P. Jérôme ROCHETTE de LEMPDES
Annales du Diocèse de Port-Louis, par Mgr Joseph Mamet 1916 – 1926 ; p. 119


Né le 16 / 12 / 1851, à (63) St Genès, Puy de dôme, diocèse de Clermont-Ferrand ; 1° vœux à Chevilly, le 27 / 08 / 1876 ; vœux perpétuels à Cellule, le28 / 10 / 1879 ; diacre à Chevilly le 18 / 09 / 1875 ; prêtre à Paris, le 18 / 12 / 1875 ; Il a travaillé à Maurice du 12 / 10 / 1887 à sa mort ; il est décédé à l’Immaculée, le 25 / 09 / 1922, âgé de 70 ans, dans sa 46° année de Profession ; il est enterré à Ste Croix .

25 SEPTEMBRE 1922 . Deuil immense pour le diocèse et pour la ville de Port- Louis : le R.P.Rochette de Lempdes C.S.Sp. est mort à l'Immaculée vers une heure de l'après-midi .

Les circonstances qui entourent son décès le rendent particulièrement douloureux .

Lundi dernier, 18, il avait déjeuné à Saint-Ignace, avec Mgr. le Vicaire Général, le R.P. Pivault C.S.Sp. et l'abbé Mamet . De retour chez lui il ressentit un fort malaise ; il l'attribua à quelque trouble gastrique . Mais l'indisposition s'aggrava . L'on crut d'abord à une menace de congestion cérébrale, - il délirait par moments - puis à une influenza maligne . L'état empirant, vendredi matin le R.P. Berthet C.S.Sp. lui proposa les derniers sacrements . Il accepta et reçut l'extrême-onction et le viatique avec la plus grande piété, mais en protestant qu'il n'était pas en danger : « Vous verrez, dans deux jours je serai sur pied », déclara-t-il . Son premier vicaire, le R.P. Kauffmann C.S.Sp., en vint a soupçonner la peste ; dans la soirée de samedi il amena le médecin traitant à partager son doute . Aussitôt fut appelé en consultation l'assistant-directeur du Département de la Santé, le Dr. Keisler . Celui-ci n'hésita pas un instant : selon lui c'était bel et bien un cas typique de peste ; l'analyse bactériologique faite immédiatement lui donna raison . Et le mal était déjà au-delà de tout traitement efficace . On découvrit alors où et comment le moribond s'était contaminé .

Environ deux semaines auparavant, un rat infecté avait été trouvé dans les dépendances du presbytère . L'autorité sanitaire, alertée, avait procédé à une désinfection complète des locaux . Néanmoins, quelques jours plus tard un petit domestique, qui habitait l'une des chambres, fut atteint et mourut, assisté par le Père Rochette .

A celui-ci on cacha jusqu'à la fin la nature de l'horrible maladie qui l'emportait : ses confrères ne quittèrent pas son chevet .

Il était né le 16 décembre 1851, au château de Saint-Genès-Champanelle, près de Clermont-Ferrand . Sa famille se range parmi les plus anciennes maisons de l' Auvergne, alliée non seulement à l'aristocratie locale, mais à la noblesse des provinces avoisinantes . Elle n'est pas près de s'éteindre . De son frère aîné, Léonce, mort en 1915, ancien Zouave Pontifical, ancien combattant de 1870, sont issus plusieurs enfants et petits-enfants . L'un d'entre eux, avocat à la Cour d'Appel de Riom, a fait toute la campagne de 14-18 et a mérité la Croix de Guerre . Mais, titre de gloire plus substantiel qu'une longue lignée d'ancêtres : de tout temps et jusqu'à nos jours, la race des Rochette de Lempdes a donné un grand nombre de prêtres au clergé séculier, de religieux et de religieuses à différents ordres .

Après ses études au collège Notre-Dame de Mongré et au petit séminaire de Cellule, il entra dans la Congrégation du Saint-Esprit le Il septembre 1869 . Le 18 octobre 1875 il était ordonné à Paris par Monseigneur Richard, pour lors coadjuteur du Cardinal Guibert .

De 1876 à 1879 il se trouve au collège de Cellule, professeur de cinquième en même temps que vice-préfet du petit scolasticat .

Mais il voulait aller en mission . Aussi, en 1879 ses supérieurs l'envoyèrent-ils à Pondichéry, où sa Congrégation était appelée ; il accompagnait le R.P. Corbet C.S.Sp. nommé Préfet Apostolique . Il exerça le ministère de vicaire paroissial dans la ville . Le 1° septembre 1886, la bulle Humanae Salutis établissait la hiérarchie dans l'Inde, érigeait Pondichéry en archevêché confié aux Missions Étrangères de Paris . Les Pères du Saint-Esprit cédèrent donc la place à leurs successeurs et rentrèrent en France vers le milieu de 1887 .

