Le Père Paul MEISTERMANN
(Not. Biog. III p. 375-381)
décédé à Bathurst, le 6 août 1908


Paul-Edouard Meistermann naquit le 5 novembre 1864, à Eguislleim, Haut-Rhin, d'une famille qui devait donner bien des enfants à l'É­glise. Après l'annexion de l'Alsace à l'Allemagne, quand ses parents passè­rent en Amérique, il fut confié à l'un de ses on­cles et remis par lui entre les mains du curé d'Am­mertzwiller. Peu de temps après, à 9 ans, le jeune Paul faisait son entrée à l'Orphelinat de Chevilly, dirigé par le regretté P. Bertsch. C'est là qu'il fit sa première communion, là qu'il fut confirmé, là enfin qu'il apprit les rudiments des grammaires latine et grecque, avec une facilité de travail qui le classa au premier rang parmi ses jeunes camarades.

En 1879, l'oeuvre fut transférée à Mesnières avec son directeur et devint le noyau d'un futur petit scolasticat annexé au Collège. C'est le lundi de Pâques, 10 avril 1882, que Paul fit avec bonheur sa première offrande de lui-même à la Congrégation et prit pour nom de religion celui de Marie-Joseph, en souvenir sans doute de sa cousine et bienfaitrice, la « petite Mère » de Seyssinet. Cette première prise d'habit qui se faisait à Mesnières consacrait ainsi la fondation du nouveau Petit Scolasticat. Comme par le passé, Paul Meistermann s'appliqua à l'étude avec toutes ses forces et toute son intelligence. La littérature, les langues, les sciences, les arts d'agrément, rien ne fut négligé. Il voulait être à même de se rendre utile plus tard, en toutes circonstances, et le diplôme de bachelier, conquis d'emblée, couronna dignement ses efforts. A partir de ce moment, son dévouement, ses multiples connaissances furent largement utilisés. Avant d'entrer au Grand Scolasticat de Chevilly, il dut, en effet, donner deux de ses premières années au collège de Mesnières en qualité de surveillant et de professeur de quatrième, et ce ne fut qu'en septembre 4887, qu'il revint à Chevilly, pour terminer ses études.

Au Grand Scolasticat, sa franche gaîté, sa promptitude à obliger tout le monde, et sa vive intelligence lui attirèrent aussitôt les sympathies de tous les confrères. Ses directeurs surent aussi l'apprécier dans les fonctions de choix qu'il eut généralement à remplir. L'organisation de la bibliothèque, en 1890, lui échut en partage, et chacun sait avec quel zèle, quelle intelligence et aussi quelle rapidité, il mena ce travail difficile. Récréations et promenades y furent bien des fois sacrifiées. Toutefois, redoutant pour plus tard la cage d'un beau collège et soupirant depuis longtemps après l'Afrique, il prit à tâche, durant les quatre années de son Grand Scolasticat, de demeurer, pour ainsi dire, inaperçu. Au cours, il était rarement interrogé; tout au plus, l'une ou l'autre fois, eut-il à prendre la soutenance d'une thèse. Mais, ce qu'il ne cachait pas, c'était son savoir-faire au travail manuel et son aptitude aux longues marches. Les travaux de la Fête-Dieu, qu'il dirigea bien des fois, témoignèrent de son habileté et aussi de son entreprenante activité. Au temps des vacances, c'était un boute-en-­train, pour organiser les parties de plaisir et les séances comiques qui déridaient tous les fronts. Jamais ses confrères n'oublieront l'étourdissante marche funèbre du roi Makoko 1er , dont il fut l'instigateur, au décès de l'inoubliable Charlotte.

Enfin, les années du Grand Scolasticat s'écoulèrent, et la vendredi 18 septembre 1891, fut le jour d'ouverture du Noviciat à Grignon.

Quand les 35 novices, sous la conduite de M. Meistermann, arrivèrent à la Communauté, ils n'y trouvèrent point les maîtres du logis ; directeur et sous­-directeur étaient alors occupés à donner des retraites ; mais du moins, pour quelques jours qu'ils eurent la bonne fortune de vivre sous le régime démocratique, les nouveaux venus, présumant la ratification de l'autorité compétente, en profitèrent pour se donner un président de leur choix, et par acclamation, nommèrent leur aîné, M. Paul Meistermann. Au retour du Père Maître, l'intérimaire improvisé rendit fidèlement ses comptes et rentra dans le rang.

