Le Père Marc PÉDRON,
décédé à Surzur, le 25 septembre 1936,
à l'âge de 59 ans.

« Si d’aventure vous passiez en Bretagne, dans le pays de Vannes, et qu’attirés par la presqu’île de Rhuys, vous preniez le tortillard pour Sarzeau, avec embranchement à Surzur, descendez-y entre deux trains, vous verrez un pays magnifique, où l’on cultive la vigne, vous y boirez du vin meilleur que le vin du midi. » C’est en ces termes que le P. Marc Pédron parlait du coin de terre qui le vit naître, le 22 mars 1877.

Il commença ses études secondaires au collège Saint-François Xavier, de Vannes, dirigé par les jésuites. Au début de 1893, Mgr Le Roy, qui avait été nommé l’année précédente vicaire apostolique du Gabon, fit une conférence aux élèves du collège. Il les intéressa vivement pendant plus d’une heure, et le jeune Marc Pédron en fut enthousiasmé. Il demanda son admission dans la congrégation et fut reçu au petit scolasticat de Mesnières. Sa rhétorique terminée, il entra au scolasticat de Chevilly pour sa philosophie. En 1895, le décret Auctis obligea tous les grands scolastiques à faire leur noviciat. Il est admis à la profession avec ses confrères, le 2 janvier 1898. Il fait sa première année de théologie, puis il part pour la caserne en novembre. Revenu à Chevilly, il continue sa théologie, d’octobre 1899 à juillet 1901.

Les notes de ses supérieurs, le souvenir qu’ont gardé de lui ses confrères, nous prouvent qu’il fut un bon scolastique, aimable et enjoué, d’une grande générosité de caractère et d’une solide piété, puisée surtout dans les Écrits spirituels du Vénérable Père et de sainte Thérèse de Lisieux, envers lesquels il eut toujours une très grande dévotion. Cela ne l’empêchait pas de garder toute sa personnalité, qui se manifestait facilement dès que l’occasion s’en présentait.

À la consécration à l’Apostolat, le 9 juillet 1901, il reçut son obédience pour le vicariat apostolique de l’Oubangui. Désigné pour l’Alima, il se dépense sans compter à Sainte-Radegonde et compromet même gravement sa santé, si bien qu’après cinq ans de dur labeur, il doit rentrer en France, épuisé.

Atteint d’anémie, d’entérite et de violents maux d’estomac, on le met en observation à l’hôpital Pasteur, mais on ne trouve chez lui aucune trace de maladie du sommeil, et, comme tous les traitements pour améliorer son état s’avèrent inefficaces, on lui permet d’aller passer quelques mois auprès de sa mère, à Surzur.

Sa santé, cependant, laisse de plus en plus à désirer. Après plusieurs mois de souffrances physiques et morales, car l’inactivité lui pèse plus encore que les maux d’estomac et d’intestin dont il souffre, il rencontre, en Normandie, un pharmacien qui, l’ayant suivi de très près, finit par découvrir la cause de tout le mal, l’ankylostomiase. Il le soigne, et dès que le père est débarrassé de ces parasites qui le rongeaient, il reprend des forces et en quelques semaines il est guéri. Il part pour la Belgique, où il fait de nombreuses conférences très appréciées, et lorsqu’après deux ans de séjour, il se sent bien rétabli, on l’autorise à repartir.

Par suite des décès de plusieurs confrères à Sainte-Radegonde et le mauvais état de santé de ceux qui y sont restés, Mgr Augouard a décidé de fermer la mission et l’a rattachée à Saint-François Xavier de Boundji. Le P. Pédron proteste : son cœur est resté très attaché à Sainte-Radegonde, où il a souffert, où il s’est dépensé et où il a frôlé plusieurs fois la mort. Les ex-votos qu’il a placés dans sa paroisse, près de l’autel Sainte-Anne, en font foi : la sagaie d’un Mbochi qui ne l’a que légèrement touché à la poitrine, les cornes d’un buffle avec lequel il a lutté pendant un certain temps et qui l’a laissé couvert de sang et criblé de blessures, quand un Noir acheva la bête d’un coup de fusil ; son Crucifix de profession, à moitié calciné lorsque la foudre est tombée sur la résidence et y a mis le feu, sans cependant avoir fait aux PP. Pédron et Freto d’autre mal que de les éblouir en les jetant à terre.

