Le P. Charles-Antoine SENGELIN
(Notices Biographiques III p. 89-92) DE LA MISSION D'HAÏTI
décédé à N.-D. de Langonnet le 30 mars 1901.


Quelques jours après les obsèques du P. Kermabon, le P. Hassler annonçait à Mgr Le Roy le décès du P. Sengelin :
N.-D. de Langonnet, le 31 mars 190.
La solennité de Pâques est marquée, pour la Communauté, par un nouveau deuil. « Hier soir, samedi 30 mars, le bon P. Sengelin s'est doucement éteint dans la paix du Seigneur, vers les 3 heures du soir, après avoir reçu dans la matinée les derniers sacrements et l'indulgence de la bonne mort.

« Comme vous le savez, Monseigneur, ce Père a été victime d'une de ces cruelles infirmités qui imposent des peines morales infiniment plus douloureuses que les souffrances du corps. Au milieu de ces peines, le P. Sengelin a été un modèle de patience et d'amoureuse soumission au bon plaisir de Dieu. Aussi a-t-il plu à Notre-Seigneur de l'appeler à lui le samedi saint, pour l'associer au triomphe de sa glorieuse résurrection. « La mort a été vraiment une délivrance pour le cher malade. Que son âme repose en paix, et que le bon Dieu lui accorde tôt le bonheur du ciel ! ... »

Charles-Antoine Sengelin était né à Hirsingen, au diocèse de Strasbourg, le 15 avril 1854. Au témoignage du vicaire de la paroisse, M. l'abbé Vonau, qui le dirigea durant ses premières études, sa famille était l'une des meilleures de la localité. Après avoir passé deux ans au petit séminaire de Zillisheim, où il fit la quatrième et la troisième, il résolut, à l'exemple de plusieurs de ses condisciples, de solliciter son entrée dans la Congrégation.

« Moins fait pour le monde, écrivait en le recommandant M. l'abbé Vonau, Charles Sengelin me semble posséder les qualités du vrai missionnaire. Il joint à une santé vigoureuse une énergie de volonté qui, soutenue par la foi, ne reculera devant aucune difficulté. Ses parents, après avoir éprouvé longtemps la vocation de leur fils, n'osent plus résister à l'esprit qui l'inspire. Son oncle, un prêtre très vénérable, n'hésite pas à lui laisser libre essor. » (Lett. du 21 sept. 1871.) ,

Le jeune postulant de Hirsingen arriva au petit scolasticat de N.-D. de Langonnet le 30 octobre 1871, pour y faire sa seconde, et l'année suivante (1er novembre 1872), il y reçut l'habit religieux. Après son année de philosophie, on l'employa, pendant un au, comme surveillant au petit séminaire de Cellule, puis il retourna à Langonnet, où se trouvait alors le grand scolasticat, pour y faire ses études théologiques. Admis ensuite au noviciat à Chevilly, il y reçut la prêtrise le 27 octobre 1878, et fit sa profession religieuse le 24 août de l’année suivante, en la fête du St-Coeur de Marie.

Il reçut aussitôt sa destination pour Haïti, où il a passé à peu près toute sa carrière religieuse, dans la modeste mais bien méritoire fonction de professeur au petit séminaire-collège de St-Martial.

Voici sur son séjour et ses travaux à Port-au-Prince quelques pages que nous extrayons du Bulletin religieux d'Haïti.

Le P. Charles Sengelin, décédé à N.-D. de Langonnet, le 30 mars 1901, a été pendant 25 ans, de 1878 à 1903, professeur au petit séminaire-­collège St-Martial.

On l'a peu connu au dehors : de caractère timide, il n'osait pas se produire ; mais la retraite qu'il s'était ainsi faite à St-Martial ne lui -était pas pénible. Il aimait sa communauté, il jouissait de la compagnie de ses confrères, il vivait heureux, même quand la maladie lui eut interdit tout travail, des mille petits soins qu'il savait prendre des locaux où il avait à exercer ses fonctions. Ce sont là des riens qu'on craint presque de noter et de signaler à l'attention; car, dans la vie d'un homme, ils forment à première vue, un tissu si faible qu'ils semblent manquer de cette suite qu'on recherche toujours dans les actions d'autrui. Et cependant ces détails méritent l'attention, ils révèlent une âme tout occupée à sa tâche.

Professeur, il aimait à s'assurer que sa salle de classe était propre et bien tenue; surveillant de dortoir, - et il le fut vingt ans - il fallait que son dortoir plût à l'œil et que tout y fût parfaitement disposé pour la commodité des élèves. Dans la cour, au. jardin, tous les objets lui étaient familiers. Son esprit inventif lui faisait tirer parti même des choses mises au rebut, il voyait tout et s'attachait à tout. Et ce n'était pas là une innocente manie : s'il aimait la maison, il aimait encore plus ses fonctions, quelque humbles qu'elles aient toujours été.

