Le P.
Jean-Baptiste PASCAL,
de la Province de France, décédé à Langonnet, le 27 février 1945,
à l'âge de 89 ans, après 65
années et 6 mois de profession.
Toute sa vie, le P. Pascal
s'efforça de voiler sa personnalité; il a évité de paraître. En cela, il fut l'homme
de Communauté que définit le Vénérable Père, le religieux « qui pourvoit à sa
sanctification et à celle de ses confrères, qui donne le bon exemple en toutes choses,
homme intérieur, homme d'oraison, fidèle observateur des Règles et rempli de leur
esprit, considérant Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la personne de ses supérieurs,
leur obéissant avec exactitude, avec simplicité... ».
Néanmoins, il a occupé
d'importantes charges qui lui auraient permis de se mettre en avant. Il ne céda pas à
cette tentation et resta toujours l'humble et simple religieux.
Par sa position, il était appelé à donner son
jugement; on savait qu'il tenait aux moindres prescriptions et que son caractère avait
parfois des raideurs; mais il semblait dans l'embarras quand on le mettait en présence
d'un cas particulier qu'il eût dû apprécier défavorablement. Il excusait, parfois; le
plus souvent, il écartait un exposé trop minutieux du cas, pour ne pas être entraîné
à une condamnation. On
sentait alors à la fois sa réprobation et son ennui de prononcer. Sans nier le fait,
sans chercher non plus à le noyer dans des paroles banales, il s'échappait par des
réticences qui ne trompaient personne : sa fidélité à la Règle et sa charité, étaient sauves. Jusqu'en ses dernières années,
après avoir résigné ses fonctions, et à l'âge où quelque sévérité aurait pu lui
être permise, pour se tirer d'affaire il se contentait d'un bon mot, d'une plaisanterie
innocente que soulignait son rire saccadé, preuve de sa gêne, et qui signifiait
« maintenons le principe, passons sur le fait désormais irréparable. »
Doué d'un esprit très vif, on le
prenait difficilement au dépourvu il avait réponse à tout et savait tout accommoder.
Ce trait explique sa physionomie
morale : simple, vivant à l'extérieur, comme le plus humble des confrères, il
entretenait au-dedans une vie intense, qui ne se manifestait que par des traits rebelles
à toute définition précise. C'était un saint sans rien qui frappât les regards, ni
retînt lattention.
C'est ainsi que nous avons connu
le P. Pascal au déclin de sa vie et tel il a paru aux témoins de ses premières années.
Il était né à Moriat, dans le
diocèse de Clermont, le 10 décembre 1856 ; nous ne savons rien de sa première
enfance. A l'âge des études secondaires, ses parents l'envoyèrent au Petit Séminaire
de Cellule, et il fut admis en 1874, au Petit Scolasticat de la Congrégation après trois
années d'instance. Les parents du jeune Jean-Baptiste se résignaient difficilement à la
séparation. L'information pour la prise d'habit ne signale « aucun empêchement à cette
admission, si ce n'est une santé fort délicate ». Le postulant n'était pas malade,
mais l'un de ses frères était mort poitrinaire.
En l'admettant, le T. R. Père ajoute de sa main : « Il serait bon d'avoir l'avis
d'un médecin. » Cette petite santé devait tenir encore soixantedix ans..!
Mais ce qui nous intéresse dans ce premier
contact du postulant cellulien avec la Congrégation, ce sont les jugements portés sur
son caractère par les directeurs qui l'observent depuis trois ans : « Esprit calme et
froid. », dit-on; et surtout « ce qu'il y a de saillant en lui, c'est l'uniformité de
sa conduite dans l'observation exacte du règlement ». Le P. Flubert, son supérieur,
ajoute : « C'est un enfant aussi parfait que possible! ».
Dans sa demande de prise d'habit,
il ne révèle rien de son comportement; on n'y recueille que l'affirmation de son
attachement à la Congrégation, à ses oeuvres sans doute, mais aussi à son esprit :
caractéristique très nette de sa vie entière.
Désormais, et jusqu'à sa
profession, il suit sans arrêt la filière commune. Ses notes sont résumées en ce mot
du R. P. Grizard, en fin de noviciat : « Très bon religieux, un des meilleurs de son
année à tous égards; caractère bon, un peu timide et embarrassé, parfois un peu raide
avec ses confrères. »
Nous ne répéterons plus ces
éloges; ils resteront les mêmes à toutes les étapes de sa vie de communauté.
Revenons un peu en arrière. En
1874, sa rhétorique achevée à Cellule, Jean-Baptiste entra au Grand Scolasticat de
Langonnet, où il resta les quatre années réglementaires, et passa. en 1878, au Noviciat
de ChevilIly. Ces cinq années sont une belle période dans l'histoire de nos maisons de
formation. Après la guerre qui aurait dû, semble-t-il, arrêter l'élan des vocations,
la Congrégation s'accroît rapidement. Inférieur à la centaine en 1874, le nombre des
Scolastiques - toutes provinces réunies - passe à 120 en 1878, avec les belles
espérances des générations montantes. Avec le nombre, la qualité se manifeste par un
remarquable entrain à peupler le parc de la vieille abbaye de lieux de piété - grotte
de Lourdes à l'entrée, chemin de croix conduisant au cimetière, chapelle de Lorette et
du SacréCoeur en retrait de l'allée, dans la paix qui invite à prier; et lon
sait quels fruits a portés plus tard cette jeunesse ardente dans les missions ou dans
l'administration générale de la Congrégation, tout comme dans les plus humbles postes
des Provinces.
Le P. Pascal fit profession au
Noviciat de Chevilly le jour du SaintCoeur de Marie, 24 août 1879; il n'avait que 22
ans et 9 mois et n'était pas encore prêtre. Avec dispense d'âge, il fut ordonné le 20
septembre suivant aux Missions Etrangères de Paris.
On lui confia la charge de Sous-Préfet du
Petit Scolasticat de Cellule : pas de travail de force, peu de responsabilité;
l'air natal, c'était, pensait-on, de quoi affermir sa santé. Il tint bon. L'année
suivante, on l'appela à Chevilly pour y être Sous-Directeur du Noviciat des Clercs, sous
la conduite du P. Grizard. Après une nouvelle année, on le crut capable d'un effort
quasi normal : il devint économe du Grand. Scolasticat et professeur d'histoire et de
droit canon, cours accessoires, comme il le dit lui-même, mais qui le mirent à mal. Il
cracha le sang. Le P. Théophile Gaschy, alors scolastique, racontait qu' entrant un jour
dans la chambre du Père, il le vit rendre le sang à pleine cuvette. Sur l'avis du médecin, on l'envoya
en Sénégambie, refuge le plus sûr des poitrines faibles ou déjà touchées et qui en
sauva plus d'une. Le départ eut lieu le 5 novembre 1884.