Ce fut une bien bonne année, que celle du noviciat 1892, pour les novices de ce temps. On était relativement peu nombreux, on s'entendait à merveille. et la joie remplissait les journées. Puis, avec le R. P. Grizard, qui cette année était souvent à Paris pour préparer le Chapitre général, on avait le bon P. Adam, qui s'égayait de l'entrain général tout en prêchant l'ascétisme. Cette année-là aussi; c'était le cinquantenaire du Noviciat, et pour la circonstance, chacun avait de son mieux contribué à la fête. Mais hélas ! M. Meistermann n'était déjà plus là. Le 22 avril 1892, il avait dû gagner Mesnières, et pour trois mois faire le suppléant dans la chaire de philosophie, vacante par la maladie du titulaire. Le 15 août 1892, jour de la Profession, le P. Meistermann, sans trop d'étonnement, mais attristé cependant, recevait son obédience qui le rappelait professeur à Mesnières. Ce placement, qui semblait lui fermer les routes de l'Afrique, ne le déconcerta pas; en face de ses amis, il laissa couler ses larmes en leur disant : « Du moins ce que j'aurai de souffrances, d'épreuves, ce sera pour vous que je l'endurerai, pour les âmes d'Afrique qui vous sont confiées. » Et il partit résigné, ne croyant pas que la partie fût perdue pour toujours.

Mais son séjour à Mesnières fut de courte durée. Les élèves de philosophie n'étant pas arrivés, le P. Meistermann fut en janvier 1893 dirigé sur Cellule. Là, on avait besoin d'un second professeur de quatrième : 54 élèves, c'était trop pour le premier titulaire. La classe fut donc scindée, et sa partie faible confiée à la sollicitude du P. Meistermann. Arrivé en toute hâte au nouveau poste où l'appelait l'obéissance, le bon Père n'avait pas songé à prendre son trousseau avec lui, et trois semaines durant, dans son insouciance du bien-être, il demeura sans rechange. Mais d'autre part, il manœuvra si bien, se donna tant de mal au milieu de ses élèves, qu'à la fin de l'année, on put joindre la queue à la tête et qu'ensuite les élèves de troisième constituèrent une classe bien homogène.

En 1893-1894, il n'y avait plus de 4e B, et le Père, devenu libre, prit la classe de seconde. Il ne garda pas longtemps ce poste, malgré la réputation d'excellent professeur qu'il s'était faite auprès de tous et à si juste titre, car, à la fin de mars 1895. il recevait la direction du Petit Scolasticat par suite du départ du P. Jalabert pour la Sénégambie. Son premier soin lui d'améliorer les conditions sanitaires et de pourvoir aux besoins de ses malades; on était en pleine période d'influenza. Un décès avait eu lieu dans l'établissement, les séminaristes avaient été congédiés, et au Scolasticat, tout un dortoir était transformé en infirmerie. Le nouveau directeur, en cette circonstance, fit montre d'une sollicitude toute maternelle ; il fortifia le régime ordinaire, fit chauffer les dortoirs, dota les lits du couvertures plus chaudes, et put ainsi sans accident traverser l'épidémie.

Par ailleurs, il s'appliqua à faire de ses scolastiques, des jeunes gens vraiment pratiques et religieux. Il aimait les voir se livrer ardemment au travail manuel, sans négliger pour cela les études classiques. Il voulait en eux des cœurs généreux, prêts à se dévouer en tout par amour pour Dieu et pour les âmes; aussi, leur inculquait-il, dans tous ses entretiens, la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus et au Coeur Immaculé de Marie. Ce devaient être là leurs modèles. Lui-­même dans cette voie, il leur donnait l'exemple de la régularité religieuse, de l'esprit de sacrifice et de dévouement sans borne.

