LE PÈRE LOUIS SAGE
(Notices biog. V p. 439-445)


Parmi les Missionnaires tombés sur la brèche en Guinée française, le P. Louis Sage est un de ceux dont le souvenir revivra longtemps dans le coeur des populations qu'il a évangélisées. Missionnaire dans toute la force du terme, il n'avait qu'une pensée, qu'une ambition - sauver le plus d'âmes possible . Pour cela, il se faisait tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. A Konakry, sur les plages du Nord comme sur celles du Sud de la Colonie, sa présence était partout saluée avec joie, car tous savaient qu'avec son dévouement, le Père portait avec lui. Aux Chrétiens les grâces des Sacrements, et à tous ceux qui voulaient les entendre, des paroles de réconfort et de salut.

Le P. Sage naquit le 20 octobre 1879, à Groisy, au diocèse d'Annecy, d'une de ces familles vouées à la terre, où se conserve cette foi antique, ferme comme le granit des montagnes qui les entourent. Il y passe ses jeunes années, occupé, selon ses forces au labeur des champs. Il édifie sa paroisse par sa tendre piété et la régularité de sa vie. Là, il fit sa première communion. Sans doute, à cette heure inoubliable dans la vie, l'appel de Dieu se lit entendre à son coeur : Tif seras Prêtre, tu seras Missionnaire... Bientôt il dit adieu à sa famille, il salue une dernière fois les montagnes natales pour se diriger vers les Alpes dauphinoises, aux pieds desquelles il trouve une autre famille. En 1895, nous le trouvons à l'École apostolique de Seyssinet (Isère), ce doux nid prépa ré par saint Joseph à ses enfants privilégiés. Ils y sont formés aux premiers éléments des vertus religieuses et sacerdotales, et y font leurs classes jusqu'en quatrième. Louis Sage y' passe deux années. Au témoignage de son Supérieur, il fut « une vraie crème de bon enfant. » C'était assez dire que le jeune homme fut exemplaire, qu'il comprenait la grandeur de sa vocation, et qu'il s'efforçait, par -une piété sincère, peut-être un peu scrupuleuse, à y correspondre fidèlement. Sa classe de cinquième achevée, un nouvel exode l'amène des vallées du Grésivaudan aux plaines brumeuses de 1a Flandre française. Il est appelé à achever ses études littéraires à Merville (Nord), au Petit Scolasticat de la Congrégation annexé au collège catholique de cette ville. Là, comme partout où il a passé, il laisse le souvenir d'un élève laborieux, pieux et fidèle au règlement établi. Là, il revêt le saint habit religieux et se donne à Dieu par la première oblation. J 'C'était en la fête de la Toussaint 1897.

En 1899, le jeune scolastique ayant achevé ses classes est admis au Noviciat de Grignon. Pendant cette année de recueil­lement et de prière, il cultive avec amour sa vocation, s'y affermit. L'heure décisive a sonné : il -va se consacrer tout entier à -Dieu et aux âmes. Le 1" octobre 1900, il fait sa profession religieuse. Ici, se place son aimée de service militaire. On sait combien est dangereux pour les jeunes élèves du. sanctuaire ce passage à la caserne. Louis Sage sait éviter ces dangers. Toutes ses heures libres, il les passe au Grand Séminaire d'Annecy. Il récite le chapelet à la chapelle, fait sa méditation, est un sujet d'édification pour tous. Aussi, il quitte son régiment avec les témoignages les plus flatteurs de ses chefs militaires et du Supérieur du Grand Séminaire. Ce dernier en particulier écrit : « La conduite de M. Sage n'a pas seulement été bonne, mais édifiante, les professeurs du Séminaire, comme moi-même, sommes persuadés de la persévérance de ce bon jeune homme dans sa vocation. »La suite de cette notice prouvera que ces Messieurs ne s'étaient pas trompés dans leur jugement.