Le jour de Noël suivant, Mgr Riehl,
Vicaire apostolique de la Sénégambie, l'installa supérieur de Ngazobil avec la charge
du séminaire indigène, du Noviciat des Surs indigènes du Saint-Coeur, de Marie et
avec le ministère en brousse du village païen de Ndianda. Sans avoir l'importance rêvée par
Mgr Kobès, son fondateur, Ngazobil restait cependant l'une des stations sur laquelle
reposait l'avenir religieux du Vicariat : c'était un poste de confiance en même temps
que de rude labeur. La santé
précaire du P. Pascal y tint le coup.
A la mort de Mgr Riehl, en 1886,
le Père vit s'ajouter à ses fonctions celle de professeur des clercs du séminaire. Sous
l'épiscopat de Mgr Mathurin Picarda, il prit part à la fondation et au lancement du
pèlerinage de Notre-Dame de la Délivrande, à Poponguine. Il en fut récompensé par le
succès de son ministère dans le village de Ndianda - il l'a toujours pensé. Puis il fut
nommé vicaire général sans avoir à quitter Ngazobil.
Mais les évêques s'usaient vite et la
charge de vicaire général était lourde. -Mgr Picarda mourut le 22 janvier 1889,
assisté par le Père, qui prit la direction du Vicariat jusqu'au débarquement de Mgr
Barthet, fin novembre 1889. Le nouvel évêque voulut l'avoir
près de lui, à Dakar : vicaire général, supérieur de la communauté, curé de la
paroisse, confesseur et directeur de communautés religieuses, il devait encore
accompagner l'évêque dans ses tournées. C'est lui qui prêchait dans les stations; à
lui aussi les ministères extraordinaires qui n'étaient pas réservés à
lévêque. Au chef-lieu,
il prépara le synode du Vicariat qui suivit la retraite de 1893 : de ce synode sortirent
les statuts qui ont régi la mission jusqu'en ces derniers temps-
Il rentra deux fois en France :
en août 1891 et en juillet 1894, pour quatre et six mois.
En 1894, il fut chargé de se
rendre à Rome pour y traiter les intérêts de la mission. Il aurait eu besoin d'un
véritable repos. Revenu à Dakar, il succomba à la fatigue des années précédentes,
et, sur l'ordre des médecinss, il repartit nue troisième fois pour la mère-patrie, la
santé fort délabrée.
Pendant ce séjour en Europe, eut
lieu le Chapitre Général de mai 1896, qui devait donner, en la personne de Mgr Le Roy,
un successeur au T. B. P. Einonet, frappé de paralysie.
L'état de santé du P. Pascal ne
permettant pas un retour immédiat au Sénégal, il fut chargé du Grand Scolasticat pour
les deux derniers mois de l'année scolaire et les vacances, en remplacement du P.
Vanaecke, devenu deuxième Assistant général et appelé à résider désormais à Paris.
Mgr Le Roy et son Conseil décidèrent la réforme immédiate du régime des
Scolastiques selon les exigences du décret Auctis : tous les étudiants en philosophie et
en théologie furent appelés au noviciat : ils devaient entreprendre ou achever
leurs études après avoir fait profession. Répartis en trois groupes, ils formaient
ainsi trois noviciats distincts : deux à Chevilly, le troisième à Grignon. Le P. Pascal
eut la direction du Noviciat de Grignon qui comptait plus de 70 novices. Les uns avaient achevé
leur théologie, les autres auraient dû, selon l'ancien système, entrer en
troisième année. Les premiers, au nombre de 24, firent profession le 15 août 1897,
suivant l'usage alors établi; les autres émirent leurs premiers vux le 2 janvier
1898.
Le P, Pascal quitta Grignon avec ce
dernier groupe pour faire place aux jeunes aspirants qui devaient inaugurer le noviciat
régulièrement constitué suivant la nouvelle formule. Il revint à Chevilly et fut
nommé, en août 1897, supérieur de la maison et directeur du scolasticat qui allait y
être rétabli. Il y demeura jusqu'en février 1898; depuis le mois de mai 1897, il avait
été élu Conseiller suppléant an Conseil Général, preuve de la grande estime où on
le tenait.
Les dispositions prises par Mgr
Barthet, en Sénégambie, changèrent ces arrangements. Le Vicaire apostolique se trouvait
bien fatigué et sentait de plus en plus qu'il ne suffisait plus à la tâche. Désirant
se démettre de ses fonctions, il proposait pour son successeur le P. Pascal, qu'il avait
vu à l'oeuvre. Après de nombreuses instances, il obtint que, le Père fît un nouvel
essai de ses forces sous le soleil du Sénégal. En sa faveur, l'Evêque se démettrait de
sa charge de Préfet de Saint-Louis et de Gorée, et par là serait délivré d'une partie
de ses soucis; le Père, dans l'exercice d'une juridiction qui lui appartiendrait en
propre, mais restreinte en étendue, s'habituerait peu à peu à une administration plus
complexe et plus vaste. Il aurait eu cependant le soin de postes lointains qu'on
établissait sur le fleuve du Sénégal, vers le Soudan.
Le Père quitta la France le 6 mai
1898; le 21, il était à Saint-Louis. La saison. étant exceptionnellement bonne, il ne
ressentit d'abord aucun malaise. Il en fut autrement au bout de quatre mois. Le 24
septembre, il écrivait : « En ce moment, je prêche la retraite aux Surs de
Saint-Joseph. Je comptais aller au Soudan au commencement d'octobre; mais la possibilité
de ce voyage commence à devenir douteuse. Depuis assez longtemps déjà, mais surtout
depuis quelques jours, mon état d'anémie et d'impuissance à faire quoi que ce soit
semble vouloir revenir. Je ne sais même pas si je pourrai terminer la retraite des
Soeurs. C'est vous dire qu'il ne faut pas qu'on compte sur moi pour la direction de la
Mission. » Avant de présenter sa démission à Rome, il désirait pourtant que son
impuissance fût évidente aux yeux de ses confrères du Sénégal.
Son retour en France était
décidé six mois après. Avant de quitter l'Afrique, il fut élu Conseiller général, le
11 octobre 1899, à la place du P. Corbet, promu Vicaire apostolique de Madagascar-Nord.
Arrivé à Paris à Noël 1899, la
Maison-Mère fut désormais pour vingt-six années sa résidence de droit. Autant les
vingt premières années de sa vie active furent variées, autant ces vingt-six années
furent uniformes. Ses occupations furent pourtant multiples, car il se prêta à tous les
services, à toutes les besognes.
Au début, il eut le titre et les
fonctions de secrétaire particulier de Mgr Le Roy. En 1899, il fut choisi comme assistant
suppléant quand la maladie eut réduit le P. Vanaecke à s'éloigner de Paris. Il devint
assistant en titre au Chapitre Général de 1906 et fut réélu au Chapitre de 1919. Il
cessa ses fonctions au Chapitre de juillet 1926.