Il fut successivement professeur du cours élémentaire, de huitième, de septième, de sixième et de cinquième. La préparation de sa classe était la grande affaire de sa journée : il mettait toute son âme à choisir le devoir qui serait utile et agréable à la fois. Les leçons qu'il donnait étaient mesurées. avec une justesse et exigées avec une rigueur qui maintenait son « petit peuple » - c'était un de ses mots préférés - toujours en haleine. Il corrigeait avec soin les devoirs de ses élèves, et, à l'encontre du vieillard du bon Horace, - laudator temporis acti - il avait tendance à trouver que la jeune génération faisait mieux que ses aînées. On ne pouvait résister à ses instances, quand il venait, le paquet de copies en main, faire part, au premier venu de ses confrères, des trouvailles heureuses qu'il avait faites dans les devoirs de classe. Sans aucun retour sur lui-même, il louait les progrès de ses élèves, et l'on sentait qu'il lui fallait cette satisfaction de communiquer à quelqu'un les sentiments qu'il éprouvait du travail et du succès qu'il constatait. Car, en classe, il ne prodiguait pas les louanges; et, pour qu'un devoir fût jugé digne par lui d’être inscrit au « Cahier d'honneur» de la classe, il fallait que, sue ses indications, il eût été revu par l'élève avec un soin qui maintenait très haut cette faveur.

Qu’il eut du succès dans son enseignement, on peut le conclure de son application à bien faire sa classe. Il n'avait pas la prétention de faire apprendre à ses élèves des choses relevées , mais, ce qu'il enseignait, il réussissait à en pénétrer leurs esprits. Quand le P. Sengelin avait été constamment satisfait d'un élève pendant l'année qu'il l'avait eu sous sa direction, on pouvait dire que cet élève avait compris tout ce qui lui avait été enseigné par lui et qu'il le retiendrait.

Le souvenir de ses élèves, surtout de ses bons élèves, était toujours cher au P. Sengelin ; il. aimait à parler d'eux, à citer les petits faits qui les faisaient revivre en son esprit; et il est juste de dire qu'il fut payé de retour. Ses élèves, nous en sommes sûrs, ont encore présent à la mémoire le professeur qui leur fut toujours si dévoué.

Le P. Sengelin exerça aussi les fonctions d'aumônier de l'Hôpital militaire. Pendant sept ans, il accomplit modestement ce ministère parfois pénible. Il avait peur des fêtes, et il ne donnait quelque solennité qu'aux cérémonies de première communion et de confirmation qui se faisaient dans sa chapelle. Encore fut-il tout effarouché, un jour de première communion, de la proposition que vint lui faire, au moment de la Messe, un de ses anciens élèves, organisateur d'un nouveau corps de musique, de jouer pendant l'office les premiers morceaux de son répertoire. Il accepta avec plaisir; mais il disait ensuite : « C'est trop d'honneur pour moi. »

Au bout de huit années de séjour dans le pays, la santé du. P. Sengelin réclama un voyage en France. Il quitta Haïti le10 février 1888 et y rentra le 5 novembre de la même année.

A son retour, il cessa d'être aumônier de l'Hôpital militaire, et sa vie se confina tout entière au Séminaire. Un second congé, plus prolongé cette fois, lui fut nécessaire en 1898; et, après un court séjour en Alsace, il alla se reposer à N.­D. de Langonnet. Revenu le 7 octobre 1899, il ne tarda pas à s'affaiblir de nouveau, et dut se rembarquer définitivement pour la France, le 13 septembre.

Un nouveau séjour en Alsace ne put lui rendre ses forces, et, tout en gardant quelque espoir de rentrer encore en Haïti, il se retira à Langonnet à la fin de 1905. Il y a succombé à l'âge de 53 ans.

Le cher P. Sengelin est mort à la suite d'une sorte de lèpre (lèpre sèche), dont il avait été atteint en Haïti. Il en avait sans doute contracté les germes à l'Hôpital militaire de Port-au-Prince. Les lépreux y sont assez nombreux; et durant les sept années qu'il en a été aumônier, il a eu certainement à en administrer un bon nombre. Il est donc tombé victime de son généreux dévouement pour ces pauvres malades.

Ce n'est qu'à son dernier départ d'Haïti, en 1903, que le médecin de Port-au­-Prince reconnut la nature du mal. Au retour du Père en France, on consulta des spécialistes qui confirmèrent ce diagnostic. Pendant les quelques semaines qu'il passa à la Maison-Mère, le cher Père édifia tout le monde par sa patience et par sa douce résignation. Jamais un mot de murmure ou de plainte ne s'échappa de ses lèvres. Après quelque temps de repos en Alsace, il fut heureux de. se retirer dans la paisible solitude de N.-D. de Langonnet, dont il gardait le plus doux souvenir, afin de se préparer à son éternité au berceau même de sa vie religieuse.
A. CABON. .

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