Confrères Spiritains morts de mort violente (en mission)
au courant du 20° siècle

par Willy Vervoort cssp


Le Massacre de Kongolo le 01/01/1962
Jules Darmont c.s.sp._Kongolo, lundi 1° janvier 1962
(récit du P. Jules Darmont,
CD Massacre ( de 20 Spiritains) à Kongolo, P. Willy Vervoort).

Au lever du jour, j'ignore l'heure exacte car la veille au soir nous avions été démunis de nos montres en même temps que de nos lunettes. On nous sort des cellules pour l'interrogatoire qui doit avoir lieu dans la salle de garde, attenant au corridor d'accès aux cachots. Comme j'étais enfermé dans le premier cachot, je fus aussi le premier à être interrogé, tandis que les autres attendaient alignés et debout dans le corridor, chacun devant sa porte. Un adjudant-secrétaire était assis à la table. Non loin de lui Mgr Kabwe et l'Abbé Banza avaient dû prendre place. Dans le fond de la salle, des petits séminaristes se tenaient assis, gardés par des soldats qui les frappaient dès qu'ils détournaient la tête.
Devant l'adjudant je dois décliner mon identité, et dire ce que je faisais à Kongolo. J'ai dit que je fus directeur de l'Ecole Artisanale de la mission, puis aumônier militaire katangais depuis juillet 1961, charge que j'ai exercée jusqu'au samedi 30 décembre 1961. Il n'y eut pas de cri chez les soldats alors que je m'attendais au pire. Mon nom fut aussitôt encerclé de rouge, car la charge d'aumônier était jugée comme une collaboration politique. Je devais donc être le premier à mourir. Et je rentrai ensuite dans mon cachot dont on referma la porte. Mes confrères tout comme le docteur et M. Melckebeek subirent le même interrogatoire sommaire. Les 5 ou 6 soldats qui entouraient la table n'écoutaient pas nos réponses, mais nous injuriaient copieusement en nous menaçant de mort. Les Sœurs étaient absentes. Au cours de l'interrogatoire, selon Mgr Kabwe, plusieurs noms furent aussi cerclés de rouge et Mgr Kabwe tentait d'intervenir en implorant la clémence de l'adjudant ; mais celui-ci craignait les soldats ivres qui l'entouraient : ceux-ci se mettaient en colère chaque fois que Mgr prenait la parole.
Quand l'interrogatoire fut terminé et que nous étions tous de nouveau dans nos cachots, trois soldats sont entrés dans le corps de garde et nous ont serré la main en disant : ‘restez calmes, il ne vous sera fait aucun mal’. Cela nous a un peu réconfortés. Nous avons compris que tous les soldats n'étaient pas contre nous, mais seulement 5 ou 6 hommes ivres dans la salle. Nous dûmes de nouveau ressortir de nos cachots, et dans la salle de garde on nous força à nous déchausser : le ton monte, et nos gardiens ivres s'emparent de chicotes (lanières de cuir d'hippopotame macérées dans l'alcool et servant au châtiment des coupables dans les tribunaux indigènes) Etant le premier du groupe, on me dit de me déshabiller de descendre mon pantalon et de me coucher par terre. Profitant de l'excitation de nos bourreaux, je relève simplement ma soutane, fais descendre mon pantalon et m'allonge par terre pour recevoir les 12 coups sur les fesses. Je me relève ensuite et les autres ont fait comme moi, mais nous ne nous sommes pas dévêtus. Si j'avais ôté ma soutane, les autres auraient dû faire comme moi, et nous serions restés à moitié nus, et la torture morale aurait été pire. Les séminaristes ont été forcés de nous regarder dans notre nudité, et cela nous a fait beaucoup de mal.
Certains, en rentrant dans les cachots furent matraqués au visage et sur la tête. Je suis rentré dans mon cachot numéro 1 et m’assois près de la porte restée ouverte. Je fus bientôt suivi des Pères Jean-Marie et Joseph Postelmans qui entrèrent chez moi et s'assirent dans le fond de la cellule. Il était défendu de se mettre ensemble dans une cellule, mais nous cherchions à nous retrouver un moment pour nous consoler mutuellement et nous réconforter. C'est à ce moment que le Père Postelmans nous rappela le jour de l'An et nous a présenté ses souhaits en riant. On s'est serré la main. Le Père Godefroid nous dit : "En Chine les communistes ont emprisonné les missionnaires, les ont frappés puis les ont expulsés : les Congolais seraient-ils plus méchants ?" Ces mots nous rendirent courage. Puis un soldat vint à passer, et nous voyant à trois, il prit celui qui était le plus près de la porte, c'est à dire moi, et le plaça tout à la fin du couloir