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LE P. NICOLAS PACE 

DE LA MISSION DU GABON,

décédé à la Maison‑Mère, à Paris, le 1er  juin 1908.
(Not. Biog. III p.320-325)

 

Nicolas‑Mathurin‑Marie Pacé était originaire d'Éas‑en‑Éréac, au diocèse de Saint‑Brieuc. Il fit son entrée en ce monde, le 16 février 1858, dans un ménage de cultivateurs chrétiens, qui ne remirent pas au lendemain le soin de lui assurer sa place parmi les enfants de la sainte Église. Cet empressement des parents à décorer l'âme de leur fils du sceau de l'Auguste Trinité était de bon augure: il prouvait quelle sollicitude empressée serait déployée dans l'éducation religieuse du nouveau baptisé. Prêts à suivre l'exemple de quelques proches parents, sa famille avait déjà donné à l'Église de dignes prêtres et de ferventes religieuses, ‑ le père et la mère de Nicolas seraient heureux de le voir prendre le chemin du sanctuaire, au cas où il sentirait ses goûts s'orienter vers cette direction.

 

Les années de l'enfance s'écoutèrent sans soucis pour Nicolas Pacé, à Plumaugat (Côtes‑du‑Nord), où il suivit les cours de l'école primaire. Au moment où il atteignait l'âge de 13 ans, mort de sa mère, en lui causant le premier chagrin sérieux sa vie, vint apporter un changement notable dans son existence. Le soin de préparer le jeune Nicolas à une carrière honorable fat, dès ce moment, laissé à l'abbé Kersanté, son oncle maternel; qui lui fit parcourir le cycle des humanités, au siège ecclésiastique de St‑Méen (Ille‑et‑Vilaine).

 

Au cours de ses études littéraires, le pieux adolescent avait goûté souvent un vif plaisir dans la lecture de certaines publications relatant les travaux des missionnaires en pays infidèles. Un attrait prononcé pour ce genre d'apostolat, se faisait jour peu à peu dans l'âme de l'étudiant, si bien     qu’au moment de quitter le collège, à la fin de sa rhétorique, Nicolas Pacé  vou­lait devenir missionnaire. Il sollicita son admission au Sémin­aire des Missions Étrangères et reçut une réponse favorable.

 

Vite il s'empressa de communiquer cette bonne nouvelle à l'une de ses tantes, religieuse, pensant lui causer par là grande satisfaction. La tante applaudit en effet à 1a ddétermination de Nicolas; mais, en personne avisée, en vraie religieuse, consciente de tous les avantages que la vie de communauté et la pratique des voeux de religion comportent pour les travaux apostoliques, elle demanda à son neveu s'il ne serait pas content de se procurer ces précieux avantages, en entrant dans quelque Institut religieux voué à l'évangélisation des infidèles. Réfléchissant là‑dessus, Nicolas Pacé convint sans peine que sa vocation apostolique serait mieux remplie au sein d’une Congrégation. Quel service fut rendu, ce jour‑là, à notre aspirant missionnaire ! Avec son tempérament et son caractère, comment serait‑il parvenu, dans l'isolement d'une vie sacerdotale, si pieusement qu'il pût la passer, comment serait-il parvenu à faire, seul, oeuvre utile d'apostolat?... Il lui fallait absolument l'aide constante de quelqu'un, qui remplirait auprès de lui les fonctions de mentor judicieux et désintéressé, le rôle d'un frère expérimenté et tout dévoué.

Au mois d'août 1878, Nicolas Pacé obtenait son admission au grand Scolasticat de Langonnet, où il entra, le mois suivant, en philosophie, afin de voir si Dieu le voulait membre de la Congrégation du St‑Esprit. L'âme simple, calme, encore naïve, et surtout trop timide du nouveau postulant  se dilata avec délices dans l'atmosphère de cordialité et de charité dont il se trouva environné par ses confrères. ‑ Oui, pensa‑t‑il, me voilà très bien ici; cette place me convient... Six mois après, le jeune homme contractait les premiers engagements de Scholastique.

