Le Père Jean-Louis Marion,
décédé à Chevilly, le 5 juillet 1926,
à l’âge de 26 ans.


En septembre 1915, arrivait à Cellule un jeune homme recruté quelques années auparavant par le P. Pédron. Il s’appelait Jean-Louis Marion. Né à Saint-Nicolas-du-Pélem Côtes-du-Nord), le 10 janvier 1900, il s’était vu de bonne heure orphelin de père et de mère et l’aîné de quatre enfants. De ces souffrances et de ces soucis précoces, son caractère devait garder toute sa vie une certaine mélancolie qu’il s’efforça toujours de cacher sous un air indifférent ou gouailleur.

Il était heureux, il aimait ses études, il s’efforçait d’améliorer ses notes de discipline quand, dans les premiers mois de sa rhétorique, il se mit à cracher le sang. Il lui fallut huit mois de repos complet pour se remettre. Mais l’épreuve fut prise avec gaieté, et jamais une parole ou un air morose ne laissa deviner la peine que le jeune malade ressentait, en voyant sa formation littéraire diminuée et son avenir compromis.

Après une année de scolaticat (1917-1918), Jean-Louis Marion entrait au noviciat, alors à Langonnet.

Supérieurement doué pour sentir et juger tout ce qui est art et poésie, il étonnait en littérature surtout par la finesse de son goût et la justesse de ses appréciations. De bonne heure, des lectures presque trop nombreuses étaient venues enrichir ce fond naturel. Dans notre histoire littéraire, avant de fixer ses préférences, il était arrivé jusqu’à l’époque contemporaine, car c’est dans le Naturalisme et le Symbolismes qu’il retrouvait son esprit d’indépendance et rêvant d’exotisme. Moréas, Huysmans, Claudel furent donc ses auteurs de prédilection. Verlaine surtout l’enthousiasma ; ce fut lui dont il lisait et relisait les œuvres et, souvent, dans ses conversations, sa correspondance, on retrouvait des images, des expressions, qui étaient des réminiscences involontaires du grand poète symboliste. Au contact de ces maîtres, il s’était formé un style qui ne laissait pas d’être intéressant et personnel. Ses amis savent quel régal il y avait, malgré une écriture impossible, à lire ses lettres de scolastique et de jeune missionnaire.

Le 13 juillet 1924, à la consécration à l’apostolat, il reçut son obédience pour le vicariat apostolique de Brazzaville. Après un séjour assez court à Mbamou et à Liranga, son grand désir fut exaucé : il partit rejoindre le P. Pédron à Berbérati. Ce ne devait être que pour quelques mois, mais qui furent les plus heureux de sa vie. Chargé de cent cinquante enfants, il lui fallait aussi parcourir les grands espaces à peu près inconnus de la Haute-Sangha.

Il raconte son passage dans un village « Le bruit de mes pas a réveillé le village, et tous regardent, muets ; ils n’ont jamais vu le père et tout à coup, un cri : “Boui, mon père”, et c’est la course. Je suis connu ; on sait que je suis dans la région. En un instant on m’entoure. Le chef me salue et bondit au tam-tam : c’est l’appel : “Vous tous des plantations et de la forêt, venez voir le Blanc, le Blanc qui est bon. Il ne crie pas, il cause à tout le monde, il dit bonjour aux vieux. Vite, les femmes, de l’eau, du feu, pour faire bouillir la poule et les œufs, et que la case soit propre.” et les femmes partent, une marmite sur la tête, droite comme les grecques d’Homère. Puis, arrivent clopin-clopant, vieux et vieilles, poils blancs et peau ridée, qui serrent entre leurs pauvres doigts secs ma main droite. Vers quatre heures, quand la chaleur est tombée, je visite toutes les cases, et l’on revient quand la lune monte. C’est le moment où, près du feu, fumant la pipe, ils écoutent parler de Dieu qui a tout fait et qui est mort pour nous. Je sème et il leur reste le désir d’en savoir plus long. “Père, reste ici, on va te faire une case et on te donnera à manger.” N’est-ce pas le Mane nobiscum des disciples ? Mais ici, ce n’est pas quoniam advesperascit, mais quoniam lucescit. »

Après quelques mois de cet heureux labeur, le P. Marion se sentit fiévreux, et d’une fièvre qui n’était pas celle du Congo, car elle ne cédait pas à la quinine. Le supérieur de la mission crut à la maladie du sommeil et décida le retour à Brazzaville. Le P. Marion, lui, ne s’y trompa point. Au souvenir de ses crachements d’autrefois, il comprit qu’il était pris de la poitrine. La descente à Brazzaville fut très pénible ; vingt-six jours, il fut ballotté à cheval et en pirogue, avec des 40° de fièvre.

Après quelques semaines de repos, ce fut le retour en Europe. Le dimanche de Pâques, il arrive à Bordeaux, non sans avoir fait, à bord, l’étonnement du docteur par son courage et sa gaieté. Un de ses frères, scolastique à Chevilly, vient le chercher et le conduit à Paris. Mais là, on voit qu’il est impossible de continuer le voyage et on le dirige sur Chevilly. Pendant trois mois, il va s’y éteindre tout doucement, calme et résigné.

Le dimanche 4 juillet, le cher malade fut plus mal. Il respirait difficilement et ne pouvait plus expectorer. La nuit fut encore plus mauvaise, si bien qu’au matin du lundi, le P. Joly, directeur du scolasticat, lui donna les derniers sacrements en présence des pères et de quelques scolastiques ; le moribond les reçut en pleine connaissance, et en suivit toutes les prières. « À midi, écrit son frère scolastique, il était bien bas. De temps en temps, il ouvrait, tout grands, ses yeux, et nous disait de lui tenir les mains. » Vers une heure dix, le P. Joly récita les prières des agonisants. À une heure trente cinq, un soupir imperceptible et, une dernière fois purifié par l’absolution d’un ami, le P. Marion s’endormit. -
Henri Cournol - BG, t. 32, p. 826 ss.

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