dans le dernier cachot, et ferma la porte. Je me trouvais à côté de Pierre Francis qui souffrait beaucoup des coups de matraques reçus au visage. Et quand tous nos compagnons d'infortune furent passés à la chicote, on nous fit sortir des cellules en rang. Ils se moquaient de nous en disant : ‘nous allons à la mission’, et aussi : ‘nous allons chez Tshombe’. En file indienne nous sortons du corps de garde, mais à la porte, il nous faut vider nos poches ; nous avons le droit de garder notre chapelet seulement. Certains Pères durent enlever leur cordon, mais pas tous. Au moment où j'arrivais à la porte, je vis les soldats ivres frapper les prisonniers à coups de crosses pour les faire marcher plus rapidement. Nous marchions tous à pieds nus. Nous comprîmes que nous n'allions pas à la mission, mais dans un sens différent. Je fis en leur compagnie une trentaine de mètres sous les coups. Mgr Kabwe nous bénissait tous quand nous passions devant lui. Il voulut se joindre à nous, mais il en fut empêché par les soldats, lui disant que son tour viendrait l'après-midi, ainsi que tous les autres membres de la mission.
Comme je suivais la file, un soldat me tire brutalement par le bras en criant : "toi tu connais l'endroit où se cachent les soldats de Tshombe à la Mission. Viens avec moi tu me montreras la cave de la Mission". Je lui répondis sur le même ton : "Tu sais parfaitement qu'il n'y a aucun soldat katangais à la Mission, car tes frères ont fouillé les bâtiments à fond depuis hier soir". Il me renferma dans le cachot numéro 1 et ferma la porte. Il me dit : "Je veux te sauver, tais-toi". J'entendis les tirs de deux fusils "fall" (F.N. d’Herstal). Les bourreaux ont vidé chacun deux ou trois chargeurs sur le groupe des malheureux qui marchaient encore. Certains séminaristes ont dû sortir pour assister au massacre. On leur disait : "Nous allons tuer vos Pères et puis, vous ensuite". Les enfants m'ont rapporté par la suite que les victimes sont tombées à genoux en bénissant leurs bourreaux. Il n'y eut pas un cri de révolte de leur part, seulement des gémissements provoqués par la douleur. Ils ont accepté sans un murmure le sacrifice de leur vie pour le salut du peuple noir qu'ils aimaient tant.
A moitié fou d'horreur, je frappe des deux poings sur la porte suppliant les soldats restés aux alentours de me tuer moi aussi. Et c'est alors que le soldat qui m'avait fait rentrer en cellule me dit et me confirme que je serai sauvé. Ne le croyant pas je persistais à demander à mourir. Il alla en parler à Mgr Kabwe qui le supplia de me sauver la vie. Dehors sur les lieux de la tragédie, les bandes de jeunesses Balubakat étaient groupées autour des victimes, et quand les fusils se sont tus, ces jeunes dévoyés se sont rués sur les Pères et se mirent à mutiler les dépouilles. Il faut savoir que ces jeunes dévoyés sont étrangers à Kongolo: ils suivaient les troupes dans leur déplacement pour servir les soldats et profiter des pillages à la chute des villages investis. Ils tirèrent des flèches, lancèrent lances et couteaux sur les victimes.
Les séminaristes, (certains du moins), furent forcés de les dévêtir et de jeter les corps dans le fleuve Lualaba qui coule non loin du lieu du massacre. J'ai reçu des descriptions de l'horreur du massacre par des séminaristes, notamment au sujet des mutilations que je ne qualifierai pas de bestiales, car les animaux sont moins pervers que l'homme qui a perdu tout sens moral. Après leur mort, j'entendis des soldats dire : ‘nous avons tué les Pères et le docteur, et nous avons parmi nous des blessés et des malades ; nous sommes des imbéciles (wapumbafu), nous avons tué nos techniciens.’ Mais d'autres chantaient et riaient : ‘Vive Lumumba!’ Et aussi : " Nous ne voulons plus de missionnaires."
Il est certain, d'après moi au moins, que la haine de l'Eglise est à la base de ce crime affreux. Les soldats responsables du meurtre sont peu nombreux, mais sont un noyau d'hommes politisés. Mais je suis convaincu que Guizenga, devenu responsable du parti MNC-Lumumba, avait programmé le massacre, en bon communiste qu'il était. Je n'ai jamais vu autant de haine accumulée contre nous avant ce jour fatidique. La raison invoquée des soldats katangais cachés par les Pères ou des armes que nous aurions gardées est pure affabulation, et servait à dissimuler les vrais motifs du crime.

