F. ORESTE SCHNEIDER
décédé à Langonnet le 30 décembre 1905.
Notices Biographiques IV p. 1-5


Eugène Schneider naquit à Thann, diocèse de Strasbourg, le décembre 1856. Orphelin à l'âge de onze ans, il fut recueillir M. Henriet qui s'intéressa charitablement à son sort et le t à l'orphelinat de Thann, où il resta deux ans. De là, après avoir passé six ans dans un atelier de cordonnerie, il entra, en qualité de valet de chambre, chez M. Heuriet et y demeura jusqu'à son entrée dans la Congrégation. Les rapports qu'il eut avec quelques-uns de ses compatriotes", Frères ou Pères missionnaires. du Saint-Esprit et du Saint-Coeur, de Marie, lui inspirèrent le désir de marcher sur leurs traces et de réaliser ainsi le dessein qu'il avait eu dès sa plus tendre jeunesse de se consacrer au Seigneur. M. l'abbé Schillinger, vicaire et directeur catholique de Thann, prit l'initiative de demander son admission comme novice frère. Il le présentait comme un jeune homme vertueux, de bon caractère et de bonne santé. L'avenir ne démentit pas cet heureux augure, grâce auquel le jeune Schneider fut admis comme postulant à Chevilly au mois d'avril 1876. Il était dans sa vingtième année.

Reçu à la prise d'habit un an après, sous le nom de F. Oreste, le jeune Schneider passa sans encombre l'année de son noviciat et se consacra au Seigneur par la profession religieuse, le 19 mars 1878.

Après une année d'emploi à la Maison-Mère, le F. Oreste fut destiné à la Mission d'Haïti. C'est le 21 septembre 1879, que ce bon Frère aborda à Port-au-Prince avec le P. Louis Dehaesenberghe, le P. Sengelin et le F. Sébaste. Les vacances avaient lieu à cette époque pendant les mois de décembre et de janvier. On ne pouvait guère utiliser les nouveaux venus en cette fin d'année : ils allèrent donc quelques mois à Pétionville, chez le P. François, pour s'acclimater un peu en ce milieu à la chaleur plus tempérée. Le séjour de nos nouveaux confrères, dans les mornes, écrit un ancien d'Haïti, se prolongea plus qu'on ne s'y était attendu. Une épidémie de fièvre jaune obligea le R. P. Simonet à disperser de tous les côtés Pères, Frères et Scolastiques surveillants. Les bons noirs, nos amis, nous donnèrent avec bonheur l'hospitalité dans leurs pauvres cases. A ce moment, Mgr Guilloux venait d'arriver de France avec un renfort considérable d'auxiliaires : prêtres, frères de Lamennais, soeurs de Saint-Joseph, soeurs de la Sagesse. C'étaient des victimes désignées pour le fléau. Presque tous furent atteints, beaucoup succombèrent dans différents postes; à Port-au-Prince, e fléau emporta un Père du Saint-Esprit, le P. André Levadoux, un vicaire de la cathédrale, et sept frères de Ploërmel sur treize dont se composait leur communauté.

Après la retraite annuelle de 1880, le F. Oreste reçut son obédience pour Pétionville. Petit, jeune, très avenant, régulier, docile, un peu mystérieux, en somme charmant confrère et bon religieux, notre nouveau Frère plaisait à tous, dans la communauté et au dehors. Son Pylade, le F. Sébaste, grand, maigre, pâle, peu communicatif, faisait un peu contraste avec lui, mais, hélas 1 moins de deux ans après, ce dernier, ainsi que les PP. Favrat et Boehner, tombe victime d'un retour de la cruelle épidémie,

A Pétionville, le F. Oreste se trouvait seul de sa catégorie ;. en conséquence ses occupations étaient très variées : sacristie de la paroisse, lingerie, ménage, soins et entretien de la maison, et surtout classe aux petits enfants du bourg. C'était un premier essai, car jusque-là, il n'y avait aucune école à Pétionville. Hélas ! l'oeuvre, qui aujourd'hui est devenue si prospère, fut marquée du sceau des oeuvres de Dieu, et ce fut une rude épreuve pour le pauvre débutant. Inaugurée avec une vingtaine de marmots, l'école ne comptait plus à la fin de l'année qu'un ou deux élèves; ces petits négrillons trouvaient sans doute plus intéressante l'école buissonnière dans les halliers, au milieu des campêches et des bayahondes.

D'un autre côté, les deux missionnaires, les PP. François et Runtz, étant appelés fréquemment au ministère des chapelles 0 u à la visite des malades, à des 4, 5, 6 lieues, le pauvre Frère restait presque toujours seul. Sans conseil, sans encouragement, il se laissa dominer par des idées noires. Comme ses premiers voeux allaient expirer, il fit certaines démarches pour se créer une position sociale contraire à sa vocation, soit en France, soit en Haïti, soit même aux États-Unis d'Amérique. Mais vite la grâce de Dieu prévalut; son grand esprit de foi, la crainte de manquer l'affaire importante de son salut, le rattacha à son saint état, et il renouvelait ses voeux pour cinq ans, à l'issue d'une bonne retraite, le 22 mai 1881.

Cependant, il était comme nécessaire de donner au bon Frère une position, OÙ il serait plus à, même de se retremper dans l'esprit de sa sainte vocation. Il fut donc placé au Séminaire Collège Saint-Martial, où, pendant 5 ans, de 1881 à 1886, il fut chargé du troisième cours de français. En 1883, il demandait, par trois fois, à revenir en France. « Ma santé, disait-il, semble nécessiter un retour dans les pays froids. » Sur ses instances, on le fit partir pour France, à l'expiration de ses voeux. C'était le démon de l'inconstance, qui, abattu mais non vaincu, s'était réveillé plus tort que jamais.

Son séjour hors de la Congrégation ne fut pas de longue durée. Le 28 octobre 1886, il écrit au Très Révérend Père : « Je regrette déjà la grande bêtise que j'ai faite en quittant la Congrégation. Je suis, mon Très Révérend Pète, dans une des Meilleures places qu'on puisse trouver à Paris. M. et Mme Cabat sont très bons pour moi, ils m'aiment beaucoup. Ils me disent presque tous les jours : Nous sommes très contents de vous, et ils me laissent parfaitement libre pour mes pratiques religieuses. Mais, hélas, mon Très Révérend Père, avec cela, il y a quelque chose qui me répète sans cesse au fond du coeur : tu as manqué ta vocation. J'ai beau me distraire; malgré tout cela, c'est toujours la même voix qui me parle à l'intérieur de l’âme, et me reproche d'avoir quitté la vie religieuse. Je viens ne aujourd'hui, vous prier de me recevoir de nouveau dans votre sainte Congrégation »...

Certes, il était bien placé, humainement parlant. Son patron, substitut au tribunal de la Seine, rendait de lui cet excellent témoignage : « Je certifie avoir eu à mon service le sieur Eugène Schneider du 25 septembre au 25 novembre 1886, et n'avoir de grands éloges à faire de sa conduite, de son honnêteté sa parfaite convenance. »
A. Cabat, Substitut au Tribunal de la Seine.

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