Depuis
quelques années, il se sentait faiblir. Il écrivait à Mgr Le Roy, le 25 janvier 1920 . « Je suis un, homme usé... L'application au
travail intellectuel m'est difficile toujours, impossible souvent. Par suite, je ne
pourrai guère désormais donner un concours sérieux pour ces sortes de travaux, bien que
je sois dans la disposition de faire, tout mon possible. Cela me confirme dans la
conviction que ma place n'est plus au sein du Conseil général de la Congrégation. Comme
vous le savez, c'était ma pensée au moment du Chapitre (de 1919). Des circonstances, qui
se sont produites à 1a dernière minute, m'ont détourné de manifester publiquement mon
désir à cet égard, selon que je m'étais proposé de le faire, mais sans changer ma
conviction. Aussi ce désir persiste, et qui est plus fort que jamais. Peut-être, en
présentant actuellement au Conseil ma demande d'être déchargé de la fonction
d'Assistant et de membre du Conseil, vous causerai-je quelque embarras. En ce cas,
j'attendrai; mais il est bon, je crois, que dès maintenant vous soyez informé de ma
pensée à cet égard. »
En fait, il pouvait encore rendre
de grands services et il en rendit. Si son aptitude au travail n'avait plus la résistance
d'autrefois, son jugement n'avait rien perdu de sa justesse, ni sa mémoire de sa
souplesse. An Conseil, il représentait une tradition de plus de vingt ans, appuyée d'une
connaissance raisonnée du passé plus lointain de la Congrégation. Il avait des rapports
faciles et confiant avec bon nombre de ses confrères; et surtout, il aimait la
Congrégation et ses oeuvres : que faut-il. de plus pour être un assistant précieux?
En même temps, il remplissait
diverses autres fonctions dites accessoires et qui le sont en effet, mais qui occupent les
loisirs et l'esprit. Il fut, à diverses reprises, correspondant attitré de différentes
Missions et Districts. Il fut aussi Préfet général des Etudes, fonctions qui reviennent
d'ordinaire à un membre du Conseil; secrétaire général, de novembre 1907 à juin 1909.
Le P. Pascal prit aussi sa part
de la direction de la Communauté de la Maison-Mère; en octobre 1902, il succéda au P.
Grizard comme supérieur local; il le fut jusqu'en novembre 1919, sauf une courte période
pendant laquelle le P. Barillec, après avoir quitté le Secrétariat, s'essaya à
conduire la maison. En 1902 et en 1906, il fut aumônier du patronage de Sainte Mélanie,
faute de plus jeunes. Il ne pouvait manquer d'être chargé, à son tour du Séminaire des
Colonies. Il le fut après le P. Marc Voegtli (octobre 1909) jusqu'à ce que le P. Vulquin
y fut préposé (octobre 1913). Ce fut encore lui qui reconstitua le Séminaire en 1919,
après la guerre. Il faut enfin ajouter qu'il assuma l'Archiconfrérie du Saint-Esprit à
la mort du P. Chauffour (avril 1917) jusqu'à son départ pour Chevillv, en 1931.
Ainsi en va-t-il à la Maison-Mère. L'accessoire ne passe pas avant le principal;
mais tous les moments que le principal laisse libres sont vite absorbés par les
à-côtés qui, souvent, ne donnent aucun répit, car ils ont tous grande importance.
L'Assistant général.
Mgr Le Roy témoigna la plus grande confiance an P. Pascal : ne le savait-il pas à
la fois homme d'étude et homme d'action? Mgr Le Roy appréciait surtout chez ses
collaborateurs, qu'ils fussent tout entiers au service de la Congrégation et qu'en même
temps leur activité ne fût pas bornée à leurs fonctions officielles, mais qu'ils
eussent leurs travaux personnels pour entretenir leur intelligence et donner un sens à
leur vie. Lui-même donnait l'exemple. Sa tâche de Supérieur général accomplie, il se
créait des loisirs pour la poursuite des études qu'il avait
entreprises en vue de l'avancement des Missions.
Le P. Pascal s'appliquait surtout à étudier les
écrits du Vénérable Père. en garda longtemps par dévers lui une des deux copies
complètes rédigées pour le Procès de béatification. Il y cherchait non pas tant une
doctrine spirituelle qu'une direction de vie et l'esprit de la Congrégation. Si, plus
tard, il toucha aux points d'histoire et aux problèmes complexes que soulève la vie du
Vénérable, il eut le temps, avant d'entrer dans cette voie, d'achever une oeuvre
au-dessus de toutes les discussions et qui nous eût manqué s'il n'avait pris soin de
l'exécuter. Nous voulons parler du Directoire
spirituel de la Congrégation.
Il a eu
le talent de concevoir ce Directoire, non comme une oeuvre de science, mais uniquement
comme une oeuvre d'édification et, si l'on peut dire, comme un instrument de
sanctification.
Ce
Directoire aurait peut-être plu davantage à certains esprits s'il avait été présenté
dans un appareil critique. Le P.-Pascal s'en est défendu.
On ne
peut que louer sans réserve l'intention qui a présidé à ce travail. Doit-on en dire
autant. de l'exécution? En fait, le Père a fait choix ; pour le, fond de son
Directoire, des instructions aux missionnaires il les a adaptés à des esprits dont la
faculté de réflexion est souvent amortie par la fatigue et les soucis. A-t-il réussi?
Si l'on consulte l'effet- produit, on est forcé d'avouer, à grand regret, que le
Directoire est à peine lu, alors qu'il aurait dû être le manuel de tous nos confrères
missionnaires et autres. Nous trouvons un résumé parfait de l'esprit qui doit nous
diriger en tout, et nous en faisons si peu de cas dans la pratique! Le P. Pascal s'est-il
donc trompé? S'est-il fait illusion en nous proposant une doctrine trop haute pour nous?
Ou bien le Vénérable Père lui-même a-t-il fait erreur en composant cet écrit pour ses
missionnaires? Car il l'a composé expressément pour suppléer aux lettres particulières
que ses occupations multipliées et le nombre de ceux qui attendaient sa direction ne lui
permettaient plus de rédiger. Il y avait mis le meilleur de sa doctrine, doctrine qu'il,
avait grâce de transmettre aux siens.
Ni le
Vénérable Père, ni le P. Pascal n'ont visé trop haut, pensons nous; il n'est qu'une
seule chose qui importe pour nous : nous familiariser avec les écrits du Vénérable
Père par une lecture fréquente de son dernier écrit, afin d'y trouver réconfort quand
le besoin s'en fait sentir.
Le P.
Pascal a adapté à nos besoins l'opuscule du Vénérable Père. Il en a supprimé les
parties de compréhension difficile, exposant une psychologie un peu désuète et dont la
langue manque de précision. Il a, en outre, fait des retouches de style avec le scrupule
de ne jamais nuire à l'idée. Il a pratiqué quelques transpositions réclamées par
l'ordre des matières. Il s'est d'ailleurs justifié de ces libertés prises avec le texte
dans un opuscule où il signale toutes ses corrections; en parcourant ces pages ainsi
annotées, on convient sans peine de sa parfaite loyauté.
Le Directoire,
édité en 1910, ne fut réédité qu'une fois. Dans cette seconde édition, le P. Pascal
aurait voulu apporter quelques modifications : d'abord dans la disposition des matières.
