LE F. FRIDOLIN SCHIEFER
DE LA MISSION DU SÉNÉGAL
décédé à Dakar le 10 février 1908.
(Not. Biog III p. 247-250)


Né à Berrenrath, au diocèse de Cologne,, le 9 septembre 1834, Henri Schiefer était dans sa 34e année quand, le dernier jour de 1867, il vint, frapper à la porte du noviciat des Frères de Marienstadt. Il y fut admis et reçut, avec l'habit religieux, le nom de F. Fridolin, le 8 septembre 1868.

Pendant plusieurs années, il avait rempli les fonctions de jardinier dans l'un des domaines du roi de Saxe; aussi fut-il, dès le noviciat, chargé du jardin de Marienstadt, avec mission de former à l'horticulture quelques-uns des orphelins élevés dans cette communauté. Il avait aussi appris, dans le monde, le métier de boulanger, et il l'exerça pareillement, à diverses époques, dans plusieurs maisons de la congrégation, à Marienstadt, à Mesnières, àNgasobil.

Ses notes du noviciat tracent de lui un portrait auquel les années n'apporteront point de modifications bien sensibles : « C'est, y lisons-nous, un bon Frère, en général et quant à l'ensemble. Très robuste de santé, il est un peu lourd et un peu lent dans son travail; mais, comme il travaille toujours d'une manière égale, il ne fait pas mal de besogne. Il est doué d'une piété solide et d'un grand esprit de foi; mais ce qui le distingue surtout c'est son esprit de mortification et d'a négation. On pourrait lui reprocher d'être trop taciturne et porté, dans sa dévotion, à des pratiques un peu extraordinaires; mais il est très ouvert et très docile vis-à-vis de ses directeurs. »

Le F. Fridolin, qui avait fait sa profession le 18 mars 1870, resta à Marienstadt jusqu'en 1873. A cette époque, le Culturkampf ayant contraint la Congrégation de quitter Allemagne, il passa à Chevilly, mais n'y demeura guère qu'une année. Au mois de novembre 1814, il s'embarquait pour la Mission du Sénégal, à laquelle il devait consacrer le reste de sa vie, à l'exception d'une période de trois ans (1881-1884), passée en France pour le rétablissement de sa santé.

Ngasobil, Rufisque, Dakar, St-Louis, furent les stations aux­quelles il fut tour à tour attaché. Il serait difficile de relever quelques incidents un peu saillants dans la vie qu'il y mena : c'était vraiment l'obscurité de Nazareth, mais c'en étaient aussi les mérites éminents. Successivement ou simultanément réfec­torier, jardinier, boulanger, sacristain, voire même horloger et peintre en bâtiment, le bon Frère était toujours prêt à se dé­vouer sous la forme jugée la plus utile par ses supérieurs. Aucun incident, aucun changement n'était capable de troubler son égalité d'âme et son union à Dieu. Ne se pressant jamais, mais ne perdant pas une minute, il s'acquittait consciencieu­ sement de la tâche qui lui était assignée, la surnaturalisant, quelle qu'elle fût, par une grande pureté d'intention et une prière continuelle.

Ses aptitudes ne lui permettaient guère de prendre une part personnelle aux travaux qui ont plus directement et plus manifestement pour objet le salut des âmes, comme l'enseignement du catéchisme ou le soin des malades ; mais il rapportait à cette fin toutes ses actions et toute sa vie. Aussi était-il très attaché aux Missions et très désireux de s'y dévouer jusqu'à sa dernière heure.

Nous trouvons un témoignage sensible de ces dispositions dans la lettre par laquelle, le 2 août 1882, il sollicitait son admission aux voeux perpétuels. De Mesnières, où il se trouvait alors, il écrivait au T. R. P. Emonet « Je m'afflige beaucoup en pensant que, peut-être à cause de mon infidélité, le bon Dieu m'a retiré des Missions, où je pouvais travailler à la sanctification du prochain. Après avoir passé 6 ans et demi en Sénégambie, j'ai été obligé de rentrer en France pour rétablir ma santé affaiblie. Je serais bien dési­reux de repartir en Mission, et la pensée de ne plus jamais revoir l'Afrique me désole.

