Le Père Antoine NEUMEYER
de la Province de France, décédé à Rome (Séminaire français) le 18 janvier 1952
à l’âge de 43 ans, après 25 années de profession.


Le Séminaire de Santa-Chiara est dans la désolation... Le cher P. Antoine Neumeyer n'est plus. Il s'est paisiblement endormi dans le Seigneur, au jour de la Chaire de Saint-Pierre, presque au moment où la Radio Vaticane diffusait le message de charité qu'il avait rédigé pour l'octave de l'Unité.

En dépit de ses robustes et florissantes apparences, il n'avait pas un tempérament très résistant. Depuis longtemps il se sentait fatigué. et les grandes vacances ne l'avaient pas entièrement reposé. Les dernières retraites d'ordination avaient encore accru sa lassitude, et, le soir de Noël, ayant accompli sa tâche jusqu'au bout, il devait s'avouer vaincu et s'aliter. La maladie, au caractère assez mal défini et aux variations déconcertantes, prit rapidement une tournure alarmante.. Les soins cons­tants et délicats qu'elle nécessitait imposèrent le transfert à la clinique de San-Stefano Rotondo, mais le dévouement éclairé du docteur et des religieuses fut impuissant à enrayer le développement du mal foncier, poussée aiguë d'une néphrite dont l’origine était sans doute ancienne.

Le 1er janvier, le Père recevait les derniers sacrements avec une piété touchante; il s'associa de très près, aux cérémonies liturgiques qu'il ad­mirait tant, donnant aux assistants, d'une voix bien assurée, « une belle bénédiction de prêtre ». Dès qu'on lui avait proposé le saint Viatique, il avait exprimé sa joie et commencé sa préparation : « Oh! mais, c'est merveilleux; Jésus va venir! Veni, Domine Jesu! Veni, o Sponse! Veni, ut manducem te, ore pleno. . . » La fièvre suscitait en lui ce besoin de laisser déborder les sentiments dont son cœur était plein. Il parlait beaucoup, dans toutes les langues qu'il connaissait, et il fut toujours singu­lièrement émouvant et édifiant de voir se révéler ainsi toutes les pro­fondeurs de sa belle âme sacerdotale. A l'exemple de saint Paul, il ne désirait rien tant, pour sa part, que d'aller auprès du Seigneur, mais il ne refusait pas de continuer à servir et il songeait avec douleur à l'affliction de ses pauvres parents, déjà si cruellement éprouvés par la mort de quatre de leurs enfants, dont deux ont été massacrés à Oradour.

Il était prêt, splendidement prêt, et, pour que sa récompense fût plus belle et plus immédiate, le Seigneur acheva, de purifier son fidèle servi­ teur par de pénibles souffrances morales. Hostem repellas longius, lon­gius, répétait le Père, qui aimait- recourir à l'eau bénite en même temps qu'à la prière pour chasser la présence du Malin, Peu à peu, le calme total revint, ainsi qu'une lucidité parfaite. « Je suis content, très content, déclarait-il peu de jours avant de mourir; je ne souffre plus et mes angoisses sont dissipées. Si c'est cela mourir, c'est chose bien facile. »

Il fit alors ses dernières recommandations à sa chère petite soeur accourue à. son chevet et lui dicta une lettre d'adieu à ses parents très aimés, sans oublier un mot de gratitude à l'adresse du docteur. Déjà, il avait fait venir le doyen des prêtres, pour le prier de transmettre à tous lés élèves un dernier message. Devant le R. P. Supérieur, il recevait encore le saint Viatique et renouvelait avec ferveur ses voeux de religion, de­mandant que l'on chante pour ses funérailles un Nocturne avec l'Invi­tatoire et une belle messe en grégorien. Dès lors, il se fit silencieux et se perdit davantage dans sa contemplation intérieure. « J'ai besoin de par­ler avec Dieu », disait-il. Le 18 au soir, peu après 9 heures, il entrait dou­cement en agonie, pendant que l'on récitait les prières liturgiques qu'il aimait. Vers 11 heures, le P. Delaire, son confesseur, son « Père », lui fermait les yeux. Né le 23 avril 1908, le P. Antoine Neumeyer n'avait pas quarante-quatre ans...

