Le P. Félix de MAUPEOU
décédé au Bois d’Olive (Réunion), le 24 janvier 1951,
à l'age de 72 ans et après 47 années de profession.


Gilles-Marie-Félix de Maupeou d'Ableiges naquit au Havre, le 23 jan­vier 1882. Sa famille étant passée à Lorient, il fut présenté à Mgr Le Roy par l'abbé Duparc, curé de cette ville, et plus tard évêque de Quimper, qui écrivait, le 15 février 1904 : Un jeune lorientais âgé de 21 ans, Félix de Maupeou d'Ableiges, fils du directeur des constructions navales de Lorient, ancien élève de la rue des Postes (Ste-Geneviève), actuellement élève de Droit à Angers, soldat de la classe pour un an à partir du 11 novembre prochain, vou­drait se faire Père du Saint-Esprit.

« Il me semble, depuis huit ans que je le connais, avoir remarqué en lui tous les signes de la vocation apostolique. Il est pieux. Je n'ai pas trouvé de jeune homme plus sérieux et plus convaincu, plus généreux et plus croyant que lui. . . C'est une volonté réfléchie « Sa famille, évidemment chrétienne, va pourtant beaucoup souffrir de ce sacrifice. Elle a déjà un jésuite, un officier de chasseurs et un officier de dragons, mais l'esprit de foi l'emportera sur toutes les consi­dérations humaines... »

Et l'abbé Duparc ajoutait en post-scriptum .- « Félix a échoué à Polytechnique, mais il n'est pas un raté ! »

Quels furent les motifs qui poussèrent le jeune homme à entrer dans la Congrégation ? nous l'ignorons. Tout simplement, il voulait se dé­vouer au service de Dieu et de l'Eglise dans les Missions.

En avril 1904, il vint faire à Chevilly une retraite qui le fixa sur sa vocation. Puis il fit un pèlerinage à Jérusalem, accomplit son année de service militaire à Lorient.

Il entra au noviciat en 1905, sous la direction du P. Genoud, son maître des novices, et le seul parmi tous ses directeurs qui eut à faire quelques réserves sur la valeur de ce candidat. Tous les autres, à Chevilly, à Rome, à Fribourg, sont unanimes à prédire en M. de Maupeou un ex­cellent missionnaire.

Profès à Chevilly, le 11 novembre 1906, il y fait sa philosophie, y commence sa théologie qu'il continuera pour la plus grande partie à Rome et achèvera à Fribourg où il recevra les ordres. Enfin il revient à Chevilly pour la consécration à l'apostolat, en juillet 1912. Il avait 30 ans.

Désigné pour la Mission de Madagascar-Nord, le P. de Maupeou arri­va à Diégo-Suarez en novembre 1913. Son premier poste fut la mission de Marovoay, sur la côte Ouest de Madagascar, à quelque 200 km. à l'est de Majunga. Le Père n'y resta pas longtemps: il parcourut successive­ment presque toutes les missions de ce qu'on appelle actuellement le Vi­cariat de Majunga. De Marovoay, son poste initial, le Père est placé à Analalava, poste à l'extrême nord de Majunga, et bientôt nous le retrou­vons s'occupant de l'église de Mahabibo, quartier indigène de Majunga. Quelque temps plus tard, il est placé à Maévatanana, une des étapes de la route Majunga-Tananarive.

A Maévatanana, le Père tombe malade et on l'envoie se reposer en France. A son retour d'Europe, il est placé à Port-Bergé.

Après quelques autres changements, nous arrivons à 1947. Il y a déjà trente-quatre ans que le P. de Maupeou est à Madagascar. Ter­riblement vieilli, il se rend compte qu'il ne peut plus continuer son épui­sant travail de missionnaire de brousse. Il obtient alors de passer à la Réunion. Mais se sentant dépaysé par le ministère paroissial, qu'il exerce durant quelques mois aux Colimaçons, il se retire à Bras-Canot, et sert d'aumônier aux Filles de Marie qui ont là une petite communauté. Il y passe plus de cinq ans, laps de temps considérable pour un homme ha­bitué à la vie nomade. Le P. de Maupeou fut en effet le « broussard » dans toute l'acception du terme, et cela d'une façon bien personnelle à lui seul, qui fut, certes, fort admirée et admirable, mais pas toujours imitable.