« Je me console un peu cependant, en pensant que le bon Dieu châtie ceux qu'il aime, et je suis persuadé qu'il a permis l'affaiblissement corporel pour me fortifier spirituellement et mieux me former à l'esprit de ferveur, de charité et de sacrifice, qui est l'esprit de notre Vénérable Père. La Mission où j'étais tenait beaucoup au coeur du Vénérable Père; aussi j'espère que, par son intercession et celle de l'immaculé Coeur de Marie, j'obtiendrai le bonheur d'aller mourir an service de ses enfants préférés. »

Les espérances du bon Frère ne furent pas trompées : en janvier 1884, il reprenait la route du Sénégal, et cette fois, c'était pour ne plus le quitter. Entre temps, il avait émis ses voeux perpétuels (8 septembre 1882), et avait rétabli ses forces, tout en se dévouant à la belle communauté de Mesnières.

De retour dans sa chère Mission, le F. Fridolin y reprend son train de vie habituel. De 1884 à 1898, il séjourna presque constamment à Rufisque. Au milieu de cette jeune cité, où règne une activité débordante et où s'agitent les passions les plus âpres, il menait presque la vie érémitique, demeurant totalement étranger aux rumeurs et aux commérages qui l'environnaient. Sa journée, toute consacrée au travail et à ta prière, se partageait entre le presbytère, l'église et le jardin.

Deux anecdotes, assez insignifiantes en elles-mêmes, nous montreront cependant son esprit de foi et sa délicatesse de conscience. Un jour, on parlait en sa présence de l'achat d'un cheval fait par un missionnaire et que l'on estimait généralement peu utile ; comme on lui demanda ce qu'il en pensait, il répondit, sur le ton nasillard et bonhomme, qui lui était familier : « Oh ! ce cheval, il n'avancera pas beaucoup l'Évangile ! »

Un autre jour, on causait de religion et l'on faisait parler le, Frère, qui savait fort bien son catéchisme et qui vantait les mérites du livre dans lequel il l'avait appris -, un Père lui dit ' sur un ton moitié plaisant, moitié sérieux : «Frère Fridolin, mais vous êtes hérétique, vous et votre catéchisme ! » Aussitôt après la récréation, le Frère alla trouver le Père et, d'un air sincèrement alarmé, il lui demanda s'il avait parlé sérieusement. Il ne fut rassuré que lorsque le Père lui eut déclaré qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie.

En 1898, le F. Fridolin fut envoyé à St-Louis et n en repartit que lorsque le déclin de ses forces l'eut mis à peu près hors de service. C'est à Thiès et à Dakar qu'il a passé les trois ou quatre dernières années de sa vie, dans une retraite sanctifiée par la patience et le total abandon entre les mains de Dieu.

Il s'est éteint doucement le 10 février 1908, à Dakar, dans sa 74e année, entouré des soins de ses confrères et muni de tous les secours que la sainte Église assure à ses enfants. Le surlendemain de sa mort, le R. P. Jalabert adressait à la Maison-Mère les lignes suivantes, qui seront le meilleur couronnement de cette notice :

« Nous avons conduit hier à sa dernière demeure le bon et vénéré F. Fridolin. Une assistance nombreuse et recueillie se pressait dans notre chapelle trop étroite, pour assister à ses obsèques. J'ai dit quelques mots après l'évangile, j'étais sincèrement ému. J'ai connu très intimement ce bon Frère, ces dernières années, et j'ai pu apprécier tout ce que son âme renfermait de piété, d'humilité, d'ardent amour du bon Dieu. C'était un modèle de simplicité, de fidélité à la Règle, et un travailleur infatigable. Il était toujours prêt à rendre service.

« A St-Louis, où il remplissait les fonctions de sacristain, il édifiait tout le monde par sa profonde piété et son attitude recueillie devant le St­Sacrement. Il aimait beaucoup à se rendre à la chapelle de N.-D. de Lourdes, au faubourg de Sor. C'était là son unique récréation. La tète couverte d'un vieux chapeau, portant sous le bras un parasol qu'il n'ouvrait jamais, il partait généralement vers 1 heure après midi, et, clopin clopant, se dirigeait vers le sanctuaire de Marie, où il passait de longues heures en prière. Sa mort a été comme sa vie, douce et sainte. »

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