Dans ses actions de grâces, son cœur débordait de reconnaissance envers le Seigneur qui l'avait fait naître dans l'Eglise catholique, au sein d'une famille profondément chrétienne, où devait germer et s'épanouir spontanément sa vocation religieuse et sacerdotale. « Jamais ce bon petit ne m'a fait aucune peine,'put assurer sa pieuse et chère maman. Quand il était libre, il aimait rester auprès de moi et me lire de belles histoires qu'il prenait dans son catéchisme. » Déjà l'enchantement du mystère divin et de l'Ecriture sainte saisissait son âme d'enfant, simple et can­dide. Il se laissait prendre aussi aux charmes de son Alsace natale, si fran­çaise de cœur, et, le dimanche, après la grand'messe, alors qu'il n'avait pas encore cinq ans, il commençait de s'extasier, sous la conduite de son père, devant les splendeurs et l'harmonie de la cathédrale de Strasbourg. « Toute ma formation artistique, dira-t-il, c'est d'abord à mon petit papa que je la dois », et la cathédrale de pierre lui fera bientôt découvrir cette autre cathédrale, la « cathédrale » par excellence, qui est l’Eglise, Corps du Christ : « nous bâtissons la cathédrale, nous sommes la cathédrale et tel que l’on prend pour la porte basse de la sacristie, peut-être est-il en réalité le portail central. »

A onze ans, Antoine Neumeyer entre à l’école apostolique de Saverne. ; il sera prêtre, religieus et missionnaire dans la Congrégation du Saint-Esprit, où l’a déjà précédé un de ses oncles, le Frère Marcien, qui devait disparaître dans le naufrage de l’ « Afrique », en janvier 1920. On a conservé de cette époque une photographie qui le montre riant d’un beau rire épanoui, reflet limpide de sa joie intérieure. Oh ! ce bon rire sonore et communicatif, que la maturité de l’âge n’altéra point, comme il résonne encore dans le cœur de ceux qui l’ont si souvent entendu ! Au demeurant, « Tony » était sérieux et appliqué ; doué d’une intelligence ouverte e- d’une mémoire étonnante, il fit d’excéllentes études secondaire. En 1925, il entrait au Noviciat d'Orly; il y faisait profession l'année suivante. Désormais, il est pleinement spiritain, fils du P. Libermann, consacré au Saint-Esprit et au Saint Coeur de Marie. Tous ces engagements, pris dans la fleur de la jeunesse, il ne cessera de lès renouveler chaque jour dans son cœur et d'en prendre une conscience plus aiguë. Il vivra de plus en plus intensément de cette spiritualité spiritaine qu'il connaissait à fond et s'intéressera de très près à l'histoire et aux oeuvres de la Congrégation. Il s'attachera avec une singulière dilection à la personnalité si prenante du Vénérable P. Libermann. En février dernier, lors des fêtes centenaires de sa mort, il en devait prononcer le panégyrique dans l'église Notre-Dame des Victoires. Résumant la pensée de tous, un confrère lui écrivait à ce propos : « Si votre, maladie vous empêche d'être le panégyriste du P. Libermann, j'espère du moins que vous serez son miraculé. » A quoi le Père répliqua tout net : « Je préfère être son compagnon. » Peu de jours avant sa mort, il trouvait encore la force de griffonner au clos d'une enveloppe la protestation suivante : « Je, Antoine Neumeyer, prêtre, je veux être à tout jamais le fils spirituel de François Libermann. »

