Le Père Jules RÉMY,
décédé à Langonnet, le 11 janvier 1942,
à l’âge de 79 ans.


Jules Rémy, né à Chaource (Aube), le 15 juin 1863, a fait profession le 26 août 1888. Arrivé dans la colonie le 9 novembre 1888, il a assisté à la fondation du vicariat.

Les fameux voyages du P. Augouard au Pool avaient abouti à la fondation, mais plus en aval, de Saint-Joseph de Linzolo. Cette station ne donnait qu’un accès nul au fleuve, car elle était située au-dessous des chutes qui le rendaient impraticable.

Et pourtant, de toute nécessité, il fallait pouvoir se servir du fleuve qui s’imposait comme le moyen indispensable de pénétration. Sur la rive droite du Pool, l’administration et le négoce posaient de-ci de-là quelques bâtisses qui dessinaient les premiers linéaments d’une agglomération qui déjà, du nom du grand explorateur, s’appelait Brazzaville. Sur le terrain concédé, la petite communauté Saint-Hippolyte s’installait modestement et amorçait le chemin de l’Évangile.

C’est précisément pour Brazzaville que, fin 1888, le P. Jules Rémy reçut son obédience. Il y tomba en pleine fondation, dans le provisoire des paillottes, mais aussi en pleine ardeur d’un chantier, car il fallait préparer des constructions plus durables.

À cette époque lointaine, pas d’enfilade de magasins où l’on aperçût par les larges vitrines des montagnes de mangeailles appétissantes ; maintenant, un bon pour (c’est si commode) et toute cette provende saute sur votre table. Alors, un retard de la caravane, une maladie, une lubie même des porteurs et le buffet restait vide ; une grève des boulangères, et les chikouanges n’arrivaient pas ; que les éléphants ou les hippos devinssent casaniers et c’était la semaine des quatre vendredis… Et le vin qui n’en finissait jamais d’arriver de Loango… parce que… parce que…, mais je ne veux pas répéter les explications qu’on en donnait. Et si l’on invitait alors quelqu’un du poste (on désignait ainsi l’administration) on lui glissait à l’oreille d’apporter sa chopine, s’il ne voulait pas être mis au régime des grenouilles.

On défrichait, on moulait des briques, on tirait le cordeau pour des constructions plus solides, on s’ingéniait à se monter avec des moyens de misère.

On essayait des semis de chrétiens, des pépinières de baptisés. On achetait sur le marché de jeunes plants humains, sauvages et acides, des rives de l’Oubangui ou de je ne sais quel diable vert. On les repiquait sur les rives du Pool au milieu de Loangos évolués, de Batéké rétifs ou de Balali biaiseurs. Ce que ça donnait ? Je ne sais trop, mais certainement du tintouin aux premiers jardiniers de la terre noire.

Mais toutes ces entreprises naissantes, toutes ces œuvres embryonnaires, il fallait tout de même une caisse pour les alimenter. Nous nous demandons quelle était la forme et le volume du portefeuille de l’économe, quand les valeurs d’échange étaient représentées par des barrettes de laiton… Un jour, un bienfaiteur fit don d’une caisse de je ne sais combien de barrettes. À supposer que le budget actuel des écoles, des sports et des scouts fût représenté en barrettes, Seigneur ! Quelles charretées de ferraille !

Il est un événement dont on va d’ailleurs bientôt fêter le cinquantenaire, où ce jeune ancien – il est encore un “moins de trente ans” – remplit une mission de confiance. Je lis dans le journal : « 7 juillet 1892. Le P. Jules Rémy part pour la côte afin d’aller au-devant des sœurs qu’il doit amener à Brazzaville. »

Mgr Augouard note avec satisfaction que « le voyage s’est effectué rapidement et n’a duré que vingt et un jours ».

À la station des pères les tribulations ne manquent pas. Les fours à briques s’écroulent avant cuisson ; les chikouangues n’arrivent plus et le riz difficile à se procurer ; les éléphants qui se faisaient tuer de temps en temps y renoncent désormais et décident de tuer à leur tour le chasseur ; ils y réussissent.