Quelques semaines à peine écoulées, Monseigneur Meurin, avant même que sa nomination au Siège de Port-Louis ne fût officielle, demanda au Trés Révérend Père Emonet deux prêtres pour son diocèse . Le Général lui donna le R.P. Jauny et le R.P. Rochette de Lempdes . Ils partirent sans tarder . Ils débarquèrent à Port- Louis le 12 octobre 1887, devançant l'Évêque d'un mois .

Le Père Rochette fut désigné pour la cathédrale . Depuis le temps du Père-Laval, des religieux de la Congrégation collaboraient avec le clergé séculier dans le service de l'église-mère . Ils occupaient, en 1887, à droite de la porte d'entrée du presbytère, un pavillon qui faisait pendant à celui qui est devenu la salle d’œuvres .

Note: Ce pavillon - de pierre avec une couverture en bitume - réclamant d'onéreuses réparations, par mesure d'économie la Fabrique en résolut la démolition dans sa séance du 18 juillet 1912 . Contrairement à une tradition tenace, ce n'était pas « le pavillon qu'avait sanctifié le Père Laval » . Sur ce point le R. P. Thevaux C.S.Sp. apporte un témoignage décisif . « Nous voilà enfin installés dans notre nouvelle demeure depuis le commencement de cette année (1875), écrit-il à notre maison nous avons fait ajouter le petit pavillon en bois où logeait le Père Laval, et qui se trouvait de l'autre côté du presbytère - L'ancien, remplacé par la cure actuelle en 1879-80 - On l'a bien restauré . Il n'a qu'un rez-de-chaussée, mais comprend deux petites pièces, dont l'une nous sert de réfectoire et l'autre de dépense . C'est pour nous un bien précieux souvenir » (Delaplace-Pivault-Le P. Jacques Désiré Laval, Apôtre de l'Ile Maurice, page 127, note) . Or par décision de la Fabrique, en date du 18 décembre 1908, « le petit pavillon en bois ... qui servait de salle à manger aux Pères du Saint-Esprit » fut vendu pour 400 roupies à « la Supérieure du couvent de Bon-Secours . » La modicité du prix de vente montre bien que le petit édifice (à être enlevé) était en très mauvais état .

Le nouveau venu y rejoignait les Pères Garmy, Hatler et Bourget . Il ne devait plus quitter la capitale .

Seize ans plus tard, les Pères se retirèrent de la cathédrale et reçurent la paroisse de l'Immaculée ; il en devint le premier curé spiritain, le 24 septembre 1903 .

A cette fonction vinrent s'ajouter celles de Supérieur Principal 7 juin 1907- 7 mars 1922, de membre du Conseil Diocèsain, mars 1918-mars 1922, de second Vicaire Général, 12 juillet 1920- 7 mars 1922 .

Comme prêtre, comme religieux, comme pasteur, il pouvait être pris pour modèle ; comme Supérieur jamais il ne rendit son autorité pesante à ses subordonnés .

Petit, rondelet, quelque peu lent dans la marche, le geste, et l'élocution, avec un visage franc et ouvert, orné d'une barbe vite blanchie, et percé d'yeux pétillant d'intelligence, il était la simplicité et la bonhomie personnifiées - si bien, que sans effort on oubliait en lui le gentilhomme de vielle roche . D'ailleurs il ne faisait rien pour le rappeler : jamais une allusion quelconque à sa naissance, ni aux biens considérables qui lui étaient échus à la mort de son père en 1884, et dont il avait affecté bonne partie à des fondations pieuses ainsi qu'à la constitution de bourses en faveur de jeunes gens se destinant aux missions . Sa conversation était pleine de charme, émaillée de traits d'esprit, qui allaient parfois jusqu'au calembour un tantinet rabelaisien . Ses confrères, séculiers et réguliers, l'aimaient autant qu'ils l'estimaient . Toute la ville de Port-Louis le connaissait, et la popularité du meilleur aloi dont il jouissait éclatait chaque fois que s'en présentait une occasion .

26 septembre 1922 . Funérailles du Père Rochette à 2 heures . De mémoire d'homme, foule aussi compacte ne s'était entassée dans l'église de l'Immaculée . Tous les prêtres sont présents, à une ou deux exceptions près . Monseigneur prononce un éloge funèbre vraiment émouvant .

D'autre part, la presse lui rend témoignage ; Le Cernéen et Le Radical, notamment, soulignent « son zèle infatigable, .. son dévouement toujours sur la brèche ... sa bonté, sa charité pour les pauvres ... son exquise urbanité pour les plus humbles de ses ouailles ... »

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