Rentré au Scolasticats, le P. Sage se livre avec ardeur à l'étude des Sciences théologiques. Ces années laborieuses sont pour -lui la préparation immédiate à la vie apostolique. Il fait provision de piété et de science, sachant . combien l'une et l'autre sont nécessaires à celui qui veut devenir un digne ministre de l'Église et . un véritable sauveur d'âmes. Dans ce double but, il travaille, il prie, il se sanctifie, il édifie ses frères par ses bons exemples. En l'année-1904, il reçoit successivement le sous-diaconat, le diaconat, la prêtrise. Ses désirs et ses voeux sont à leur comble. Enfin, il peut gravir les degrés du Saint-Autel, offrir la divine victime, annoncer la parole sainte, administrer les sacrements, bénir, sanctifier les âmes. La préparation est achevée - notre missionnaire est armé pour les combats des lointains apostolats ; son coeur soupire vers ces régions arides de l'Afrique, où tant de malheureux gémissent dans les chaînes de Satan et attendent leur libérateur... La Consécration à l'Àpostolat a lieu le 9 juillet 1903. Le soir môme, le R. P. Général lui assigne la partie de la vigne du Père de famille qu'il aura à cultiver et à féconder de ses sueurs : c'est la Guinée française. Le Père en est tout heureux.

Il s'embarque à Bordeaux, - le 15 septembre. Pendant que le bateau descend lentement la Gironde, le missionnaire, debout sur le pont, contemple une dernière fois la terre de France. Il revoit ses Alpes éternelles, toujours si belles, le clocher de Groisy, la ferme familiale où s'écoula son enfance.. A Dieu!;.. à Dieu!... Les rives fleuries de la patrie disparaissent, et avec elles s'évanouit cette vision. Devant lui, se dresse maintenant la Guinée, parée comme une fiancée, à laquelle il se donne corps et âme, à la vie, à la mort... Dix jours après, il débarque à Conakry. Là sera désormais son champ d'action ; là, il vivra ses huit années d'apostolat africain. Conakry, caché dans un bouquet de verdure et de fleurs, est la capitale de la Colonie de la Guinée française. C'est une ville cosmopolite, et tout entière livrée au commerce. Toutes les races de la côte occidentale s'y donnent rendez-vous. Que (le bien à faire! Le bien et mal s'y coudoient. Tous ces gens, uniquement préoccupés des biens de ce monde, songent peu à ceux du ciel. Il faut les réveiller, les tirer de leur léthargie. Le P. Sage se met à l'oeuvre avec courage. Mais il sait que l'outil indispensable au missionnaire, pour s'imposer est la connaissance de la langue indigène. Plusieurs langues se parlent dans la colonie, mais celle des Sosos, les autochtones, prédomine à la côte et est comprise par tous. Dès son arrivée,, notre confrère se met à l'étude de cette langue . Aucune difficulté ne l'arrête. Il a peu de livres imprimés à sa disposition : il interroge les enfants, il consulte les vieux, il s'essaye à bégayer quelques mots, il ne redoute pas les sourires que peut provoquer son parler novice. Avec l'aide de jeunes gens, il se compose tout un dictionnaire à son usage. Grâce à un travail incessant et intelligent aussi, il arrive en peu de temps à pouvoir commencer un ministère réellement fructueux auprès des âmes. Alors chaque jour, il parcourt la ville, visite les familles chrétiennes, portant partout des paroles de foi, de consolation et de paix. A l'église, il confesse et prêche: la prédication lui est d'abord assez pénible à cause d'une certaine timidité. Mais, il sait surmonter sa nature impressionnable, il prend de l'aisance et de l'aplomb, et bientôt ses instructions se font remarquer et sont suivies avec intérêt. Entre temps, il se perfectionne dans la connaissance de la langue anglaise pour pouvoir prêter son ministère aux nombreux Sierra Léonais catholiques qui habitent la ville.