Le livre est en effet divisé en trois parties : Instructions aux missionnaires ou Instructions sur la sainteté, pp.
3 à 179; Directions spirituelles, pp. 183 à 509;
Esprit de la Congrégation, pp. 513 à 608. Le Père aurait voulu intervertir ces
deux dernières parties. L' «
Esprit de la Congrégation » est formé de
textes empruntés à la Règle de 1849 et expliqués parfois par d'autres textes de la
Règle provisoire; il est évident que cette troisième partie s'adresse, plus que la
seconde, à tous les membres de la
Congrégation; elle est plus générale dans son objet et devrait précéder les conseils
particuliers ou directions spirituelles, extraits de lettres visant des cas d'espèce et
dont on ne trouve pas chaque jour l'application.
Le Père aurait
voulu en outre trois additions : l° le chapitre des réglements de 1849 sur le noviciat;
2° quelques lettres sur la fusion; 3° les
pages du Cardinal Pitra sur la mort du Vénérable Père. Il a
aussi exprimé son regret de n'avoir pas mis en note la traduction des quelques textes
latins cités çà et là. Telle aurait
été l'oeuvre du P. Pascal s'il l'avait retouchée.
Le
grand mérite du P. Pascal est d'avoir conçu ce Directoire, de l'avoir exécuté dans des
conditions qui en rendent la lecture facile à des esprits accablés de tracas; à un
texte massif qu'on ne savait par où aborder dans les éditions précédentes des Lettres
et Ecrits spirituels, il a substitué un texte plein de lumière par ses sous-titres, ses
fréquents alinéas, ses blancs qui reposent l'oeil en même temps que l'attention. Il ne
reste plus qu'à lire l'ouvrage et à le traiter comme le véritable manuel de notre
spiritualité.
Correspondant
des Missions. - Les
proches collaborateurs du Supérieur général sont tout désignés pour être les
correspondants des missions; ils connaissent les intentions du Supérieur, sont informés
de la marche générale des oeuvres confiées à la Congrégation, savent ce qu'a été le
passé de ces oeuvres et quel avenir leur est réservé. Le P. Pascal avait en outre cet
avantage d'avoir été mêlé de très près à- l'administration d'une grande mission, la
Sénégambie, et d'avoir passé dans les oeuvres de formation, deux antécédents qui le
mettaient à même de mieux comprendre bien des problèmes. En août 1913, il fut nommé
correspondant des missions et districts de langue française et le resta jusqu'en août
1922.
Dans sa
correspondance, il était exact; l'exactitude est la politesse des rois; elle est aussi la
charité d'une administration générale de Congrégation. Le Père n'était pas onctueux
et ne se perdait pas en circonlocutions. On peut même dire qu'il était sec. Sa phrase
essoufflée disait tout juste ce qu'il fallait. On trouvera peut-être ce jugement un peu
sommaire, mais il n'étonnera pas ceux qui ont connu le Père. En matière administrative,
l'art lui paraissait un surcroît inutile. Il allait droit au fait, employant le moins de
mots possible. Son écriture révélait en cela son comportement : très régulière, bien
formée, elle était de ces graphies de bureau qui n'ont d'autre mérite que d'être
faciles à lire. Il achevait d'ordinaire sa lettre par les petites nouvelles qu'en marge
il intitulait l'aria. Là, il se trouvait plus à l'aise et égayait volontiers d'un grain
de sel les menus faits qu'il indiquait, car il aimait la plaisanterie et savait la manier.
Ces réflexions ne s'appliquaient probablement pas à tous les correspondants du P.
Pascal. Il n'était guère ouvert avec ceux qu'il connaissait peu.
Préfet général des Etudes. - En octobre 1912, le P. Pascal
prit la charge de Préfet général des Etudes, et, peu après, celle de Préfet général
des Aspirants, deux fonctions qui vont de pair et sont confiées d'ordinaire à l'un des
membres les moins âgés de l'Administration générale. Depuis longtemps le Père avait
quitté toute occupation le rapprochant de l'enseignement; mais en lui confiant cette
nouvelle mission, le Conseil général comptait sur lui pour mettre en train les examens
des jeunes Pères et les conférences théologiques dans les communautés tels que les
voulaient les Constitutions approuvées en 1909. Le Père avait été l'un de ceux qui
avaient le plus et le mieux travaillé à la rédaction de ces Constitutions. Il
connaissait le Droit et avait, depuis la première édition des Constitutions, en 1878,
saisi tout ce que ce premier texte avait d'exubérant et parfois d'encombrant. Il avait
apporté à ce travail d'épuration et d'élimination, avec tout son respect du passé,
son désir de donner uni nouvel élan à la vie religieuse parmi nous. Parmi les rouages
multiples confiés à la surveillance du Préfet des Etudes, il en est un qui grinçait
dans la machine; il y fallait de l'huile. Depuis longtemps les Constitutions imposaient
des examens aux jeunes Pères; elles exigeaient dans toutes nos communautés une
conférence théologique par trimestre. Ces prescriptions restaient souvent lettre morte,
non par esprit d'opposition, mais faute d'usage; on ne savait comment s'y prendre et il
suffisait du moindre obstacle pour qu'on ne fît rien ou du moins pas grand'chose. Le P.
Pascal eut mission de mettre en marche un appareil qui paraissait fort complexe. Il fit
des règlements qui mirent au compte de la Maison-Mère la partie la plus délicate : la
préparation des examens et des thèmes de conférences. Il ne restait plus aux
supérieurs immédiats qu'à proposer, et aux intéressés qu'à exécuter. Mais il arrive
que les plus habiles agencements aient le pire destin; comme les plus belles choses, ils
vivent l'espace d'un matin. Il est vrai, la guerre survint et emporta les règlements.
Mais ce que nous voulons noter
ici, c'est le zèle du P. Pascal à faire exécuter les points des Constitutions qui
organisent l'étude dans la Congrégation. Il savait, par son expérience personnelle,
combien certaines oeuvres sont prenantes et accaparent bien vite toute l'attention et tout
le temps de ceux qui s'y livrent; il n'hésita pourtant pas à réglementer. Il aurait
voulu, en ce qui regarde les conférences théologiques dans les grandes communautés, que
les -confrères ne fussent pas seulement les auditeurs passifs d'un travail qui leur est
présenté et qu'ils acceptent sans résistance malgré les protestations de leur esprit.
Il les invitait à une véritable conférence, c'est-à-dire à une discussion sérieuse
clés idées émises par I'un d'eux, et il avait trouvé, semble-t-il, la formule qui eût
donné ce résultat.
Après la publication du Code de
Droit canonique, il reprit sa tâche de diriger dans une voie utile ces exercices
désormais objet de lois ecclésiastiques bien définies. Il fit de nouveaux règlements,
plus pressants que les précédents. On est forcé d'avouer qu'il n'obtint pas le
résultat désiré; de sa part, il n'y manqua rien. Concluons que le don d'organisation
lie lui manquait pas, au contraire. Pas de règlements prétentieux pour atteindre des
buts dépassant la portée du commun; mais des fins bien arrêtées et accessibles, à
poursuivre par des moyens les plus humbles et à la fois les plus sûrs.