Après une année passée à Mortain, le jeune profès était envoyé à Rome pour y parfaire ses études philosophiques et théologiques. Ce sont alors d'autres découvertes et d'autres enchantements. D'emblée, l'Italie le séduit par la beauté lumineuse de son ciel et de ses paysages, comme par la splendeur de ses monuments ou. la « gentilezza » naturelle. de ses habitants. Il lit Dante et Manzoni et savoure le parler musical de leurs compatriotes. Rome surtout le conquiert, la Rome païenne bien sûr, dont il aime retrouver les moindres vestiges, mais combien plus encore la Rome chrétienne, la Rome de Pierre et de Paul, la Rome des Catacom­bes et des Martyrs, la Rome du Moyen-Age et de la renaissance, la Rome des Papes. Pour ce fils de l'Eglise, Rome, c'est le centre de la catholicité; Rome, c'est la présence du Pape, le « dolce Cristo in terra », Rome, c'est la fermeté doctrinale de la « custos et magistra verbi revelati ». Il eût fallu l'entendre, pendant sa maladie, exprimer son attachement, lucide et fervent à toutes ces réalités dont il n'avait cessé de vivre. « Tous ces compagnons de saint François d'Assise qui baisent la terre de Rome, la terre sainte, disait-il en évoquant le monument placé devant Saint-Jean­ de-Latran, ce sont autant de Neumeyer! » Puis sa pensée se . reportait vers la personne du Saint-Père : « 0 Pape Pacelli, comme vous êtes beau comme je vous aime! Je suis votre enfant; je voudrais vous voir et, être personnellement connu de vous.» Ce lui fut une joie suprême, lorsque, au matin même de sa mort, on lui fit part de la bénédiction toute spé­ciale envoyée par le Saint-Père. « Merci, Saint-Père », dit-il, et il se perdit de nouveau dans son recueillement. Et comme il déplorait, dans ses derniers moments, que le clergé de France semble éprouver parfois la tentation de mesurer à Rome sa confiance! Former des prêtres vraiment « romains » de pensée et de coeur, telle lui paraissait être la tâche essen­tielle du Séminaire Français.

C'est dans cette atmosphère et dans cet esprit que le jeune Antoine Neumeyer fit ses études à l'Université Grégoriénne et continua sa prépa­ration au sacerdoce. Ses succès scolaires furent brillants, couronnés fina­lement, en 1938, par une soutenance de thèse remarquée sur le Christ, Chef des Anges : il fut admis au doctorat en théologie avec la mention magna cum laude. La guerre de 1939, comme la publication en dehors d'une maison d'édition, firent que, le monde savant prêta peu d'attention à ce travail de valeur. Plaisamment, le Père parlera à ce propos d'une « conspiration du silence ». Mais ce qui l'intéressait avant tout, ce qu’il, avait cherché et trouvé à Rome, c'était une solide formation. théologique, dont il sentait impérieusement le besoin pour alimenter sa propre vie'intérieure et guider son apostolat futur. Sa foi, ferme et simple, éprou­vait le besoin de pouvoir se reposer avec assurance sur des certitudes inébranlables et sa piété fervente savait facilement donner vie à tous les exposés de thèses. Les questions proprementt spéculatives l'attiraient moins, mais ses goûts le portaient de préférence vers l'Ecriture. sainte. Pour le « pauvre liseur » qu'il était selon ses dires, la Bible devint vite le livre par excellence, et un commerce assidu - il resta toujours fidèle à sa lecture quotidienne - lui en donna bien vite une connaissance éten­due et personnelle. Presque jamais il n'usait de concordance et son étonnante mémoire lui faisait facilement retrouver les textes qu'il cher­chait. Afin de mieux savourer la parole de Dieu, il s'adonne à l'étude de l'hébreu, « la langue sacrée », et suit le cours supérieur professé alors par le R. P. Filograssi, qui resta toujours pour lui - il le lui fit dire avant de mourir, - un maître vénéré : « C'est mon violon d'Ingres », disait-il. Il en lisait directement le texte; une de ses dernières joies fut de posséder enfin un Nouveau Testament en hébreu .

Ainsi préparé par un approfondissement quotidien de sa vie inté­rieure, Antoine Neumeyer pouvait accéder au sacerdoce. Le 10 juillet 1932, il était ordonné -prêtre du Seigneur au Scolasticat de Chevilly.

