Le Père Cyrille Moulin
décédé à Loango, le 10 juin 1948,
à l’âge de 84 ans.


Cyrille Moulin était né le 18 avril 1864, à Saint-Jean-des-Bois, petite commune de Normandie. Il fut élève au collège de Tinchebray, puis, attiré par les missions, il entra, vers dix-huit ans, au séminaire des Pères du Saint-Esprit pour y faire ses études théologiques et se préparer à l’Afrique. Mais voici que le jeune abbé Moulin se trouve atteint de paralysie des membres inférieurs. Il semblait dès lors qu’il fut plus raisonnable pour lui de renoncer à s’expatrier et de choisir une autre voie. Il persévéra cependant, espérant une atténuation de son mal. Bien lui en prit car, au lendemain de son ordination sacerdotale, sa santé était redevenue si bonne qu’il fut affecté à la préfecture apostolique de Landana.

Le 4 octobre 1888, il s’embarquait à Cherbourg et arrivait à Loango le 9 novembre, pour atteindre Landana quelques jours plus tard. Le P. Campana le chargea aussitôt de fonder une nouvelle mission à Luali. Le P. Moulin se mit à l’œuvre. Il dirigea le défrichement de la forêt ainsi que les constructions. Rapidement se trouvèrent terminées une grande maison à étage pour les enfants de l’école et une autre pour le personnel missionnaire. Bientôt arriva une machine à briques et des milliers de briques excellentes sortirent des fours. Hélas ! les épreuves n’étaient pas éloignées. En fin 1892, des pluies abondantes montrèrent qu’une erreur avait été faite dans le choix de l’emplacement de la mission. Celle-ci devint une véritable île entourée de marigots ; force fut donc d’émigrer, malgré les grands travaux déjà exécutés. Nouveaux soucis pour le jeune missionnaire de Luali que le transfert de ses installations, quelques kilomètres plus loin, en une plaine assez élevée où les inondations ne seraient plus à craindre. En peu de temps, la nouvelle mission fut construite.

En 1895, le P. Moulin, bien fatigué, retournait en Normandie reprendre des forces. Au cours de son congé, il reçut une nouvelle affectation, à Malange, mais il n’y resta que peu de temps. De retour en France, en février 1897, il y séjourna quelques mois à peine et, le 15 août, il repartait pour le vicariat apostolique de Loango. Il y arriva à point, car Mgr Carrie songeait alors à établir un centre chrétien au pays des “Bassanguis”, sur la rive droite de la Louessé, à Boudianga. C’était là un point central, à dix journées de marche de Loango, de Mayumba et de Bouanza, où existaient déjà des chrétientés en plein essor. Le P. Moulin, riche de son expérience et habitué à manier la pioche, la scie et le rabot, était l’homme qu’il fallait à Mgr Carrie. Bientôt sortirent de terre maison d’habitation et chapelle construites en dur. Habile de ses mains, le père construisit une roue hydraulique activant une scie circulaire, permettant de débiter plus rapidement et plus régulièrement les arbres de la grande forêt voisine. Bergerie, basse-cour furent aussi installées et devinrent rapidement prospères.

Épuisé, le P. Moulin rentra en France en 1903. En décembre 1904, il quittait à nouveau Bordeaux. Jamais plus il ne devait fouler le sol de la mère-patrie. Désormais sa vie s’écoulera tout entière en Afrique, surtout à Boudianga et à Sette-Cama.

Sette-Cama est la mission la plus au nord du Loango et se trouve placée en une des nombreuses îles de la lagune Ndogou. Quelques vingt ans plus tôt, le pays s’était présenté aux missionnaires comme très peuplé et fort riche ; de nombreuses maisons de commerce y achetaient beaucoup d’ivoire, de kopal, de cahoutchouc, d’huile d’amandes et de palmes. À son arrivée, le P. Moulin trouva la situation bien changée. La variole était passée, et les voyages avaient multiplié les centres de trypanosomiase ; le poison, surtout, avait causé une diminution effrayante de la population. Les îles de la lagune se vidèrent et les missionnaires durent faire de longues randonnées en pirogue pour ne rencontrer que peu de fidèles.

Trop âgé pour se mettre à l’étude du loumbou, la langue du pays, le nouveau supérieur laissa à ses confrères le soin de l’évangélisation au loin et s’occupa surtout du matériel qui avait toujours été son fort. Que de choses à faire dans une mission déjà vieille de vingt ans et qui n’a cependant pas dépassé le stade provisoire en planches ! Les termites sont partout et, sans cesse, c’est un chevron à changer, une planche à remplacer, parfois un bâtiment à refaire.

Le 3 mars 1914, arrive un télégramme de Mgr Dérouet : sur le point de rentrer en France, il confiait au P. Moulin la direction du vicariat durant son absence. Le lendemain, le père se mettait en route pour le Sud. Mais quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre, en arrivant à Loango, que son évêque était mort subitement le 4 mars. Jusqu’à l’arrivée de Mgr Girod, successeur de Mgr Dérouet – donc plus d’un an – il gouverna le Loango, puis accompagna le nouveau chef à travers tout le vicariat.

En 1916, nous retrouvons le P. Moulin à Mayumba et à Sette-Cama.

Vers 1928, les infirmités se firent sentir, mais notre confrère ne manifesta pas le désir de rentrer en France, qu’il n’avait cependant plus revue depuis 1904 : sa famille avait presque totalement disparu. Sa retraite, il la prendra simplement à Loango. C’est là qu’il fêtera le cinquantenaire de son sacerdoce, en 1938. C’est là qu’il vivra sa troisième guerre, souffrira des événements de 1940, et demandera chaque soir à des plus jeunes, car il a l’oreille dure, un compte rendu des événements de la journée. Avec eux, il se réjouira de la victoire. Une triste nouvelle cependant devait lui parvenir peu de temps après la Libération : sa sœur aînée, religieuse à Caen et dernier membre de sa parenté, avait disparu lors d’un bombardement.

Au début de 1948, le poids des années s’accentuait. Cependant, rien d’alarmant ne pouvait nous faire prévoir une fin prochaine. Le père continuait à assister à la messe chaque matin, aimait recevoir des visites, prenait ses repas avec ses confrères, avait encore parfois la réplique spirituelle, et n’oubliait surtout pas ses nombreuses pipes journalières. Un simple faux-pas, peut-être, hâta sa fin. Rentrant dans sa chambre, le 6 juin, après le dîner, il tomba et, le 10, dans la matinée, après de longues heures d’une bien douloureuse agonie, le bon P. Moulin que nous espérions entourer de nos soins de longues années encore, expirait. -
Jean Le Chevalier - BPF, n°42, p. 51.

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