Tant de travaux ne suffisent pas à son zèle. Il rêvait de lointaines excursions apostoliques, certes non pas pour satisfaire sa curiosité, mais pour étendre davantage le règne de Dieu, pour porter plus loin les saintes vérités de notre religion. Ses désirs allaient se réaliser : une première fois, son supérieur, le P. Lerouge, le prend pour compagnon de route dans sa visite de la région de Coiah. Le Père revint enthousiasmé. Il a vu la triste situation de ces peuples abandonnés. Son coeur s'enflamme d'une nouvelle ardeur. Désormais, on le verra parcourir d'un pas rapide tous les environs de Konakry. Chaque jour, il pousse plus loin. Dubréka l'attire. Cette ville, située à 50 kilomètres au Nord de Konakry, est habitée par une cinquantaine de Syriens catholiques, qui y vivent de commerce. Le reste de la population est païenne et surtout musulmane. Chaque matin, le Kharamokho appelle de sa voix stridente ses fidèles à la prière. Le P. Sage y bâtit une petite chapelle. A la voix du sectateur du Prophète répond maintenant la voix argentine d'une cloche annonçant l'Angélus du matin, et convoquant nos fidèles à l'auguste sacrifice de la messe. Plus au Nord, sur les rives de Konkouré, s'étendent les belles rizières du Bramayah. Le P. Sage visite le pays ; après de multiples palabres il réussit ày construire une maison et à établir un catéchiste. Que de fois, soit par terre, soit par eau, n'a-t-il pas visité et parcouru ce pays, faisant partout le bien, baptisant, catéchisant sans défaillance !

Et le pauvre missionnaire errant, où puisait-,il ce zèle infatigable, ce courage inlassable? Dans son grand esprit de foi, dans son amour de, Dieu, dans sa piété et sa fidélité à ses exercices spirituels. Bien des fois je l'ai vu, après une longue marche sous un soleil de plomb, réciter à l'arrivée son bréviaire avec une piété angélique, et faire ses autres exercices. Son âme se retrempait dans la prière : il en sortait plus fort, plus courageux. Jamais il n'omettait de dire sa messe. La responsabilité parfois l'effrayait : il cherchait dans le commerce avec Dieu la sérénité nécessaire pour remplir tous ses devoirs. C'était vraiment un homme de Dieu : il était en tout et partout religieux et prêtre.

Tant de travaux et de courses avaient épuisé ses forces. La fièvre l'avait plusieurs fois terrassé, mais il n'y faisait pas attention. Après un nouvel accès, ses Supérieurs jugèrent le repos nécessaire, et il rentra en France demander au ciel plus clément de la patrie le retour de la santé et un renouveau de forces.

Sa convalescence dure un an. Au mois de décembre 1909, il est de retour clans sa chère mission. De nouveaux devoirs l'y attendent. Il est nommé assistant au conseil provincial et curé de Ste-Marie de Conakry. Ces importantes fonctions ne l'effraient pas trop. Toute sa confiance est en Dieu. Dès lors son unique préoccupation est l'instruction de la jeunesse de la paroisse. Il crée de nouveaux centres catéchistiques, multiplie les réunions de jeunes gens et de jeunes filles. Il s'efforce par tous les moyens de conserver leur foi intacte et leurs moeurs pures. Grâce à lui, la vie chrétienne fleurit dans la paroisse, la famille chrétienne s'établit, les mariages se régularisent, les offices religieux sont suivis avec une grande régularité ...

Déchargé du soin de la paroisse, le P. Sage accompagne le P. Préfet à la résidence de Saint-Antoine, pour y établir l'œuvre des catéchistes. Cette oeuvre est indispensable à toute Mission qui veut se développer. Mais combien elle est délicate ! Choisir les 1 sujets, les instruire, les former à la piété et à l'esprit chrétiens, est travail ardu. Le Père y mit tout son dévouement et tout son savoir-faire. Et quand, par nécessité, il la quitta pour faire un intérim momentané à Kindia, il y laissa tout son coeur et tous ses regrets, regrets, hélas ! fatals peut-être !

En 1913, il se rend à Kindia. L'obéissance l'y envoie . il sait donc que c'est la volonté de Dieu : il n'hésite pas un instant. Il se met à l'oeuvre, parcourt sa nouvelle paroisse, va jusqu'à Kouroussa. Mais ses forces trahissent sa bonne volonté : les ressorts sont usés. Le premier accès de fièvre bilieuse devait l'emporter. Pour se préparer à la fête, du Saint-Cceur de Marie, il fait sa retraite annuelle. Malgré la fièvre qui se déclare, il ne se ménage pas. La fièvre augmente, et en quelques jours la mort a achevé son oeuvre. Voici ce qu'écrivent sur sa dernière maladie et sa mort les PP. Quillaud et Feuillet.

