LE PÈRE EDOUARD PALLIER
de la Province de France
(1851-1915) (Not. Biog. V p. 355-359)


Lui-même a relevé les dates et les faits, d'ailleurs peu complexes, de sa vie de simple religieux. Nous n'avons qu'à les suivre et à les mentionner dans ce rapide mémorial de ses soixante-quatre années d'existence.

Il était né à Goune, commune de Sugères, dans le Puy-de-Dôme. Il commença ses études primaires à Jumeaux et à Issoire. Il les continua à Cellule, où elles furent suivies de ses études secondaires. Sa philosophie fut faite au grand séminaire de Clermont-Ferrand. De là il passa à Chevilly, puis à Notre-Dame de Langonnet pour ses études théologiques.

Dès cette époque déjà, il était atteint d'une infirmité, dureté d'oreille, devenue surdité qui, toute sa vie, lui fut une pénible épreuve. Et pour lui-­même et pour ses directeurs, cette infirmité devait motiver quelques hésitations au sujet de sa vocation. Elle était bien cependant et sacerdotale et religieuse pour la Congrégation. Mais des oppositions lui venaient du côté de sa famille et de la part de certains de ses directeurs. « Je lui ai dit, écrivait alors le P. Hubert supérieur de Cellule : Obéissez à votre père, mais qu'il sache bien et que votre curé et vos directeurs du grand séminaire sachent bien également que si vous n'allez pas au St-Coeur-de-Marie, c'est parce qu'on s'y oppose. » (Lettre du 9 août 1869).

Peu de temps après, un des directeurs de Clermont, Monseigneur Lavaud de Lestrade lui donnait le conseil de faire sa demande d'entrée dans la Congrégation, et toute opposition cessant d'ailleurs, il sollicitait cette faveur du T. R. Père. « J'ai été, écrivait-il, entretenu pendant neuf ans au petit séminaire de Saint-Sauveur à Cellule, ainsi que mon frère qui y était déjà. Ne semble-t-il pas que la Congrégation nous a de la sorte adoptés, voulant devenir l'instrument des grâces de Dieu envers nous ? Daignez donc en m'admettant, mon T. R. Père, combler mes voeux les plus ardents, en mettant le comble à vos bontés. » (Lettre du 18 février 1870).

Le P. Hubert consulté sur cette admission répondait : « c'est un bon élève, pieux, intelligent et d'un caractère ferme. » (Lettre 9 août 1866).

Il fut donc accepté, le 19 mars 1870, à la prise d'habit. Il voulut l'année d'après s'armer contre une certaine inconstance qu'il se reprochait dans son application à répondre à sa vocation tout en y restant indissolublement attaché. Sa lettre portait comme apostille à sa demande d'émission des voeux privés, cette note du P. Libermann - « excellent enfant qui mérite à tous les égards cette faveur. » (Lettre du 10 mai 1871).

Nous voyons que, du fait de différentes circonstances, retardé un certain temps pour sa profession, il rendit perpétuels ces voeux privés plusieurs fois renouvelés. Il les avait d'ailleurs comme sanctionnés par les voeux de religion. (Lettres du 10 mai 1871 et du 18 juillet 1876).

En 1873 il finissait sa théologie et son scolasticat. Il ne devait être promu à la prêtrise que le 18 décembre 1875. Sa surdité, un fond de santé peu solide, d'où un retour comme forcé sur lui-même et une attention peut-­être trop éveillée sur ses petites indispositions, tout cela n'était pas sans fâcheuses influences sur son caractère. On l'accusait, non sans d'apparentes raisons, d'être grincheux et peu aimable. Un qualificatif auquel non plus il n'échappait pas, c'était celui d'original. Mais ne dit-on pas que tous les saints sont des originaux "?

