Le Frère ILDEFONSE Mercklé
décédé à N.-D. de Langonnet, le 10 octobre 1908
(Notices Biograpgiques III p. 418-422)


Gottfried Mercklé, solide Wurtembergeois de bonne souche catholique, naquit le 3 mai 1840, au village d'Altsteislengem, au diocèse de Rottenbourg. De nature peu communicative, avare pour ainsi dire de ses paroles, il n'a point laissé de rensei­gnements sur son enfance et sa jeunesse.

Le 20 avril 1862, il arrivait, comme postulant Frère, au Noviciat de Notre-Dame de Langonnet. Après quelques mois de séjour dans cette communauté, le jeune homme écrivit au R. P. Provincial, pour solliciter la faveur de revêtir l'habit de l'Institut. « De ma vie, disait-il, je n'ai jamais été aussi heu­reux que pendant les quatre mois que je viens de passer au Noviciat. Depuis trois ans environ, je songeais à la vie reli­gieuse. Avant mon entrée ici, certains sermons entendus dans mon pays m'avaient fait réfléchir sur ce point. Je pensais que le bon Dieu pourrait peut-être tirer parti de moi dans une Congrégation religieuse. Depuis mon admission à Langonnet, après avoir bien examiné cette question avec mon confesseur, j'ai reconnu que la volonté divine m'appelle dans la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint Coeur de Marie, et je suis bien résolu à y servir Dieu, toute ma vie, en travaillant à mon perfec­tionnement et au salut des infidèles. »

Certainement, le Seigneur allait tirer parti de ce jeune homme si bien disposé, en l'adjoignant comme un membre très utile à notre Institut. En peu de temps, Gottfried Mercklé apprit le français, non pas d'une façon parfaite, mais assez bien pour se tirer convenablement d'affaire, dans les rapports avec les membres de la Communauté, et même avec les personnes du dehors. Avantage tort appréciable, vu les aptitudes qu'on lui trouvait pour la charge de portier. D'une gravité et d'une discrétion parfaites, ce travailleur, actif mais silencieux, pouvait dignement représenter sa Communauté pour l'accueil à faire aux visiteurs, la célérité et l'exactitude dans la transmission des appels et des commissions, adressés à ses confrères.

Le 1er novembre 1862, Gottfried Mercklé abandonnait joyeusement la livrée du monde et devenait le F. Ildefonse. Rien ne s'opposant à la conservation du métier qu'il avait exercé avant son entrée dans notre Société, le nouveau religieux continua à manier dextrement l'aiguille et les ciseaux de tailleur. En même temps, il travaillait à façonner son âme à l'esprit et aux exercices de la vie religieuse. Il y avait dix-huit mois qu'il était à Langonnet, lorsque ses supérieurs décidèrent de l'envoyer à Paris, au début de l'année de 1864, afin de le mettre parmi les fondateurs de la Communauté qui s'établissait, à proximité de la capitale, dans l'enclos de l'ancien haras de Chevilly.

Le voilà installé gardien de la porte d'un établissement religieux, en cette partie de la banlieue parisienne, occupée par des gens honnêtes, sans doute, catholiques par le baptême, mais très indifférents au point de vue de la vie chrétienne. Le F. Ildefonse produisit bonne impression sur cette population, avec laquelle un mandat inattendu le mit bientôt en contact fréquent. L'abbé Salmon, alors curé de Chevilly, avait été frappé très vite de l'exactitude ponctuelle et du dévouement empressé du Frère, dans l'exercice de ses fonctions de portier. Il demanda au P. Burg de confier au F. Ildefonse la charge de sacristain de l'église paroissiale. On ne pouvait guère refuser cela au digne prêtre qui, après avoir été le compagnon et l'admirateur du vénérable Père au Séminaire de St-Sulpice, conservait les meilleures relations avec notre Maison-­Mère, et venait de la prévenir juste à point pour l'acquisition de la propriété du baron Schickler. Le Frère eut donc à s'occuper de l'église de Chevilly, pendant six années, jusqu'au moment glu la guerre franco ­allemande. Il déployait tant de zèle et mettait tant de soin dans l'accomplissement de cette pieuse besogne, que l'abbé Salmon déclarait invariablement bien fait ce que son dévoué F. Ildefonse avait fait... Tous les dimanches, ceux des paroissiens qui assistaient aux offices pouvaient prendre exemple sur l'exactitude, la gravité douce, la piété de leur sacristain : à coup sûr, ils n'en avaient pas encore vu de semblables. Cet humble modèle ne dut pas demeurer exposé aux regards des habitants de Chevilly sans profit pour eux. Ce fut comme l'un des éléments producteurs du courant sympathique,, qui s'établit vite entre la population et notre Communauté du Saint-Coeur de Marie. Mieux encore, ce fut l'une des causes qui amenèrent quelques progrès dans la pratique religieuse de cette paroisse de Chevilly, si difficile à convertir, parce qu'et demeure victime des abominables doctrines jansénistes.

A la Pentecôte de 1864, le F. Ildefonse fit sa profession, moins de trois ans après, le 19 mars 1866, ses vœux perpétuels. On l'avait trouvé assez exemplaire pour l'admettre définitivement comme membre de la Congrégation. Le Frère continuait en effet à se montrer travailleur ardent, sans cesse à la besogne, et observateur méticuleux de la Règle. Tellement méticuleux, a-t-on dit à tort ou à raison, que la préoccupation constante, allant quasi jusqu'au scrupule, de ne pas manquer son devoir, contribua à lui donner cet air contraint, ce ton bourru, même, avec lequel il accueillait un confrère disposé à trop prolonger une conversation. Perdre du temps, manquer la Règle, il ne le voulait pas. « Cela n'est pas permis », avait-il dit bien vite. Toutefois, lorsqu'il avait rudoyé quelqu'un un peu trop fort, il ne manquait pas de présenter les excuses convenables, dès qu'il avait reconnu ses torts.