Ce fut le grand événement de sa vie et il en prit conscience toujours davan­tage. Il ne cessait de glorifier la bonté infinie qui, d'un « pauvre homme » comme lui, avait fait un prêtre de Jésus-Christ. Il savourait sa messe, qu'il célébrait gravement, mais sans lenteur, et préparait soigneusement chaque soir. Les fonctions liturgiques lui plaisaient et il était attentif au moindre détail des rubriques. Il goûtait pareillement son bréviaire et les sobres splendeurs du rituel romain faisaient ses délices. Le chant liturgique, surtout le chant grégorien, lui paraissait la plus belle ex­ pression des sentiments religieux, et, quand il s'y adonnait. il y mettait toute son âme, contenant avec peine la puissance de sa voix. De plus en plus, sa piété se nourrissait de la vie liturgique comme elle continuait de s'alimenter à la sainte Ecriture. Dans cette chaude et vivifiante atmos­phère, il s'épanouissait à l'aise; il s’y plongeait en quelque sorte et en vivait intensément. Aussi les prières liturgiques affluaient-elles sponta­nément sur ses lèvres lors de sa maladie et, plus d'une fois, il se prit à les chanter encore de sa voix à peine affaiblie. Comme on lui rappelait, la veille de sa mort, que le Séminaire clôturait l'Adoration des Quarante Heures, il entonna de lui-même l'Introït « Cibavit », qu'il poursuivit jus­qu'au bout dans un vibrant crescendo. De tout cela, surtout de ce contact intime avec le corps et sang du Christ, il se sentait «immensément riche».

C'est pourquoi il songeait avec émotion à tous ceux qui, séparés de l'E­glise.. n' ont pas là bénéfice de la vie sacramentaire: « Père, priait-il dans une de ses dernières actions de grâces après la communion, ayez pitié de mes pauvres frères; ne les laissez pas seuls ». Prêtre de Jésus-Christ, il avait une âme vraiment catholique et missionnaire.

Lorsqu'il eut terminé ses études, il ne fut pourtant pas désigné pour le ministère direct auprès des âmes. En juillet 1934, après avoir fait sa Consécration à l'Apostolat, il fut nommé professeur de dogme au

Grand Scolasticat de Chevilly. Cinq années durant, il y enseigna la théo­logie fondamentale et le traité de la grâce. De suite, il révéla sa maîtrise, si les questions spéculatives continuaient à le moins préoccuper, il savait se montrer simple et accessible, recourant volontiers aux images, voire à de pittoresques croquis, pour se faire mieux comprendre de ses élèves. Sa connaissance approfondie de l'Ecriture lui était d'un grand secours, et il avait l'art d'initier son auditoire attentif à l'étude savoureuse de la parole de Dieu. Il avait le souci de faire naître des convictions solides à l'égard des vérités de foi, et plus encore d'apprendre à en vivre. Cette action se prolongeait d'ailleurs par la direction spirituelle de ceux qui, de plus en plus nombreux, se confiaient à lui. Le ministère de la parole l'attirait également et il ne tarda'pas à y exceller, car il parlait de l'a­bondance du coeur, avec une éloquence sobre et directe, bien servie par une diction nette et forte. Aussi le chargea-t-on bientôt du cours, de pré­dîcation, tandis que lui étaient confiées par ailleurs diverses retraites spirituelles, particulièrement goûtées.

La mobilisation de 1939 l'arrache à cette activité, pour le plonger dans une autre qui lui allait mal, mais où il sut toujours exercer une influence sacerdotale. Libéré après quelques semaines de captivité'. il est nommé directeur des scolastiques alsaciens,- provisoirement groupés à Blotzheim. A ce titre, il est chargé des conféren ces spirituelles, en même temps qu'il professe successivement tous les traités de dogme et s'adonne fréquemment au ministère paroissial. Toute une année durant, ses élè­ves ayant terminé leurs études, il se consacre exclusivement à cette der­nière tâche. C'est donc enrichi par de précieuses expériences et mûri par les épreuves de la guerre qu'il regagne Chevilly en septembre 1945. A son corps défendant, il est nommé sous-directeur et chargé des trois premières années de théologie. Décidément, cette fonction ne lui va guère et ces responsabilités l'écrasent. Il supplie qu'on le libère de ce fardeau, et finalement ses supérieurs y consentent. Avec un soulagement visible, le Père note alors, sur le «Livret personnel » que chaque membre de ta Congrégation doit tenir à jour: « Septembre 1947. Déchargé des fonc­tions de sous-directeur, redevient professeur de dogme. »

