Le P. Alphonse ROUXEL
du district de la Guadeloupe, décédé à Pointe-à-Pitre, le 24 juillet 1938,
à l'âge de 70 ans, après 55 années passées dans la Congrégation, dont 43 ans et, 11 mois comme profès.

Le P. Alphonse Rouxel naquit le 30 avril 1868 à Plumaugat, diocèse de Saint-Brieuc. Plumaugat a donné à la Congrégation le P. Mathurin Gaultier, professeur de morale au Séminaire du Saint-Esprit depuis 1834 et qui mourut en 1869, premier assistant de la Congrégation, après avoir été l'un des plus ardents artisans de la restauration des doetrines romaines en France. Un autre enfant de Plumaugat, le P. Joseph Orinel, attiré par le P. Mathurin Gaultier, au service des Colonies, entra plus tard dans la Congrégation ; à son tour, quand il fut à Beauvais, il appela aux Petits Clercs, Alphonse Rouxel.

De Beauvais, celui-ci passa à Langonnet en 1883 et entra en 4e. On lui donna l'habit des Scolastiques deux ans plus tard : il est doux, pacifique, un peu ombrageux, de faible santé, très régulier ; on se demande pourtant si ses vertus sont très solides, car il les pratique sans effort et semble se laisser vivre. Mais il est une qualité qu'on lui reconnaît, qui sera toujours sa caractéristique : il est judicieux. Esprit très éveillé, il discerne au premier coup d'oeil les travers d'autrui, il en plaisante aimablement. Au Grand Scolasticat où il entre en 1887 on le juge sévèrement, à cause de cette tendance ; d'ailleurs deux de ses frères ont été élevés dans la Congrégation et n'ont pas persévéré : ne va-t-il pas se retirer à son tour ? Des épreuves lui sont imposées, à Castelnaudary, à Cellule. Enfin, en 1892 il reparaît à Chevilly et désormais sans arrêt il arrive au terme: prêtre le 30 novem­bre 1893, il fait profession le 15 août 1894.

On l'envoya d'abord en Haïti, au Séminaire-Collège Saint ­Martial. Il fut professeur de septième un an, puis des cours modernes, puis de huitième, et enfin, à nouveau, de sep­tième. Il aurait été capable de beaucoup mieux, mais il faisait si bien dans les basses classes, nombreuses, turbu­lentes, inattentives ! Il tenait ses élèves et les faisait réussir ; très aimé d'eux, il les suivait sur un autre terrain, celui de la préparation à la Première Communion, oeuvre ardue à Saint-Martial, toute de patience et de sagacité ingénieuse, pour occuper des enfants habitués à la discipline plus stricte de la classe et qui se sentaient en liberté en face de leur catéchiste.

Au dehors il avait la charge de la chapelle de la prison. Il y fallait surtout de la discrétion pour ne pas porter ombrage au Commandant du lieu et au Gouvernement, de l'entregent pour atteindre tous les prisonniers, de la condescendance pour supporter leurs plaintes parfois justifiées, une autorité très sûre pour êtrr leur intermédiaire près de leurs familles. Il avait besoin de s'introduire partout, sans jamais prendre parti et sans rebuter personne : combien de gens à Port-au­Prince lui ont dû la consolation au milieu de l'épreuve la plus lancinante.

A l'intérieur de la Communauté, le P. Rouxel apportait la joie ; il savait plaisanter avec humour, et de ses confrères de ce temps, il en est qui se souviennent de son aimable insistance à réveiller, à point nommé, des souvenirs qui mettaient la gaîté partout. Aucune confidence à lui faite n'était perdue ; il rappelait le passé, sans jamais blesser. Son Supérieur de ce temps, le P. Marcellin Bertrand, n'a que des éloges pour lui. Mais au bout de quelques années, en 1903, il y a une ombre au tableau. Le P. Bertrand trouve que le P. Rouxel manque d'ouverture avec ses Supérieurs. Le P. Rouxel de son côté demande à Mgr Le Roy de rentrer en France pour remettre sa santé délabrée : c'est à peine s'il tient debout ; mais plus que son corps son âme a besoin de se restaurer : c'est tout ce qu'il laisse entendre du conflit réel qui existe entre lui et son Supérieur. Sur place, ses confrères n'en savent rien de plus ; fatigué au moral, il veut rentrer en France : tout au plus, disait-il que la classe, la classe élémentaire lui pesait.

