, et procureur, Hardy, préfet, Vidal, économe, Loewenbruck, directeur - les deux derniers reçus membres de la Congrégation, en vertu d'un Bref obtenu du Saint-Siège, en date du 29 août 1847, par M. Leguay, qui les a dispensés du temps des épreuves ordinaires - s'étant réunis à l'effet de régler leurs engagements à l'égard de la Congrégation, ont accepté toutes les clauses et conditions exprimées dans le nouveau projet de Constititions, chapitre ler, page 25, numéros 6, 7 et suivants, pour les associés du premier Ordre, dans le but d'obtenir toutes les faveurs et profiter des avantages tant temporels que spirituels qui y sont garantis aux associés du premier Ordre, ont consenti à ce que leurs engagements datassent de ce jour; ont signé le présent contrat l'an, le mois et le jour susdits, en la Maison-Mère établie à Paris. »
Signé : Leguay, Supérieur, Warnet, Gaultier, Hardy Vidal.

Cet acte exprimait, donc l'adhésion du Conseil au nouvel Ordre de choses qui se préparait, mais ne pouvait être qu'un contrat conditionnel, puisque la nouvelle organisation n'était point encore canoniquement établie, et, comme celui du 14 novembre, préludait seulement aux changements qui allaient être opérés dans les Règles de 1734.

Voici comment débute le procès-verbal des délibérations et des décisions du Conseil relatives à ces changements. « Le 14 décembre 1847 » - cette date est à retenir, puisque le décret d'approbation en a fait son point de départ - le Conseil de la Congrégation du Saint-Esprit s'est réuni sous la présidence de M. Leguay (Alexandre), son Supérieur général, aux fins de délibérer sur les changements devenus nécessaires dans les Constitutions, qui la régisscnt, par suite du laps de temps et du changement des circonstances au milieu desquelles les dites Constitutions ont été primitivement composées, arrêtées et approuvées ».

Les modifications principales introduites dans la Règle de 1734 peuvent se réduire aux douze points suivants :

1. La fin de la Congrégation ne sera plus, pour les prêtres sortis du Saint-Esprit, l'exercice des fonctions les plus obscures et les plus pénibles du saint ministère dans les diocèses de France ou dans les pays d'outre-mer; mais ce sera le service spirituel tout entier et exclusif des Colonies françaises. Ceci n'est que la sanction de ce qui existait déjà depuis le second rétablissement de l'Institut en 1816.
2. Les élèves du Séminaire ne seront plus choisis exclusivement dans les classes pauvres; mais ils pourront se tirer de tous les rangs de la Société indistinctement.
3. Les jeunes lévites ou les prêtres ne pourront dorénavant être admis dans la Maison que s'ils sont dans la disposition de devenir membres de la Congrégation. La seule condition exigée pour l'admission sera l'épreuve du Noviciat; par consêquent, il ne sera plus requis, de leur part, d'avoir fait au moins trois ans d'études au Séminaire du Saint-Esprit. (Anc. Reg., chap. III, art. ler.)
4. Les associés forment deux catégories : ceux du premier ordre qui mettent en commun une partie de leurs biens temporels; et ceux du second ordre qui n'auront avec la Congrégation qu'un lieu spirituel.
5. Les bîens temporels que les associés du premier ordre auront à mettre en commun, à la fin de l'année, ne seront que le superflu de leur traitement, de leur casuel et de leurs honoraires. Ils ne seront point obligés de rendre compte la Maison-Mère de leurs recettes et de leurs dépenses.
6. Seuls, les membres du premier ordre auront voix active et passive à l'élection du Supérieur général, des assistants et des conseillers. Le Supérieur général ne pourra être pris hors de la Congrégation qu'avec une dispense du Saint-Siège. Pour être électeur, on n'exigera plus d'eux qu'ils soient âgés au moins de trente ans révolus, et qu'ils aient huit ans de Congrégation (Anc. Reg., eh. IV, art. 13).
7. Lorsque le Supérieur général vient à mourir, les associés de la Maison-Mère, et ceux des Communauté les plus rapprochées éliront un Vicaire général, qui sera chargé d'expédier les affaires courantes, et tous les membres employés dans les Colonies seront informés du décès et de la nouvelle élection. Cette élection se fera au scrutin secret et ne pourra avoir lieu qu'après un an. Le Supérieur général sera élu à vie.
8. La Congrégation ne s'occupant plus que des Missions, devient par là même une oeuvre exclusivement apostolique : en conséquence, la confirmation de l'élection du Supérieur général ne sera plus demandée à l'Archevêché, mais au Saint-Siège, par l'organe de la S. Congrégation de la Propagande..
9. Pour être professeur de théologie, il ne sera plus nécessaire d'avoir enseigné pendant au moins deux ans la Philosoplie au Séminaire du Saint-Esprit.
10. Il y aura un règlement spécial pour les Noirs. Le nonveau règlement commun, déjà en usage, sera définitivement substitué à l’ancien. (Anc. Reg., chap. x).
11. Le départ des Missionnaires pour les Colonies donnera lieu à une cérémonie qui se fera à la chapelle du Séminaire.
12. Une traduction française des nouvelles Constitutions sera ajoutée à la suite du texte latin.