L'année suivante, il est envoyé à Sa ta-Chiara pour y être répétiteur de dogme et y faire les conférences spirituelles réservées aux prètres. .Malgré son grand amour pour Rome, tout ne lui est pas joie dans ce re­tour, mais la Ville Eternelle a tôt fait de le reprendre, tandis qu'il s'at­tache à remplir avec conscience la tâche qui lui est confiée. Il refait alors les pèlerinages aimés, visite plus à loisir les sanctuaires et les mu­sées, pousse parfois jusqu'à l'antique Ostie ou dans la campagne romaine, complète sa documentation et ses connaissances historiques, si bien qu'il devient vite un guide très averti, et, comme il est la serviabilité même séminaristes et pèlerins ont, volontiers recours à lui. Tout cela pourtant n'est qu'une sorte d'intermède et d'ultime préparation. Très en possession de tous ses moyens et en pleine maturité de ses talents, le P. Neu­meyer est nommé, en octobre 1950, Père spirituel au Séminaire français. C'est dans cette tâche - celle qui lui convenait le mieux sans doute -qu'il va donner sa pleine mesure, hélas! pendant un temps bien court. Il a l'estime et l'affection de tous et beaucoup lui confient le soin de leur âme. Ses conférences spirituelles, retraites du mois ou retraites d'or­dination intéressent au plus haut point un auditoire exigeant et de for­mation très diverse. Il a d'ailleurs l'art d'en varier le sujet, passant des thèmes liturgiques aux exposés bibliques et y entremêlant des considé­rations sur Dante ou l'art religieux.

Outre la compétence, ce que l'on apprécie chez lui, c'est le sérieux avec lequel il traite toutes les choses saintes. On sent vraiment en lui une âme de prêtre, profonde et transparente, pleinement consciente de ses responsabilités. Le pauvre Père! il a tellement pris sa charge à cœur que, dans sa maladie, il se reprochera avec larmes et angoisses « tout le mal qu'il aurait pu faire à ses chers enfants ». Pour eux, comme pour lui-même, il sentait le besoin de convictions fortes, qui les arment pour la rude vie sacerdotale et les prémunissent contre les périls menaçants~.

Je suis comme une mère poule, dira-t-i1 encore avant de mourir; mes petits poussins courent après des boulettes empoisonnées et je ne réussis pas à les en empêcher». C'est pour cela qu'il voulait leur donner une nourri­ture simple, mais consistante et substantielle. Sans méconnaître les vrais problèmes de la génération présente, ou pour mieux dire, parce qu'il les percevait nettement, il cherchait moins à les faire découvrir et à les faire poser qu'à leur apporter une solution de base toujours valable.

Evitant de parti pris tout à-peu-près, il s'en tenait aux certitudes et pouvait alors parler avec une assurance communicative et apaisante. Avec lui, on voyait clair et on savait à quoi s'en tenir. Il n'improvisait pas et tout était soigneusement préparé par écrit. Il ne donnait rien non plus qu'il n'ait expérimenté par lui-même, et, comme ce fils de l'Eglise pensait et vivait avec l'Eglise, ses paroles et son exemple acheminaient sûrement vers Dieu. Au contact de sa grande âme, chacun découvrait dans, l'Ecri­ture, dans la liturgie, dans toute la vie de l'Eglise et jusque dans l'Art sacré, des profondeurs de vie insoupçonnées et directement accessibles.

