Le Père Amet LIMBOUR,
1841-1915


Amet Limbour, naquit à Pont-Aven le 10 janvier 1841, l'année même, dira-t-il souvent, où le Vénérable Libermann fondait la Société des Missionnaires du Saint-Cœur de Marie, à la Neuville-lez-Amiens. Son grand-père, originaire de Lorraine, s'était établi en pays breton et faisait commerce des grains. Il mourut, ainsi que sa femme, en 1814, laissant six enfants, dont l'aîné, Guillaume, avait 12 ans.

Guillaume Limbour épousa Catherine Le Forestier de Lesmadec en 1828. Ils eurent 9 enfants, Amet était le septième. (Notons aussi que leur fille aînée fut la mère du Père Ernest Benoît-Limbour d'Allex). Amet était un garçon robuste, plein de vie et de santé, et très gai. Le premier au travail comme au jeu, il rachetait l'espièglerie de son âge par son bon cœur et sa piété. Il savait très bien son catéchisme et, de bonne heure, le recteur Migout l'admit à la première communion et à l'honneur de servir la messe ; il lui donna également les premières leçons de latin avant sa rentrée au collège de Pont-Croix. Il eut pu affronter la classe de cinquième, mais le père de l'enfant voulut qu'il entre en sixième pour lui donner les meilleures chances de succès. La suite montra que M. Limbour avait vu juste.

Intellectuellement, Amet Limbour était très doué : à une naturelle facilité, il alliait une volonté rare, et une grande puissance d'application. Sa mémoire était étonnante ; son esprit vif et délié ; son imagination habile à mettre en œuvre. En français, latin et grec, il acquit une maîtrise et une originalité rares, même à cette époque. Mais plus tard, toute sa vie, il sera homme d'action, homme de parole, ou de plume par occasion seulement, et sous la pression des circonstances, quand le service de Dieu et du prochain le demandera.

Sa vocation spiritaine fut éveillée en cinquième, par une conférence sur le Sénégal du Père Barbier, originaire de Quimperlé. Pour mûrir sa vocation, il accepta d'entrer au grand séminaire de Quimper, sans accepter de rester prêtre dans le diocèse.

Durant sa philosophie, il eut la tentation de s'engager dans les zouaves pontificaux pour défendre le domaine de l'église. Il n'en obtint pas l'autorisation, mais il garda une vive dévotion au Pape et à Pie IX en particulier. Il se donna ensuite à l'étude de la théologie et reçut les ordres mineurs. Il demanda son exeat à l'évêque avant le sous-diaconat, mais ne l'obtint pas. Il fallut plus d'une année de visites, de lettres, de prières et d'instances incessamment renouvelées, de négociations en règle, conduites par lui et ses directeurs, pour obtenir enfin l'Exeat tant désiré ! Toutes ces démarches furent exécutées avec ardeur et calme, confiant dans la volonté de Dieu.

Admis dans la congrégation, étant déjà diacre, on lui demanda de suivre encore une année de théologie avant l'ordination sacerdotale en 1864, et sa profession religieuse le 27 août 1865.

Le jeune P. Limbour, heureux d'avoir reçu son obédience pour les îles de l'Océan Indien, alla faire ses adieux à sa famille en célébrant une messe dominicale à Pont-Aven en septembre 1865. Le 26 octobre suivant il s'embarquait à Marseille. Accueilli avec joie à St-Denis de la Réunion, il fut placé tout d'abord dans une œuvre déjà ancienne, la Providence, qui englobait un hôpital de vieillards, un pénitencier et une école professionnelle. Un peu désappointé, il se mit cependant au travail de tout cœur. Dès la première année, il pouvait se réjouir des résultats obtenus : plus de cinquante baptêmes et premières communions, et une quinzaine de confirmations. Il n'avait été que prêté à l'œuvre de la Providence ; en février 1867, il reçut avec bonheur une fonction personnelle : curé de St-Bernard et aumônier de la léproserie.

Il y avait là une population mêlée, en partie païenne ( Noirs affranchis depuis 1848, lépreux de la ravine à Jacques, Malgaches des forêts, Africains des savanes, Indiens des rivages de la mer, épars sur de vastes ondulations montagneuses) qui attendait et désirait le pain de la parole évangélique. Une de ses premières préoccupations fut de doter sa paroisse d'un cimetière devenu nécessaire. Des volontaires se réunirent et travaillèrent en commun, réalisant sur ce plan l'unité de la paroisse. Les jeunes gens surtout montraient de l'entrain ; chaque dimanche ils se réunissaient à la cure pour' des répétitions de chant et pour la partie de boules ; le nombre des enfants du catéchisme doubla et l'église devint trop étroite pour contenir la foule qui se pressait aux offices, Les difficultés, les obstacles ne manquèrent pas et l'on comprend que l'ardent missionnaire dut parfois trépigner d'impatience.

Pour l'école des filles il obtint la venue de deux nouvelles Sœurs. Pour l'école des garçons deux Frères spiritains lui furent accordés. Baptêmes, communions, mariages, confessions gonflèrent les statistiques. Le R Duboin, supérieur des spiritains pouvait dire : "Le Père Limbour fait des merveilles de zèle et de dévouement. Il a appris la langue de Madagascar, et est en train de convertir les 200 Malgaches infidèles qui sont sur son territoire de Saint-Bernard."

Malgré ce surcroît de travail, les lépreux restent pour lui la portion privilégiée du troupeau confié à ses soins. Ce sont ses enfants de prédilection, pour eux il a des tendresses et des gâteries maternelles. Non content de les instruire, de les consoler, de leur assurer les secours religieux, il leur organisait des fêtes et des réjouissances.