Approbation de Rome. - Démission. - Notice.

L'acte du 14 décembre se terminait en arrêtant que M. Loewenbruck, membre de la Congrégation et assistant serait député à Rome immédiatement pour présenter au Saint-Siège le nouveau projet de Constitutions arrêté et en solliciter l’approbation par l'organe de la S. C. de la Propagande ». Laissons M. Loewenbruck exposer l'accomplissement de son mandat.

« J'arrivai à Rome le 24 décembre (1847) et je pus, le jour de Noël, assister à Saint-Pierre au grand Office pontifical. Dès le lendemain, je me présentai à la Propagande pour remettre an Cardinal Fransoni, Préfet, toutes les pièces dont j’etais porteur et lui exposer le but de mon arrivée à Rome. Son Éminence me fit bon accueil et me promit que l'affaire sorait examinée avec soin et expédiée le plus promptement, possible. Là-dessus, je crus que je n’aurais à attendre que quelques jours pour obtenir l'approbation que je demandais. Mais quel ne fut pas mon étonnement lorsque je connus plus tard toutes les filières ou étapes par lesquelles dut passer l’affaire avant d’être approuvée ! Elle fut d'abord soumise à tous les Cardinaux de la S. C., réunis en assemnblée gènérale : là, il fut décidé que toute l'affaire serait étudié à fond par un prélat, consulteur dé la S. C., qui fut nommé, ad hoc, séance tenante, et je reçus l'ordre de me mettre à la disposition du dit Consulteur pour travailler journellement avec lui et lui donner tous les renseignements, informations et explications dont il pouvait avoir besoin pour faire son rapport.

