Le Père Émile SAHUT,
1862-1924


Émile Saut est né à Montpellier, le 18 août 1862, au sein d'une famille très chrétienne, dont les vertus avaient facilement conquis l'estime générale. C'est au collège du Sacré-Cœur, sous la direction des PP. Jésuites, qu'Émile fit ses études secondaires. Ses maîtres eurent aussitôt fait de discerner la délicatesse de son âme que lui d'apprécier et d'utiliser leur dévouement. Reçu bachelier ès lettres, Émile Sahut devint durant une année, un des plus studieux étudiants de l'Université de Montpellier. Mais la Providence lui traçait une autre voie ; et en octobre 1882, il partait pour le Séminaire français de Rome. Il resta six ans dans la Ville Éternelle, et en revint avec quatre diplômes : docteur en théologie et docteur en philosophie, à quoi il ajouta le doctorat de l'Académie de St-Thomas d'Aquin. Ordonné prêtre le 4 juin 1887, il resta encore un an à Rome afin de préparer le baccalauréat de Droit canon.

Mgr de Cabrières, qui avait distingué son intelligence et sa piété, son tact et sa bonté, avait décidé de l'attacher à sa personne et de lui confier, en même temps, l'aumônerie de l'Asile Saint-Vincent. Ces fonctions et ce ministère, que le jeune secrétaire particulier remplissait avec une consciencieuse perfection, ne pouvaient pourtant satisfaire son zèle.

C'était le moment où les esprits avertis s'employaient à approfondir et à propager la doctrine sociale que Léon XIII venait d'exposer dans sa magistrale Encyclique Rerum novarum, du 16 mai 1891, sur la condition des ouvriers. L'abbé Sahut se met à l'œuvre, il groupe autour de lui une élite intellectuelle de jeunes Montpelliérains et d'étudiants catholiques ; les conférences de Pie IX et Léon XIII se réunissent régulièrement, on y travaille ferme, on rédige une nouvelle revue qu'on vient de fonder sous le titre de Sociologie catholique.

Pour reconnaître les mérites de son secrétaire particulier, Mgr de Cabrières place sur ses épaules le camail de chanoine honoraire, le 1er janvier 1894 ; et voici que Mgr le Métropolitain d'Avignon accomplit le même geste. Sans enorgueillir le nouveau chanoine, cette double distinction semble encore augmenter son zèle. Et lorsque trois ans après, le 22 décembre 1896, il aura plus complètement donné la mesure des qualités de son esprit et de son cœur nul ne sera surpris qu'il reçoive de son évêque la mission de diriger, à Béziers, l'École libre de la Trinité. Pendant plus de sept ans, le chanoine Sahut se donna à fond à la direction de cette œuvre importante.

Le 12 mars 1904, il fut nommé curé des Saints-François à Montpellier. Cette paroisse lui avait toujours été très chère, parce que la maison paternelle, où il avait grandi, appartenait à son territoire. Le nouveau curé y consacre son patrimoine et surtout son cœur. Il complète et embellit l'église, il construit de vastes sacristies et salles d'œuvres. Infatigable dans la recherche et la visite des malades, charitable dans l'assistance des malheureux, il est vraiment le bon pasteur qui connaît et aime ses brebis, et se dévoue pour elles. Sans négliger aucun groupe de ses paroissiens, il vise surtout à constituer de fortes œuvres de jeunesse. Mais les écoles paroissiales semblent avoir toutes ses prédilections : il soutient et stimule celles qui existent, et il ne recule devant aucun sacrifice pour en créer de nouvelles dans les quartiers plus éloignés du centre paroissial.

Mais voici le 2 août 1914. La mobilisation générale a été décrétée. M. Sahut a dépassé l'âge des obligations militaires ; mais il se rappelle qu'au temps où l'aumônerie militaire existait encore, il avait reçu, étant jeune secrétaire, des lettres d'aumônier militaire de corps d'année. Muni de ces anciennes lettres, il se présente à l'autorité militaire : il est agréé et il part en campagne. Malgré son âge, c'est lui qui donne l'exemple, qui va chercher les blessés abandonnés, qui les panse sous le feu des canons, qui console et apaise les mourants sous la mitraille. Lors de l'explosion d'un dépôt de munitions, le 16 août 1916, c'est lui qui avec sang-froid organise les secours et sauve de nombreuses vies. C'est lui qui guide les équipes de brancardiers. Ses citations et sa croix de la Légion d'honneur parlent de son inlassable apostolat de bonté, le représentant comme "le camarade de combat le plus assidu et le plus aimé du soldat, dont il savait animer l'ardeur et entretenir l'espérance, par la noblesse rare de ses sentiments patriotiques et la force entraînante de son exemple."

Quant à la paternelle et reconnaissante affection de l'autorité ecclésiastique, elle a trouvé une haute consécration dans le rapport adressé par l'évêque de Montpellier au Souverain Pontife. La réponse de Benoît XV, le 23 novembre 1918, sera l'élévation de Mgr Sahut à la dignité de protonotaire apostolique.

Acclamé et fêté, le curé de Saint-François est rentré dans sa paroisse. Il n'y restera pas longtemps. Dès son adolescence, il avait été hanté par la pensée des missions en pays païen. Mais on l'avait alors arrêté, en lui objectant que sa constitution d'apparence frêle ne lui permettrait pas de les affronter. Or, quatre longues années de tranchées semblent apporter à cette crainte un complet démenti. D'autre part, ses vénérés parents son allés recevoir au ciel une récompense bien méritée ; ses deux frère ont fondé des foyers chrétiens et n'ont pas besoin de ses conseil immédiats... Mgr Sahut va réaliser, à 57 ans, son rêve de 20 ans. I demande et obtient de son Éminence et du Supérieur général de Pères du Saint-Esprit les autorisations nécessaires, et, le 27 septembre 1919, il rentre en Alsace-Lorraine, au noviciat de cette congrégation religieuse de missionnaires. Un an après, il faisait profession à Neufgrange et il était envoyé par ses supérieurs à 1 Réunion. Il ne devait y travailler que quatre ans.

Attaché au secrétariat et aux œuvres de Mgr de Beaumont, évêque de Saint-Denis, le Père Sahut, comme s'il prévoyait que sa vie de missionnaire serait bien courte, voulut en multiplier, sans tarder, les fruits. Ainsi, après avoir consacré les jours de la semaine à des œuvres souvent très difficiles, le dimanche matin, pendant huit mois de l'aimée, il allait à pied et à jeun, célébrer une seconde messe à six cents mètres d'altitude. Plusieurs fois par an, pour contrôler le collège de Cilaos, il devait s'élever des bords de l'Océan à douze cents quinze mètres, parcourant à pied, par de mauvais sentiers, une distance de 35 kilomètres. Bref, comme l'a écrit Mgr Le Roy à l'évêque de Montpellier, en lui annonçant sa mort, le P. Sahut "s'est montré d'un zèle, d'une ardeur et d'un dévouement qui ne connaissaient ni fatigue ni obstacle. Et comme il lui semblait que la vie lui était trop douce à la Réunion, il demandait à passer à Madagascar pour pouvoir y travailler davantage. La population qui savait les mérites de son passé et qui le voyait à l'œuvre le vénérait comme un saint."

Le télégramme qui, sans détail, a annoncé sa mort était daté du 14 août 1924. Est-il exagéré de dire que tous ceux qui ont connu Mgr Sahut partagent les sentiments et la vénération des habitants de l'île de la Réunion.

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