Le P. Duboin avait beau lui dire : " Ménagez-vous, vous en faites trop. Vous voyez bien que vous ruinez votre santé. " Lui, ne l'entendait pas de cette oreille : " Il y a ici du travail pour deux ou trois et je suis seul. Mes paroissiens sont éparpillés dans la montagne à deux ou trois lieues alentour, on ne peut pas les abandonner. Au surplus, on tombe également malade à ne rien faire, et à faire des riens on se fatigue aussi..."

Une circonstance providentielle dénoua la situation qui pouvait devenir inquiétante pour le P. Limbour. L'île Maurice réclamant d'urgence un confrère pour un intérim, le P. Limbour y fut envoyé provisoirement ; mais souvent dans les communautés le provisoire dure longtemps. C'est ce qui arriva, et plus jamais le P. Limbour ne devait revoir la Réunion, la paroisse St-Bernard et ses lépreux. Après 5 ans de séjour à la Réunion, il passera plus de 3 ans à Maurice.

On sait que l'île Maurice, ancienne Ile de France, fut remise aux Anglais par les traités de 1815. Mais c'est un spiritain français qui a mérité le titre d'apôtre de l'île Maurice, le Père Laval, béatifié par Jean-Paul Il en 1979. En plus de certaines paroisses, les spiritains avaient alors la direction du collège Saint-Louis (French Collège) pour les enfants des familles françaises. C'est sur ce nouveau terrain que le P. Limbour va déployer son activité débordante. Il ne borna pas son activité au labeur souvent ingrat de l'enseignement : chargé à la fois de la discipline, de la classe de rhétorique, voire d'un cours de chimie agricole qu'il fit avec grand succès ; il s'adonne de plus aux fonctions du saint ministère, surtout pendant le temps des vacances scolaires, prêtant toujours un concours cordial et empressé aux confrères qui desservaient églises, chapelles ou annexes. De préférence il se dévouait à ses chers Malgaches, dont il parlait bien la langue. A Port-Louis, chef-lieu de l'île, il devint l'orateur préféré de la population française, les autres prêtres prêchant en anglais. Pour le bâtiment du collège, pauvre bicoque en planches, il fit approuver en haut-lieu le plan d'une construction en pierres de taille, avec façade de style et belvédère pouvant servir d'observatoire astronomique et météorologique, avec deux ailes et des galeries intérieures.

On le vit, muni d'un registre à tranche dorée, aller de porte en porte, mendier et recueillir les dons et les souscriptions. M. le Gouverneur, Mgr l'évêque, les familles catholiques, l'évêque protestant lui-même, et beaucoup de Musulmans rivalisèrent de générosité. Les travaux commencèrent sans retard et en moins de deux ans le bâtiment, établi sur de solides fondations en béton, capables de résister aux terribles cyclones qui ravagent si souvent les îles de l'Océan Indien, était achevé, faisant la joie et l'admiration des habitants de Port-Louis et de tous les Mauriciens.

C'est terrassé par la fièvre bilieuse que le P. Limbour dut brusquement être rapatrié en France. Mais sa réputation était telle en ces îles que tous ses confrères l'élurent comme leur représentant au chapitre général des Spiritains en 1875. Il lui restait encore quarante années de vie active à accomplir. Nous ne ferons que les résumer rapidement.

Durant 14 ans, de 1874 à 1888, il sera à Beauvais l'aumônier du Pensionnat des Frères des écoles Chrétiennes, et le Fondateur de l'œuvre des Clercs de Saint-Joseph, bâtiments, église, et Archiconfrérie de Saint-Joseph. Ce fut le sommet de ses réalisations.

La congrégation l'utilisa ensuite avec succès dans des missions diverses. En Irlande de 1888 à 1894 pour le collège de Rockwell. En Haïti de 1894 à 1898 pour les Ateliers de Saint-Joseph à Port-auPrince. Au Sénégal de 1901 à 1903, comme prédicateur dans les missions de la région. En 1904 et 1905, une visite aux communautés des Etats-Unis et la fondation de l'œuvre de St-Alexandre de la Gâtineau au Canada.

Durant ses séjours à Paris, il fut fort occupé à la maison mère par le professorat au séminaire colonial, des travaux historiques sur l'histoire de la congrégation, le ministère de la prédication et l'aumônerie de communautés de religieuses.

En 1912, au lieu de prendre sa retraite à Langonnet ou sur la Côte d'Azur, il demanda de consacrer ses dernières années à l'Afrique. Il repartit au Sénégal, où Mgr Jalabert l'affecta à la communauté de Saint-Louis, tout en lui demandant d'assurer prédication et retraites à Dakar et autres missions.

La guerre déclarée en 1914 ne lui permit pas de revenir en France. C'est dans la communauté de Saint-Louis qu'il se prépara à la mort. Il aimait exprimer sa prière en versification latine :

Quoque die morior, sed adhuc mors ultima tardat.
Christe veni salvans, amplius ablue me,
Et miserere, Deus, miseri, miserere precantis.
Et spero quoniam corde benignus eris
0 Deus, in te speravi ; Deus optime Christe
Nunquam confundar, optime Christe Deus.

"Chaque jour je meurs, mais ma dernière heure tarde encore, Christ Sauveur, viens et purifie-moi. Aie pitié, Dieu, de ma misère; aie pitié de moi qui te prie. J'espère parce que ton cœur est plein de miséricorde. 0 Dieu, en toi j'ai mis mon espoir; Dieu Christ très bon Je ne serai pas confondu, Christ très bon qui es Dieu."

Le P. Limbour est décédé le 12 août 1915. Il était dans sa 75ème année et comptait 50 ans de sacerdoce et de vie religieuse.

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