01/01/1962 Mgr Kabwe Témoignage de Mgr Kabwe, vicaire général Lundi,
1er janvier 1962
Dès le matin, on se rend compte que les soldats et surtout les jeunes du cartel sont encore plus excités que la veille. Chacun entre dans la salle et lance à notre adresse tout ce qui lui passe par la tête. L'un ou l'autre disait : "Il n'y aura rien. Vous allez retourner chez vous." D'autres au contraire : " On va vous tuer tous !" Ou encore : " On en tuera quelques uns parmi vous vers 14 h ." Impossible de conjecturer ce qui allait arriver. Jusque là, j'avais gardé ma montre plus ou moins cachée sous ma manche. Un tout jeune soldat s'approche de moi, arrogant, proférant des injures. Par hasard, il aperçoit ma montre et me l'arrache aussitôt. Vers 8 heures, un soldat vient dire que deux Pères, quatre Sœurs et quelques Séminaristes devaient aller à la Mission et en rapporter de la nourriture pour le groupe des Pères, Sœurs et Séminaristes. Il se dirige vers les cachots et en revient avec les Pères Gaston et Louis Crauwels. Le Père Gaston demande qu'un soldat les accompagne. " Oui, et un soldat armé," lui répond l'autre, "si non vous serez tous massacrés en route." Puis, le militaire change d'avis: " Un seul Père doit aller à la Mission. " Le Père Louis Crauwels est prêt à partir. Cependant, il me demande si ce n'est pas mieux de donner la clef du magasin à provisions au boy de la Mission qui irait prendre et préparer tout le nécessaire. Le soldat accepte cette proposition et le Père donne la clef au boy Crispin. Toutefois, ce dernier ne pourra pas partir et, seuls, les Sœurs et les Séminaristes se rendent à la Mission.
Entre-temps, un soldat-secrétaire survient, portant un grand registre. Il doit y inscrire les noms de tous les prisonniers. Intérieurement, je me dis que c'est probablement là le dernier acte avant la libération. " Qui doit être inscrit en premier lieu ? " demande-t-il. Je me présente. Il inscrit nom, prénom et fonction.- " Le deuxième ?" Le Père Louis Crauwels, étant là tout près, donne son nom. En entendant le nom "Crauwels", le soldat lui demande : " Vous êtes donc Flamand ?" et répète plusieurs fois ce mot "Flamand". Le troisième inscrit fut le Père Darmont. Après qu'il eut indiqué ses fonctions précédentes, je constate que le militaire souligne son nom en rouge et cela ne laisse pas de m'intriguer. Les inscriptions se poursuivent et chaque fois, le soldat appuie malicieusement sur le mot "flamand". Arrive le tour du Père José Vandamme. Le soldat s'étant momentanément éloigné de la table, le Père saisit l'occasion de me glisser des mots : " Monseigneur, il faut demander un avion tout de suite, si non nous allons tous être massacrés ici !" Je lui fis cette réponse : " Où ? à qui et comment allons-nous le demander ?" Je signale en passant que depuis un mois nous demandions un avion qu'on ne nous a jamais envoyé. D'ailleurs, moins de trente minutes les séparaient encore de leur éternité !
Le militaire revient et achève les inscriptions. Jetant un coup d'œil sur la liste des noms, je remarque que le nom du Père Raphaël Renard est aussi souligné en rouge, ainsi qu'un autre nom encore. Dans ce registre ne figurent que les noms des 23 ecclésiastiques et des deux laïcs Européens. Dans un autre registre à part sont inscrits les Séminaristes et tous les autres laïcs, souvent même rien que le total du groupe. Tout cela m'intrigue étrangement ! Je demande au soldat pourquoi il relève nos noms. " On va en tuer quelques-uns à deux heures de l'après-midi," me dit-il, " parce qu'ils étaient soldats. " - " Où est votre Chef ?" demandais-je encore.- " Le Colonel n'arrivera qu'à 2 heures de l'après-midi et le Major n'est pas ici." J'avais remarqué également que le militaire rendait la carte d'identité, après inscription et contrôle, aux trois ou quatre premiers qui s'étaient présentés mais que pour ceux qui suivirent, il gardait les cartes sur son bureau. A une demande d'explication, il répond simplement : " Il ne faut pas avoir peur, on vous les remettra. "