Malheureusement, de ces bonnes leçons du P. Meistermann, les scolastiques de Cellule ne profitèrent pas longtemps. En 1898, il fut appelé, en effet, à diriger le Grand Scolasticat d'Irlande. C'était un essai qu'il s'agissait de tenter. Six scolastiques furent détachés de la Communauté de Chevilly et envoyés à Rockwell pour constituer le noyau de l’œuvre nouvelle. Tout d'abord il fallut s'installer, car rien n'avait été aménagé pouf cela. Après deux semaines de travail, salle de Communauté, bibliothèque, lingerie, cuisine, tout était prêt : le P. Meistermann avait naturellement organisé et fait lui-même la plus grande partie de la besogne. Ce fut ensuite le tour des études. Mais pour les préparer il fallut prendre sur ses veilles ; ce n'était pas nouveau pour lui, il l'avait si souvent pratiqué à Cellule! Cette vie dura deux ans. En septembre 1900, le Grand Scolasticat d'Irlande fut supprimé : le Conseil général avait jugé que les circonstances n'étaient pas suffisamment opportunes, pour maintenir à titre définitif une oeuvre entreprise seulement à titre d'essai.

Du moins, cette fois, après huit ans d'attente, le Père pouvait espérer de voir ses vœux réalisés. Ils le furent en effet, et dès les premiers jours de janvier 1901, le P. Meistermann put enfin s'embarquer à Bordeaux, à destination de la Sénégambie. A peine débarqué, Bathurst lui fut assigné comme poste de combat. Là, on avait besoin d'un missionnaire sachant l'anglais et pouvant prendre la direction des écoles ; le Père fut bien l'homme de la situation. De suite, il se met à l’œuvre, réorganise le système d'enseignement, prépare des moniteurs et veille à la mise en pratique des leçons qu'il a données. Les résultats ne se firent pas attendre ; à la fin de l'année, les examens furent bons, on constata dans les notes une hausse remarquable, et l'école fut signalée comme un modèle de discipline et d'application. Cela ne devait pas durer. Rappelé à Dakar par Mgr Kunemann, le P. Meistermann laissa avec une peine indicible l’œuvre qu'il venait de commencer. On voulait faire de lui un procureur de la Mission et ce travail lui répugnait. Sur ses instances, Monseigneur dut céder, et il fut envoyé à Carabane, missionnaire dans la brousse; mais ce n'était là qu'un poste transitoire. Le 25 janvier 1906, le Père revenait à Bathurst, non plus cette fois, pour prendre la direction de l'école, - il y avait à la tête un Frère irlandais breveté -, mais bien pour se donner au labeur du ministère. La visite des malades et des vieillards à domicile, les catéchismes et la mission, ce fut son occupation principale. Entre temps, malgré ses quarante ans passés, il se mit au volof, et par sa tenace énergie arriva néanmoins à le parler très convenablement. A cette époque, 1905, Mgr Kunemann entreprit de fonder une mission chez les Diolas, dans le Fogny anglais, et le P. Meistermann, choisi à cette fin, fut heureux de poser les fondements de la station de Boulélaï.

Les débuts de l’œuvre nouvelle furent pénibles ; il fallut s'installer, et sur place impossible de trouver quoi que ce fût. Une vieille maison, achetée à Bathurst, fut démontée pièce à pièce et après des difficultés inouïes transportée à Boulélai, pour devenir la première habitation du missionnaire. Plus tard, à la maison s'adjoignirent une cuisine, un poulailler et d'autres dépendances. Puis on se mit à l’œuvre pour construire la grande case chapelle, et à la Pentecôte de 1905, c'était une chose faite. Le milieu où le P. Meistermann était établi, était loin d'être attrayant. La population se montrait méfiante et se tenait à distance ; dispersée sur une immense étendue, il était difficile de l'aborder et le ministère par là même devenait fort pénible. Enfin, le contact finit par s'établir entre le missionnaire et ce malheureux peuple qui maintenant se présente à la mission pour chercher des remèdes, panser ses plaies et y conduit aussi ses enfants. Mais ce rude labeur, cette vie de privations et d'isolement, avaient fatigué bien vite le Père, et à plusieurs reprises, il avait dû revenir à Bathurst pour refaire ses forces. Au cours de l'année 1906, sur les instructions de son Vicaire apostolique, le P. Meistermann entreprit un assez long voyage d'exploration dans le Saloum et sur les rives de la Gambie, mais il dut bien vite constater, à son grand regret, que ce pays nous échappait : les musulmans s'y trouvaient déjà fortement établis.

