Le Père Jules LÉMAN,
1826-1880


Jules Léman naquit à Deulémont, par Quesnoy-sur-Deule, le 29 juin 1826. Son père, instituteur, faisait aussi fonction de clerc paroissial. Jules enfant se mêlait rarement aux jeux de ses jeunes compagnons de classe, il préférait se retirer à la maison pour étudier ou rendre quelques services. "Nature douce et aimable, caractère droit et loyal, tendre et affectueux pour ses parents, ne leur désobéissant jamais, tel était, au dire de son oncle, le regretté Père Léman dans ses premières années."

Sa digne et pieuse mère veillait sur lui avec la plus tendre sollicitude et le formait par son exemple à la piété. Il la perdit à l'âge de onze ans. Mais, en le quittant, elle voulut le consacrer d'une manière toute spéciale à Marie, lui demandant de réciter un Ave Maria, chaque fois qu'il passerait devant la statue de la Vierge, mère du Sauveur. Jules n'oublia jamais cette promesse.

Il ne se contentait pas d'être bon et pieux, il n’hésitait pas à reprendre et conseiller ses camarades. Aussi, tout le monde disait à cette époque : "Le petit Jules sera prêtre et un bon prêtre." Ses parents encouragèrent sa vocation naissante. Après lui avoir fait commencer ses études latines au collège d'Armentières, ils l'envoyèrent au petit séminaire de Cambrai, où il se fit remarquer par sa piété et son application à l'étude. Il entra ensuite au grand séminaire de la même ville, d'où il passa à St-Sulpice. Toujours bon conseiller, il exerçait son apostolat naturellement dans sa famille, encourageant sa sœur à prendre le voile, et adressant à son père de longues lettres spirituelles. L'abbé Léman ne demeura pas longtemps au séminaire. Pressé du désir de se consacrer à Dieu sans réserve dans la vie religieuse, il alla faire un essai au noviciat des Jésuites de St-Acheul, près d'Amiens. Il n'y trouva pas la paix. Le Père maître des novices l'adressa lui-même au Père Libermann, dans le courant du mois de mai 1847. Il sentit dès lors que Dieu l'appelait dans la société naissante des enfants du St-Cœur de Marie. Sa résolution prise aussitôt, il vint frapper à la porte de l'abbaye de N.D. du Gard, pour y continuer ses études théologiques, puis après la fusion, il vint les achever au séminaire du Saint-Esprit à Paris.

Retourné à N.D. du Gard pour y faire son noviciat, le 21 mars 1850, il reçut l'onction sacerdotale des mains de Mgr de Salinis, et fit avec bonheur sa consécration religieuse entre les mains du Père Libermann, le jour de Pâques 20 avril 1851.

Le jeune P. Léman fut gardé sur place à la tête des étudiants de N.D. du Gard en qualité de directeur. Il était chargé du chant, de la discipline et professait la philosophie. Il eut vite la confiance de ses étudiants, auxquels il faisait chaque soir une conférence spirituelle, inspirée de la doctrine du saint fondateur.

En 1853, le Père Schwindenhammer l'envoya à Rome pour seconder le P. Lannurien qui mettait en route le Séminaire Français. Il devait accompagner les élèves aux cours de l'Université, leur faire des conférences théologiques, veiller à la discipline et suivre l'ensemble de la maison pour l'ordre et l'économie des détails.

Le P. Léman se plaisait à raconter les détails de l'audience dans laquelle il eut à offrir à Pie IX deux magnifiques volumes de chant grégorien. On ouvrit l'antiphonaire aux vêpres des confesseurs pontifes. Le St-Père essaya de chanter l'Ecce sacerdos - il y réussit tant bien que mal, et les Pères de rire sous cape. "Ah ! je n'arrive pas, dit alors Sa Sainteté. Voyons, vous, en frappant sur l'épaule du Père Léman, chantez-nous cela comme chez vous." Et le P. Léman chanta l'antienne aux applaudissements de Pie IX, qui en parut très satisfait. Peu de temps après, Sa Sainteté adressait, à l'éditeur des nouveaux livres de chant, une lettre de félicitations et d'encouragement.