Au reste, toutes les leçons du Père s'enrobaient dans un langage et une imagerie pittoresques qui n'étaient pas un des moindres charmes de son attachante personnalité. Il n'était pas enclin aux spéculations abstraites, mais, pour monter vers les réalités spirituelles, il avait besoin de prendre appui sur les réalités sensibles. Combien de fois n'a-t-il pas évoqué le texte de la préface de Noël : « ut dum visibiliter Deum cognos­cimus, per hune in invisibilium amorem rapiamur? ». Sensible dès son enfance à toutes les variétés du beau, il savait « savourer » en elles les choses de Dieu et le mystique en lui se doublait d'un poète. Toutes les splendeurs de la nature évoquaient pour lui le Créateur. Il admirait dans l'amour maternel «la plus belle puissance créatrice qui soit au monde », et, songeant à sa propre mère, il enchaînait tout naturellement : « Puisque le cœur d'une mère est une réalité, c'est donc qu'il existe un amour infini. Ce n'est pas seulement une foi, comme on dit, c'est une, certitude. » Aussi était-il comme accordé au langage si expressif de la Bible qui le ravissait, et il en percevait d'instinct le sens profond. De même, le symbolisme liturgique, si dense de réalité faisait ses délices. Sacramentaux, rites, ornements sacrés, indulgences, il ne négligeait rien et il comprenait tout par le dedans. Et quelle joie pour lui que la restau­ration de la Vigile pascale! Vraiment, il avait le sens très affiné du « sa­cramentel ». Il fit, par exemple, deux conférences surprenantes sur la permanence des accidents dans l'Eucharistie, et, pendant sa maladie, il réclamait souvent de l'eau bénite : « Elle est exorcisée de toute la cha­leur du diable, elle est rafraîchissante, elle est mouillée, l'eau bénite. » Quand on lui administra l'Extréme-Onction, il se plaignit d'abord de ne pas sentir le parfum de l'huile sainte; puis, il le huma avec une sainte volupté : - 0 sanctum remedium! ô Santo Spirito! comé sei buono! éomié sei caro! » Et comment ne pas recueillir encore un de ces traits inattendus dont il avait le secret? A l'une de ses dernières communions, la parcelle d'hostie resta un moment attachée au fond de son palais desséché. Refu­sant l'eau qui lui était proposée, le Père entra dans une sorte d'extase. « Mais il est là Jésus, je le sens. Oh! c'est une chance que l'on n'a pas souvent. Il a un bon parfum de froment. Il a bon goût Jésus. Il est suave... » N'est-ce,pas là, après tout, l'écho, fidéle des textes bibliques et liturgiques qu'il avait tant médités? Il avait le don de Sagesse, « sa­pida scientia ».

Tous ceux qui ont connu le cher P. Neumeyer ne seront pas surpris que ses derniers moments aient achevé de dévoiler toute sa belle âme sacerdotale. « Je me suis laissé prendre au jeu, reconnaissait-il; J'ai vou­lu un beau sacerdoce. » Il a eu, en effet, un beau sacerdoce, parce qu'il l'a toujours pris au sérieux. Sa mort prématurée crée on grand vide clans le Séminaire et fait mieux percevoir encore ce qu'on perd en lui.

Elle ne sera pas moins ressentie par la Congrégation du Saint-Esprit, car le Père y était si universellement apprécié que la confiance de ses confrères l’avait envoyé comme délégué au. dernier Chapitre général de 1950. Mais que dire de la douleur de ses pauvres parents, arrivés trop tard pour recueillir son dernier souffle ? Toute la colonie française, de Rome, ambassadeur en tête, s'est associée à ce deuil de façon profondé;ment émouvante. L'assistance recueillie se pressait dans une chapelle trop étroite, tandis que se déroulait le lundi 21 janvier, fête de la vierge romaine sainte Agnes, la simple grandeur des funérailles liturgiques.

Maintenant, le Père repose au Campo Verano dans le discret oratoire, qu'il visitait fidèlement : « Comme cela, concluait-il lui-même, je res­susciterai au dernier jour tout près de saint Laurent et du P. Frey. »

Pour douloureuse qu'elle soit à ceux qui restent, une mort si sainte ne saurait demeurer sans de surnaturelles consolations. Tous ceux qui en furent les témoins privilégiés en garderont à jamais l'édifiant et poignant souvenir. Certes, les voies de Dieu ne sont pas nos voies, mais ses desseins sont adorables, car ils procèdent d'un amour insondable. La liturgie des défunts est pleine d'espérance et nous fait redire qu'il est juste et salutaire de rendre grâces au Seigneur semper et ubi Que. Et puis, n'est-on pas en droit d'évoquer cette inscription que le Père avait recueillie dans les Catacombes et commentait en ter minant une conférence sur la mort :

„Roga pro nobis quia scimus te esse in christo“
Henri Barré, cssp

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