Le Père Jean MONNET,
décédé à Brazzaville, le 26 décembre 1935,
à l’âge de 38 ans.


Des deux jeunes Pères que comprenait, en 1931, 1e renfort pour Brazzaville, I’un, le P. Jean Monnet, arrivait le mardi 24 novembre à Kibouendé, où il était affecté. Il venait y remplacer le Père Hirlemann, qui avait débuté à Brazzaville, et s’étant fait la main pendant quelques mois à Kibouendé pour le ministère de brousse, allait se rendre à Voka pour y amorcer une fondation nouvelle.

L’accolade d’arrivée révéla que la dénomination en usage de “jeune père” jurait un peu avec l’état de la chevelure et de la barbe du nouveau venu, où les zones grisonnantes étaient fortement prononcées. On eût plutôt cru revoir un ancien du Congo à son retour de congé. Grisonnement précoce qui renseignait mal sur l’âge, car le nombre des années ne dépassait que de peu la trentaine et l’âme, façonnée d’ailleurs aux âpretés de la vie, se tenait bien droite, on le vit tout de suite, dans un bel allant de jeunesse. De ceux qui aboutissent au sacerdoce la plupart portent sur leur livre de vie un graphique qui s’y est inscrit selon une progression rectiligne et normale. Une fois qu’ils eurent fait sagement leur première communion, on leur mit en mains une grammaire latine. Puis du petit séminaire ou du petit scolasticat, en passant s’il y a lieu, par le noviciat, ils arrivent à la prêtrise et, s’ils se destinent aux missions, ils font leur consécration à l’apostolat.

Le missionnaire qui, ce soir de novembre, entre ses deux compagnons prenait un premier contact avec l’air de Kibouendé, n’était pas de cette majorité. Après avoir achevé ses études dans le primaire supérieur, il avait essayé sa vie en diverses directions. Il connut la gêne du petit employé qui calcule minutieusement ses dépenses, rogne de-ci de-là, pour faire durer jusqu’au bout du mois un salaire trop léger. Mais, chose curieuse, il lui restait toujours quelques économies à laisser chez les libraires. Le goût de l’art, la hantise du beau humain sauvaient ses loisirs dominicaux, le souci de la culture intellectuelle lui faisait prendre de la hauteur, la souffrance mûrissait son âme.

A l’âge où d’autres achèvent leur théologie, il commença ses études de latin. Il entra dans une maison de Seine-et-Marne fondée pour recueillir les vocations tardives d’après-guerre.

Le P. Monnet apportait avec lui en mission tout un lot d’avantages, de ceux qui peuvent tourner à détriment pour qui voudrait s’en faire une parure, mais qui sont une grâce temporelle, quand on a résolu de les faire servir: une intelligence aussi à l’aise en face des problèmes de la pratique quotidienne que dans la spéculation ; des dons de causeur qui faisaient de lui le boute-en-train des conversations : il brillait en société, mais ne se contentait pas de briller, il savait également y rompre un pain substantiel. Il étonna un jour un interlocuteur en révélant quelle théologie étoffée il possédait, lui, tard-venu aux études sacrées. Sa plume alerte ne tarda pas à ouvrager pour ses nombreux correspondants de France des scènes de la vie congolaise dans le genre de la fantaisie et de l’anecdote.

Un essai sur le pays batéké, récemment publié dans La Croix, montre qu’il serait arrivé aux travaux plus denses.

Des maux de tête très aigus, de fortes poussées de fièvre le tinrent à plusieurs reprises immobilisé. C’est alors qu’il faisait confiance aux injections, il indiquait à son confrère la seringue et telle ampoule qui contenait je ne sais quel plasma recréateur.

Il allait de soi qu’il fût désigné pour prendre la direction des chants. Le petit groupe de voix qui se rassemblaient autour de l’harmonium fit connaissance avec ses exigences Il voulait déployer autour du saint sacrifice de la beauté authentique. Et de faire répéter, d’insister, d’aiguillonner. Peu à peu il disciplina les cordes vocales de ses chanteurs et les assouplit aux nuances du plain-chant.