Flagellation
A peine les inscriptions terminées, un soldat entre dans la salle en criant : " Hier, on n'a pas frappé les prisonniers à la matraque ! Il faut qu'ils y passent maintenant !" Un soldat se tient devant nous avec une grosse chicote à la main. (Une chicote est une espèce de cravache, taillée d'une seule pièce en plein cuir d'hippopotame. Assez large à l'endroit de la poignée, elle va en s'amincissant un peu vers son extrémité. Elle mesure environ 60 cm et a un diamètre de 2 à 3 cm.) L'atmosphère est diabolique : excitation, vociférations, tumulte. Les Pères, ramenés de leurs cachots, rentrent dans la salle. Ordre est donné d'enlever souliers et habits. Le Père Jules Darmont se présente le premier. Il a enlevé les chaussures. Quant aux habits, il a la présence d'esprit d'abaisser les culottes et de remonter la soutane et les suivants imiteront son geste. Mais quelle horreur et quelle humiliation ! Les Pères se voient nus devant les Séminaristes et leurs fidèles ! Chacun à son tour, devra se coucher par terre, à plat ventre, et le militaire frappera sur un corps nu. Le Père Gaston Crauwels gémit un peu et bouge la tête. Alors un soldat, solide gaillard, vient tenir la tête du Père entre ses deux jambes et il répétera ce geste pour tous ceux qui suivront. Comme je me déchaussais pour être flagellé à mon tour, un soldat me dit : " Non, pas toi !" D'autres au contraire crient : " Oui ! Lui aussi !" Et de l'extérieur, les "jeunesses du cartel" crient plus fort : " Oui ! Oui ! Frappez-le aussi !" Finalement, le Chef de Poste, le Sergent Marcel, tranche : " Non, pas lui, parce qu'il est congolais comme nous !"_Pendant qu'on flagellait les Pères, un soldat ricane : " Oui, autrefois c'étaient nous qui étions frappés. Maintenant c'est à votre tour !" Et d'autres mots, comme ceux-ci : "Allez, Flamands !"_En dernier lieu, arrive le tour du Dr Moreau. Le Chef de Poste Marcel dit alors : " Non ! pas frapper le médecin parce qu'il doit travailler pour nous. " Et le médecin est écarté. Parmi les Pères, un seul n'a pas été flagellé : c'est le Père Jean-Marie Godefroid. Quand son tour fut venu, il se coucha par terre comme les autres. Mais, le soldat étant fatigué, passa la chicote à un autre plus costaud que lui et, ensemble, ils échangent quelques propos. Quand le bourreau voulut reprendre sa sinistre besogne, il lança simplement un coup de pied au Père Jean-Marie qui se leva et quitta l'endroit. Un autre Père vint se coucher sur le sol. Après avoir été flagellés, beaucoup de Pères reçurent des coups de crosse de fusil, des coups de pied, des coups de poings ... C'est de cette manière qu'ils furent reconduits dans les cachots.