Les années s'écoulaient ainsi paisibles, semblables entre elles, tissées de jours de labeur sanctifié, à deux pas des agitations de la grande ville. Rien ne paraissait devoir trouble cette harmonie, ce calme fécond de la Communauté, maintenant bien établie et formant des hommes à la grande oeuvre de l'apostolat. Hélas ! 1870 arrivait, avec les tristesses, les destructions, les ruines de l'invasion... Au moment ou Paris se préparait à subir le siège, le F. Ildefonse, qui n'aurait plus de sûreté à Chevilly, fut envoyé à Langonnet. On avait espéré que, dans ce coin reculé de la Bretagne, il demeurerait inaperçu et par conséquent tranquille.

Au mois de novembre 1872, le F. Ildefonse rentrait à Chevilly, et reprenait les fonctions de tailleur et de portier, qu'il devait y remplir pendant environ treize ans (avec la légère interruption de l'année religieuse 1879-1880, passée par lui à Langonnet). Sa vie de travail et de dévouement continuait, comme précédemment, sauf pour la charge de sacristain à la paroisse, que les Supérieurs ne jugèrent pas à propos de lui laisser reprendre.

Une petite aventure lui advint à cette époque. Avant l'acquisition de l'horloge monumentale de notre maison de Chevilly, on réglait les montres sur la pendule très exacte de la porterie. Certaine nuit d'hiver, l'excitateur des Frères se réveille brusquement vers 10 heures du soir, et n'entend plus le tic-tac de son réveille-­matin, ni de sa montre. - J'aurai oublié de les remonter, - pense-t-il. Vite, le distrait se lève et va demander l'heure au F. Ildefonse. Celui-ci interroge sa pendule, qu'il croit connaître à la perfection, sans l'aide d'aucune lumière. Après avoir palpé les aiguilles, prenant la grande pour la petite. « Il est environ 1 heure » , dit-il. L'excitateur court régler montre et réveil sur cette indication, et trois heures après met tout son monde sur pied. La communauté des Frères se trouve bientôt réunie à la chapelle. La récitation de la prière du matin finie, le F. Ildefonse, qui arrive tout effaré, dit au P. Burg « Il y a erreur..., on s'est levé à une heure du matin ! » Le bon Supérieur envoie alors l'assemblée faire un somme complémentaire, et le brave portier se promet bien de ne plus regarder l'heure .... avec les doigts,

Au printemps de 1883, le F. Ildefonse ressentit de violents maux de tête. On l'encourageait à la patience, en disant que ces douleurs provenaient de son tempérament sanguin et de son état sédentaire, que cela se passerait, etc. Il ne demandait pas mieux que de le croire, et, avec sa grande énergie, il continuait tout bonnement à faire sa besogne. Mais, les malencontreux maux de tête prirent fin d'une façon inattendue : le 30 avril, peu après le dîner, une attaque d'apoplexie renversait le F. Ildefonse dans son atelier, le frappant de paralysie au côté droit... Immédiatement accourus, préfet de santé et infirmiers lui donnèrent les premiers soins. Dans la soirée, le médecin de la Communauté, qu'on n'attendait pas du tout, ce jour-là, se présenta disant : « J'arrive, parce que l'idée qu'il y a un malade dans la maison me tracassait. » - « Docteur, vous tombez fort à propos, lui fut-il répondu, le Frère portier vient d'avoir une attaque d'apoplexie ! » Le docteur pratiqua alors une saignée, afin de rendre la connaissance au malade. N'était ce pas une inspiration qui avait amené le médecin, juste au moment critique ?...

Depuis cette violente secousse d'avril 1883, le F. Ildefouse demeura infirme jusqu'à la fin de sa vie, les membres frappés de paralysie ne recouvrant point leur flexibilité native. II marchait en clochant fortement, traînent la mauvaise jambe. Malgré cette incommodité, il trottinait vaillamment et beaucoup dans les cours, jardins, allées et parcs des maisons de Chevilly, St-Ilan et Langonnet, où il séjourna successivement. Tant qu'il sentit des forces dans son pauvre corps endolori, le rude travailleur voulut les dépenser au profit de la Communauté dont il faisait partie.

C'est à Langonnet qu'il a passé les douze dernières années de sa vie, rendant encore tous les petits services compatibles avec son état de santé. On le voyait sur pied du matin au soir, constamment le chapelet à la main : il avait fait de la récitation du rosaire sa principale occupation. Fréquemment, il rendait visite au tabernacle, et parcourait les stations du chemin de croix. Par ailleurs, toujours grand amateur de la solitude et du silence, on ne le voyait jamais jaser, à l'affût des nouvelles, ni s'épancher en murmures contre quelqu'un ou quelque chose... Sur la fin de sa vie, il ne manquait point la communion quotidienne.

Comme couronnement de ses vingt-cinq ans de souffrances, au commencement d'octobre 1908, le F. Ildefonse eut à supporter les douleurs atroces d'un cancer à la vessie... Après les avoir sanctifiées par une pleine résignation au bon plaisir divin, ses dernières dispositions admirablement prises, ses passeports bien en règle pour l'autre monde, le samedi 40 octobre, à trois heures du matin, il franchissait paisiblement la frontière de l'éternité.
L. DEDIANNE.

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