Le Père Marcel NAVARRE,
1900-1970.


Marcel Navarre est né le 25 août 1900 à Caen et fut baptisé à l'église Saint-Michel. Son père, alors commis des contributions indirectes, originaire de la Charente, avait fait ses études secondaires au lycée d'Angoulême et avait ensuite préparé la licence-ès-lettres à Paris.

En 1904, il sacrifia sa carrière de fonctionnaire, afin de venir en aide à l'enseignement libre, privé de ses maîtres par suite des lois anti-congrégationistes. LL enseigna à Saint-Joseph de Poitiers, acceptant par avance une certaine forme de pauvreté pour lui et sa famille. Quatre enfants à nourrir, à élever, à éduquer, donneront bien des soucis financiers aux parents, mais parents et enfants se montrèrent capables de vivre à la hauteur de leur foi héroïque. Le jeune Marcel fit ses études secondaires au collège Saint-Joseph où enseignait son père. En 1911, il reçut le sacrement de confirmation des mains d'un évêque missionnaire des îles Gilbert en Océanie, et écouta une conférence de Mgr Augouard, évêque de Brazzaville; deux faits qui éveilleront sa vocation.

Bachelier à 17 ans, le supérieur de son collège écrira de lui : "Marcel Navarre est un excellent enfant à tout point de vue. Il est pieux, très pieux, intelligent, laborieux. Nous pourrions aisément donner cet enfant comme modèle à nos élèves et même aux élèves de n'importe quel séminaire. Un seul défaut me tracasse chez lui, défaut qui vient d'une qualité, du désir de trop bien faire. Il fait la part trop large à la mémoire dans son travail d'écolier, c'est un bûcheur, acharné au travail."

Gardons-nous cependant de voir notre jeune homme perdu uniquement dans ses livres. Il trouve encore le temps de faire partie de l'Action Catholique de la Jeunesse Française (A.C.J.F.), fondée par Albert de Mun rallié à la cause ouvrière. C'est la belle époque des patronages et Marcel Navarre s'y donnera à fond. Habitué très tôt au sacrifice, il a acquis un grande maîtrise de lui-même. "Faire passer le bon Dieu avant tout et par dessus tout" sera la résolution qu'il prendra à la fin de ses études au collège. Ses camarades ne se tromperont pas sur sa valeur qui lui décernèrent, à la suite d'un vote unanime, le "Prix de sagesse" pour sa conduite, son travail, son esprit de camaraderie, sa piété.

A la fin de ses études secondaires, Marcel Navarre fit sa demande d'entrée dans la congrégation du Saint-Esprit. Envoyé à l'abbaye NotreDame de Langonnet, dans le Morbihan, il fera, selon l'usage d'alors, une année de philosophie scolastique avant de commencer son noviciat. Il fit sa profession religieuse l'année suivante, le 5 octobre 1919.

Ses études théologiques le conduisirent à Chevilly, près de Paris ; il les interrompra pour aller faire son service militaire à Oran, de mars 1920 à mars 1922, dans le Service de Santé, à la 2& S.I.M.

Le 28 octobre 1924, avec 36 de ses confrères, il recevra la prêtrise des mains de Mgr Le Roy, son supérieur général, dans la chapelle de la maison mère à Paris. L'année suivante il fera sa consécration à l'apostolat et recevra sa première affection : ce fut l'école apostolique des missions, à Cellule. Dans le Puy-de-Dôme, de 1925 à 1943, il y rejoindra un groupe de jeunes professeurs qui feront la renommée de l'école : les PP. Cogneau, Piacentini, Bonhomme Videlo, Le Mestre, Lacoste, Simon .... En plus de leurs cours à assurer à l'école, on demandait à ces jeunes professeurs de préparer des licences.

Le P. Navarre fut le premier héros de cette sorte d'épopée. Après la licence, il présenta en 1931, pour son diplôme d'études supérieures, le sujet suivant : "La seconde mission du représentant Santhonax à SaintDomingue". Enfin, le 20 décembre 1944, il obtint le doctorat-ès-lettres en traitant les deux sujets suivants : Saint-Domingue et la bataille de Prairial II, comme sujet principal, et Un essai de réorganisation du Service de Santé àSaint-Domingue pendant la première mission du représentant Santhonax , comme sujet secondaire.

Il n'est pas difficile d'imaginer quel travail herculéen le jeune R Marcel Navarre dut déployer, pour assurer à la fois ses cours de professeur d'histoire et de géographie de la 5e à la philosophie comprise, et ses cours d'étudiant d'université. Levé à 4h. tous les matins, il n'éteignait jamais sa lampe avant 22h. et dans l'intervalle, sa journée se réglait au chronomètre !