Succédant aux Pères, quelques civils Katangais soupçonnés d'être des soldats, furent aussi frappés. Le supplice étant terminé, on voit entrer dans la salle un soldat portant sur la manche gauche de sa chemise une grande inscription : " LA MORT ". En ce moment, tous les Pères se trouvaient dans les cachots. Le Grand Sorcier qui accompagnait les soldats de l'A.N.C. (Armée Nationale Congolaise) était entré plusieurs fois déjà dans cette même salle. Il était vraiment affreux à voir ! Il nous dira plus tard que c'est lui qui protège les corps et âmes des soldats. Il loge toujours près du lieutenant. Il a aussi beaucoup à dire dans le jugement militaire et intervient dans les condamnations. Il est originaire de la tribu de Basonge. Pendant la guerre 1914-1918, il était déjà père de famille et travaillait à Matadi et à Leo..

La fusillade.
En ce moment, l'excitation des soldats était telle qu'il n'y avait plus moyen d'adresser un seul mot aux militaires. Personne, parmi eux, ne se présente comme Chef ou Officier quelconque. Aucun n'a des insignes. Pendant les combats, ils n'en portent pas. Un soldat se présente à la porte du Corps de garde et crie : " Il faut faire sortir les prisonniers !" tandis qu'un autre était déjà allé les chercher. Les Pères passent l'un derrière l'autre. La pensée me vient que, leur vengeance étant assouvie, ils les libéraient et qu'on les faisait sortir pour retourner à la Mission. Mais tout-à-coup comme une insulte, un soldat leur lance : " On va vous tuer !" Je me lève aussitôt pour les suivre mais un soldat m'arrête et me donne l'ordre de me rasseoir. Le Père Raphaël Renard venait de passer devant les petits Séminaristes. Arrivé à la porte de la salle, il se retourne vers eux, met ses mains devant les yeux et pleure tout haut en disant : " Mes enfants !!" Le Père Roger t'Jaeckens a les mêmes gestes et les mêmes paroles. C'est un moment très émouvant. Je pense : ces prêtres pleurent non pas parce qu'ils sont condamnés à mort, mais parce qu'ils voient leurs enfants sans pasteur.

