LE F. MELARD Joseph-Marie MEURIC
Not. Biog. IV p. 523-528


Le F. Mélard, dans le monde Joseph-Marie Meuric, naquit le 3 décembre 1851, à Plufur, dans les Côtes-du-Nord. Ses parents étaient cultivateurs. Poussés par on ne sait quel esprit d'aventure, lui et son frère quittèrent la maison paternelle et s'adjoignirent à une Compagnie de terrassiers travaillant au chemin de fer. Il avait douze ans, et il faut croire que l’irréflexion et la légèreté de son âge furent la principale cause de cette précoce escapade. Mais les gendarmes ne tardèrent pas à mettre la main sur les deux fugitifs, et notre jeune étourdi fut envoyé à Saint-­Michel, en punition de son méfait. Il fit mieux qu'expier à contre-coeur sa malheureuse incartade. Le milieu discipliné oit il se vit renfermé, la direction morale, l'instruction et les pratiques religieuses dont il reçut la salutaire influence, en firent un garçon travailleur et désormais mieux averti au sujet du choix d'une existence. A Saint-Michel, sa conduite fut toujours bonne. Il ne tarda pas à mériter le titre et les attributions de « frère-aîné » parmi les colons. «Or, lit-on dans une note du P. Jégou, il a conservé ce rang une grande partie de son séjour ; chose surprenante quand on pense à tous les tours joués par les enfants de la colonie pour démolir leurs chefs. » (Lett. 13 fév. 73).

Ce fut une année et demie, ou Même deux ans après sa sortie de Saint-­Michel, que le jeune Mende sollicita la faveur d’entrer au postulat des Frères. Il avait contre lui les deux précédents fâcheux s'attachant à son passé: fait de vagabondage et stages dans une colonie pénitentiaire.

Mais, à tout péché miséricorde. Sa bonne conduite comme colon lui faisait un commencement de réhabilitation, et les épreuves de la Vie de formation religieuse par lui sollicitées et fdèlement soutenues, pou­vaient, en le transformant, effacer les souvenirs anciens de son incartade d'enfance et de sa punition. Il fut donc admis au postulat des Frères de N. D. de Langonnet, où il entra le 19 juin 1872.

Si le nouveau postulant n'avait pas été un, favori de la nature, il n'en état pas non plus un complet disgrâcié, Ou nous dit qu'il était petit: il avait été réformé en effet pour défaut de taille. Il nous est toujours représenté com­me lourd, lent dans ses mouvements, d'un maintien fort gauche, et de ce chef, peu formé et « peu formable ». Par ailIeurs, il est vigoureux, d'un temperamment solide ; il a du sens pratique, et sur ce fonds de nature se greffe une grande bonne volonté. Ce sera bien dès lors un su­jet dont on pourra tirer parti, d'autant plus ou ses dispositions religieuses donnent en général satisfaction. (In­formations diverses).

A la date , du 14 février 1873, il demande -d'être admis en qualité de novice-Frère, après le temps ordinaire consacre au postulat. Sa lettre, sa-is être une perfection dans le genre, était un résultat satisfaisant, pensées, style et écriture, de l'instruction reçue à Saint-Michel, puis à l'abbaye car il n'avait, chez ses parents, jamais fréquenté l'école. Il justifiait par ailleurs d'un véritable profit spirituel, de dispositions vertueuses et de qualités religieuses, qui lui formaient des titres réels à l'admission. Malheureusement encore, le côté extérieur de sa formation laissait trop à désirer. N'était-il pas constaté en effet, dans une note à son sujet: «Que ce postulant-frère, très vertueux quant au fond de ses dispositions, n'avait aucunement la tournure religieuse ; qu'il avait bien plus l'air d'un gros colon, qui cause à haute voix, crie, chante partout?» Évidemment, l'admettre dans de telles conditions, c'était donner une prime au laisser-aller dans la tenue et dans cet extérieur de modestie toujours simple mais soigné et digne, que doit offrir un religieux. Or, dans -un noviciat, ne faut-il pas montrer que l'on tient aux dehors et aux formes de la vie religieuse, aussi bien qu'aux -vertus fondamentales qu'elle exige La prise d'habit fut ,donc, à titre d'avertissement, retardée de plusieurs mois.

Cette mauvaise façon, comme extérieur religieux, ne :disparut pas après cette première sanction atteignant le jeune postulant. Sur ce point cependant, comme sur I'ensemble de sa conduite, il devait faire des efforts pour s'amender. On, reconnaissait en effet en lui un esprit de soumission et d'obéissance, joint à une disposition de générosité et de courage, pour aller contre sa nature. Mais, ne l'oublions pas, il avait été jugé « peu formable. » dans ses allures ; c'était comme plus fort que lui.

