R.P. LENSELAER Jean


Né à Nossegem (Diocèse Mechelen/Brussel), 30/10/1923
Décédé à Kongolo, 1/01/1962
Nationalité: belge
Profession à Hotgné: 8/09/1945
Sous-diaconat à Leuven: 4/05/1950
Diaconat à Leuven: 3/06/1950
Prêtrise à Leuven: 9/07/1950
Consécration à l'apostolat à Leuven: 8/07/1951
Voeux derniers à Leuven: 8/09/1948

LE REVEREND PERE JEAN LENSELAER (par son frère le Père Alfons Lenselaer).

Mon frère Jean arriva à Kongolo en octobre ou novembre 1951.
Il me suivait de deux ans en Afrique : il avait été retardé dans ses études et ne les avait commencées qu'après moi. De Stanleyville son avion avait continué sur Elisabethville et aurait dû faire escale à Kongolo. Il profita de son séjour à E/ville pour prendre quelques photos des principaux bâtiments : cathédrale, poste, église de la Kafumbe. Après quelques jours d'attente, il arriva à Kongolo et ne manqua pas de grogner contre le manque d'organisation de nos Procures, qui lui faisaient dépenser inutilement de l'argent, récolté à la sueur de son front :
il s'était beaucoup déplacé pour arriver à se payer le billet de Kongolo. Il y était bien arrivé, puisqu'il s'était payé l'une ou l'autre bricole. En tous cas il était bien maigre et fatigué en arrivant à Kongolo.
Au cours de son voyage vers le Congo, il avait lié connaissance avec un jeune Père franciscain. Ils restèrent bons copains : à E/ville le père lui acheta des lunettes solaires, ce que mon frère considérait à l'époque comme un luxe. Plus tard ce même Père lui enverra des médicaments, lorsqu'il sera seul à Petshi.
Mon frère souffrait d'eczéma aux mains. (Il en souffrira de longues années avec des périodes de répit). Ce Père franciscain viendra même visiter mon frère à Petshi, car étant inspecteur des écoles, il devait passer près du Vicariat de Kongolo.

Je ne me rappelle pas grand-chose du séjour de mon frère à Kongolo. Je lui ai fait visiter la ville et ses environs : les petites paroisses, dont je m'occupais le dimanche, et parfois en semaine - recensement, visites à domicile, Kinkotonkoto et Tabora. Nous sommes allés en moto jusqu'aux Portes d'Enfer au nord de Kongolo et je n'ai pas oublié Mchanga où il y avait un petit village de pygmées.
Etant donné que depuis deux ans je n'avais plus vu de ses peintures, je lui demandai de me faire un spécimen : il me peignit la tête d'une jeune fille. Je l'avais encore à Kindu en souvenir de lui. Je me souvins aussi de la montre-bracelet qu'il m'offrit et des couleurs et pinceaux que je réussis à lui extorquer : il y tenait pourtant beaucoup. Il fut très généreux ; à Stan la douane l'avait taxé sur ces objets.
Sans doute l'ai-je questionné sur les membres de notre famille : maman, frères et sœurs ; les naissances et changements de maisons ; ce que notre frère Raymond devenait et comment sa peinture évoluait.

Le train et puis le bateau-courrier l'emmenèrent jusqu'à Ankoro, sa mission ou il n'arriva qu'un dimanche midi. Sur le bateau il ne voulut pas prendre son petit-déjeuner, se réservant la possibilité de dire la messe: il se trouva indisposé. Dit-il la messe ou non, je ne sais plus, mais il avait à cœur de la dire.
A Ankoro il n'eut presque pas d'occupation les premiers mois de son séjour. On lui permit de s'occuper du travail manuel avant les classes. Il vécut assez confiné : il devait apprendre le swahili, et il souffrit de cette situation. Il eut la possibilité de parler aux internes dont il reçut la charge de s'occuper. Il fit quelques essais de peintures du coin.
Plus tard, après plusieurs mois il fut capable de prêcher et confesser et même de donner quelques conférences spirituelles aux Sœurs. On le chargea d'Ankoro-Nord, et il s'octroya quelques parties de chasse nocturne avec des Grecs. En janvier 1952 j'allai le retrouver sur place pour y faire ma retraite. Je pus voir qu'il n'était pas très heureux, peiné d'être mis àl'écart des activités de la Mission.