Bénédiction.
Comprenant ce qui allait arriver, le Père Gaston passe devant moi .nos regards se rencontrent ... Je lève la main pour le bénir ... et je refais le même geste pour tous ceux qui le suivent. En recevant la bénédiction, le Père Jean Lenselaer me demande : " Va-t-on nous tuer ?" Pour toute réponse, j'incline la tête, et lorsqu'il franchit la porte de la salle, je l'entends gémir. Ma première pensée fut de donner une simple bénédiction et, par après, je la changeais en absolution. On se souvient de ce que j'ai dit au début sur notre dernière messe et notre confession. S'il y a un moment où l'on vit dans un état de charité parfaite, eh bien ! c'est dans un moment comme celui-là. C'est ce que je pensais pour chacun de notre groupe en voyant l'attitude de tous : véritables agneaux devant une bande de loups !_Depuis le début de cette épreuve, je ne pensais qu'au martyre qui nous attendait. J'envisageais cela comme " Martyre du Devoir " ou de la " Fidélité au Devoir ". Et l'ultime bénédiction donnée signifiait aussi " Au revoir !"_Au moment où le Père Jean-Marie Godefroid passe devant les petits Séminaristes qui sont assis, il leur dit : " Priez beaucoup, mes enfants !" Au soldat qui, devant la porte, ne fait qu'insulter et blasphémer, le Père Jean-Marie tend la main et dit : " Au revoir, mon cher ami. " - " Oui, au revoir. " répond l'autre. " Tu vas mourir. Au revoir à Tshombe !" Le Père Jules Darmont vient à passer et fait un geste pour demander ses souliers. Je le regarde simplement, le cœur brisé. C'est alors que le Chef de Poste, le Sergent Marcel, dit : " Il faut qu'un Père aille montrer la cave de la Mission. " Un soldat accourt et se saisit du Père Jules Darmont en le bousculant. Le Père veut résister. " Tais-toi; " dit l'autre. " je veux te sauver. " Ce soldat s'appelait Gérard. Il fait rentrer le Père Jules dans son cachot. Mais un autre soldat arrive et veut l'en faire sortir pour le tuer. Ce même Gérard reprend le Père et l'enferme. En entendant les dernières paroles adressées par les Pères aux Séminaristes et en pensant aux Religieuses enfermées plus loin, je me dis : " Ces soldats ont le présent, il ne faut pas qu'ils aient l'avenir. S'ils me tuent aussi, les hommes vont prendre nos Sœurs pour eux-mêmes et envoyer nos Séminaristes dans leurs écoles communistes, ainsi qu'ils l'ont déjà fait entendre. " C'est en ruminant ces pensées que je reste assis à l'endroit même où le soldat avait arrêté mon élan. Deux ou trois minutes après que le dernier Père a quitté la Salle du Corps de garde, on entend des coups répétés d'armes perfectionnées. Il doit être 9 h 30 du matin. Au milieu même du Camp militaire, en présence d'une foule de soldats et d'une jeunesse politisée et excitée au maximum, en moins de 3 minutes, 22 Européens sont abattus. Parmi ces 22 victimes, il y a: 20 missionnaires du Saint-Esprit ; 2 civils : le Docteur Moreau et Monsieur Melkebeeck. Après avoir entendu la fusillade, étant dans la Salle du Corps de garde, je ne pus voir ce qui se passait. On m'a raconté que les soldats ont ordonné aux membres de la jeunesse politique d'aller jeter les corps dans le fleuve. Quand ceux-ci furent fatigués, les soldats firent appel à quatre Séminaristes qu'ils obligèrent à faire la même lugubre besogne. Mais ce qui fut exigé d'eux se borna uniquement à cela. Ce même jour furent tués également quelques civils Katangais, surtout ceux soupçonnés d'être des soldats Katangais.
(Willy Vervoort, d'après les Bulletins d'Information de la Congrégation)

Yaounde. Le P. Henri de MAUPEOU,
Le P. Henri de MAUPEOU né le 14 février 1902, entre dans la Congrégation en 1924. Son ministère commence au Séminaire de Mvolyé (Yaounde), mais très vite il se consacre à plein temps à la pastorale paroissiale. C'est en voulant défendre une jeune catéchumène contre les exigences d'un chrétien retombé dans la polygamie, qu'il est blessé à mort, transpercé par la lance de son agresseur. Avant de décéder le 21 avril 1932, à l'hôpital de Douala, il trouve la force d'écrire : "Je meurs prêtre catholique. Je pardonne à Gabriel Edaria. Que Dieu, à moi aussi, me pardonne! Je demande prières et messes."_Kongolo_Le P.Albert FORGEUR, Belge, né le 19 février 1917, entré dans la Congrégation en 1938 et ordonné le 11 juillet 1943, aumônier militaire, a été abattu à Kabalo (dans le Katanga) où il est enterré, le 8 avril 1961, alors qu'il s'occupait des victimes de la guerre. Note de la rédaction: il ne fut jamais 'enterré': on n'a pas retrouvé son corps puisqu'il fut jeté dans le fleuve Lualaba qui se trouvait à quelques mètres de là ... (témoignage d'un soldat katangais présent. Voir P.Forgeur)

Cameroun. Le Père Jean COURTECUISSE,

Le Père Jean COURTECUISSE né le 10 octobre 1920, entre dans la Congrégation en 1946. Il débute son apostolat au Cameroun en 1962 dans le Vicariat apostolique de Douala. Les troubles qui précèdent l'indépendance du pays l'obligent à quitter sa mission de Samba pour se replier dans celle de Saint-André. Mais le samedi il remontait au poste de Ngambé pour y célébrer la messe. Le matin du 15 août 1960, au village de Botko, le Père quitte sa case peu avant 6 heures pour aller à la chapelle. Un groupe de maquisards arrive, qui l'entourent et le fusillent, avec le chef de village et un autre habitant. Il était un missionnaire zélé qui tenait à maintenir la présence de l'Eglise dans le pays babimbi. Ses obsèques ont eu lieu à Saint-André, le 16 août.