Nous avons vu sa ferveur se manifester par l'émission la plus spontanée des voeux de religion. Sa piété était toujours affirmée bonne par ses directeurs, et accompagnée d'un esprit religieux jugé plutôt exagéré. (Informations). Il était d'ailleurs qualifié de bon sujet, ayant du goût pour l'étude et l'enseignement, et montrant une certaine opiniâtreté de nature, laquelle trouvait son emploi le meilleur dans le travail qu'il savait devoir fournir

Avant son noviciat, il fut, comme scolastique, employé à Langonnet, où il professa pendant près de trois ans. Tous s'accordaient à dire qu'il satisfaisait, le plus consciencieusement possible à ses devoirs de professeur. Il travaillait pour son propre coin p te et il faisait travailler ses élèves. Mais quelles impressions éprouvait-il lui-même, à ces premiers débuts de son professorat? Voici comment il se jugeait et jugeait la situation. « Mes études terminées dit-il, je fus attaché au collège comme professeur. A partir de ce moment, commencent mes épreuves. Épreuves d'enfant. Jeune, sans expérience, irréfléchi, orgueilleux à l'excès, je rencontrai dans mes relations un peu avec tout le monde des difficultés qui me firent croire que la position nouvelle qui m'était faite m'était périlleuse. Cependant il ne m'est pas venu de doutes sérieux sur ma vocation. Pour prévenir toute tentation qui aurait pu me venir sous l'empire de mes ennuis, dégoûts et découragements, j'ai renouvelé jusqu'à ce jour mes voeux privés. » (Lettre du 18 juillet 1876).

Le procédé était excellent, il le constatait l'année suivante. « Pendant cette nouvelle année de professorat, écrivait-il au T. R. Père, ma pensée de persévérer n'a fait que se fortifier. Les dégoûts provenant de ce que les résultats ne semblaient pas répondre à mes efforts, se changeaient bien vite en consolation, lorsque la foi me montrait mes élèves tanquam Christum membratim divisum.

« Sous l'empire de la conviction que pour moi la souffrance c'est la vie, et par un attrait que je sens disparaître, lorsque je considère les choses au point de vue humain, je me suis souvent senti porté à demander la faveur de consacrer le reste de ma vie à faire la classe et à la faire à Notre-Dame de Langonnet, parce que le grand nombre de petits scolastiques me permettrait de participer davantage aux travaux et aux mérites des apôtres par l'instruction donnée à ces futurs missionnaires. » (Lettre du 25 mai 1877)

Après le cours supérieur de français, M. Pallier fut chargé de la quatrième et des conférences religieuses. Il n'était pas encore prêtre, mais seulement sous-diacre. En 1875 il reçut le diaconat et la prêtrise. Puis il fut appelé de Langonnet au noviciat de Chevilly où, le 27 août 1876, il faisait sa profession.

En septembre 1881, il est attaché à la Maison-Mère, pour les travaux du secrétariat. C'était peut-être, vu son infirmité et ses aptitudes marquées d'archiviste, la situation qui lui aurait le plus convenu. Il le sentait, et au fond il n'aurait pas mieux demandé, que d'être indéfiniment confiné dans la solitude et la monotonie de ces fonctions.

Nous l'avons dit opiniâtre au travail. Il était, de plus, précis et minutieux. Il aimait les recherches, les relevés de notes exactes et nombreuses, les documentations bien faites, les catalogues d'écrits ou de faits de toute nature. Nul mieux que lui ne réussissait à fournir ample et intéressante matière aux rédacteurs des notices biographiques des membres décédés de la Congrégation. Il excellait à composer des tables analytiques ou autres. Celles des bulletins pour la plupart ainsi que celles des Echos de Santa­Chiara sont de lui. On peut juger par là de l'application attentive et patiente qu'il mettait à tout ce qu'il faisait. Il avait eu l'occasion dans les derniers temps de faire la connaissance du prêtre archiviste de l'archevêché de Paris, et plusieurs fois il fut prié par lui de lui apporter son concours.