Ses connaissances des événements, qu'ils fussent d'hier ou d'aujourd'hui, étaient littéralement effarante. Sa réputation d'historien se répandit vite. Ainsi pendant la guerre de 1940 où il fut mobilisé comme adjudant-chef infirmier dans les bureaux de l'état-major à Clermont-Ferrand, il se vit invité, par une personnalité haut-placée, à faire à Vichy une causerie sur la bataille navale d'Aboukir. L'auditoire était composé d'amiraux, de capitaines de vaisseau et de divers officiers ; la salle était comble. Durant une heure et demie, sans une note, le conférencier raconta la journée, quart d'heure par quart d'heure, faisant assister aux évolutions des navires tant anglais que français, avec leurs noms, le nom de leur commandant, les manœuvres des équipages, l'action des canoniers, les instants précis où les vaisseaux touchés commençaient à sombrer. Le tableau fut complet. Le R Navarre en sueur, pour ne pas dire en nage, laissant ce beau monde éberlué et pantois, les entendit commenter: "On avait vraiment l'impression d'y être à cette bataille, et d'y avoir vu' plus clair que Nelson lui-même, malgré sa victoire." Cette science prodigieuse n'était pas réservée aux états-majors ou à ses confrères en petit comité. En classe de philosophie comme en cinquième, l'aisance du professeur était la même. Les anciens élèves de Cellule sont unanimes. Il les passionnait. Entre un de ses cours et une séance de cinéma, nous n'aurions pas hésité, écrit l'un d'eux. Il exigeait qu'on travaille ; les récitations écrites étaient régulières et les sanctions immédiates. Mais ensuite il n'y avait plus qu'à se laisser séduire par le cours magistral.

La seconde affectation du P. Navarre fut le secrétariat général de la congrégation. Il ne quittait pas tout à fait l'Histoire, mais il allait plus intensément et par devoir d'état, traiter surtout de la petite histoire d'une congrégation missionnaire. Sa mémoire n'eut pas de mal à se familiariser avec les différents problèmes de chacune des onze provinces et vice-provinces, des districts et territoires de mission, avec les diverses législations, et le droit canon pour lequel il trouvait près du P. Jolly une aide précieuse.

Méticuleux, trop méticuleux parfois, méthodique sans être toujours pratique, tout était ordonné, prévu, classé, enveloppé, étiqueté. Les affaires ne traînaient pas avec le P. Navarre Autant le secrétaire général était disert pour ce qui regardait les événements extérieurs, autant il devenait muet pour tout ce qui touchait à son travail. Il était d'une extrême discrétion, suivant l'étymologie du mot secrétaire.

Par rapport aux autorités, il était toute déférence et soumission. Il ne discutait jamais un ordre. Il était là, ponctuel, chaque matin et chaque soir, à la seconde près, chez le père général, pour prendre le courrier et recevoir les instructions de son supérieur. Comme confrère, il était la charité même. Jamais il n'aurait dit du mal de quelqu'un. Il aimait peu la discussion, ne s'obstinait pas à défendre une position ; il était plutôt porté àabonder dans le sens de son interlocuteur.

Le travail fait, il prenait un peu de détente en allant causer avec le P. Bonhomme, supérieur de la maison, l'économe ou ses collaborateurs. Il était toujours plein d'empressement pour quiconque venait frapper à sa porte, plein de gentillesse. Celui qui cherchait un conseil, ne partait jamais les mains vides. Facilement il vous renvoyait à meilleure compétence, vous donnant une adresse sûre qui allait faire merveille. Il évitait ainsi de prendre des initiatives et des responsabilités, peu compatibles avec son rôle de secrétaire.

Le P. Griffin, supérieur général, n'aura pour lui que les plus grands éloges. Écrivant à son frère, l'abbé Charles Navarre, après le chapitre général de 1962, il dira : "Le P. Marcel a fait un travail formidable pendant le chapitre. Comment a-t-il pu tenir ?" (Lettre du 12 août 1962).

Mgr Lefebvre, qui succéda cette même année au P. Griffin, prit la décision d'installer le conseil général rue des Pyrénées, dans le XX arrond issement, laissant à la province de France la maison plus vaste de la rue Lhomond. Quoique tout se fit sans trop de mal pour lui, cela ne manqua pas de préoccuper le secrétaire qui prenait toujours son travail très au sérieux. Il eut à souffrir de migraines et d'insomnie plus que d'habitude. Le coup le plus dur, semble-t-il, lui a été asséné par un nouveau déménagement un peu plus important celui-là : de la maison mère de Paris à Rome. Quand il s'est vu à 66 ans, privé de ce qui avait fait sa vie depuis plus de vingt ans, quand il a vu les cartons entassés, remplis des précieux documents du secrétariat, prendre la direction d'un lieu qui lui était inconnu, il a été traumatisé ; il fit une dépression. Remis, il accepta, avec esprit de foi et grande simplicité, d'aller faire la classe dans une petite école, à Bletterans dans le Jura, où manquait un diplômé.

Le P. Marcel Navarre, mort le 29 juin 1970, est inhumé à Chevilly avec beaucoup de ses confrères qu'il a formés et toujours aimés.

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