Le Père Léon LEJEUNE,
1860-1905.


Le P. Lejeune est mort le 6 septembre 1905 à Chevilly près de Paris au séminaire des missions, qu'y possèdent les Pères du Saint-Esprit, des suites d'une maladie qu'il avait rapporté du Niger. L'Afrique à laquelle il s'était passionnément donné, perd en lui un de ses bons ouvriers, et les lecteurs des Missions catholiques, auxquels il s'est souvent adressé, voudront bien avoir pour lui un souvenir devant Dieu.

Le P. Lejeune (Alexandre-Léon) était né le 24 mars 1860 à TournaisurDive (Orne). Ses études faites, il entra au grand séminaire de Sées, d'où il passa, étant déjà diacre, dans la congrégation du Saint-Esprit.

Envoyé au Gabon en 1885, il fut aussitôt attaché à la mission de Lambaréné, qui venait d'être fondée dans l'Ogooué, et, bientôt, il en fut .chargé comme supérieur. Un beau champ d'évangélisation s'ouvrait devant lui : sur le fleuve et ses affluents, près des nombreux lacs qu'il forme et dans les immenses forêts qu'il traverse, était dispersée une population, toute payenne, composée de Galoas, d'Enengas, d'Akélés et de Pahouins. Près de la mission catholique s'élevait et travaillait, disposant de ressources énormes, une mission protestante américaine, passée depuis entre les mains de la Société évangélique de Paris. Quelques maisons de commerce, devenues plus nombreuses avec le temps, avaient ici et là dispersé leurs factoreries. Enfin, non loin de la mission, le gouvernement de la colonie avait un poste, résidence d'un administrateur.

C'est dans ce milieu que le P. Lejeune avait à travailler. Il y travailla quinze ans, de toute son âme.

Doué d'une force de résistance à toute épreuve, d'une santé qui ne connut jamais de défaillance, d'une intelligence rare, d'une foi profonde, d'un zèle ardent, empressé jusqu'à l'excès, il est, si l'on peut ainsi parler, resté perpétuellement " sous pression " pendant ses vingt années d'Afrique. C'était une riche nature. Et en le voyant de près, dans ce mélange déconcertant parfois, mais jamais banal, de qualités et de défauts, on pensait volontiers à ces anciens Normands, compagnons de Guillaume le Conquérant, ou fils de Tancrède de Hauteville, qui bataillèrent sur tous les rivages, et dont il était au physique et au moral, le descendant direct.

" Connais-tu le P. Lejeune ? demandait un jour son vicaire apostolique à un jeune noir de l'Ogooué. - " Ah ! répondit celui-ci, tout le monde connaît le P. Lejeune ! C'est un Père qui crie toute la journée, sans s'enrouer, ni tousser, ni cracher. "

Aux prises, comme tant de missionnaires, avec nombre de difficultés manque de ressources, famines, épidémies, procès, défections, oppositions des anthropophages dont il fut une fois prisonnier, des polygames qu'il combattit sans relâche, des protestants qui lui tendirent plus d'une embûche, de l'administration elle-même qui ne le comprit pas toujours, il faisait front contre tout, jamais découragé, jamais vaincu.

A la fin, cependant, après s'être engagé à fond pour soutenir les droits du mariage chrétien, il crut qu'il ferait bien de disparaître, au moins pour quelque temps, de Lambaréné et du Gabon : il demanda à revenir en France.

Ses supérieurs entrèrent dans ses vues, plus avant qu'il n'aurait voulu : par décret du 29 mai 1900, le cardinal Ledochowski le nomma préfet apostolique du Bas-Niger.

C'était un monde tout nouveau qui s'ouvrait devant lui : autre pays, autres populations, autres langues, autre administration. Il accepta cette charge comme un sacrifice ; mais, l'acceptation faite, il se mit à I'œuvre avec ardeur. Il apprit l'anglais, il voulut apprendre l'ibo, il parcourut sa mission depuis le Rio-Calabar jusqu'au bout de la Bénoué, établit de nouveaux catéchistes, fonda de nouvelles stations, bâtit à Onitsha, à Agouléri, à Calabar, étonnant les indigènes et les européens par son élan extraordinaire, qui en déconcerta plus d'un, et il ne rentrait en Europe que pour mener à bien d'autres projets.

Mais il était touché ! Une tumeur de mauvaise nature s'était déclarée à la gorge, et, malgré une opération due à la main habile et dévouée du docteur Le Bec, elle ne tardait pas à s'étendre. Pour la première fois de sa vie, le P. Lejeune se sentait malade.

Il comprit bientôt que sa fin était venue, et avec la même sérénité, la même foi, la même ardeur qu'il avait montrées à travailler pour Lui, il se prépara à paraître devant Dieu. Dans ces derniers jours, son humilité fut admirable et sa résignation touchante ; ses souffrances étaient atroces, mais pas un mot de plainte ne sortit de ses lèvres ; et ce fut dans ces sentiments, après avoir, une fois de plus, offert sa vie pour le salut de l'Afrique, qu'il rendit à Dieu son âme. Il avait 45 ans.

Outre des lettres et des articles, en grand nombre, dans divers journaux ou revues, comme les Missions catholiques, le Correspondant, etc. le P. Lejeune a fait paraître plusieurs ouvrages : Dictionnaire françaisfan, précédé de quelques principes grammaticaux (C'est le premier ouvrage qui ait été fait sur la langue des Pahouins) ; Catéchisme fan Catéchisme de controverse en galoa ; Cantiques galoas (deux recueils) L'idolâtrie des catholiques, simples réponses à nos protestants Au Congo, la Femme et la Famille.

Dans ces travaux, le P. Lejeune n'apportait aucun souci littéraire. Emporté par sa verve primesautière, sans disposition arrêtée, il allait de l'avant, écrivant comme il parlait, bâtissait et travaillait. C'était, il faut le répéter, le fils des Vikings du XI* siècle, ardent à l'action, mais transformé par le christianisme, animé d'une foi profonde et ne comprenant pas qu'une âme catholique pût rester indifférente en présence de la masse infidèle qui couvre encore une telle partie du monde...
A. LE ROY, Supérieur général.

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