Il rentra en 1903, et selon son désir on l'envoya au Gabon, à Donguila, où, puisqu'il était surtout professeur, on lui donna la classe, classe élémentaire encore. Il y fut ce qu'il avait été en Haïti pour ses élèves et ses confrères. Après sept ans de ce nouveau régime, qui ne changeait pas grand'­chose à sa vie, il obtint enfin un poste à la Guadeloupe.

En 1912, la Congrégation du Saint-Esprit fut chargée de pourvoir au- service religieux des diocèses coloniaux. Avant même cette date plusieurs Pères furent envoyés à la Guadeloupe. Le P. Alphonse Rouxel fut de ceux-là. Il y arriva le 21 juillet 1911. Il avait alors quarante-trois ans ; il revenait du Gabon où il avait passé sept années.

L'île de Marie-Galante qui compte trois paroisses avait été assignée au zèle des Pères du Saint-Esprit. Quelques jours après son arrivée, le P. Rouxel fut nommé vicaire de Grand-Bourg, la plus importante des trois paroisses. Le curé en était le P. Malleret qui était arrivé dans la colonie quelques mois auparavant. Tous deux mirent en commun leur expérience afin de cultiver du mieux possible ce nouveau champ d'apostolat que Dieu confiait à leurs soins. Ce n'était plus l'Afrique avec ses longues tournées dans la brousse, c'était l'exercice du saint ministère au milieu d'une popula­tion entièrement chrétienne, dans une paroisse étendue et qui compte plus de 10.000 âmes, ministère très chargé et qui ne laisse guère de répit au cours d'une année. Le P. Rouxel se donna tout entier à cet apostolat d'un genre nouveau. Son caractère aimable, sa douceur, son affabilité lui attirèrent rapidement la sympathie de cette population créole qui aime le prêtre et ne lui marchande pas sa confiance.

En janvier 1912, moins d'une année après son arrivée, le P. Malleret était nommé évêque de la Martinique et rentrait en France, laissant le P. Rouxel seul à la tête de la paroisse. L'intérim dura plus d'une année et on jugea que le vicaire pouvait assumer la charge de curé, puisque, en avril 1913 le Père Rouxel était nommé et installé curé­ archiprêtre de Grand-Bourg. Il se dépensa de son mieux au service de son troupeau. Son temps fut absorbé par les catéchismes, les longues stations au confessionnal, la visite des malades à la campagne et les mille détails de la vie d'une grande paroisse. De l'aide, il ne fallait pas en attendre de si tôt : la Grande Guerre ne favorisait point l'arrivée des renforts. A ce régime de surmenage, sa santé faiblit et un séjour en France fut jugé nécessaire. Il partit en juin 1916.

Il avait quarante-huit ans, n'avait jamais fait de service militaire, était incapable de supporter de longues fatigues. Il ne fut donc pas mobilisé, mais on lui confia des postes laissés libres par l'appel des confrères à l'armée ; il fut aumô­nier de Limours, de Cluny, de Bligny.

Il résolut, pendant ce séjour en France, un gros problème que n'ont pu connaître que les profès d'ancien régime. Il avait déjà renouvelé quatre fois ses voeux pour cinq ans et regardait les voeux perpétuels comme une récompense et une sanction de la perfection déjà acquise. Il est probable qu'en 1917 il oublia l'échéance et en homme très régulier il s'en repentit ; aussi se décida-t-il cette fois à émettre ses voeux perpétuels.

Aussitôt après la guerre, en décembre 1918, il revient à la Guadeloupe. Sa santé toujours délicate ne lui permet pas de reprendre son ancien poste. Il est nommé aumônier du Pensionnat des Soeurs de Saint-Joseph à Basse-Terre. Il y reste trois ans. Le ministère paroissial a toujours ses préfé­rences, aussi, en 1921, nous le voyons curé de Terre-de-Haut, dans l'un des îlots des Saintes. En 1927, il est à Vieux-Port. En juin 1928, il assure l'intérim d'une grosse paroisse : Sainte-Anne. Le 12 septembre suivant, un terrible cyclone dévaste la Guadeloupe et détruit plusieurs églises. A Sainte­Anne, le P. Rouxel cherche un abri près de l'église ; l'ouragan jette à terre toute la nef ne laissant debout que le chœur de l'édifice. Et s'en fallut de peu que le curé intérimaire ne restât sous les ruines.