Nigeria_Le Père Paulinus EZIKE,
Le Père Paulinus EZIKE né le 10 mars 1940 à Ukpor, dans l'Archidiocèse de Onitsha, a fait sa première profession le 11 février 1960 à Awomamma. Il a été ordonné prêtre le 17 avril 1966 à Onitsha et fut affecté à la Paroisse du Sacré Cœur. Lors de la guerre du Biafra en 1967, il devint chapelain militaire. Il mourut le 9 janvier 1968 au cours de son service._

Angola.

Le Père Martinus (Ties) THIJSSEN , Hollandais, et le Frère Alfonso RODRIGUES, Portugais, ont été tués dans la Mission de Caconda, diocèse de Lubango, le 16 mars 1976, par un soldat du Gouvernement dont la brigade militaire avait le contrôle de la ville de Caconda sous les ordres des militaires cubains. Un troisième Père de la Mission a survécu en se cachant sous le lit dans la chambre à coucher.

Angola.

Le Père ADELIO Ribeiro, Portugais, fut enlevé de la Mission de Bela Vista, diocèse de Huambo, par l'armée de l'Unita, en 1976 et assassiné probablement au cours du mois d'août. L'assassinat était lié à des attitudes de rivalité des Protestants contre la Mission catholique de Bela Vista. Après l'assassinat de Adélio, son corps a flotté trois jours sur les eaux du fleuve.

Gabon. Mort par assassinat :

Frère Michel PIERRE.
Dibwangui, petit village du Sud-Gabon, mais importante mission aux nombreux bâtiments et ateliers. La marche de la mission repose en grande partie sur le Fr. Michel Pierre, un Breton de 39 ans, au Gabon depuis 5 ans. Il assure cette responsabilité avec zèle et compétence. Le 2 septembre 1977, on appelle le Frère qui sort de sa chambre et ne se méfie de rien car l'homme est connu. C'est un villageois de 70 ans qui a déjà eu des démêlés avec la mission. Comment soupçonner des intentions criminelles? Pourtant, l'homme se saisit de son fusil et tire sur le Frère à bout portant. Après ce crime, le meurtrier cherchera, sans y parvenir, à tuer deux autres personnes. Dans la nuit il sera arrêté par les gendarmes. Comment expliquer ce crime? Folie? Vengeance? L'homme venait souvent à la mission et avait été, semble-t-il, hébergé dans une des cases où l'on accueillait les pauvres. Mais il avait une idée fixe qu'il ne cessait de répéter. La mission, disait-il, lui devait une pension de retraité. Selon les renseignements obtenus, des démarches avaient été faites près de la Caisse de Sécurité Sociale pour lui faire obtenir une retraite, mais ces démarches n'avaient pas abouti. Est-ce l'explication? Comment en est-il arrivé à commettre ce crime? Il y a sûrement, dans cet acte, une part de folie.

Angola.

Le Père José da SILVA PEREIRA
La nouvelle brutale de l'assassinat à Munhino du Père José da SILVA PEREIRA, un Spiritain portugais de 72 ans, est arrivée à la Maison Généralice le 9 avril 1978. Le Père était dans le Sud-Angola depuis 43 ans (1935). Il avait été appelé par des gens qui disaient : "Il y a un malade ...".Le matin du 6 avril, en sortant de la nouvelle résidence où il logeait, un confrère a trouvé son corps au pied de la cloche. Le Père avait été poignardé et son visage était méconnaissable. La chambre du Père, dans l'ancienne résidence, était en grand désordre, mais sans trace de sang. Les seules traces sont celles de bottes militaires et il semble que les criminels étaient au moins trois. L'autopsie, faite à Lubango, a révélé que le crime aurait eu lieu vers minuit, le 5 avril. Les tueurs ont été relâchés par les autorités sans jugement. Les funérailles ont eu lieu à Huila, le 7 avril.
Angola_