La vie tranquille et laborieuse de l'étudiant suivait son cours régulier. Les directeurs ne pouvaient que se réjouir de voir sa douce piété, son bon esprit, son caractère accommodant et pacifique. S'ils ne constataient point de brillants succès dans ses études, du moins ils lui reconnaissaient des capacités suffisantes. D'autre part, point de motifs certains, péremptoires, pour révoquer en doute la vocation du jeune homme. Et cependant, la fin des études théologiques approchant, les directeurs n'osaient lui conseiller de faire le pas décisif. Ils ne considéraient pourtant point comme obstacle son air distrait, légèrement rêveur, ‑ simple jeu de physionomie commun à bien des gens, apparence sans réalité. Quelle raison les maintenait donc dans l'hésitation? Tout uniment l'indécision, la timidité persistante de Nicolas Pacé. Dans les difficultés tout ordinaires, quotidiennes des oeuvres apostoliques, on se demandait s'il saurait prendre un parti, car on le voyait troublé, indécis, comme démonté ‑ en face des questions de la vie pratique, juste le moment venu de leur donner une solution : il désirait incontestablement faire le bien, et uniquement le bien, en toutes choses ; mais, craignant toujours de mal agir, à cause des inconvénients qu'il croyait voir à tous les partis, il ne se décidait pour aucun...

On devait recourir à quelque épreuve pour éclaircir la situation : un essai pratique dans quelque oeuvre de la Congrégation s'imposait. Nicolas Pacé fut donc mis, comme surveillant et professeur, d'abord au collège de Langogne, où il passa fort peu de temps ; puis, à la colonie agricole de St‑Ilan. Dans ces postes, ce n'était plus assez d'avoir une conduite personnelle irréprochable, édifiante ; il fallait encore maintenir dans l'ordre et la tranquillité une jeunesse toujours turbulente par nature et tapageuse par instinct. A tout instant, le surveillant devait accomplir un effort contre sa malheureuse timidité, en conciliant les différends, en redressant les torts, en donnant des ordres, en imposant le silence à son petit peuple, afin de gagner ainsi, pour lui‑même, de l'énergie avec de la promptitude et de la fermeté dans la décision. Il s'escrima de la sorte, durant deux années, contre lui‑même, cherchant à s'aguerrir, à tremper sa volonté. Certes, il ne devint ni foudre de guerre, ni tyran féroce, ni cerbère impitoyable, mais il parvint à conduire ses colons sans leur permettre des incartades trop notables, sans les laisser faire des accrocs trop considérables au règlement. Par suite, les directeurs crurent constater un affermissement dans le jugement de Nicolas Pacé, et l'estimèrent capable de « vouloir, quand les circonstances le requéraient absolument. » En conséquence, ils le firent ordonner sous-diacre, à St‑Brieuc, le 8 juillet 1883, et l'appelèrent au noviciat, l'année suivante.

Le P. Pacé, admis au nombre des profès, le 23 août 1885, s'embarquait à Marseille, le 27 septembre de la môme année, à destination du Zanguebar. Morogoro et Bagamoyo possédèrent successivement le missionnaire débutant. Dans les deux postes, il eut à s'occuper surtout du soin des enfants élevés par la Mission. Le succès obtenu ne fut pas en proportion de la bonne volonté et des efforts déployés. Le contact avec des enfants à conduire et à faire marcher droit ayant manqué au Père pendant le temps du noviciat, il avait sans doute perdu l'assurance péniblement acquise à St‑Ilan. De plus, les tâtonnements, les hésitations inévitables dans le maniement de la langue indigène qu'il commençait à balbutier, ne pouvaient qu'achever le désarroi chez cet homme si timide de sa nature. Bref, les Supérieurs crurent à propos de lui fournir un autre champ d'action.

En conséquence, le P. Pacé, rentré en France, au mois de juin 1887, était attaché à la Mission du Gabon, vers laquelle il fit route, se rembarquant à Cherbourg, le 4 octobre 1887. Les défectuosités inhérentes à la tournure d'esprit, au caractère, n'ont pas coutume de disparaître tout à coup, comme à point nommé et par enchantement. Rien donc de surprenant à ce que le P. Pacé, avec sa timidité, qui le rendait un peu gauche, son air embarrassé, qui détruisait à moitié le prestige de sa haute taille, ait paru un homme de bien maigre ressource, dans les premiers temps de son séjour au Gabon...  Bientôt on le donna comme auxiliaire à un missionnaire hors ligne, le P. Léon Lejeune, infatigable apôtre, qui remuait inlassablement, du matin au soir, idées, hommes et choses, dans la station de Lambaréné. La Mission n'avait pas de plus beau type de prompte et énergique décision à proposer en exemple à la timidité craintive du P. Pacé. Celui‑ci en tira profit autant que faire se pouvait c'est‑à‑dire surtout durant les années qu'il passa sous les ordres de ce supérieur, si habile à régler les affaires es plus compliquées et les plus diverses. Quant à la transformation du missionnaire timoré en ouvrier apostolique bien décidé en face des difficultés et obstacles, elle ne se produisit point. Toute sa vie, le Père porta cette lourde croix de la timidité, de l'hésitation anxieuse, au sujet même des questions les plus simples : il la porta avec résignation, ce qui ne l'empêcha pas d'en sentir le poids...