Le P. Rémy, qui partage avec Mgr Augouard tous ces tracas, fait du recrutement par unités… Il accueille un jeune garçon… envoie une petite fille aux sœurs. Un jour, le P. Allaire en amène trois qui sont malades. Les catéchumènes se préparent au baptême en travaillant au chantier de la cathédrale. Quelques-uns se sauvent et reviennent ; il y a déjà des inspections d’école ; mais on ne parle point encore de pédagogie.

Ainsi s’écoulaient pour le P. Rémy les premières années d’apostolat dans un pays où tout était à fonder. Lui-même juge ainsi l’année 1892 (et les autres durent lui ressembler) « féconde en travaux de toutes sortes et aussi en souffrances ».

Et Saint-Hippolyte n’est qu’une extrémité du vicariat ; à l’autre extrémité, des chantiers aussi sont en activité. À l’autre extrémité, c’est-à-dire à 1500 kilomètres. C’est justement pour une station de ce qui est devenu Bangui que fut nommé, en 1894, le P. Rémy. Le registre matricule en porte la mention toute sèche : « Parti comme supérieur à Saint-Paul-des-Rapides, le 12 janvier 1894. »

Ler 31 mai 1895 une lettre du P. Rémy à Mgr Augouard et quelques autres qui suivent présentent le panorama de Saint-Paul-des-Rapides. Le P. Rémy est déjà depuis plus d’un an dans cette station et n’a plus que quelques mois à y rester. Il n’a point perdu son temps ; au matériel, tout est à installer ; au spirituel, les paroissiens sont plutôt récalcitrants. Au milieu de ses travaux de fondation, deux hématuries sont déjà venues le terrasser. Il s’en est relevé, mais pour subir de nouveaux assauts : coliques hépatiques, crampes d’estomac, diarrhées, etc… Comme à la date du 20 juin 1895, il se sent mieux depuis huit jours, il espère que ça continuera.

Rude, la besogne l’était à Saint-Paul-des-Rapides, comme d’ailleurs chez les voisins de la Sainte-Famille-des-Banziris. D’abord, les paroissiens n’étaient pas – tant s’en faut – des plus faciles. Le nom de Bondjos revient souvent dans les écrits de Mgr Augouard, et ses conférences le promenèrent de long en large à travers la France.

À ces gaillards-là, il ne fallait pas parler de régime végétarien. Parlez-leur de bons morceaux de viande braisés ! Et quand on a le rôti, pourquoi mettre des légumes autour ? Sadisme ou goût de fauve, c’est la chair humaine, fraîche ou même avancée, qui les attirait le plus, jusqu’à poursuivre de leurs flèches, en plein jour et en plein milieu des habitations, les enfants du catéchuménat. La panthère, elle, ne venait que la nuit pour râfler les cabris. Une lettre parle des “grandes alarmes” que ces cannibales donnaient aux missions.

Si bien que le P. Rémy dit un jour qu’il allait essayer de nouer de bonnes relations avec les Bondjos pour leur acheter des bananes. Car ces affamés de fricot ne dédaignaient pas, je dois le dire, de l’accommoder aux bananes. C’est plus consistant que de simples feuilles, qui se seraient égarées entre leurs dents pointues.

En plus des alarmes tragiques et sanglantes, les causes de tintouin ne manquaient pas. En temps de fondation, que de matériaux dont on avait besoin ; de combien d’articles de première nécessité ne manquait-on pas ? Des délais sans nombre à cause de la lenteur et de la précarité des communications, des oublis ou maldones rendaient inutilisable un envoi. Un jour, une cargaison de perles arriva (les perles étaient alors une monnaie d’échange) ; mais calamité ! elles se trouvèrent toutes de la même couleur, alors qu’il en eût fallu des rouges et des blanches. Nous en sourions maintenant à distance ; mais à l’époque, ce manque de variété causait de l’embarras pour les paiements et les achats.