Ce premier travail dura près d'un mois. Après que le secrétaire du Consulteur l'eut recopié, celui-ci l'envoya au secrétaire général de la Propagande, lequel distribua quatre copies de ce rapport à quatre autres prélats, les priant d'en faire l'examen critique et de le lui renvover chacun séparément avec le jugument qu'il en aurait porté. De ce quadruple travail, le secrétaire général, qui était alors Mgr Barnabo, fit un projet pour être, dans la prochaine réunion, soumis aux Cardinaux assemblés par le Cardinal Préfet. Alors fut nommé, un Cardinal ponente, c'est à-dire chargé d’exposer et de soutenir l'affaire dans une autre réunion de Cardinaux, fixée de là à trois semaines. Sans délai, les Règles furent imprimées et envoyèes à chacun des Cardinaux pour eux et leurs théologiens, afin qu'ils pussent tous, à leur tour, étudier et examiner attentivement toute l'affaire, avant de donner leur avis et jugement définitifs dans leur prochaine assemblée générale. La Propagande m'avisa que je devais, avant cette assemblée, me rendre chez chacun des Cardinaux pour donner à eux et à leurs théologiens respectifs, toutes les explications qu'ils auraient à me demander. Ce faisant, j'eus une occasion bien agréable de voir et de connaître, dans une sorte d'intimité, tous ces hauts personnages que j'appris à admirer, à respecter et à apprécier plus que je n'avais fait jusqu'alors. Ceux qui me firent le plus d'impression par leur accueil si bienveillant, je pourrais presque dire si amical, ce furent les deux si savants Cardinaux Mezzofanti et Maï. Ce dernier, à mon arrivée, m'embrassa avec un tendre empressement, comme s'il revoyait un vieil ami. Il n'y en eut pas un dont je ne fusse très content; même ceux qui étaient princes de naissance, tels que les Cardinaux Altieri, Barberini et autres, furent pour moi d'une bonté, parfaite. A leur réunion, tout fut approuvé et à la première audience suivante de Mgr Barnabo, le Pape sanctionna leur jugement, et ainsi fut atteint le but de mon voyage après un peu plus de deux mois de séjour à Rome. »

Après avoir eu l'honneur d'être reçu en audience auprès de Pie IX, M. Loewenbruck se rendit à Naples, et, c'est en revenant du Vésuve, alors en éruption, qu'il apprit la révolution de février 1848. Sa place étant déjà arrêtée sur un bateau à vapeur, il s'embarqua pour Marseille, où il avait promis de prêcher le Carême. Il y apprit une autre nouvelle, à laquelle il ne s'attendait guère sans doute, la démission de M. Leguay, et il ne rentra au Séminaire du Saint-Esprit qu'après Pâques, qui, cette année-là, tombait le 23 avril. Les Règles remaniées par M. Leguay et son Conseil furent approuvées par la S. C. dans sa réunion dit 21 février 1848 et le 11 mars suivant, lorsque la démission de M. Leguay était déjà un fait accompli, le Cardinal Fransoni, qui l'ignorait encore, lui adressa le Décret avec la lettre suivante

« Rme Monsieur,
M. Loewenbruck, l’un des assistants de la Société et du Séminaire du Saint-Esprit, m’a remis votre lettre du 15 décembre dernier. Elle m’a fait connaître, que vous avez réuni,le 14 décembre, les assistants de votre Société en assemblée extraordinaire, et que vous avez jugé nécessaire de modifier quelque peu les Règles qui régissaient jusqu’ici la Congrégation du Saint-Esprit, afin de les conformer à sa fin et à sa situation présentes. M. Loewenbruck a présenté à la S. Congrégation, en votre nom, les Règles et les Institutions, avec quelques additions et changements, afin de les faire approuver par les EE. et RR. Pères. La S. Congrégation de la Propagande les a examinées avec soin et, après quelques légers changements, les a jugées très propres à promouvoir le bien de la Société. Aussi, je vous envoie ci-joint le décret de la S. Congrégation. Je prie Dieu de vous combler de tous ses biens. De Votre Seigneurie, le tout dévoué.

Rome, de la S. Cong. de la Propagande, le 11 mars 1818.
J. -Ph. Card. FRANSONI, Préfet.
Alex. BARNABO, pro-sec.
DÉCRET DE LA S. C. DE LA PROPAGANDE