Les semaines qui suivirent furent très pénibles pour le P. Rouxel. Il logeait dans un abri de fortune, les besoins du ministère se faisaient plus grands, l'état de l'église ne per­mettait plus la célébration régulière des offices, tout cela l'affecta profondément, lui qui ne se sentait plus les forces nécessaires pour rétablir une situation très critique. En mars 1929, il rentrait en France sans espoir de revenir.

Sa santé s'étant un peu améliorée, il fut envoyé à Misserghin où il fut chargé d'une aumônerie. Mgr Genoud de passage à Mis§erghin en septembre 1931 revit le P. Rouxel que la ­nostalgie des Antilles n'avait jamais quitté tout à fait. Il sollicita son retour, mais les fonctions qu'il remplissait le retinrent encore quelque temps. Il nous revint en 1938. Malgré son âge et une surdité assez prononcée, il rendit de grands services. Il accepta de nombreux intérims et permit ainsi à des confrères fatigués de prendre quelques mois de congé en France. Il fut successivement vicaire à Petit ­Bourg, desservant de la chapelle Saint-Jules à Pointe-à­Pitre, intérimaire à Saint-François, aumônier de l'hôpital de la Pointe.

En décembre 1937, il fut sérieusement souffrant et pendant plusieurs jours son état inspira de vives inquiétudes. Il se remit peu à peu mais ne parvint pas à reprendre le dessus. A partir de ce moment, ses forces déclinèrent lentement. Il dut renoncer à tout ministère. Il gardait sa belle humeur, aimait la compagnie des confrères et ne voulait pas de régime d'exception. La célébration de la Sainte Messe deve­nait pénible à cause de sa krande faiblesse. En juillet, il s'alita pour ne plus se relever.

Trois semaines plus tard, il rendait son âme à Dieu, doucement et, pour ainsi dire, sans effort : l'organisme était complètement usé.

Voici ce qu'écrivait le P. Salvan qui a assisté le cher défunt à ses derniers instants : « Le P. Rouxel s'est éteint ce matin 24 juillet vers 3 h. 25, presque sans agonie. Depuis quelques jours, il se plaignait, de temps en temps, d'une douleur du côté du foie. et dans la région du bas ventre. Voyant qu'il s'affaiblissait de plus en plus je lui ai proposé il y a quelque temps de lui donner le sacrement des malades qu'il avait déjà reçu en décembre dernier. Il me répondit : « Attendez encore quelques jours. » Depuis qu'il ne vomis­sait plus, on lui portait la Sainte Communion deux fois par semaine, le mercredi et le samedi. C'est lui-même qui avait déterminé ces jours. Il faisait alors tout son possible pour ne rien prendre à partir de minuit. Le samedi 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, ayant constaté dans la matinée que son esprit s'affaiblissait et qu'il commençait à être le jouet d'illusions, je lui proposai de nouveau de lui donner l'Extrême-Onction. Cette fois il accepta de grand coeur. Il se confessa et, en présence des Pères, je lui ai donné les derniers sacrements et la bénédiction apostolique. Avant de me retirer, je lui ai demandé s'il était content. Il a élevé les mains en signe de parfaite soumission à la volonté de Dieu et a dit : « Maintenant c'est fait. » Le mardi suivant, je lui ai fait renouveler ses voeux de religion.

« Ses funérailles ont eu lieu à Pointe-à-Pitre. Notre vaste église était remplie d'assistants parmi lesquels beaucoup d'hommes qui ont accompagné le P. Rouxel jusqu'à sa dernière demeure. Il repose tout près du P. De Corbie.

Le P. Rouxel laisse le souvenir d'un confrère aimable, d'humeur égale, d'un commerce très agréable ; d'un religieux obéissant, fidèle observateur de son règlement, toujours prêt à rendre service; d'un prêtre zélé et dévoué. Il ne donna certainement pas de gros soucis à ses supérieurs.

En 1917, lors de son admission aux voeux perpétuels, le R. P. Provincial écrivait à son sujet - « Partout où il a été employé comme aumônier, il a su se faire apprécier pour son bon caractère. » Tous ceux qui l'ont connu à la Guade­loupe souscriront à cet éloge. Tel il était il y a vingt ans, tel il est resté jusqu'à sa mort; par là il fut un artisan de paix et un modèle pour la vie de communauté.

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