Le P. Lannurien étant mort de choléra, dans la nuit du 4 au 5 septembre 1854, fut remplacé par le P. Freyd. Quelque temps après, le Père Schwindenhammer ayant fait le voyage de Rome, à l'occasion de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, ramena le P. Léman en France, pour l'employer dans les maisons de formation.

Le 26 août 1855, il eut la joie de se consacrer solennellement à Dieu par l'émission publique des vœux perpétuels. C'était la première cérémonie des vœux qui se faisait dans la congrégation, selon les nouveaux points de règle que le St-Siège venait d'approuver. En la fête du St-Cecur de Marie, tous les membres de la congrégation, depuis le Supérieur général jusqu'aux nouveaux profès, prononcèrent publiquement leur vœux.

Pendant les trois années que le P. Léman passa à la maison mère, son travail le plus important fut la publication des écrits du Vénérable Père. Le premier écrit qu'il fit lithographier, ce fut les Instructions aux Missionnaires. Il entreprit ensuite la publication des Lettres. Notre cher Père était plein d'amour, d'estime et d'admiration pour ces écrits. Il en parlait avec enthousiasme et aimait à communiquer ses impressions à ce sujet.

En septembre 1858, le P. Léman fut envoyé à N.D. de Langonnet pour y diriger le noviciat des Frères. Ce fut là que bientôt la divine Providence vint le chercher pour lui confier la direction d'une œuvre qui devait être le couronnement de sa vie : la fondation d'une Province spiritaine en Irlande.

Depuis plusieurs années, il était question de fonder quelque établissement en Irlande, afin de recruter des sujets dans ce pays si catholique et si fécond en vocations. Le P. Libermann avait écrit à ce sujet, en 1842, à l'abbé John Hand, supérieur du séminaire des Missions étrangères d'Irlande. L'exécution de ce projet fut enfin arrêtée en 1858, et le P. Holley, qui connaissait la langue anglaise, fut envoyé pour préparer les voies. Le P. Léman fut nomme supérieur ; on lui adjoignit comme auxiliaires les PP. Jérôme et Holley, avec le Frère Philippe. Ils purent mettre pied à terre à Kingstown, avant-port de Dublin, le 28 octobre 1859, fête des SS. Apôtres Simon et Jude.

Pour couvrir les dépenses d'entretien des aspirants, il fallait se créer des ressources ; et le moyen qui paraissait le plus utile était d , ouvrir un collège. Ce fut le collège de Blackrock, près de la mer, à une lieue de Dublin (il y avait des trains toutes les demi-heures). Et sachant combien l'Irlande était sympathique à la France, on donna à l'établissement le nom de French college (collège français), qu'il continue de porter avec honneur.

En 1864, l'ancien séminaire écossais de Rockwell, dans le Comté de Tipperary, fut offert au P. Léman. Comme à Blackrock, il y développa un collège, un petit scolasticat et un noviciat des Frères. Grâce à sa sollicitude, les deux communautés d'Irlande ont suivi un développement presque analogue, conservant sous une même direction, un même esprit et un même cœur.

Depuis 1876, la santé du P. Léman, fatigué par tant de soucis et de travaux, inspirait de sérieuses inquiétudes. Il éprouvait souvent des maux d'estomac persistants, suivis parfois de vomissements de sang. Il est mort le 3 juin 1880, après avoir recommandé à son successeur : "Dites bien au Très Révérend Père combien je suis heureux de mourir, et de mourir religieux et membre de la congrégation, et d'offrir mes souffrances et ma vie pour la conversion des pauvres Noirs, auprès desquels j'aurais tant aimé travailler, et aussi pour les œuvres d'Irlande et surtout le scolasticat."

L'apostolat du P. Léman en Irlande a été béni de Dieu. C'est une belle et grande histoire. Contentons-nous de dire qu'en 1993, la province spiritaine d'Irlande comptait encore 13 maisons, un évêque, 275 Pères, 19 Frères et 10 scolastiques.

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