Le Supérieur et les Prêtres de la Société et du Séminaire du Saint-Esprit se sont réunis à Paris, le 14 décembre 1847, en assemblée extraordinaire, pour s'occuper expressément de ce qui regarde la direction pleine et parfaite de l'Institut. Car, à cause du nouvel accroissement de la Congrégation du Saint Esprit et de la fin plus étendue qui lui est donnée, ils ont pensé qu'il fallait faire quelques additions et changements aux Règles de la Société, déjà approuvées en 1734 par l'Archevêque de Paris, approuvées et confirmées dans la suite par la S. Congrégation de la Propagande, par décret du 21 mars 1824, afin qu'elles correspondent exactement à la condition actuelle de la Société et à la vocation de ses membres. Après cet acte, et de nouvelles Règles ayant été opportunément ajoutées aux anciennes, ils ont demandé humblement l'approbation et la sanction de la S. Cong. de la Propagande. Le R.P. Alex. Barnabo, pro-secrétaire de la S. Congrégation, ayant soumis toutes ces choses à l'approbation de la S. Congrégation, dans l'assemblée générale du 21 février 1845, les EE. et RR. Pères, après quelques additions et changements, ainsi qu'on pourra le voir dans leur teneur qui, sur leur ordre, doit être ajouté à ce décret, ont approuvé et confirmé de nouveau les Règles et Constitutions du Séminaire du Saint-Esprit, disposées d'une nouvelle manière, et ont ordonné à tous ceux qui font on feront partie de ce Séminaire de les observer à l'avenir.

Donné à Rome, du palais de la S. Cong. de la Propagande, le 11 mars 1818.

J.-Ph. Card. FRANSONI, Prélet. Alex. BARNABO, pro-secrétaire

Le Decret arrivait trop tard. Les événements de l'ordre politique bouleversèrent, profondément la Société, amenèrent, il est vrai, l'abolition de l'esclavage, mais renversèrent les plans de M. Leguay et rendirent sa position si intenable qu'il se résolut à donner sa démission; il en donne les raisons dans son autobiographie : « Les choses en étaient là, lorsqu'éclata la révolution de février, qui renversa le trône de Louis-Philippe, établit la Républiqiue, appela M. Arago au Ministère de la Marine, et M. Schoelcher, député démocrate violent, fut nommé directeur des Colonies. Celui-ci fit déclarer l'émancipation immédiate des esclaves dans toutes les Colonies françaises; il se montra très hostile à M. Leguay et aux directeurs du Saint-Esprit, qu'il accusait d'être antinégrophiles et opposés à cette mesure. Il menaçait même ouvertement de les briser et de les remplacer par une autre Congrégation. Il rappela en France les Préfets apostoliques et les Missionnaires que M. Leguay avait envoyés aux Colonies, et y renvoya ceux que M. Leguay avait rappelés, et qui se présentaient comme des victimes de leur zèle pour les Noirs. M. Leguay, voyant alors d'ailleurs tous ses plans renversés, foulées aux pieds les conditions auxquelles il avait accepté la direction du Saint-Esprit, donna sa démission, malgré la résistance de ses confrères; et, afin de sauver la Congrégation, il fit nommer à sa place M. l'abbé, Monnet., ancien Missionnaire à Bourbon, qui avait la réputation d'être très dévoué aux Noirs et était très populaire auprès du nouvel ordre de choses. M. Leguay resta encore six semaines en qualité de premier directeur auprès de M. Monnet afin de le mettre au courant des affaires, puis il partit et ne revint plus. »

Voici dans quels termes M. Leguay donna sa démission:
« N'ayant accepté que par dévouement la direction de la Congrégation du Saint-Esprit, et convaincu qu’un autre membre de la dite Congrégation peut occuper cette place d'unc manière plus utile, pour elle, dans les circonstances actuelles, je crois devoir donner, comme je donne, en effet, par le présent acte, ma démission de l'emploi de Supérieur.
Fait à Paris, le 29 février 1848 ».

Deux jours après, il réunit son Conseil pour lui donner lecture de l’acte de sa démission. Comme les instances qu'on avait faites pour le faire revenir sur sa décision étaient restées sans résultat, le Conseil finit par accepter cette démission. Ce dernier acte est signé de MM. Warnet, Gaultier, Hardy, Vidal.

Quelques mots pour achever de faire connaître la carrière de M. Leguay, d'après les renseignements fournis par lui-même et par l'abbé Tiffaux, curé de la paroisse de Crèvecœur-en-Auge.