Au début de l'apostolat du Père, les routes n'existaient pas dans ce vaste Vicariat de Madagascar-Nord; à peine y avait-il quelques sentiers reliant entre eux les villages de brousse. C'était plutôt de simples pistes ­tracées par le passage des troupeaux de bœufs. Pour leurs tournées, les missionnaires se servaient, comme moyens de transport, soit des char­rettes à bœufs qui passaient partout en faisant du 3 à 4 km. à l'heure, soit des pirogues en bois, simples troncs d'arbres creusés, pour desservir les villages échelonnés sur le bord des fleuves Betsiboka, Kamory, Ikopa. C'était assez rapide quand on descendait le fleuve, mais très lent et même dangereux quand il fallait remonter le courant. Un autre moyen de transport, c'était le « filanjana », chaise à porteur, mais beaucoup trop onéreux pour la bourse du missionnaire quand il s'agissait de tournée d'une durée de trois mois et plus.

Pour l'intelligence de ce qui va suivre, il faut encore savoir comment sont organisées nos missions de Madagascar, et en particulier celles de Majunga. Le Vicariat est divisé en onze grands districts, chacun d'une étendue plus grande que celle de la Réunion. Chacun de ces districts comprend une station principale, « Renim-piangonana » ou église-mère, et, tout autour d'elle, jusqu'à une centaine de « zana-piangonana » ou éplises-filles qu'il faut visiter régulièrement et qui comprennent une église, confiée à un catéchiste et une école confiée à un moniteur.

Or le P. de Maupeou n'a jamais voulu se servir de ces moyens de locomotion que nous avons cités plus haut. Il avait adopté la bicyclette et se lançait en des randonnées prodigieuses sur cet instrument que les malgaches avaient baptisé « soavaly vy », le cheval en fer. Mais ce que l'on ne doit pas oublier de signaler, c'est que les terrains sablonneux et marécageux où l'on s'enfonce profondément ne sont pas rares en ces ré­gions et, il arrivait souvent que ce n'était plus la bicyclette qui portait le Père, mais le « cheval de fer » qui montait sur les épaules de son pro­priétaire, et cela, sur des vingtaines de kilomètres; car il était même des endroits où il ne pouvait être question de passer la bicyclette à la main. On peut alors se faire une petite idée de l'état d'épuisement dans lequel le pauvre Père arrivait à l'étape. Et qu'avait-il pour se soigner ? Quand on se rend en tournée, en charrette à bœufs on en pirogue, on emporte au moins avec soi le strict nécessaire. Rien de tout cela avec le P. de Maupeou : il emportait, atta­chée à sa bicyclette, une « tanty» ne contenant que tout juste ce qu"il fallait pour dire la messe... Aux heures de repas, il s'accroupissait par terre, sur la natte, en compagnie de la famille malgache qui lui donnait l'hospitalité, et mangeait à même la « cuvette familiale » où tout le monde puisait le riz et le « ro mazava », brèdes ou sorte de plantes her­bacées qu'on mange cuites comme en Europe les épinards. Pas davan­tage de lit « picot » : une natte étendue à même le sol suffisait au Père.

Saint Paul ne reprochera certes pas au P. de Maupeou de n'avoir pas suivi - trop à la lettre peut-être - son conseil de se faire tout à tous : notre confrère s'était fait entièrement aux malgaches, et cela, plus de trente-trois ans durant.

Beaucoup ignorent ce côté héroïque du P. de Maupeou qui fit de lui un missionnaire au zèle ardent, se sacrifiant sans compter aux âmes qu'il voulait conquérir. On ne saura jamais tout ce que cette vie de sacri­fice a dû coûter au cher P. de Maupeou. Si, en effet, il cachait, par vertu, sa distinction native, il ne l'avait certes pas perdue. Une petite anecdote pourrait le démontrer. Le P. de Maupeou se trouvait un jour dans la brousse, non loin de Majunga. Il y.avait là une puissante usine frigori­fique, dirigée par les Anglais. Arrive là, à l'improviste, l'évêque de Diégo - car à cette époque, il n'y avait pas encore d'évêque de Majunga. Ces Messieurs les Anglais s'empressent d'inviter l'évêque à un dîner offi­ciel. Perplexité du prélat qui se demande bien comment va se comporter le pauvre P. de Maupeou au milieu de tous ces « gentlemens » distingués, corrects sujets de Sa Majesté britannique. . . Or il arriva tout simple­ment que le P. de Maupeou fût le plus « gentlemen » de tous. Ce qui prouve que toutes les manières extérieures et souvent fort originales du P. de Maupeou étaient dictées par son immense esprit d'humilité; que tout cela cachait une vie excessivement mortifiée, et que ceux qui l'ont jugé sur des apparences se sont lourdement trompés.

Le P. de Maupeou a fait un bien considérable partout où il est passé; et il a passé dans toutes les stations du Vicariat de Majunga. Que les âmes innombrables que sa mortification et son inlassable dévouement ont conduites au ciel soient sa plus belle couronne dans l'éternité.

Unvieil ami : C. M.

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