Supérieur de la Maisni-Mère. - Fonction délicate
que de diriger, sous l'autorité toujours attentive du Supérieur général, des
confrères qui remplissent des charges de premier plan dans la Congrégation, et qui
échappent.. par là, à
l'initiative de leur Supérieur local. Ils tiennent néanmoins à cette
communauté et y sont incorporés pour tous les exercices exigés par la Règle. Fonction
qui demande en même temps à celui qui la remplit l'abnégation de l'esprit propre pour
s'accommoder non seulement aux vues du Supérieur majeur, toujours larges et
compréhensives, niais encore aux horizons souvent rétrécis d'inférieurs jouissant
d'une grande indépendance. Aussi les supérieurs s'usent vite à la Maison-Mère, non par
leur faute, mais parce qu'ils sont contraints en tout leur comportement. Si lon
ajoute les relations avec le dehors : prêtres qui sollicitent une aide à laquelle ils
croient avoir droit, personnes qui estiment que le parloir est fait pour parler et qui
parlent, solliciteurs parfois peu intéressants et qui remontent toujours au déluge pour
expliquer leur cas
Autrefois, le Supérieur avait encore à recevoir les
ecclésiastiques venant faire leur retraite dans la maison; il devait se mettre à leur
service, diriger leurs âmes. Nombreux aussi, à certains mois, les confrères de passage
qui s'établissaient à la Maison-Mère pour s'occuper d'affaires matérielles, de
relations d'intérêt ou d'amitié et auxquels on n'osait imposer de se retirer à
Chevilly...
De 1904 à 1920, le P. Pascal fut
ce Supérieur; il le fut durant toute la première guerre, et les mobilisés de ce
temps savent combien il fut accueillant, sans brusquerie, sans ombre d'embarras. Au dedans
comme au dehors, il sut rester lui-même dans le calme et la résignation qui font face,
sans effort apparent, à tous les imprévus. Car il manqua souvent de collaborateurs
indispensables. Sans sourciller ni hésiter, il vaquait aux services en souffrance.
Ajoutons que sa sollicitude se porta surtout sur la direction des Frères; dans ces temps
difficiles il leur fut un précieux guide, toujours à leur disposition et à leur
portée, avec une discrétion et une affabilité qu'on ne pouvait qu'admirer.
Dircecteur du Séminaire.
---- Il cumula avec toutes ses autres fonctions celle de directeur du Séminaire,
d'octobre 1909 à novembre 1919, sauf une année (1913-1914) qui revint au P. Vulquin. Le
nombre des séminaristes était bien réduit -- moins d'une douzaine jusqu'en 1914. Son
rôle de directeur mettait le P. Pascal en rapport avec les prêtres des colonies de
passage à Paris; il pratiquait à leur égard la conduite que désirait Mgr Le Roy;
appelés il travailler dans le même champ que nous, nous leur devons tout l'appui moral
qu'on donne à des collaborateurs; mieux nous les aiderons et plus ils nous rendront
service. C'est là le but, à atteindre dans leur éducation d'abord, puis dans la
sollicitude que nous témoignons à leur bien spirituel, une fois qu'ils sont attachés à
un diocèse colonial. Le P. Pascal ne fit jamais abstraction de ce dernier point. Il
renouvela l'association de prières dont plusieurs avaient demandé l'établissement entre
eux, tant pourr les vivants que pour les défunts. Il leur montra toujours lui touchant
intérêt et sut se les attacher.
Dans l'éducation spirituelle des
séminaristes, il professait le principe, qu'il faut, avant tout, se baser sur une
doctrine à laquelle il est facile. de revenir au milieu des préoccupations d'un
ministère souvent absorbant. A l'un de ses successeurs qui lui demandait avis sur ce
point, il conseillait de suivre dans les conférences spirituelles un maître
universellement reconnu comme guide... Il citait saint François de Sales, Scaramelli.
. Il se prêtait volontiers pour la
prédication des retraites chez nous ou dans les communautés de religieuses avec
lesquelles nous avions des rapports. Là, pas plus qu'ailleurs, il ne se piquait pas
doriginalité, ni pour le fond ni pour la forme. Il exposait la doctrine reçue dans
la Congrégation, celle du Vénérable Père, qu'il avait approfondie dans ses rares
moments de loisirs, par une étude assidue des lettres, des écrits, des documents qu'ils
contiennent et par sa fidélité à la tradition de nos aînés. D'une voix toujours
forte, sans nuances, mais d'un accent convaincu, il déroulait son thème non sans quelque
pointe d'esprit qui réveillait l'attention. Il faisait ainsi beaucoup de bien.
De ces prédications nous
rapprocherons ses conférences de fond historique destinées à faire revivre notre
passé. Nous avons à la Maison-Mère l'avantage, le 2 février, par exemple, et en
d'autres circonstances, de nous réunir pour entendre parler du Vénérable Père.
Longtemps ce furent les témoins eux-mêmes de cette vie qui entretinrent leur auditoire
des vertus pratiquées par notre Père, en rappelant au passage certains épisodes,
certains mots dont ils pouvaient garantir l'authenticité pour les avoir vus ou entendus;
rien n'était plus réconfortant que ces simples entretiens... Puis ceux de la
génération suivante ont souvent repris le même objet sur le rapport d'autrui. Après le
Chapitre de 1906, on réagit contre un genre qui menaçait de s'user; on donna du relief
à la présentation du sujet. Essai très heureux que tenta le P. Fraisse et qui remplit
toutes ses promesses. Le P. Pascal, lui-même, suivit à sa façon cette heureuse
initiative. Il songea à ressusciter le Vénérable Père grâce à ses écrits et à sa
pensée, a le faire vivre et parler devant nous comme, naguère devant ses contemporains
dans la simplicité de sa première expression. Tel fut le concept du P. Pascal.
Le 2 février 1917, il brossa ainsi
la dernière année du Vénérable Père daprès sa correspondance - et nous savons
qu'il inspira d'autres travaux de ce genre. Vingt ans plus tôt, il avait prononcé à
Notre-Dame des Victoires l'allocution du pèlerinage annuel de l'Épiphanie. C'était la
présentation en raccourci des rapports entre la Congrégation et l'Archiconfrérie. Cet
exposé plut beaucoup et le curé de la paroisse le fit insérer intégralement dans ses
Annales. L'histoire y était reproduite avec fidélité, et la piété personnelle du P.
Pascal donnait une nouvelle valeur à son récit.
Archiconfrérie du Saint-Esprit. Si le P. Pascal gardait toute, la
ferveur de sa dévotion au Saint Cur de Marie, il nen était pas moins
attaché au culte de l'Esprit-Saint. Il était vraiment de la Congrégation du,
Saint-Esprit et aurait désiré parmi nous une meilleure compréhension de cet Esprit de
Dieu, principe de toute grâce. Il fut le témoin des efforts de Mgr Le Roy, en 1898, pour
grouper autour de la divine Personne de l'Esprit-Saint les différentes oeuvres qui
venaient en aide à nos Missions et à la Congrégation; il fut d'un puissant secours pour
le Supérieur général.