Mais Mgr Augouard maintient la fermeture de Sainte-Radegonde, et le P. Pédron est désigné pour Saint-Louis de Liranga. Le climat humide de cette mission, située au confluent de l’Oubangui et du Congo, ne tarde pas à altérer de nouveau sa santé. Dans ses tournées en pirogue et en bateau sur l’Oubangui, il a été reçu plusieurs fois par Bétou, le chef des Bondjos anthropophages, qui, dix ans auparavant ont tué le F. Séverin. Le P. Pédron y conduit Mgr Augouard, qui fait alliance avec Bétou et, du coup, on décide d’y installer une mission. Il en est le premier supérieur, et il en prend possession, avec le P. Delaunay et le F. Camille, pour la fête de Noël 1910. Les débuts sont pénibles. Il faut construire les habitations provisoires et une grande chapelle, car, à Bétou et dans les environs, la population est assez dense. Il faut mener de front le spirituel et le matériel et le P. Pédron n’a jamais su se modérer : en avril 1913, vaincu de nouveau par la fièvre, il rentre en France, à bout de forces. Il se remet lentement. Un an après, il a l’espoir de pouvoir bientôt reprendre le chemin de sa mission.

À la veille de la déclaration de guerre, il est en Alsace et quitte précipitamment Strasbourg par un des derniers trains qui se dirigent vers Paris. Il y apprend la mobilisation. Son état de santé, il y a six ans, l’a fait réformer ; il demande à s’engager comme aumônier divisionnaire, mais, on lui refuse cet honneur. Il part alors pour la Bretagne, dans l’espoir de se rendre utile dans les paroisses ou dans des œuvres qui ont vu partir leurs prêtres mobilisés. Il est nommé professeur à Rostrenen, où il dirige, dans le collège même, une petite école apostolique qui nous a donné plusieurs bonnes vocations. Dès les vacances, en août 1915, il insiste pour repartir. À peine en a-t-il reçu l’autorisation qu’il s'embarque à Bordeaux.

De retour au Congo, il reprend sa place de supérieur à Bétou. Pendant quatre ans, aidé par le P. Barbey, mort en 1918, puis par le P. Herriau, le P. Pédron rayonne dans son vaste district. A Bétou et en aval, tout le long de l’Oubangui, la maladie du sommeil fait des ravages et beaucoup de ceux qu’elle épargne s’en vont au Congo Belge. De nombreux postes de catéchistes se fondent dans le bassin de la Lobaye, grâce aux jeunes gens venus des environs de Mbaïki. Mais, de nouveau, le P. Pédron sent ses forces décliner rapidement et, en décembre 1919, il doit quitter Bétou pour rentrer en France.

Dès que ses forces sont revenues, à l’été de 1920, il parcourt la France et fait des conférences ; il a la parole facile : son ardeur enthousiaste, les récits émouvants de sa vie de missionnaire font de lui un excellent recruteur.

Mais il a d’autres ambitions : dix ans plus tôt, il avait été question d’évangéliser la Sangha, mais les accords de novembre 1911, en donnant à l’Allemagne le bassin de la Sangha et celui de la Lobaye, avaient fermé ces territoires aux missionnaires français. La guerrre nous avait rendu ces contrées, qu’on disait fertiles et peuplées, et le P. Pédron, avec toute son ardeur, reprend l’idée de les évangéliser. La maison mère, qui approuve le projet, charge le P. Pédron, en février 1922, d'en prépârer la réalisation. Accompagné d’un confrère, il fera l’exploration de la Sangha, afin de se rendre compte exactement de ce que sont ces populations et de l’opportunité d’y installer une mission.

La conclusion est que l’établissement d’une mission s’impose, le plus tôt possible, pour arrêter l’islam qui vient du nord et lutter contre les protestants américains qui commencent à s’installer dans le pays. Mgr Guichard, qui vient d’être nommé vicaire apostolique de Brazzaville, approuve les rapports et les transmet à la maison mère, qui décide la fondation de Sainte-Anne de Berbérati, dans la Haute-Sangha. Le P. Pédron en est le premier supérieur, en février 1923.

Avec son entrain habituel il se met à l’œuvre, parcourt le pays et va jusque dans le nord-est du Cameroun, chez le sultan de Ngaoundéré, qui reçoit très bien le marabout blanc, et consent à l’aider à acheter des vaches. Le P. Pédron veut avoir, à la mission, un troupeau, pour satisfaire aux besoins de ses ouailles et leur montrer qu’elles peuvent, elles aussi, faire de l’élevage. Il a bien des déboires, mais il ne se décourage pas.

Il y a près de quatre ans qu’il est à Berbérati, et sa santé s’est maintenue, lorsqu’une lettre de Paris lui arrive, le 14 janvier 1927, l’invitant à quitter la Sangha pour se mettre à la disposition de la maison mère, comme recruteur en France. Il écrit aussitôt une lettre pour se défendre et le fait de façon fort habile. Mais il obéit, navré de quitter Berbérati.

En France, il fait de brillantes tournées de conférences : en juin 1928, le Bulletin général indique que « depuis novembre dernier, le P. Pédron a donné 300 conférences, devant 30 000 auditeurs environ » et on ajoute : « en même temps il a été vendu 5 000 Vies de Mgr Augouard, la campagne de presse appuyant la campagne de prédication et en complétant l'effort »

Il est ensuite placé à Piré-sur-Seiche, où, pendant un an, il consacre son temps à faire connaître la nouvelle maison (elle a été fondée en 1928) dans les diocèses de Bretagne, par des sermons et des conférences.