En avril 1952, j'eus mon accident de moto à Kongolo. Je fus transporté par avion jusqu'à Albertville, accompagné par le père André Seyssens, On n'était pas très certain si j'enavais encore pour longtemps à vivre.
J'eus la joie de le revoir là-bas, mais il fallut bien deux télégrammes pour décider le supérieur à le laisser partir. Enfin il vint. Je pense qu'il est resté une dizaine de jours avec moi. Je pouvais déjà me lever et on allait s'asseoir sous une petite rotonde, couverte de chaume ou bien sur la barza de la chambre, d'où la vue sur le lac Tanganyika était splendide. Lui-même logeait à la mission à l'autre bout de la ville. Le plus souvent il venait à pieds jusqu'à l'hôpital, parfois deux fois par jour. Je me souviens d'une photo de deux petites noires, sœurs
jumelles, qu'il prit le long du lac. Il commençait à se débrouiller très bien en swahili.

Je ne revis mon frère Jean qu'en mars 1954. A ce moment-là je devais rentrer en Belgique pour y être opéré. Alors que j'étais en clinique à Louvain en mai ou juin 1954, mon frère m'écrivit qu'il avait dû quitter Ankoro ; la raison semble-t-il c'est qu'il s'était mis en colère contre un élève et l'avait frappé. Les parents se portèrent en groupe vers la Mission et s'excitèrent contre mon frère. Sans doute le Père Supérieur eut-il du mal à retenir cette foule, et il fit quitter la Mission à mon frère. Il se dirigea sur Manono ou il resta quelques jours ; puis un télégramme mal conçu l'envoya à Kindu. De fait il s'agissait de Budi-Petshi.
Peu de temps après son arrivée à Budi, il alla à Petshi, où il resta seul, s'occupant des écoles et de la petite paroisse. Le Père André Remy l'y avait précédé. Mon frère n'y fut pas heureux ; il se plaignait de la solitude et du manque de nourriture.

Après mon retour en Afrique en novembre 1955, je fus placé à Kibombo. Le Père René Verlaine mon supérieur me permit d'aller rendre visite à mon frère. C'était les vacances de Pâques. Je m'y rendis en camionnette par Samba et Sentery. Mon frère se trouvait au gîte d'étape de Petshi chez des blancs de passage dans la région. Il vint me chercher car je ne connaissais rien de ce bled, et il faisait déjà nuit.
Mon frère me raconta sa vie à Petshi. Ses misères avec les enseignants et avec ses confrères. Comme moyen de communication il n'avait que son vélo. Vivant seul, il devait assurer le ravitaillement et l'argent pour les salaires des enseignants. Tous les menus objets devaient venir de Budi, même le pétrole pour sa lampe Coleman et son frigo. Son régime alimentaire n'était pas très brillant : il s'était rationné et c'est ici qu'il contracta l'eczéma aux doigts. Il en souffrira jusqu'à sa mort, et pourtant, pendant son congé en Belgique, il fut débarrassé de ses plaies aux doigts.
De son bled de Petshi il envoyait des légumes à Budi. Quand il en avait marre d'être seul, il prenait la route vers Budi, plus dure à l'aller qu'au retour, au total environ 60 km à grimper dur par une route en lacets dans la montagne. L’accueil à Budi ne l'enchantait pas trop : il se sentait un surnuméraire, aussi rentrait-il dans son coin de Petshi, le cœur gros.
J'ai rapporté plus haut qu'il était resté en bons termes avec un père franciscain. Après son passage, celui-ci ne lui envoya pas seulement des médicaments mais aussi de la viande et autres victuailles. Je ne fus donc pas le seul a avoir jugé son régime alimentaire insuffisant.
Jean entretint des relations très étroites avec une famille de colons éleveurs de gros bétail, des West-Flamands. J'ai accompagné mon frère cette fois-là et je fus frappé de la gentillesse de ces gens. Quoique mon frère ne possédât le flamand aussi parfaitement que le français, tous les Flamands que j'ai connus lui parlaient cordialement sans lui reprocher ses fautes d'expression.
De Petshi on alla un dimanche à Budi, où je trouvai les Pères Bodard et Remy. Un internat y était en construction. Mon frère avait aidé le Père Bodard au mesurage des fondations.
Mon frère me céda son agrandisseur de photos. A Petshi il ne pouvait l'employer faute d'électricité. J'ai conseillé à mon frère de demander son changement, étant donné qu'on ne pouvait nous laisser seul dans un poste sans notre consentement. Il ne donna pas suite à mon conseil, estimant que s'il demandait son déplacement, un autre serait forcé de le remplacer.