Il fut chargé de l'Archiconfrérie
à la mort du P. Chauffour (avril 1917). Jusqu'alors il avait déjà présidé plus d'une
fois les réunions des Associés. En vingt ans, il prit la parole une quarantaine de fois,
tandis que le directeur était lui-même occupé au dehors à des préoccupations de
carême et de retraites.
Pour répondre aux besoins de
l'Archiconfrérie, il composa un traité du Saint-Esprit en huit conférences par an. On
l'écoutait volontiers, si élevés que fussent ses sujets, parce qu'il se mettait à la
portée de son auditoire, parlant simplement sans effets oratoires, soulignant sa doctrine
d'exemples très clairs, visant davantage à édifier qu'à faire la théologie de
l'Esprit-Saint. Il a
cependant laissé de précieuses indications pour l'étude de l'action du Saint-Esprit
dans les âmes, indications puisées à la fois dans les maîtres accrédités de la vie
intérieure et dans les théologiens de haut renom. Il a réduit leurs doctrines aux
proportions d'esprits peu familiarisés avec les hautes spéculations, mais animés du
sincère désir de vivre en Dieu.
Ses résumés furent régulièrement
publiés dans son Bulletin de l'Archiconfrérie, feuillet
de quatre pages qu'il distribuait chaque mois aux Associés. Depuis 1912, une petite revue, à
la fois de doctrine et de piété, Le Saint-Esprit, était
composée à Chevilly par les Pères du Scolasticat avec d'importants concours du dehors;
elle continua de paraître pendant ta guerre et jusqu'en 1921, quand son principal
rédacteur, le P. Berthet, partit pour l'île Maurice. Elle était l'organe de l'Archiconfrérie. Le P. Pascal
n'y contribua guère que par l'insertion d'avis et de recommandations.
Mais il méditait autre chose.
Son talent le portait à ce qui est immédiatement pratique, et la revue Le Sainl-Esprit lui semblait encore trop élevée pour la
majorité des Associés. En novembre 1922, il publia le premier numéro de son Bulletin mensuel, qui parut tous les mois aussi
longtemps que le Père resta à la tête de lArchiconfréie.
Son programme était très simple :
en première page, les intentions recomandées et les indulgences (l'intention de chaque
mois était expliquée en un article parfois assez étendu, suivant l'importance); puis le
fond même du Billet : résumé de
l'instruction faite à la dernière réunion, avec, d'ordinaire, un récit-exemple
approprié; parfois quelques questions et réponses d'un petit catéchisme du
Saînt-Esprit; enfin, de temps à autre, quelques nouvelles de l'Association.
Le but avait été nettement défini clés
le premier numéro. «
Les circonstances en nous avant pas permis de conserver la petite revue Le Saint-Esprit,
nous éprouvons, le besoin de disposer d'un autre moyen de nous tenir en communication
avec vous... par communauté de pensées, de senliments, d'hitentions, qui rendra plus
intime et plus profonde notre confraternité dans le Saint-Esprit. »
En plus, il fit paraître divers
feuillets, notices sur l'Archiconfrérie ,et prières qui y étaient en usage. Son
activité sur ce point ne fut jamais en défaut. Il aima et soutint jusqu'au bout
l'Archiconfrérie, non pas parce que cette oeuvre lui était confiée, mais parce qu'elle
diffusait le culte de l'Esprit-Saint, qu'il estimait très puissant pour la sanctification
des âmes. Il aurait dit volontiers avec Pie XI : « Nous voulons qu'il apparaisse
clairement de quel zèle nous sommes animés pour la dévotion au Saint-
Esprit et avec quel soin nous nous
appliquons à la développer. »
Nous ne pouvons omettre les
travaux qu'il fit pour fournir matière à ses instructions, à son Billet niensuel ou à la piété des Associés.
Dans ce premier but, il a rassemblé en un
cahier de plus de cent pages, quarante lignes
par page, les textes du Nouveau Testament concernant le Saint-Esprit, avec les
commentaires qu'en font Corneille de la Pierre dans son grand ouvrage, et saint Thomas
dans son explication des Epîtres. Il s'est arrêté après l'Epître aux Galates; il avait
l'intention d'aller plus loin, mais ne l'a pas fait. Ce cahiër est plus qu'un
aide-mémoire; c'est une Somme de la doctrine du Saint-Esprit disposée dans l'ordre
historique des révélations sur la troisième Personne de la Sainte Trinité; dans ses
instructions, il citait en effet ses textes en les rapprochant du milieu historique dans
lequel ils nous ont été livrés, afin, sans doute, de leur donner plus de vie,
d'actualité et de contact bénéficié de la science, de l'expérience, et surtout de
l'inlassable charité du P. Pascal, à Paris comme en province... Pour encourager et diriger la piété des
fidèles, et partieufièrement des membres de l'Archiconfrérie, il préparait un manuel
de la dévotion à l'Esprit-Saint. Désireux de faire oeuvre pratique, il y aurait inséré, après un
aperçu de la théologie du Saint-Esprit, des prières liturgiques et autres, des
pratiques de dévotion, et, ce qui lui était plus personnel, une conduite pour le mois du Saint-Esprit, pour
la neuvaine préparatoire a la Pentecôte et pour celle qui suit cette fête, une autre
pour la célébration des anniversaires du Baptême et de la Confirmation. Il a sans cesse remanié son plan. Des diverses ébauches qu'il nous a
laissées, il résulte qu'il a hésité non sur la valeur et l'utilité d'une pareille
oeuvre, niais sur le mode de son adaptation aux diverses catégories d'esprits qu'il avait
en vue. "
Conununau tés religieuses. - Nous ne pouvons entrer dans le détail des
services que le Père rendit aux communautés religieuses dont nous sommes officiellement
charges et des autres. Il était toujours prêt à remplir la fonction de confesseur. Il prêchait des retraites et,
connue il était fort entendu en tout ce qui concerne la vie religieuse, on le consultait
beaucoup our la marche des Maisons et Congrégations, autant que pour la direction des
âmes. Il consacra longtemps soit ministère aux Novices de la Congrégation de
Saint-Joseph de Cluny. Elles étaient fort nombreuses, et comme le Père ne faisait rien
à demi, il employait de longues heures à leur formation, soit au confessionnal, soit
dans ses instructions hebdomadaires. Dans ce travail, il était très attentif à donner
à chacune et au Noviciat tout entier l'aliment spirituel convenable. Il formait des âmes
fortes, éclairées de lumières précises et bien définies.
Il fut aussi aumônier des Soeurs
de l'Adoration Réparatrice, à la rue d'Ulm. Il accepta chez elles le rôle de promoteur
dans le procés apostolique de leur fondatrice.