Le P. Feuillet, compagnon du Père, disait à Mgr Le Roy : « La veille de la fête du St Coeur de Marie, mon Supérieur fut obligé de garder le lit. Il souffrait de l'estomac et du ventre. Le docteur mandé lui trouva 40, de fièvre. Il lui fit plusieurs injections de quinine matin et soir. Le dimanche, le Père voulut dire la messe. pour la première fois: il se sentait bien mi eux. C'était 1 sa dernière messe. Aucun des assistants ne remarqua son extrême faiblesse. Durant la grand'messe, il se tint assis dans la sacristie, enveloppé dans une couverture.. On l'entendit même chanter. Le reste du jour il dut garder le lit, qu'il n'aurait, pas dû quitter. Aucun symptôme de bilieuse ne s'était encore manifesté.

« Le lundi, le docteur le trouva levé à l'heure de la visite. La fièvre avait presque disparu. C'était la saint Louis, fête du Père. Je m'efforçai de l'égayer. Il resta debout jusqu'au soir, but du bouillon, mangea un oeuf, écrivit une lettre et reçut quelques visites. Vers & heures, je le quittai avec la persuasion de le trouver à l'oraison, le lendemain. Au lieu de cela, je vois le Père souffrir affreusement, me demandant de lui faire du kinkéliba Il lavait été pris de frissons vers 3 heures du matin. Il m'envoya dire ma messe ; j'ignorais encore la gravité de son état. Durant la messe, je l'entendis gémir. Anxieux, je m'empresse de retourner . près de lui. Hélas! 14 bilieuse était déclarée. Sur ma demande, le docteur est venu aussitôt, mais tous les soins ont été inutiles ».

Dans la matinée le Père s'est confessé, me chargeant à plusieurs reprises de demander pardon à tous ceux qu'il aurait pu scandaliser. Comme je le voyais très fatigué, je retardai l'Extrême-Onction et le Viatique jusqu'à l'après-midi. Il a reçu ces derniers Sacrements dans les sentiments de la plus -vive piété et avec grande résignation, toujours souffrant. La nuit du mardi au mercredi fut très mauvaise. Le lendemain, à 6 heures, l'état du malade était désespéré. Je montai à l'autel pour demander un miracle au nom de notre Vénérable Père, ou comme compensation, je suppliai Dieu de ne point enlever l'âme de mon confrère sans les dernières prières qu'il désirait. Mon action de grâces se lit près de lui. Un vomissement survenu vers 4 heures, me faisait hésiter pour lui proposer de nouveau la communion. Vers 9 heures sur un signe du Père, je lui renouvelai l'absolution. Il suivit les paroles de l'acte de contrition, et au moment de l'absolution essaya d'un signe de croix, puis je lui proposai la sainte communion. Jésus venait le chercher! Environ une demi­-heure après sa dernière communion l'orne de son prêtre paraissait devant le Dieu rémunérateur, tandis que j'avais peine à achever les prières des agonisants, que le vaillant Apôtre m'avait fait lui-même commencer ».

Le P. Quillaud écrivait de son côté : « En entrant en gare de Kindia, j'ai appris le malheur : le P. Sage n'était plus., Il avait fait la mort d'un saint... C'était un saint religieux et un zélé missionnaire, toujours prêt à se dévouer. C'est un grand malheur qui nous frappe, un gros vide qui se fait ». Comme nous le dit le P. Quillaud, il trouva son confrère mort. Aussitôt il fit les démarches nécessaires pour le transfert du corps à Conakry. Une foule respectueuse et sympathique assistait à la levée du corps, et le suivait les larmes aux yeux jusqu'à la Mission. Une chapelle ardente avait été préparée, et les fidèles se succédaient, priant pieusement auprès de la dépouille mortelle de leur Père. L'enterrement eut lieu le 29. Depuis longtemps, on n'avait pas vu une foule aussi nombreuse et aussi recueillie suivre un cercueil au champ des morts. Tout Conakry a voulu rendre un dernier hommage à cet apôtre si bon, si humble et si dévoué...

-Et maintenant, le P. Sage repose auprès de ses aînés en attendant la résurrection dernière. Il a été le bon soldat du Christ... L'Ange de la Guinée - nous en avons la confiance - aura porté son âme vers le trône de Dieu, pour y jouir dé l'éternelle récompense. Antoine Reeb.

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