Le Père Charles SACLEUX,
1855-1943


"Je, ne possède aucun titre scientifique. Je ne suis ni bachelier ni docteur ès sciences. Je me suis formé moi-même. Me consacrer aux Missions fut de bonne heure toute mon ambition."

Celui qui écrivait ces lignes, au début de quelques notes autobiographiques, est un linguiste renommé, l'un des premiers et meilleurs connaisseurs du swahili (une langue importante de l'Est-Africain).

C'est un botaniste très apprécié du Muséum de Paris. C'est même, en tant qu'ami de Branly, un des précurseurs de la radiophonie. Il s'appelle Charles Sacleux.

Il est né à Enquin-les-Mines, dans le Pas-de-Calais. Études secondaires à Arras, où, à la veille de l'examen, par timidité, il refusa de se présenter au baccalauréat. Son but, son avenir, c'est d'être missionnaire en Afrique, et pour cela il entre dans la congrégation du Saint-Esprit. Au postulat de Langonnet, parmi ses aînés immédiats, il pourra connaître les futurs Mgr Le Roy et Mgr Augouard. Prêtre en 1878, il sera désigné l'année suivante, après sa profession religieuse, pour le Zanguebar, ce qui comble tous ses vœux.

Le 9 octobre 1879, le Père Sacleux s'embarquait à Marseille pour Zanzibar. La mission du Zanguebar ne comportait alors que quatre postes : Zanzibar et Bagamoyo, centres principaux, Mondha et Mandera. Avant de rejoindre Mandera, Charles Sacleux avait eu la joie de rencontrer le célèbre Père Horner, l'un des pionniers de la mission, et le jeune Père Le Roy, futur supérieur général.

Il faut reconnaître qu'après des débuts courageux, cette mission sommeillait quelque peu. Le P. Sociaux avoua plus tard qu'il fut choque par son supérieur local qui lui déconseillait d'apprendre la langue des sauvages ; mieux valait, disait-il, enseigner le français et la religion aux jeunes esclaves libérés. "Je laissai dire, ajoute le Père, mais j'étais pénétré de la nécessité d'obéir aux directives de mes supérieurs majeurs, et me faisais une obligation de conscience d'apprendre la langue indigène." Cette saine réaction fut à l'origine d'une véritable vocation de linguiste. "Dès le sixième mois de mon séjour, écrit le Père Sacleux, je débutai dans la prédication et commençai la compilation d'un dictionnaire swahili."

Les conditions de vie matérielle étaient fort dures à cette époque. Dans une lettre du 2 avril 1882, le P. Sacleux faisait cette confidence : "Il y a aussi à souffrir. Deux fois j'ai vu la mort de bien près ; j'ai vu mourir près de moi un confrère, tandis que j'avais moi-même un pied dans la tombe... Je ne puis vous faire aujourd'hui une longue lettre, car je suis à peine en convalescence d'une fièvre bilieuse."

En mai 1886, il doit rentrer en France pour se soigner; mais il repart sans tarder et participe à la fondation de Mombassa, puis devient supérieur de Zanzibar et Vicaire général de son évêque, Mgr de Courmont. C'est la période de ses études et de ses publications en swahili.

Revenu en Europe en 1892, il participa comme acteur dans un curieux épisode. Esprit scientifique, le P. Sacleux s'était lié d'amitié avec Edouard Branly qui venait d'inventer, en 1890, le premier tube radio-conducteur. En 1892, Branly, installé sur la Tour Eiffel, essaiera avec succès la première liaison radiophonique à distance, avec le P. Sacleux posté dans un arbre du parc du Séminaire des Missions de Chevilly (à côté de l'actuel Marché de Rungis). le Bulletin municipal officiel de Chevilly-Larue (n' 6 et n' 13) relate cette expérience peu connue.

En 1898, ce fut la rentrée définitive en France par suite d'une santé de plus en plus délabrée. Le P. Sacleux saura soigner son estomac et son organisme fragile par un régime à base de plantes et de fruits. Au Séminaire des Missions de Chevilly, professeur de linguistique et de botanique, il vivra de longues années, entretenant luimême son jardin botanique, où il circulait de plus en plus voûté.

L'œuvre maîtresse du P. Sacleux demeure son dictionnaire Swahili-Français (concernant 10 dialectes swahilis), deux volumes in-quarto sur deux colonnes, imprimé sur les presses de l'imprimerie nationale et édité par l'École des Langues Orientales.

Dès 1894, le P. Sacleux participait aux travaux de la Société Linguistique de Paris, dont il était membre. En 1902, lorsque Gallieni fonda à Tananarive l'Académie malgache, le P. Sacleux en fut nommé membre correspondant. Cela lui donna l'occasion de préparer un savant, travail sur la langue Chingazidia, langue populaire des Comores. En 1912, M. Boyer, de l'École des Langues Orientales, chargé par le Ministère des Colonies de la traduction des 21 pièces du testament de Saïd Ali, Sultan de la Grande Comore, s'adressa pour ce travail au P. Sacleux, seul capable de déchiffrer ces documents écrits en caractères arabes dans la vieille langue comorienne.

Esprit curieux, voire méticuleux, le P. Sacleux devint aussi un botaniste renommé. Il fut un correspondant assidu du Muséum de Paris, et durant la quarantaine d'années qu'il vécut à Chevilly, il ne passa pas une semaine sans qu'il vint faire une visite à son cher Muséum. Le P. Sacleux accepta de se charger de l'étude et de la détermination des herbiers concernant l'Est-Africain. Il publia le catalogue de la flore de l'Afrique Orientale, avec les noms vernaculaires des différentes espèces (2640 numéros) ; environ deux cents plantes portent son nom.

Officier d'Académie, puis de l'Instruction Publique, il fut nommé Chevalier de la Légion d'Honneur en 1937. Retiré à Grasse, où le climat lui était plus favorable, il travailla jusqu'à ses derniers jours. A 87 ans, il s'éteignit doucement au matin du dimanche 16 mai 1943, chargé d'ans et de mérites.
P. Augustin Berger.

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