Quand il revint à Budi, il reçut la charge de construire des écoles de brousse, entre autres Kaloko. Il dut certainement transpirer gros pour arriver à bout des mesures. Il voulut faire du beau travail, mais le matériel qu'il recevait de Budi ne correspondait pas toujours à ses prévisions. On lésinait sur le ciment et aussi sur la qualité des bois de construction.
Il employait le seul moyen de transport que la Mission possédait en ce temps : une vieille camionnette Chevrolet, très poussive. C'est avec elle qu'il transporta les moellons, extraits sur place, et il eut plus d'une anicroche dans ses transports : le plateau de la camionnette cassé... Bref toutes les difficultés de la construction en plus du matériel défectueux. Ce temps de construction lui prit plus d'un mois. Il ne rentrait à la Mission de Budi que le dimanche, le reste de la semaine il la passait dans une case.
Ces années de Petshi et de Budi furent certainement les plus dures dans sa vie missionnaire.
Les temps changèrent lorsque le Père Crauwels Gaston devint supérieur à Budi. C'était un homme très compréhensif, très pondéré et tachant de faire plaisir à tout le monde. Depuis son arrivée à Budi, les Pères se relayèrent à Petshi : chacun y allant pour 15 jours ou une semaine.
Pendant le temps que mon frère passa à Budi, il fit très peu de ministère, ou bien en passant seulement. Ses lettres de l'époque ne me parlaient que de son initiation au ministère des vaches. Budi était une mission de rapport. Je ne sais pas ce qu'elle a rapporté de fait, mais sa situation était très propice à l'élevage.
Il y eut un jour un petit incident : mon frère ayant travaillé dur toute une matinée à la ferme, voulut faire sa sieste normalement ; mais un père fraîchement venu de l'Est Africain, bavardait sur la barza non loin de la fenêtre de mon frère avec un enfant. Plusieurs fois il demanda au père de cesser le bruit mais le potin continuait de plus belle : d'où l'enfant reçut une rossée et il s'en suivit une palabre avec le Père qui voulut de suite se rendre à Kongolo. Il partit à Kabongo en vélo pour y prendre le train. Mon frère alla le repêcher en cours de route avec le véhicule et le conduisit à Kabongo. Le Père fit son rapport à Mgr Bouve à Kongolo et cette histoire valut
à mon frère les foudres de l'évêque qui le menaçait même de l'enfer... !

Et mon frère fut déplacé à Kabongo à la grande tristesse du Père Gaston Crauwels. Là il fut chargé de la brousse et des écoles de l'intérieur. Cette brousse était divisée en régions. Le Père A. Hermans, supérieur et mon frère avaient chacun une région.
Mon frère n'était ni mécanicien ni mathématicien, mais il savait employer ses mains et ne manquait pas de sens pratique. En plusieurs occasions il aida à des réparations, même compliquées comme à la boîte de vitesse d'une camionnette.
II apprit par télégramme qu'il était rappelé à Kongolo au début de 1959. Il ignorait la raison de ce rappel, les télégrammes ne lui ayant pas laissé un bon souvenir. Il s'attendait au pire : le retour en Europe, probablement sans raison précise, car il n'avait connu aucune difficulté à Ngoy-a-Mputu.