Peut-être rendit-il encore plus de
services aux Soeurs Missionnaircs du Saint-Esprit. Mgr Le Roy l'avait choisi pour le
suppléer dans leur fondation lorsqu'il en en
reçu la mission de Rome, et, plus tard, lorsque l'Archevéque de Paris exerça sur
elles les droits de 1'0rdinaire , Mgr Le Hunsec lui conserva cette fonction de guide
à la fois spirituel et canonique. Ce n'est pas à nous à apprécier les services qu'il
leur rendit. Il fut leur conseiller dans leur première organisation dans leurs établissements du début. Elles le consultaient à tout
instant. et nous croyons pouvoir dire qu'il ne se fit rien d'important, dans leur institut
sans que le Père n'y soit intervenu.
Cette direction fut cependant
'très discrète, car il nimposait pas ses vues, et si parfois il semblait hésitant
à les formuler, il dominait pourtant bien vite cette impression et finissait par faire
comprendre toute sa pensée, même s'il ne la faisait pas partager entièrement.
Il faudrait encore rappeler les
services rendus, aux Soeurs Servantcs, du Saint-Coeur de Marie; elles sont liées à notre
Maison-Mère par leur fondation (oeuvre du P. Delaplace), par leur voisinage, par les
services qu'elles nous rendent, autant de titres pour le P. Pascal de leur venir en aide
chaque fois qu'il cen était prié.
Nous ne faisons mention ici que
des communautés avec lesquelles, nous avons des relations constantes et obligées. Mais
combien d'autres ont bénéficié de lexpérience et surtout de linlassable
charité du P. Pascal à Paris comme en Province.
La direction des ânies. - Nous ne saurions entrer dans le secret
de sa direction si nous n'en avions quelques échos. Le P. Pascal avait son genre. Son
premier abord était parfois décevant : rudesse dans la voix, extrême concision dans les
interrogations et grande réserve de sa part dans le discernement des volontés de Dieu
sur lâme qui venait à lui; tout cela causait un froid. Néanmoins, les personnes
qui recouraient à ses services sentaient d'instinct que rien de cela n'était de nature
à les éloigner. Peu à peu naissait la confiance, et, devant les décisions nettes du
confesseur, devant sa charité, elles attendaient de lui la direction d'en haut. Il
possédait les procédés du Vénérable Père; il les appliquait aux cas nouveaux qui lui
étaient proposés, et les âmes qu'il dirigeait se sont louées de la douceur avec
laquelle il leur appliquait parfois les principes les plus rigides, car il ne transigeait
jamais avec le devoir, niais savait linsinuer et le faire agréer.
Il nous reste un témoignage
écrit de soit action sur les âmes dans l'autobiographie de Soeur Marie Angélique de Jésus, du Carmel de Pontoise. Dans
ces pages, il est vrai, on trouve peu de chose de l'influence du Père et nous ne saurions
pas même qu'il y est question de lui si nous ne le retrouvions clans le récit sous la
dénomination du P. P... de la rue L... La future religieuse lui fut envoyée par un
prêtre, qui le choisit entre cent autres, en lui disant que le P. P... n'était pas fait
pour s'occuper des petites filles. La première fois qu'elle le rencontra au
confessionnal, elle lui demanda à brûle-pourpoint, sans explication préalable, un
règlement de vie. Le Père ne répondit pas. L'abord fut donc, de part et d'autre, un peu
gêné, mais l'aisance vint sans peine. L'autobiographie laisse entendre que le P. Pascal
fut, pour sa dirigée, un guide très précieux. L'aspirante carmélite était une âme de
choix, favorisée de grandes lumières sur sa propre conduite et. dans l'intimité
continue avec Notre-Seigneur. Le P. Pascal s'attacha à cette âme commee on le fait à
une privilégiée de Dieu. Longtemps après la mort de Soeur Marie-Angélique - elle
mourut en 1919 - il en parlait comme d'un souvenir qui embaumait sa vie. Comme on le
conçoit bien, il n'entrait jamais dans aucun détail à ce sujet, mais les quelques
paroles qu'on surprenait laissaient l'impression qu'il avait vécu une vision du ciel dans
ses rapports avec cette jeune fille.
Il écrivait lui-même : « En toute
sincérité, je ne crois pas qu'il y ait dans l'Eglise de la terre beaucoup d'âmes plus
belles que celle-là. La rencontre de celle âme a
été une des plus grandes bénédictions de nia vie sacerdotale, et à jamais je
remercierai le divin Maître de m'avoir accordé la faveur de la connaître si intimement
et de m'édifier au spectacle de sa générosité et de son ardeur au service de Dieu. »
Le P. Pascal fut lunique directeur
qu'eut Soeur Marie-Angélique avant dentrer tu Carmel; au Carmel encore, il resta
son conseiller. Cette sainte enfant lui a-t-elle
révélé tout ce qu'elle raconte dans son autobiographie ? Nous ne le savons pas; mais ce
qui nous semble incontestable c5est que, plus que tout autre, le Père pénétra « la
voie mys(ique de Soeur Marie-Angélique, ce qui en fait la merveilleuse unité à travers
les phases diverses dont cette vie cachée se compose, la présence réelle, perpétuelle de Jésus vivant
près d'elle, présence sentie et goûtée avec une telle clarté et une telle certitude,
que, sur ce point, le doute n'effleure jamais la pensée de l'enfant, de la jeune fille,
de la religieuse », de quoi ravir l'âme d'un prêtre, qui, sans avoir rien connu de ces
états merveilleux, est préparé, par l'étude et le contact des âmes, à les apprécier
à leur juste valeur.
La retraite. - Après la vie
active où le P. Pascal se dépensa sans compter, vint pour lui le temps de la retraite :
longue retraite qui dura près de vingt ans; retraite laborieuse, car le Père ne se
refusa à aucun des services qu'il pouvait rendre, retraite pénible au milieu des
infirmités. Celle qui lui coûta peut-être le plus ce fut une demi-surdité. Mais ces
ennuis physiques n'obnubilèrent jamais son esprit resté lucide et vivace jusqu'au bout.
L'application de ses facultés à un travail défini lui coûtait, mais il fut toujours
capable de ce coup dil qui saisissait instantanément une question délicate
et inspirait les solutions les mieux adaptées.
En 1926, bien qu'il n'eût pas
été réélu au Conseil général, il continua néanmoins à résider à la Maison-Mère.
Il dirigea l'Archiconfrérie du Saint Esprit, confessa, conseilla, restant toujours à la
disposition de ses confrères et des personnes du dehors. Il passa à l'Abbaye de
Langonnet les vacances de 1929; le 20 septembre, il y fêta le cinquantenaire de son
ordination sacerdotale. On lui fit grande fête; il subit des compliments en vers et en
prose. Ces compliments avaient pour lui la valeur de documents; il endossait les éloges,
mais rectifiait aussitôt et vivement, parfois, les inexactitudes. On eût dit quen
cela il faisait encore office de secrétaire général ou d'archiviste préoccupé de ne
classer aucune pièce qui ne portât le caractère d'une véracité au-dessus de toute
contestation.