Alexandre-Jean-Baptiste Leguay était né à Crèvecoeur-en-Auge, Calvados, diocèse de Bayeux, le 7 avril 1794, de parents honnêtes et religieux, mais de modeste condition. Encore en bas âge, il perdit ses père et mère. A douze ans, il se sentit appelé à l'état ecclésiastique, et le curé de la paroisse, M. Ledard, lui donna des leçons de latin. Après la mort de ce bon prêtre, il trouva moyen d'entrer, en 1814, au petit Séminaire de Lisieux; il y fit sa troisième et sa secoude en une seule année et cependant fut toujours dans le premier tiers de sa classe. En rhétorique et, en philosophie, il eut encore plus de succès et remporta quelques prix. Au sortir du petit Séminaire de Lisieux, il fut reçu comme boursier au grand Séminaire de Bayeux, où il se fit encore rcmarquer par sa piété, et son assiduité. Ordonné prêtre en 1820, il vint à Paris, pour s'associer aux Missionnaires de l'abbé Rauzan et y fut immédiatement employé dans les Missions que ces Messieurs donnaient, non sans fruit,, dans les principales villes de France. Deux ans après, il tomba gravement malade pendant une mission, à Fontainebleau, il fut même administré. Convalescent, il rentra dans son diocèse où son évêque le nomma aumônier des Dames Augustines, chargées de l'Hôtel-Dieu, de Bayeux : puis, en 1827, curé-doyen dé Sainte-Catherine de Honfleur. « A la révolution de 1830, dit-il, il fut tracassé par les nouvelles autorités civiles. A l'anniversaire des journées de juillet (1831), il éprouva de nouvelles difficultés , et craignant de ne pouvoir plus faire de bien, donna sa démission et se retira à Paris. »

Il y demeura dix ans, de 1832 à 1842, pendant lesquels Mgr de Quélen, d'abord, puis Mgr Affre le chargèrent de la direction de plusieurs Communautés religieuses, et de prédications extraordinaires dans presque toutes les paroisses de Paris. Il y composa : 1° La Voie de la véritable et solide vertu; 2° La Voie de la Perfection dans la vie religieuse; 3° La Maitresse des novices éclairée sur ses devoirs,- 4° La Postulante et la Novice éclairées sur leur vocalion. Ces quatre volumes, édités par la Maison Lecoffre, sont revêtus des approbations des Ordinaires de Paris et de Bayeux. Nous avons vu que, pendant quatre ans, il logea au Séminaire du Saint-Esprit, où il fut l'ami et le commensal des directeurs. En 1842, il fut nommé Vicaire général de Perpignan, six mois après, premier Vicaire général et Doven du Chapitre. Élu Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, le 29 avril 1845, il donna sa démission le 2 mars 1848; puis, quelques semaines après, il se retira à Crèvecoeur-en-Auge, où il passa les dernières années de sa vie d'une manière édifiante.

Au commencement de 1860, il tomba gravement malade, et reçut les derniers Sacrements avec une foi vive et une touchante piété, fit sa profession de foi et rendit son âme à Dieu le 27 février suivant. Plus de vingt prêtres assistèrent à ses obsèques; la messe fut célébrée par un Vicaire général du diocèse, qui adressa aux nombreux assistants une pathétique allocution; et, le 11 mars suivant, un service funèbre avait lieu dans la chapelle du Séminaire du Saint-Esprit.
(Extrait des Cahiers du R. P. Jérôme SCHWINDENHAMMER)
-------------------------------------------------------------------------------
[1] Non seulement Leguay fit un appel aux Évêques de France en faveur des Missions coloniales; mais, à deux reprises, il parcourut divers diocèses, pour y chercher des prêtres ou des lévites. Son appel et ses tournées ne restèrent pas sans effet plusieurs jeunes ecclésiastiques – et parmi eux de très bons sujets - vinrent augmenter le personnel dit Séminaire.
D'un autre côté, il élimina les Séniinaristes qui n'offraient pas les garanties suffisantes de vocation. Il fit, en outre, rappeler une vingtaine de prêtres des Colonies.

Page précédente