Quel tracas aussi que le recrutement des catéchumènes ! Les missions achetaient de jeunes esclaves qui, de fait, se trouvaient libérés, et dont les missionnaires se trouvaient ainsi être les répondants [Un enfant se rachetait au prix de 35 barrettes, prix d’un cabri]. Il ne fallait pas les confondre avec les enfants libres qui étaient confiés par leurs parents.

On les dégrossissait sur place et on les envoyait à Brazzaville pour le fignolage. Mais certains chefs, qui s’étaient débarrassés d’esclaves contre de bons écus sonnants – et non pas seulement pour quelques poignées de barrettes – venaient entortiller le père de leurs manigances pour ravoir leur bétail humain : l’administration leur donnait raison. Il fallait palabrer pour empêcher les vieux satrapes du pays de repasser le collier de servitude à leurs affranchis.

Et puis tous ces contingents de garçons appelaient une œuvre complémentaire de jouvencelles. Le P. Rémy s’en faisait l’apôtre, mais l’autre père d’à côté ne voulait rien savoir d’un pensionnat de demoiselles ; en quoi il avait moins de clairvoyance que le supérieur de Saint-Paul-des-Rapides. Car enfin, depuis Adam et Ève, pour peupler le monde ou une chrétienté naissante, Dieu n’a pas changé la recette.

Le registre matricule continue de donner à la suite les affectations du P. Rémy, et nous en sommes à la ligne ainsi rédigée : « Parti pour Loango comme procureur de la mission, le 23 septembre 1895. » Aucun éclaircissement sur cette fonction qui ne dura d’ailleurs que six mois. Car la ligne suivante ramène le P. Rémy à Brazzaville : « Revenu à Brazzaville comme supérieur par intérim, en mars 1896. »

À cette époque, Mgr Augouard vient de partir pour le Chapitre général qui doit élire un nouveau Supérieur général de la congrégation. Voilà donc que le P. Rémy, qui n’a pas beaucoup plus de sept années d’Afrique sur les épaules, reçoit toute la charge du vicariat. Alors, du lointain Oubangui, où il peina lui-même, toute une correspondance compacte et variée lui arrive. Au milieu des soucis, des efforts, des déboires, des petites réussites, qu’il s’agisse du recrutement pour les œuvres, du savon qui manque totalement, ou de la salade qui pourrit au jardin faute d’huile, c’est vers le P. Rémy qu’on tourne les yeux, car, ainsi que termine une lettre du 24 octobre 1896 : « C’est ici (à Saint-Paul) votre mission !… » Le P. Rémy se trouvait sans doute très honoré de s’entendre dire : « Saint-Paul, c’est votre mission », et nul doute qu’il fît l’impossible pour aider, de Brazzaville, cette situation lointaine qu’il avait fondée.

Mais Brazzaville même fournissait ample matière à son activité. Il est le premier de la communauté, vicaire général, procureur aussi. Autant dire que tout passe par sa tête : marche générale de la communauté, vie religieuse, directives à donner aux œuvres, si embryonnaires soient-elles, mise en route des caravanes, réception des caisses, distribution des charges. Le P. Rémy cumule toutes ces besognes variées. Il se fait même bouvier honoraire et va chercher des vaches, etc…

Le 21 février 1898, il partit pour la France prendre du repos. Repos qui ne se prolongea pas d’une façon exagérée, puisque le 16 décembre de la même année, le Père était de retour. Après son absence de dix mois, la même besogne aussi variée s’offrit à lui de nouveau.

Le P. Rémy est à son deuxième séjour. Il arrive à la maturité de l’âge, précocement enrichi par des fonctions variées et des œuvres de premier plan.