Toutefois, malgré cette sorte d'infirmité intellectuelle, nombreux furent les services rendus par le P. Pacé. D'abord, pour ses confrères, il demeura constamment un modèle de vie religieuse, restant fidèle observateur de la règle : en Afrique, voilà un miroir de grand prix, car il fait grand bien à qui le voit resplendir devant ses yeux. « De plus, très charitable dans ses paroles, affirme un témoin de ses dernières années, il évitait de parler de lui ou des autres, et on peut dire sans crainte de se tromper qu'il jouissait de l'estime générale. »

Donc, jamais le Père ne lançait de ces maudits coups de langue inconsidérés, qui empêchent tant de bien (quand ils ne font pas d'autre mal! ... ) En quelque sorte, type du confrère com­plaisant, le P. Pacé s'efforçait de contenter tout le monde; ‑ le proverbe assure  bien qu'on n'y arrive jamais complètement ; mais enfin, le Père eut le mérite' de tenter sérieusement la chose ‑ ‑ la preuve, c'est qu'il acceptait sans se plaindre de passer fréquemment d'une station dans une autre, et cependant             cela lui coûtait ; la preuve encore, c'est qu'ayant à diriger les enfants des stations, il tâchait de le faire d'après les vues du             Supérieur du moment, plus ou moins différentes de celles du Supérieur précédent, malgré les ennuis et désagréments que cette conduite lui amenait de la part des enfants, peu satisfaits de ces changements réitérés.

Ensuite, on peut dire que le P. Pacé a rendu à la fois service à ses confrères et aux enfants, lorsque succédant, en quelque station, à un directeur dont la patience avait été trop courte, dont la main s'était montrée trop prompte, il ramenait le calme et même l'affection pour les missionnaires au sein de son petit bataillon noir...

Enfin, quand le Père avait à remplir le saint ministère, particulièrement auprès des malades, il ne se contentait point du strict nécessaire, mais multipliait soins et visites. « Très dévoué, dit le témoin déjà entendu, très dévoué an ministère, qu'il a exercé pendant les dernières années que je l'ai connu, il n'avait pas l'habitude d'hésiter, quand il s'agissait des malades, persuadé qu'en cette matière le plus vaut mieux que le moins. »

En dépit de ses continuelles hésitations dans les choses de la vie courante, malgré son visage comme teinté de mélancolie, le P. Pacé n'avait point l'humeur triste et chagrine. Boute‑en-train, il ne pouvait l'être : bonnet de nuit, statue du commandeur, il ne le fut jamais. Comme compensation, probablement, à. son incurable timidité, il possédait un caractère, sérieux sans doute, mais aussi liant, aimable, charmant par son égalité constante et par la complaisance empressée avec laquelle il se prêtait aux innocentes fantaisies récréatives, riant de tout coeur, lorsque de l'esprit pétillant d'un confrère partait quelque.

Le P. Pacé, admis au nombre des profès, le 23 août 1885, s'embarquait à Marseille, le 27 septembre de la môme année, à destination du Zanguebar. Morogoro et Bagamoyo possédèrent successivement le missionnaire débutant. Dans les deux postes, il eut à, s'occuper surtout du soin des enfants élevés par la joyeuse fusée.. En cela encore, il fut utile à ceux de son entourage.

De 1887 à 1893, le P. Pacé avait, pour ainsi dire, fait la navette entre les communautés du Gabon. Depuis cette époque, la plus grande partie de ses années d'Afrique s'écoula dans la station de Boutika. A deux reprises, en 1895 et en 1901, quelques mois de séjour en France avaient suffi à lui rendre les for ces dont les fièvres africaines l'avaient dépouillé.

En 1908, il voulut essayer du même remède. Hélas! cette fois, le succès ne devait point être pareil. Après une attaque de fièvre bilieuse hématurique, il avait pu arriver sans trop de peine à Bordeaux, le 20 mai, et quelques jours après, à la Maison‑Mère. Il avait repris déjà de la vigueur et se sentait revi­vre, affirmait‑il... En deux jours, un nouvel accès qu'on ne put vaincre détruisait l'espérance de guérison du P. Pacé ! Muni des derniers sacrements, il abordait tranquillement, le 1er juin 1908, au rivage fortuné où ne se rencontrent plus ni les pleurs, ni les angoisses, ni la douleur, parce que le temps de ces épreuves est fini : « Neque luctus, neque clamor, neque dolor, erit ultra, quia prima abierunt. »

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