Il revint à Paris en octobre et
tint encore un an à la rue Lhomond. Il n'entendait plus assez et obtint de se retirer à
Chevîlly, en octobre 1930. Il entendait dans sa chambre les confessions des membres de la
communauté, et continua à recevoir au parloir et au confessionnal les personnes qui,
malgré la longueur du chemin, venaient de Paris chercher ses conseils.
Il ne se sentait plus capable d'un
travail prolongé et d'attention assidue. En 1938, alors que la Province de Fiance l'avait
désigné comme délégué an Chapitre Général, il refusa cette mission, s'estimant
impuissant à la remplir. « Trois ou quatre fois par jour au moins, écrivait-il, je suis
dans la nécessité de m'étendre sur mon lit pendant une demi-heure environ, mes forces
physiques étant à bout, ainsi que ma capacité d'application intellectuelle. Il me
serait impossible, par suite, d'assister aux séances et de suivre les délibérations du
Chapitre. »
Un matin de septembre 1939, à la
déclaration de guerre, on embarqua dans la camionnette de la communauté les vieux qu'il
fallait évacuer. Le soir même, ils arrivèrent à Langonnet, rompus de fatigue : P.
Pascal, P. Jules Remy, P. Stercky, etc... Le P. Pascal se mit bien vite au train de la
maison, autant du moins que le lui permirent ses forces. Une dernière joie pour lui fut
son jubilé de soixante ans de sacerdoce, qu'il célébra le 20 septembre, avec un mois de
retard, mais en compagnie de trois, autres Pères qui en étaient à leurs noces d'or.
Puis ce fut le lent déclin dans la prière presque continue. L'un de ses soucis, dont il
ne s'ouvrait que dans la plus stricte intimité, c'était la régularité à conserver
dans la, Congrégation. Il faisait remonter certaine
liberté d'allures parmi nous au temps du T. R. P. Emonet, et il se demandait si on avait
assez réagi dans 1'ensemble contre l'esprit nouveau. Il voyait, dans cette tendance, une
cause grave de décadence et priait sans cesse pour que Dieu nous épargnât le
châtiment. Faut-il voir en ce vieillard octogénaire un laudator temporis acti ou un juste censeur? A nous de réfléchir et de
répondre.
En 1942, les infirmités le privèrent de
la célébration de la messe et le reinrent au lit ou dans un fauteuil. Quelques mois après, il se remit
au train de la communauté et monta à nouveau chaque jour à l'autel, continua ses
promenades dans les corridors, descendit même dans les allées du jardin.
Voici les derniers souvenirs de
sa vie, notés par Lui témoin attentif, le P. Supérieur de la Communauté.
« Depuis son arrivée ici, au
début de la guerre, le P. Pascal na fait parler de lui qu'il l'occasion dune
violente secousse qui faillit l'emporter, en décembre 1942. Pendant l'été, aux heures
chaudes de l'après-midi, il descendait au jardin, passait silencieux, tout courbé, mais
l'oeil vif, remarquait les passants et rendait prestement le bonjour à tous ceux qui le
saluaient.
« Il passait ses journées en
chambre dans sn fauteuil, entre la fenêtre et le bureau, accueillait les visiteurs avec
bonne grâce et paraissait heureux de lier convversation. Comme il ne souffrait pas et que
l'esprit et la mémoire s'étaient bien conservés, il parlait volontiers de ses récentes
lectures ou de son passé. Jusqu'à son dernier jour, le maintien de la ferveur dans la
Congrégation fut un de ses thèmes favoris. Il y revenait souvent, et nul (toute quel ses
dernières prières sur terre n'aient en pour objet notre progrès dans le service de
Dieu.
« Toujours calme, il entrevoyait
la mort avec esprit de foi et s'abandonnait en tout il la volonté de Dieu. « Entre le
Bon Dieu et moi, aimait-il à dire, il n'y a pas de mur, rien qu'un voile; bientôt le
voile tombera « et je le verrai comme Il est, sicuti est. Je ne crains pas la mort; je
suis prêt, Il y a bien un moment pénible à passer, mais je ne le redoute pas : « la
grâce de Dieu ne m'a jamais fait défaut. J'attends que le Bon Dieu « nie fasse signe :
quand Il voudra! »
« Et voilà qu'un matin -
c'était le lundi 19 février 1945 - le Père se trouve incommodé, fatigué; craignant de
ne pouvoir terminer la messe, se contente de la sainte communion. La journée se passa
pourtant à peu près normalement, niais l'estomac était embarrassé et ne se dégageait
pas, malgré tous les soins.
« La fatigue augmenta et le Père
préféra garder le lit. Déjà son teint ,avait changé; son pouls était irrégulier; ses grands
yeux dilatés indiquaient un mal profond. De son côté, tout en essayant d'écarter
l'issue fatale, le médecin laissait entendre que le cas était désespéré si
l'occlusion intestinale persistait. Autre symptôme alarmant chez un homme toujours
maître de soi : flux de paroles, agitation des mains, énervement général; la nuit, des
cauchemars, qui empiéteront bientôt sur le jour. On lui propose l'Extrême-Onction. « Je suis prêt, dit-il, si on
est d'avis qu'on me « la donne. Eh bien! soit. Volontiers. »
« Le vendredi 23, la communauté entière
se réunit dans sa chambre ou dans le voisinage pour prier avec le malade pendant
l'administration du Sacrement et pour entendre ses adieux. « Je tiens à vous dire, mes
chers confrères, combien je suis heureux de mourir à Langonnet, dans cette communauté
édifiante à laquelle se rattachent bien des souvenirs «
de ma vie sacerdotale. La Providence a pris plaisir à m'y
faire revenir pour les grands
Jubilés de ma vie... Je prie le P. Provincial de trans
mettre mon affectueux souvenir à Mgr le T. R. Père; au P. Provincial, tous nies
voeux de fécond apostolat; il a un grand travail de réorganisation à faire; qu'il aille
de l'avant!... Je remercie la chère Sur infirmière, les bons Frères infirmiers de
leurs attentions, de leurs soins toujours empressés... Je suis heureux de mourir
spiritain. Tout n'est, pas parfait sans doute dans la Congrégation; mais le bien s'y fait
et, continuera de s'y faire de plus en plus avec la grâce du Bon Dieu. Puis le cher Père joignit le mains et nous donna
une dernière bénédiction. « Les jours suivants se passèrent sans grand changement; on
nota un mieux relatif dans la journée du
samedi. Puis ce fut le même état de fatigue, dagitation, traversé, de cauchemars
incessants et plus absorbants. « Le dénouement fui très brusque. Le mardi matin, 27
février, après une nuit agitée, le Père demanda son petit déjeuner; il essaya de
boire quelques gorgées, sans pouvoir avaler; sa respiration fui gênée; quelques spasmes
contractèrent sa figure et secouèrent tout le corps... le coeur s'arrèta... le Père
était mort.
« Le P. Supérieur était à ce moment
dans la chambre; il donna au mourant une dernière absolution et eut la
consolation d'assister au départ de ce saint prêtre dont toute la vie fut si édifiante!
« Seigneur, donnez
« nous beaucoup de saints P. Pascal. »
A. C.
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