Le F. LONGIN SALETTES
décédé à Notre-Dame de Langonnet le 22 mars 1909
Not. Biog. IV p. 48-51

L'honnête homme et le bon chrétien


Joseph Silettes, né à Sirac, au département du Gers, le 14 décembre 1834, y passa son enfance au milieu de sa famille, qui exploitait une métairie. Les années et les forces augmentant, le joyeux jeune homme suivit la charrue dans la ferme paternelle. A l'âge de 20 ans, Joseph Salettes fut appelé, en 18, sous les drapeaux et incorporé dans les troupes servant en Algérie. Il prit part, en 1856, à l'expédition de Kabylie et fit la campagne d'Italie, en 1859. Dans ces deux guerres, il eut la chance de ne récolter aucune blessure, ce qui ne lui valut pas la gloire, mais ne l'empêcha pas non plus de remplir son devoir de bon soldat. Libéré de ses obligations militaires, à la fin de 1861, Joseph Salettes, rentrait dans la vie civile.

Quelle situation se présentait à lui ? Une situation peu brillante. Son pauvre père n'avait point fait fortune, dans son exploitation agricole.. Vieilli, le pauvre homme ne pouvait guère travailler. - Tes père et mère honoreras -, se dit Joseph; la situation est très claire : je n'ai qu'à remplir mon devoir filial. Je possède des bras solides ; j'ai. surtout de l'habileté et du savoir-faire pour certaines fonctions et certains travaux d'intérieur. Je vais entrer au service de quelque honnête famille.

Avec sa bonne tenue, son prestige de jeune homme à la réputation sans tache, Joseph Salettes obtint très facilement, une place de domestique au grand séminaire d'Auch, puis dans d'autres maisons recommandables. Partout, il fit son service de manière à gagner comme protecteurs les maîtres qu'il servit successivement. Il tenait de préférence les rênes de cocher mais il pouvait remplir, au besoin, les fonctions de valet de chambre, de majordome et de maître d'hôtel, le service intérieur d 'une maison bourgeoise n'ayant pas de secret pour lui.

Les aventures ne manquèrent pas au digne serviteur. Il lui arriva de trouver, dans certaine maison, des compagnons de service beaucoup moins délicats que lui, au sujet des biens de son maître. Ces gens, peu scrupuleux, se régalaient du vin de la cave. Sans vergogne, ils proposèrent à Joseph Salettes de prendre part à leurs petites fêtes. « Non, mes amis, je n'en ferai rien. Et vous autres, tâchez donc de servir un peu mieux vos maîtres et le bon Dieu. » Une autre affaire, plus sérieuse, se déroula dans la partie des dépendances confiée à Joseph Salettes : un certain soir, un voyageur se présente chez son propriétaire, et demande l'hospitalité pour la nuit. Le solliciteur se montrait dans un pitoyable état. Sa demande est rejetée par le maître. Le malheureux se retirait, se traînant avec peine, quand Joseph Salettes, ému par un tel état de souffrance, lui offre (sans rien dire à personne), une place dans son écurie. La proposition est acceptée avec reconnaissance par l'étranger, dont la fatigue est extrême. Mais, durant la nuit, le voyageur trépasse bientôt, dans l'abri qu'on lui a préparé. Maintenant, se dit Joseph, que j'ai rempli mon devoir en portant secours à ce malheureux, autant que je l'ai pu, il me faut éviter des difficultés à mon maître et à moi : je vais porter le défunt en quelque endroit de la voie publique. Et, en pleine nuit, chargeant le cadavre sur ses épaules, il exécute habilement sa décision, sans être vu de qui que ce soit... L'enquête officielle qui eut lieu, au sujet de l'inconnu passé de vie trépas dans ces conditions, ne révéla rien de délictueux contre personne, Dieu l'ayant permis ainsi, pour qu'une action aussi méritoire que celle de son serviteur Joseph, ne devînt pas l'occasion de peines et de tracasseries pour lui.