Sous son impulsion, ou du moins sous ses responsabilités, les tournées de brousse s’inaugurent, pas encore bien poussées ni prolongées, pas encore très fructueuses. Premier repérage des agglomérations, premier coup de sonde à travers les dispositions des indigènes, que deux catéchistes avaient déjà essayé d’apprivoiser. Le P. Prat note à la date des 24-26 septembre 1898 (je me rappelle le lui avoir entendu dire de vive voix) : « Le Père Prat va faire sa tournée pour reconnaître les villages qui peuvent bien exister autour de Brazzaville. Il en revient le 28 au soir. La plus grande quantité des villages se trouve près du Djoué. Pas riches, les environs de Brazzaville avec les hautes collines suivies de profonds ravins. » Il ajoute que l’évangélisation extérieure a fait “un très grand pas”.

Faut-il noter que le début de ce XXe siècle fut marqué à Brazzaville (19 mars 1901) par la profession d’une religieuse indigène, tandis qu’une postulante devient novice et une jeune fille entre au postulat ? Quarante ans plus tard, le nombre des religieuses indigènes a un peu augmenté.

Je ne manquerai pas de signaler une initiative qui, à l’époque, à s’en rapporter aux termes qui la relatent, dut paraître un événement.

Vers la fin du mois de juin 1901, on s’inquiète de l’entrain avec lequel les enfants batékés, internes de l’œuvre, prennent la fuite. Le P. Rémy, accompagné d’un autre père, décide de faire une tournée de brousse pour assurer au recrutement des conditions plus fermes. Est mentionné aussi un acolyte spectaculaire, un sénégalais, représentant le bras séculier. Peut-être à cette époque primitive, cette mesure était-elle nécessaire ? Était-ce la première tournée de brousse organisée après la prise de contact par le P. Prat (mentionnée plus haut) avec les villages éparpillés dans ce pays “pas riche”, de montagnes et de ravins ?

Après cette tournée, l’effectif de l’œuvre compte cinquante-sept enfants, dont une vingtaine du haut, quelques Balali, les autres Batéké.

C’est encore le P. Rémy qui prend à cœur le prestige de la corporation naissante des catéchistes. Il décide que les jeunes garçons affectés à cet office ne feront plus de corvées de portage. Ainsi, sur les dix catéchistes primitivement inscrits, on réussit à en conserver cinq.

Pendant que le P. Rémy est allé procéder vers Ouesso à l’exhumation du corps d’un Européen de marque, une autre case-chapelle est amorcée à Ndoula, puis à Impila. L’impulsion qu’il a donnée étend son rayon dans la banlieue de Brazzaville ; on suit même le Djoué et le Djili ; et la vallée de la Mbouambouli se révèle favorable à des installations.

Et Mgr Augouard partant en France, voilà encore le P. Rémy, pour la troisième fois en six ans, chargé de la direction du vicariat. Sans tarder, il a l’intéressante mission de batailler avec l’administration pour la question des villages et des enfants. Il y remporte des succès très variables. Ce qui ne l’empêche pas de pousser avec le P. Calloc’h une tournée fatigante et peu fructueuse de quinze jour en direction de Nkoué. Ce “Nkoué” deviendra un poste important.

En 1906, le P. Rémy part pour la France (26 mars) où il sera délégué au Chapitre général. Nul doute qu’il ne soit déjà capable de faire bonne figure dans les grandes assises de la congrégation. Juste un an après, il est de retour à Brazzavillle et redevient procureur du vicariat. Ce sont donc les histoires de caisses, d’étoffes, de vivres, de comptabilité qui reprennent de plus belle.

Aux environs de 1910, des changements importants se produisirent dans la géographie du vicariat de Brazzaville. Le lointain Oubangui fut détaché de l’obédience de Mgr Augouard et devint une préfecture apostolique. Plus près de Brazzaville, une anomalie enfin cessa et le Djoué ne fut plus une limite entre Brazzaville et Linzolo. Linzolo, fondé depuis plus de trente ans par le P. Augouard, venu alors de la côte, n’avait plus de raison de continuer à dépendre de Loango et passa à Brazzaville, comme le demandait le bon sens et l’avantage de l’apostolat.