Mais la nostalgie de l’Afrique le reprend ; il insiste tellement que la maison mère finit par céder et, en octobre 1930, il s’embarque pour Douala, d'où il regagne Berbérati.

À son retour, des changements s’étaient faits : la mission de la Haute-Sangha avait rattachée à la Préfecture de l’Oubangui ; les limites, à l’est et au nord, étant reculées, la perspective de nouveaux champs d’action offerts à son zèle enchantait le P. Pédron. Il voulut connaître les nouvelles populations qui lui étaient confiées ; mais ses forces commencèrent à le trahir. La fièvre le reprit, sa vue commença à baisser, et bientôt, sur l’ordre du médecin, il revint en France, quasiment aveugle, en septembre 1932. Pendant une année, il subit plusieurs traitements, et peu à peu, il sembla recouvrer la vue, mais non sans rechutes. On le nomma père spirituel à Chevilly.

Atteint d’une cécité presque complète à son arrivée à Chevilly, l’ardent missionnaire se voyait condamné à une immobilité absolue. Il ne se montrait que très rarement ; et ses apparitions au milieu des scolastiques déclenchaient toujours des applaudissements spontanés qui montraient combien était grande l’admiration que tous témoignaient à cet apôtre intrépide. La science se déclarait impuissante à remédier à son état de santé. Lui, cependant, ne se tenait pas encore vaincu. Le bon Dieu, il faut le croire, se laissa fléchir par ses instances renouvelées. Bientôt en effet, de 2 dixièmes où elle était tombée, la vue remonta presque à 8 dixièmes.

Il allait maintenant pouvoir assister plus facilement aux exercices de la communauté, et surtout se mêler plus aisément, pendant les récréations, aux groupes des scolastiques. Causeur charmant, il savait donner un tour intéressant aux moindres choses ; très ouvert, en gardant la discrétion nécessaire, il avait le don de mettre tout le monde à l’aise, et de gagner la sympathie et le respect de tous ceux qui le fréquentaient.

Malgré le bien réel qu’il faisait à ses dirigés, le P. Pédron ne se se sentait pas à sa place. Son cœur restait attaché à l’Afrique. Au début de 1935, ses forces semblent revenir, sa vue s’est améliorée ; aussitôt il rêve de repartir. Prévoyant certaines objections, il écrit tout d’abord à son ami, Mgr Vogt, vicaire apostolique de Yaoundé, pour lui exprimer son ardent désir d’aller le rejoindre : il se propose pour prêcher quelques retraites et Mgr Vogt accepte. Le P. Pédron consulte des docteurs qui, devant ses instances, n’osent pas l’empêcher de réaliser ses desseins qui leur semblent héroïques. Il supplie Mgr le T. R. Père de ne pas s’opposer à son départ, puisqu’au Cameroun on le réclame, et que la Faculté le juge capable de rendre encore des services. Le R. P. Provincial et Mgr le T. R. Père se laissent toucher et il peut partir en septembre. Quelques jours avant qu’il s’embarque, le Gouvernement français le nomme Chevalier de la Légion d’honneur, et c’est à Yaoundé que le Gouverneur du Cameroun lui attachera la Croix sur la poitrine.

Le ministère qu’il exerce là-bas, répond à ses goûts et à son tempérament ; mais les déplacements continuels que cela nécessitait et la fatigue qui en résultait, ont tôt fait de l’abattre. Au bout de six mois, sa vue baisse de nouveau, et de graves crises d’urémie ne laissent aucun espoir. Le docteur lui conseille de rentrer en France.

Sa mère mourut avant qu'il eut débarqué. Il ne fit que passer à la maison mère, et partit pour Surzur, où il reçut les soins dévoués de sa sœur et de ses nièces. Le 27 août 1936 au soir, il reçut l’extrême-onction et, dès le lendemain matin, il faisait écrire à Mgr le T. R. Père : « J’ai été extrémisé hier soir. J’eusse préféré mourir en Afrique, en vieux missionnaire. Cette consolation m’a été enlevée, il m’en reste au moins une : celle de reposer à Surzur, auprès de ma mère. En mourant, je ne regrette rien dans la vie sinon de n’avoir pas toujours fait ce que j’aurais pu comme missionnaire. Je regrette aussi d’avoir maintes fois peiné des confrères, qui voudront bien pardonner à l’humaine faiblesse. Que le bon Dieu me pardonne, comme je pardonne à quiconque m’a fait de la peine. »

Ce ne fut qu’un mois après qu’il rendit son âme à Dieu, assisté par M. le Recteur de Surzur et entouré de sa famille. -
Ferdinand Pédux - BG, t. 38, p. 305.

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