Son amour pour le chant d’église apporta une innovation à la communauté de Kibouendé. Pas plus de quatre jours après son arrivée, il proposa à son compagnon de chanter ensemble, à certains jours, une partie de l’office. L’autre, qui depuis longtemps avait le même désir, accueillit d’enthousiasme la proposition. Si bien que chaque dimanche, à la chute du jour, les deux pères prenaient place au lutrin où ils alternaient les versets des psaumes de vêpres et complies.

Dès son arrivée à la mission, le P. Monnet avait pu partir avec son compagnon pour une tournée de brousse: Prise de contact rapide avec les pistes de sable et le régime des postes de catéchistes. Dès qu’il se fut constitué un vocabulaire usuel et qu’il sut en agencer les termes, il partit à son tour pour faire, par ses propres moyens, de courtes tournées d’essai. Il peina de la nuque, des reins et des jarrets mais il aimait cette évangélisation de grand air et de jeter à travers la pouillerie des villages les sons d’en-haut qui viennent du Père qui est aux cieux.

C’est ainsi qu’il poursuivait son initiation. En juin 1933 survinrent à Brazzaville des changements dans le personnel. Le P. Monnet y fut appelé. Nul doute que sa nomination à Brazzaville ne lui plût. Mais avant de quitter Kibouendé. « Je crains de ne pouvoir tenir, confiait-il à son compagnon. » Il tint bon pourtant, voici ce qu’il écrivait récemment à ses amis: « Vous me demandez des nouvelles, mais le moyen ? Je suis déchiqueté de tous côtés. Mais joie... joie... joie ! Ah ! que je suis heureux ! La paix du Christ. Certes, les âmes s’achètent avec beaucoup de souffrances de fatigues, de supplications. Mais Dieu est bon, et il le fait sentir. Que vous dire de ma vie ici : catéchismes, confessions, ministère de case en case, trottes en brousse ; c’est toujours la même chose. Ce qui varie, c’est les nouvelles âmes que l’on voit dédiées à Dieu. Bien que parfois elles retournent au paganisme. Vie très active, trop peut-être ; on voudrait quinze jours de détente et se retremper. Quand la retraite annuelle arrive, quelle joie..! Mais c’est vraiment insuffisant, tellement nous sommes mangés par les soucis, les palabres, etc. Mais je surabonde de joie, et ne suis pas prêt de caler ; à moins que le corps ne flanche ».

Au mois de juin 1935, il revint à Kibouendé pour y faire une cure de calme. Le surmenage l’avait tendu à l’excès.

Il y a peu de temps, au cours d’une tournée de brousse, le 29 novembre, il avait franchi la frontière des deux juridictions et débouchait au coin de l’église de Kibouendé. Joie de la surprise, bavardage, un bon bain dans la Madzia ; il aimait tant l’eau… qui devait, un jour prochain, lui “manger l’âme”. Nous parlâmes du Djoué et des dangers qu’il présente à l’endroit où lui-même devait être englouti. Pendant la sieste, nous lûmes dans I’Exégèse des Lieux Communs, quelques pages de Léon Bloy qu’il aimait pour son sens de I’absolu et son verbe véhément...

Nous fîmes le projet d’une grande tournée à l’unisson pour la saison sèche prochaine. Et nous nous séparâmes sur un au revoir confiant...

Le matin du 27 décembre dernier, le père de Kibouendé après la messe faisait sa leçon de catéchisme à l’église. Entre un jeune homme qui s’avance vers le père et lui tend le papier qu’il tenait à la main. La consigne étant de respecter les heures de catéchisme et de ne déranger le père que pour un cas urgent comme une maladie grave, le père d’un ton bourru : « C’est pour un agonisant que tu viens me chercher ? » Il pensait voir le jeune homme s’éloigner et remettre à plus tard ce qu’il pensait être une babiole. Mais le jeune homme de riposter : « Peut-être qu’il est mort ». Le père alors précipitamment ouvre le papier : « P. Monnet noyé hier soir dans le Djoué pendant une promenade ».

En cette octave de Noël vouée à l’allégresse, la consternation tombait sur les missionnaires du vicariat de Brazzaville. -
Joseph Auzanneau - A, avril 1936.

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