Avec Linzolo, toute la zone d’influence passait sous la houlette de Mgr Augouard, c’est-à-dire tout le territoire actuel des missions dites “du Bas” (M’Bamou, Kialou, devenues maintenant Kindamba, Kibouendé, Mindouli, Voka). De sa côte lointaine, Loango eût-il pu fonder toutes ces stations ?

Sous la houlette de Mgr Augouard, dis-je… Mais Mgr Augouard atteignait la soixantaine et trente ans de Congo, passés ailleurs que dans une chaise-longue sous une véranda, commençaient à peser sur ses épaules. Même M’Bamou, qui fut fondé de son vivant, n’eut sa visite qu’une seule fois. Ce fut donc le P. Rémy qui donna l’impulsion au travail apostolique du Bas-Congo, après avoir, dans sa jeunesse, défriché une mission du Haut.

On comprend que ce fut un bon bout de besogne. Jusqu’à son départ du vicariat, le P. Rémy, alors cinquantenaire et riche d’expérience, cumulait les responsabilités. Supérieur, procureur, pro-vicaire général de Mgr Augouard, qui de 1910 à sa mort fut souvent ou malade ou absent du vicariat. Direction de la communauté de Brazzaville, souci du budget et des approvisionnements, visites aux stations, directives à donner au mouvement apostolique, le P. Rémy mettait la main à tout.

En l’année 1914, la guerre arriva et ce n’était pas un événement pareil qui allait alléger les responsabilités du P. Rémy.

Monseigneur est en France, où son mauvais état de santé le force à prolonger son séjour, et la déclaration de guerre rend incertain tout embarquement. Personnel, crédits, ravitaillement, allocations, il est facile de prévoir que tous ces moyens seront réduits. Aussi le P. Rémy ne cesse d’indiquer dans ses avis, recommandations et chapitres, comment il convient de se conformer aux événements. Il prône ce que l’on pourrait appeler l’esprit de guerre, la conscience de guerre, bon à méditer à une époque où une nouvelle guerre exige ce même esprit, cette même conscience.

Dans ses différentes fonctions, le P. Rémy se prodiguait, laissait à un confrère la direction de la communauté, pour aller dans les missions, soit y aider un père seul, à l’occasion d’une fête, soit y prêcher une retraite aux catéchistes, soit y faire une visite provinciale, au nom de Mgr Augouard, à qui l’âge et les infirmités interdisaient souvent de se déplacer.

J’ai là sous les yeux des rapports du P. Rémy comme visiteur ; un de 1917, assez succinct, mais très pratique, un autre de 1920 et le dernier du 30 septembre 1921, plus détaillés et contenant des directives très sûres.

Ce dernier rapport est signé : J. Rémy, vicaire général. Mais l’évêque dont le P. Rémy était le vicaire général n’avait plus que trois jours à vivre sur la terre.

Le 3 octobre 1921, Mgr Augouard est rappelé à Dieu. Évidemment, la situation du P. Rémy allait changer. Pas immédiatement. Car le titre de pro-vicaire, qui devenait celui du P. Rémy, ne modifiait pratiquement pas ses obligations. Il n’avait donc, pour l’instant, qu’à prendre le vicariat en charge pendant la vacance, comme il l’avait fait en l’absence ou pendant les maladies de Mgr Augouard.

Pendant les mois d’attente qui suivirent le décès de Mgr Augouard, il n’y eut rien de saillant. La vie religieuse et apostolique continuait comme par le passé et le P. Rémy donnait toujours l’impulsion, indiquant la ligne droite, réprimant les écarts, encourageant son personnel.

Le mercredi 28 juin 1922, une réunion inopinée fut faite à la cathédrale et le P. Supérieur, d’une voix émue, nous annonça que S. S. Pie XI venait de nous donner un nouveau pasteur en la personne du P. Guichard.