Le Père Jean-Etienne WOZNIAK,
Le Père Jean-Etienne WOZNIAK un jeune Spiritain français, a été tué dans une embuscade de guérilla le matin de la Pentecôte, dimanche 26 mai 1985. Il avait 29 ans et se trouvait en Angola depuis à peine un peu plus d'un an. Lui et un autre confrère, Irlandais, approchaient de la mission de Kiwaba, à 80 km à l'est de Malanje, quand on a tiré sur leur voiture. C'est la cinquième mort, parmi les Spiritains, du fait de la guérilla en Angola. L'autre confrère avait été grièvement blessé.

Afrique Méridionale :

le Père Joseph Zepf,
Le District a subi une perte tragique le 26 août 1985, quand le Père Joseph Zepf, 50 ans, fut trouvé poignardé à mort par des voleurs à la mission de Sheridan. Le Père Zepf était parti comme jeune missionnaire au Diocèse de Bethlehem en 1963 et fut Vicaire Général du Diocèse de 1979 à 1982.

Angola.

Le Père Nicolaas Ligthart
Une autre mort tragique survient le 24 février 1987, sur la route Huambo-Cachiungo, quand le Père Nicolaas Ligthart, âgé de 46 ans, tomba dans une embuscade, avec un jeune prêtre diocésain, ordonné quatre ans auparavant. Le P. Ligthart, de la Province des Pays-Bas, était en Angola depuis 1966. Il travailla dans la mission de Quipeio, au nord-ouest de Huambo, qu'il fut contraint de quitter en octobre 1976, par suite de la guerre. Depuis lors, il était à Huambo, d'où il rayonnait avec beaucoup de zèle pour faire du ministère dans les missions des alentours. Depuis deux ans, il séjournait une semaine par mois dans la mission de Chinguar (à 80 km à l'est de Huambo), où se trouvent des milliers de réfugiés, assistés par des Sœurs angolaises de Saint-Joseph-de-Cluny. Le 24 février, les voitures des Pères, suivies par une autre de la Croix Rouge avec du ravitaillement pour les réfugiés, tombèrent dans une embuscade à 8 km avant Katchiungo. Les deux prêtres furent tués sur le coup. L'identité des agresseurs n'est pas établie : en tout cas, l'attaque était délibérée, car les voitures étaient bien connues, les Pères portaient des soutanes blanches et ils étaient sortis pour se faire reconnaître. Le Père Ligthart a été touché par plusieurs balles. Il est le sixième Spiritain victime de la guerre civile en Angola.

Angola :

Le Père Abilio GUERRA
Le Père Abilio GUERRA, Spiritain portugais, a été tué le 24 avril 1992 à Luanda dans des conditions mystérieuses : enlevé à l'entrée de la Maison Provinciale, il a été retrouvé mort le lendemain dans une rue de la périphérie, portant des traces évidentes de tortures. Il est le 7ème confrère tué depuis 1976 dans ce pays. Il a passé 47 ans de sa vie missionnaire en Angola, dans le diocèse de Bié, puis comme curé d'une paroisse de Luanda depuis 1980. Il avait échappé à une fusillade quelques jours auparavant, dans l'église dont il était le curé. Les auteurs du crime ont échappé à la justice.

Sierra Leone :

le Père MCALLISTER Felim
Evacuant l'Hôpital de Panguma et quittant la zone d'insécurité le 12 mars 1994, un convoi de trois véhicules dans lequel se trouvait le Père MCALLISTER Felim, a été attaqué par des rebelles revêtus d'uniformes militaires. Le Père McAllister seul dans sa voiture a été tué sur le coup. Notre confrère irlandais, âgés de 53 ans, avait été affecté en Sierra Leone en 1968 et avait travaillé dans différents postes. Il s'était mis au service des populations, avec récemment un programme d'aide aux réfugiés dans cette zone d'insécurité.

Guyane : février 2002 : Le Père Georges BOUVIER assassiné près de sa paroisse à Mirtza à Cayenne.