En outre, une fausse note était venue heurter l'harmonie des bonnes qualités qu'on lui reconnaissait. Malgré le renoncement, le détachement dont il donne des preuves, il se montre encore un peu ­naturel, ou pas « assez surnaturel ». Chose étrange, lui qui, à douze ans; s'était de gaieté de coeur, :dérobé à sa famille en petit vagabond, il se laisse attendrir à l'occasion d'une visite de ses parents ; et le voilà avec des tentations contre sa vocation, qui durent plusieurs semaines. Cela tenait-il à sa nature, . accusée d'être trop sensible? Mais alors, à quoi rattacher sa fugue première? Il y avait là quelque chose qui- motivait une vigilance sévère de ses directeurs Aussi l'on crut devoir prolonger son noviciat à une duré, de deux ans.

Allait-il se décourager de ces ajournements successifs? Nullement. Il semble au contraire que, jugeant ces mesures prises à son égard avec un excellent esprit de docilité et, d'humilité, il en ait toujours tiré des motifs de mieux faire. Il fut enfin, à sa grande joie, admis à la profession, le 19 mars 1875.

Ce ne fut pas la fin de ses efforts sur lui-même. Mais, avaient-ils cependant tous les résultats voulus? Y mettait-il du reste toute la ferveur et tout l'esprit de foi désirables? Les notes à son sujet signalent sur ces deux points certains desiderata, en accusant toujours aussi des défectuosités de forme. Mais elles sont toujours concordantes, au­ point de vue de sa régularité, de l'application à ses fonctions, de son plein désintéressement de sa personne et de ses aises, de sa simplicité, sa 'droiture, son abandon con­fiant à la direction de ses supérieurs. Il rie sera pas tout de suite admis, malgré sa demande, à l'émission des voeux perpétuels ; mais il se rend compte que c'est la suprême faveur qu'il faut obtenir à force de mérites. Il est donc ses exercices, à ses charges, à ses différents emplois, cherchant et trouvant là le milieu où il finira par triompher de lui-même, et où il peut tendre incessamment à la perfection religieuse. Il livre ainsi en réa­lité le bon combat. S’il ne pleut se décerner un brevet de perfection - et il n'y prétend aucunement -- il a tout droit au moins à se rendre le témoignage qu'il persévère, et cela lui suffit.

En 1878, il renouvelle ses voeux de cinq ans. Cinq années plus tard, il est admis aux voeux perpétuels. Sa vie religieuse s'était jusque-là passée à Langonnet. Il continua à y résider, jusqu'en 1885, où il fut placé à Saint-Ilan, mais pour revenir ensuite à sa première communauté. Il avait débuté par être maçon. Après sa il fut chargé d'une section d'enfants. C'est cette fonction qui lui allait le mieux ; car il réussissait très bien à s'emparer de son monde et à le conduire, surtout auprès des petits. Il passa un peu dans la suite par tous les emplois dévolus aux frères. Ce fut principalement après la suppression des colonies pénitentiaires. Toujours il avait mérité ce témoignage au sujet de ses fonctions, qu'il les aimait, les prenait à coeur et s'y dévouait, sans nulle recherche et avec un véritable oubli de soi.

Il fut mis quelque temps en disponibilité pour raisons de santé, puis compté parmi les Frères à la retraite. Il mourut d'une pleurésie à l'âge de 60 ans, après 38 années de vie de communauté, dont 36 de profession.

Ce qui s'offre de particulièrement édifiant chez ce bon Frère, c'est sa religieuse persévérance. Son postulat est plus long que de coutume ; sa prise d'habit, sa profession, ses voeux perpétuels, tout cela subit des ajournements. On lui dit nettement son fait: c'est un lourdeau, un gros colon, qui cause, crie, criante partout. Pas de formes religieuses. Est-il même susceptible d'être formé? De plus, il est un peu terre-à-terre ; il a ses retours de sensibilité, n'est pas tou­jours assez surnaturel. De tout cela il semble qu'il doit résulter pour lui cette unique conclusion, qu'il sera un perpétuel ajourné. Que lui reste-t-il à faire, sinon à se croiser les bras, ses ;efforts, qu'on reconnaît d'ailleurs, demeurant stériles?

Mais alors, c'est le découragement? Non pas. Par bonheur, ses directeurs le connaissent bien. Quel sera sur lui l'effet d'un ajournement, se demandent-ils? Et leur sentiment unanime se formule dans la note suivante d'une de ses Informations: « Il ne se découragera pas, il sera plutôt excité à mieux faire ». (Informations, 29 janv, 1878). Voilà bien une disposition parfaite. Que ce soit le souvenir que laissent ces, pages, un exemple qu'elles proposent et dont chacun peut avoir à faire son profit, se rappelant d'ailleurs la parole divine: « Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erît ». (Math. 10, 12).

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