Le 6 août 1922, en signant le chapitre de ce jour comme tant d’autres qu’il avait présidés jusqu’alors, le P. Rémy ajoutait ces trois lignes au-dessous de son nom :

« Supérieur de la communauté de Brazzaville du 1er janvier 1914 à septembre 1922. Miserere mihi, amici mei. »

Après trente-quatre années coupées de trois courts repos en France, il quittait définitivement le vicariat.

Ici et là, on se félicitait qu’une époque de rigorisme et d’autoritarisme fût terminée. Il serait piquant de noter quels étaient un peu plus tard les sentiments de même provenance. Déterrer des animosités et des partisaneries n’est pas de mon goût ; mais comme une notice ne doit pas être non plus un panégyrique tout sucré, je me bornerai à dire que le désir général était que le vicaire général de Mgr Augouard ne devienne pas son successeur. Était-ce un désir justifié ? Je n’ai pas à le savoir. Je note seulement qu’il y avait là, pour le nouvel élu, une indication : non pas de manquer de fermeté ou de décision, ce sont là des qualités capitales pour un chef, mais de ne pas multiplier les prescriptions de détail qui souvent gênent la marche au lieu de l’accélérer.

Sexagénaire, encore robuste physiquement, le P. Rémy, en quittant Brazzaville, n’abandonnait pas pour autant l’Afrique.

Après son congé, il fut nommé visiteur des maisons d’Europe. Le P. Rémy possédait les qualités de cette charge, où il faut redresser, changer parfois, encourager les efforts, fouetter l’attelage aussi, sévir probablement. Tel qu’il était, on peut présumer qu’il prit sa charge à cœur et que ses visites ne furent pas de simples inspections protocolaires.

Quand, en 1924, j’arrivai de mon diocèse au noviciat de Grignon, simple “séculier”, intimidé au milieu de tous ces cordons spiritains, il y avait un mot qui rebondissait d’un groupe à l’autre. C’était celui que le P. Rémy, visiteur, avait claironné dans toutes les Communautés : « I’faut qu’ça change. »

Ce cri d’alarme souvent répété par le visiteur était le dernier réflexe d’un homme qui avait toujours été commandé et avait commandé avec une autorité un peu trop rigide et trop minutieuse. Mais la part faite des excès, s’il y a lieu, il vaut mieux qu’une fermeté bien éclairée dise assez tôt « Halte-là » plutôt que d’avoir un jour à se lamenter sur un état de choses amené par le laisser-aller et la facilité. Des deux méthodes, la fermeté, doublée bien sûr de douceur et de charité, est la plus bienfaisante.

Après avoir fait tant de “change­ments” en France, ou du moins avoir signalé tant de changements à faire, le P. Rémy s’embarqua pour l’Afrique et pour je ne sais quels autres continents. Y avait-il là-bas aussi des changements à faire ? C’est bien probable. Mais certainement, s’il y en avait, le P. Rémy ne manqua pas de les indiquer. D’ailleurs, il y a lieu de croire que sur tous les méridiens il ait été précédé de son coup de clairon « I’faut qu’ça change ! ».

À mon retour en France, en 1936, je fus adressé au P. Rémy, alors supérieur de la maison mère. Rue Lhomond, je trouvai un petit vieux, légèrement tassé, sec comme un sarment, mais l’œil vif qui reluisait sur la barbe blanche. Il fallut bien échanger quelques mots sur le Congo, évoquer le champ d’action de sa jeunesse et de sa maturité. Mais l’entretien fut bref : l’époque était si loin déjà où il avait ses responsabilités dans les destinées du vicariat !

Puis vint l’heure de la retraite. Après deux années encore de supériorat à Chevilly (1936-1938), le P. Rémy, qui avait poussé son activité jusqu’à un âge très avancé, fut définitivement relevé de toute fonction et, en 1939, l’enclos de Langonnet le reçut comme tant d’autres.

Au mois de juin1942, nous étions informés de la mort du P. Rémy, survenue le 11 janvier de cette année. -
Joseph Auzanneau - BPF, n° 41.

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