Toutefois, ce ne fut d'abord à la Maison-Mère qu'un séjour de deux ans, pour ce poste de secrétaire. En octobre 1883, il fut envoyé professeur de seconde à Mesnières. L'année d'après il est chargé provisoirement des cours d'histoire ecclésiastique et d'Ecriture sainte à Chevilly. En 1886, il quitte Chevilly pour Beauvais, où on lui confie la sixième. Tout en restant professeur il se voit nommé curé, avec dispense de résidence de la paroisse de St-Sulpice dans le diocèse. (Mai-novembre 1889). Puis il devient sous-­directeur de l'archiconfrérie de St Joseph jusqu'à 1881. Ce fut pour lui l'occasion d'un voyage à Jérusalem. Il eut en effet la bonne fortune de s'adjoindre au pèlerinage de l'oeuvre de Beauvais, avec les attributions et le rang que lui donnait son titre.

A partir de 1891, nous ne le retrouvons plus qu'à Paris ou à Chevilly. A deux reprises différentes, il séjourna à Chevilly comme « valétudinaire » ainsi qu'il le note lui-même. Dans l'intervalle, il est à Paris, chargé du cours de philosophie au séminaire. Ensuite il est définitivement attaché à la Maison-Mère avec le titre d'archiviste général qui lui est conféré et qu'il échange finalement contre celui de bibliothécaire. Ce dernier emploi ne fut pas seulement un titre ou une fonction, ce fut surtout une charge. Les livres de la grande bibliothèque, envoyés en Belgique pour une mise en sûreté, en étaient revenus, et c'était un nombre de plusieurs milliers de volumes qu'il s'agissait de cataloguer de nouveau et de caser, en procédant avec intelligence et méthode.

Il se porta à ce travail avec abnégation et courage tout en regrettant ses archives et sentant ses forces physiques trop mises à contribution par les fatigues de cette longue tâche. La mort vint le surprendre sans qu'il l'eût entièrement terminée.

Le P. Edouard Pallier était naturellement sensible et bon. Il se montrait toujours serviable, se prêtant à des fonctions de détails très assujettissants, où se reconnaissait, à l'égard de ses confrères, une ponctualité pleine de bienveillance. Il se dévouait aussi au ministère pénible des messes tardives et lointaines pour lesquelles il fallait un prêtre de bonne volonté. A quoi tenait donc l'impression qu'il donnait parfois d'une nature peu avenante ? A de certaines nervosités provenant d'un état habituel de souffrance ou de malaise physique. Déjà dès le début ç'avait été reconnu par ses directeurs. (Information du 23 novembre 1875). Lui-même, il nous l'a dit plus haut, «il avait le sentiment que la souffrance était une condition de sa vie. » Et cette souffrance se rattachait surtout a des dispositions maladives de constitution. « J'ai été placé à Chevilly comme valétudinaire, » écrivait-il ; et il ajoutait : « ma santé ne parait pas supporter l'effort. » L'effort, il continua de le faire. Mais il apparaissait de plus en plus que sa santé fléchissait.

Au mois d'août, lors de l'évacuation partielle de la Maison-Mère, il fut envoyé à Cellule. Il avait bien besoin de repos et de réconfort. Malheureusement les circonstances ni le lieu - Cellule ayant été choisi comme « camp de concentration » - n'étaient guère propices. « Vers la fin de décembre, écrit l'abbé Hascoët, il fut pris d'un gros rhume qui dégénéra en bronchite. Celle-ci fut enrayée, mais une affection de la gorge - une pharyngite granuleuse -- faisait souffrir le malade, qui ne se nourrissait plus. Le Père eut le sentiment de sa mort prochaine, et il voulut mettre ordre à ses affaires... Le dimanche 10 janvier on lui porta la sainte communion en viatique. Il eut bien de la peine à avaler la sainte Hostie. Le soir vers 9 heures je n'hésitai plus à lui faire donner les derniers sacrements. A une heure du matin j'étais rappelé auprès de lui. J'eus le temps de lui donner une dernière absolution, et il rendait son âme à Dieu. - D'après le docteur, le P. Pallier est mort d'une simple grippe à laquelle il n'a pu opposer de résistance par suite de la débilité de son organisme. » (Lettre du 13 janvier 1915).
Le P. Edouard Pallier avait 37 ans de profession dont 31 de vœux perpétuels. .

Page précédente