Vie religieuse du F. Longin

Joseph Salettes venait de rendre les derniers devoirs à son pieux père. N'ayant plus désormais qu'à assurer sa propre subsistance, il songea à entrer dans quelque Congrégation religieuse. L'abbé Vinel, vicaire de la paroisse de Beaumont (Tarn-et-Garonne), le présenta, par lettre, à notre Maison-Mère, au mois d'avril 1875. Accepté, malgré son âge déjà avancé, Joseph Salettes arriva donc à Chevilly, où il devint, le 19 mars 1876, le F. Longin.

Ayant été bon chrétien dans le monde, il devint, comme naturellement, religieux fervent dans le cloître : il n'avait pour cela qu'à suivre le courant de grâce, qui augmentait de puissance dans son âme. - - Sans doute, il n'était point sans défaut; mais il savait du moins mettre bien à profit observations et conseils. On lui reprochait un peu d'opiniâtreté à maintenir sa manière de voir sur certaines questions... Mais, dès que la voix des Supérieurs disait d'agir de telle façon, il obéissait aussitôt. - Parfois encore, un peu de susceptibilité se faisait jour en lui; mais il savait se contenir et au besoin s'excuser. Aussi bien, ces bonnes dispositions valurent au F. Longin de faire sa profession, le 19 mars 1877.

Comme il avait, dès sa demande d'admission dans l'institut, sollicité la faveur d'être employé en Mission, deux ans environ après sa profession, les Supérieurs l'envoyèrent à la Guyane, où il eut à remplir les fonctions de sacristain de l'église de Cayenne et celle de linger de la Communauté. Il se mit de tout coeur à ses nouvelles charges, et l'année suivante, en août 1880, le F. Longin était admis aux voeux perpétuels.

Cependant, le climat de la Guyane ne convenant guère au tempérament de l'excellent Frère, les Supérieurs le rappellent en France, le 18 juin 1884. Il ne fait alors que passer à Bordeaux et revient à Chevilly, en février 1885. Là, autant que ses forces le lui permettent, il remplit les fonctions d’aide infirmier, mais c'est pour peu de temps. En septembre 1886, nous le trouvons à Beauvais, où il s'occupe de jardinage, et moins de trois ans après, à Paris, en qualité de chambriste. Enfin, en 1891, il est chambriste et infirmier à Épinal, où il demeure près de quatre ans. Les soins qu'il donne, sans mesure, à un confrère gravement malade et difficile à contenter, achèvent de ruiner les forces du Frère. On le place alors à Grignon, second portier, et c'est la dernière étape, avant d'entrer à l'abbaye de Langonnet, pour y prendre ses quartiers d'hiver, en 1897.

En retraite

Il serait difficile de raconter ce que furent les douze années de séjour du F. Longin à Langonnet. C'est une longue et interminable liste de services rendus à ses confrères, toujours avec la plus charmante bonne humeur. Le Frère possédait un caractère gai, légèrement original, malicieux à l'occasion. C'était l'homme du midi. Il avait le mot pour rire, qui surgissait au moment favorable, pour remonter quelqu'un. Avec ses multiples talents, il était à même de rendre des services de tous genres à qui s'adressait à son obligeance. On y recourait largement, au grand contentement du dévoué Frère. Sacrifiant n amour pour le bel arrangement des choses, peu à peu, le Longin avait fait de sa chambre comme « un magasin de bric à brac. » Les objets les plus hétéroclites voisinaient là, occupant tous les recoins du logis. A un moment donné, le Frère savait tirer de ce Capharnaüm : un chapelet raccommodé solidement, une installation de planchette chez quelque voisin, une boite commode, etc., etc. - Habile perruquier, il accourait au premier appel, pour une tonsure, une coupe de cheveux, une taille de barbe. Aux chaleureux remerciements de ses obligés, il répondait par «Votre serviteur », plein de modeste satisfaction d'avoir pu être utile, et du désir de retrouver quelque autre occasion pareille de rendre un nouveau service. Une congestion pulmonaire, se greffant sur l'asthme qui torturait le F. Longin, depuis bien des années, mit fin à son inlassable dévouement, le 22 mars 1909. La veille, en pleine connaissance, avec les sentiments de la piété la plus parfaitement soumise au bon plaisir de Dieu, il avait reçu les derniers sacrements et l'indulgence de la bonne mort.
L. Dédiane

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