En réalité il était nommé pour la nouvelle Ecole Agricole de Kaseya, à une bonne trentaine de km de Kongolo. Il devait y enseigner le français et le dessin. L'enseignement ne l'enchanta jamais, mais en bon spiritain "paratus ad omnia" il se soumit. L'Ecole Agricole de Kaseya formait des assistants agricoles, des élèves d'un certain âge. Il n'écrivit jamais sur les élèves ni s'ils étaient dociles. Les professeurs qu'il rencontra à Kaseya furent les Pères Bodard, autrefois supérieur à Budi, Pierre Gilles et Albert Forgeur, et aussi le Père André Remy.
Après les cours et les préparations de classes, il circulait dans les villages environnants. Il y prenait des photos et des croquis. Il aimait la chasse et se perdit même en brousse dans les collines boisées où il dut passer une nuit à la belle étoile ; ce qui ne le découragea nullement pour des parties de chasse ultérieures. Kaseya fut abandonné en juillet 1960, à peine un mois après les Fêtes d'Indépendance. Abandon provoqué par un professeur européen qui vivait avec une congolaise ; il tira un coup de feu contre des gens qui passaient. Les Pères habitaient encore dans leur maison. On vint les prévenir que la population organisait une attaque de l'école et tous fuirent en brousse. Ce furent les paracommandos belges qui se trouvaient à Kongolo qui vinrent les prendre et les amener à Kongolo. Il y eut par la suite quelques tentatives de reprise de l'école par les Pères, mais l'insécurité augmentant, tout fut abandonné.

A Kongolo Jan enseigna au Petit Séminaire et reçut la charge d'une petite communauté chrétienne au-delà du fleuve Lualaba du nom de Keba, à deux ou trois kilomètres du Séminaire.
Il partit en septembre 1961 à E/ville pour des soins médicaux et le retour à Kongolo s'effectua avec le dernier avion de liaison normale. Et tous les Pères et membres de la Mission et du Petit Séminaire demeurèrent enfermés dans le Nord-Katanga qui deviendra leur tombeau.

Je reçus encore quelques lettres de mon frère que malheureusement je n'ai pas gardées, à part quelques unes. De son séjour à E/ville il dit son peu d'optimisme quant à sa santé. Il recevait des injections et d'autres médicaments, mais sans grande conviction. Il avait le foie détraqué. Il continua à être traité à Kongolo, sans résultat. Il se plaignait de son ventre gonflé, conséquence sans doute de son foie malade. La maladie de maman et sa mort l'ont beaucoup tracassé, et il se plaignait d'être sans nouvelles à son sujet. Le jour de la mort de maman il lui écrivait encore. Ironie du sort, cette lettre arriva bien à destination, mais après l'enterrement.

Pour compléter mes souvenirs, je voudrais ajouter quelques notes qui aideront à tracer un portrait plus complet de Jan.

Pendant ses humanités il lui fallu beaucoup de courage pour continuer ses études. On lui proposa même d'abandonner la prêtrise, mais il n'accepta pas de devenir frère comme on le lui proposait. Malgré les rebuffades qu'il dut essuyer de ses professeurs, il tint bon. Il devint renfrogné et abattu pour ces raisons. Nous nous promenions souvent à deux le long de l'étang à Gentinnes après les scènes subies en classe. Il avait fort heureusement les nerfs solides: cela lui épargna la dépression.


Uit "Het drama van Kongolo" (p.54)
Pater Jan Lenselaer uit Nossegem was tegelijk met zijn tweelingbroer in het kollege van Gentinnes. Beiden zijn ze priester geworden; beiden hebben ze gewerkt in het missiebisdom Kongolo. Alfons verbleef op het ogenblik van het drama in een Parijse kliniek, waar hij verzorgd werd wegens de gevolgen van een auto-ongeval in Kongo.
Jan was 38 jaar oud en werkte sedert 10 jaar in de missie. De zwijgzame jongen had vroeger heel wat moeite gehad om zijn priesterstudies te kunnen beëindigen. Maar de jarenlange inspanning die hij zich gedurende zijn opleiding had moeten getroosten om zijn ideaal te bereiken waren voor hem een levensgewoonte geworden. Zo kwam het dat deze stille, onopvallende man een harde werker en een uitstekend missionaris geworden was; eerst in de moeilijke missie van Ankoro, later in Budi-Petshi, in Kabongo en in Ngoy a Mputu.
De troebelen van 1960 verrasten hem in Kaseya; in juli van dat jaar werd de middelbare landbouwschool, een prachtige maar pas op staatskosten gebouwde en ultramodern ingerichte instelling, totaal leeggeplunderd. Toen kwam Jan Lenselaer naar Kongolo, om de laatste maanden van zijn priesterleven te besteden aan het schoonste missiewerk bij uitstek: de vorming van de toekomstige inlandse priesters. Zij zullen zijn lessen nooit vergeten.

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