Pendant quatre ans, le P. Meistermann fit donc la navette entre Boulélai et Bathurst, car il fallait se ravitailler et aussi se retremper dans la vie de communauté, après avoir mené la vie de solitude, clans ce pays quasi perdu. Voici, à ce qu'il écrit, comment il occupait ses journées. « Debout le matin à 4 heures, pour la prière et l'oraison, j'éveille ensuite mon garçon et ensemble nous arrosons le jardin. Puis, c'est la messe, l'action de grâces, le déjeuner, une pipe, et l'arrivée des malades. Je fais les pansements, et tout ensemble un petit bout de catéchisme, pas bien long, cinq minutes seulement, pour ne pas les éloigner et pouvoir les attraper de nouveau. Les malades partis, j'entreprends une tournée dans le Boulélai et les villages avoisinants : à midi, je suis de retour, je donne un coup de main au boy pour préparer le dîner; fais l'examen particulier et me mets à table. Ensuite viennent le bréviaire, quelque lecture et un peu de catéchisme. A 3 heures, j'enfourche ma Rossinante et je vais en visite dans d'autres villages. Je suis de retour pour 7 heures; c'est le moment de la visite, du souper, et la journée est finie. A ce programme, vous pouvez voir que les journées sont bien remplies et qu'on ne peut s'ennuyer. »

Cependant, le genre de vie du Père Meistermann n'était guère propre à maintenir en équilibre sa solide constitution. L'anémie le minait peu à peu; il en ressentait les effets et notamment, il s'affligeait de la disparition de sa mémoire, qui, disait-il avec humour, était pompée par le soleil d'Afrique, comme bien d'autres choses encore. Le 17 mai 1908, il écrivait au P. Wieder : « Je ne suis pas dans l'état normal, et cela depuis que je vous ai quitté au temps de Pâques. La quinine et trois purges ne m'ont pas encore bien mis d'aplomb. » En juillet, il fit savoir qu'il était malade et demanda du vin ; quelques jours après, le dimanche 3 août, notre missionnaire arrivait à Bathurst, porté dans une petite embarcation, où, toute la nuit, il avait souffert de la pluie. Cependant, il prit sur lui d'aller à pied du débarcadère à la maison des Pères; mais il faisait pitié à voir, avec son air abattu, sa barbe inculte, son visage amaigri, se traînant péniblement comme un voyageur qui revient du bout du monde. Il s'alita immédiatement. Le lendemain, sur l'avis du docteur, il fut conduit à l'hôpital où tous les soins lui furent prodigués.

Le mercredi, le cher malade paraissait aller mieux, et le P. Meehan put se rendre à Abouko pour remplir son ministère. A 5 heures du soir, le P. Fal venu à l'hopital, constata la même chose, mais une heure plus tard, la maladie changeait et s'aggravait. Le P. Fal, aussitôt appelé par la Mère Joseph, avertit le bon Père de son état dangereux et entendit sa confession.

" Je ne me croyais pas si malade » ajouta-t-il, « mais que la volonté de Dieu soit faite ! » Après la confession, le P. Meistermann reçut l'Extrême-Onction et répondit lui-même à toutes les prières,.. puis il sembla sommeiller et l'on remit au lende­main jeudi, pour lui donner le viatique. Dans la nuit l'état de faiblesse du malade empira, et sur l'avis de Mère Joseph, le P. Fal vint communier le moribond. Il avait encore toute sa connaissance. Peu à peu l'agonie commença, et au bout d'une heure, après avoir murmuré entre ses lèvres, les noms de Jésus, Marie et Joseph, il rendit silencieusement son âme, le jeudi 6 août, fête de la Transfiguration. Le soir, toute la popu­lation de Bathurst se faisait un pieux devoir de conduire à sa dernière demeure le jeune et vaillant missionnaire qui venait de tomber sur la brèche.
P. THIERRY.

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