Le Père Jean SHEER,
décédé à Ngabé (Congo), le 14 mars 1948,
à l’âge de 45 ans.


Jean Scheer était né le 25 décembre 1902. Alsacien, Jean Scheer suivit le cours régulier de ses études cléricales dans nos maisons spiritaines d’Alsace.

En novembre 1929, le père arriva à Brazzaville. Mgr Guichard, successeur de Mgr Augouard le désigna pour le petit séminaire de Brazzaville. Il se donna de suite tout entier. Rude besogne que de former des âmes sacerdotales avec nos petits Congolais encore bien primitifs. Le père comptait avant tout sur la puissance de la grâce. Le temps a prouvé depuis qu’il avait raison. Chaque année voit nos prêtres indigènes se répandre à travers le Congo, pour collaborer à la grande œuvre de la Rédemption.

Le P. Scheer ne devait pas demeurer toute sa vie au séminaire. Dieu l’attendait en brousse, en plein champ de bataille. En juillet 1931, il se voyait affecté à la mission de Boundji, une des plus anciennes missions du Congo. Mgr Augouard avait décidé cette fondation en 1900, lors d’un voyage sur l’Alima à bord de son bateau épiscopal.

À l’arrivée du P. Scheer, le P. Prat rentra en Europe. Il était à Boundji depuis 1904. Le P. Épinette, arrivé à la même date, avait, trois ans plus tard, succombé à la fièvre. Il repose dans notre petit cimetière de sable blanc. Le P. Jeanjean lui succéda en 1907. Il totalise soixante-sept printemps, dont quarante et un à Boundji. C’est lui qui reçut le P. Scheer. Sous sa fine expérience, le P. Scheer se “lança”. Rien ne pouvait l’arrêter sinon la mort. Il se lança à travers les tsétsés et les pistes marécageuses où vous enfoncez parfois jusqu’au cœur.

Débordant d’initiatives, le P. Scheer entreprenait sans cesse, soutenu par un vigoureux tempérament alsacien qui lui interdisait de se reposer, encore moins de reculer et de désespérer. Pour ceux qui ne le connaissaient que superficiellement, une certaine rudesse provenant de sa droiture foncière, pouvait cacher son cœur d’or. Il “fonçait”, mais c’était par besoin de réaliser, de faire le bien ; son activité était le débordement de son âme apostolique.

Les capacités du père étaient multiples. Construction de bâtiments scolaires, extraction d’une carrière de pierres, montage d’un four à briques… Utilisant un petit cour d’eau, il décida de procurer l’eau courante à la mission. À cet effet, il construisit une roue à piston.

C’est surtout en brousse que le père donna son plein rendement. Il “fonça”, là comme ailleurs, visitant, conseillant, punissant et grondant nos chrétiens trop peu scrupuleux. Dans l’espoir de recruter des bonnes volontés, le P. Scheer envoyait souvent des jeunes gens à l’école de la mission. Il songeait avant tout à sa brousse et désirait former le plus possible de catéchistes capables au moins d’enseigneur les rudiments de la grammaire française. C’est actuellement le seul moyen efficace de gagner les enfants afin de leur enseigner le catéchisme.

Les années passèrent ainsi, le père ne s’accordant aucun répit : 1929-1939, dix ans. Un retour au pays natal était légitime : le tour du père était arrivé. Hélas, la guerre l’attendait ; rentré en juin 1939, il eut juste le temps d’aller visiter sa famille, tandis que la mobilisation le guettait. Il fut affecté en Afrique, “à son poste”. En novembre 1939, le P. Scheer revenait donc à Boundji, pour se relancer immédiatement dans sa chère brousse.

Il eut un jour un tout petit accident : entrant dans notre chapelle de brousse d’Edou, dans l’obscurité, il heurta violemment sa jambe contre un banc. Le père n’y prit pas garde, mais les jours suivants, il ressentit une vive douleur. Ce fut à ce point qu’il dut s’aliter, sans même pouvoir célébrer la sainte messe. Le Dr Gourtay, alerté, parcourut en auto les deux cents kilomètres qui séparent Fort-Rousset de Boundji. Il diagnostiqua une phlébite et décida le transfert immédiat du malade à Fort-Rousset, afin de le suivre de plus près. Au bout de quelques semaines, de soins dévoués, le P. Scheer put être ramené dans sa mission. On jugea cependant prudent de le rapatrier pour un sérieux repos.

En juin 1946, le P. Scheer regagnait donc l’Alsace. Des soins et une nourriture plus riches étaient indispensables et il vit docteur sur docteur durant plus d’un an.

Ses lettres au P. Jeanjean se suivaient pleines d’espoir, exposant même des projets pour monter une menuiserie modèle à Boundji. Tout semblait aller si bien qu’il s’embarqua de nouveau en octobre 1947. Le 17 novembre, le bruit d’un camion anima toute notre mission. Les enfants criaient. Que se passait-il ? Mon étonnement fut grand de voir descendre le P. Scheer alors que nous l’attendions par le bateau de l’Alima.



Vite, le couvert ! Et… sans préambule, sans allusion à la France d’où il revenait, le P. Scheer se mit à parler du placement des catéchistes. On aurait cru qu’il revenait tout simplement d’une de ses tournées coutumières. Il n’avait pas changé. Le lendemain, malgré sa jambe encore douloureuse, il circulait à travers plantations et ateliers ; mais il se faisait illusion, il n’était pas guéri. Le docteur lui avait évidemment interdit toute nouvelle tournée de brousse, se contentant de travaux relativement sédentaires.

Le 20 janvier, le P. Scheer se sentit indisposé, et dut se coucher. Il avait 39° de fièvre. Un matin, il ne put achever le saint sacrifice et quitta l’autel avant la communion. L’inquiétude augmenta les jours suivants, lorsque la sœur infirmière vit la constance de la fièvre : 39° - 40°. Or, nous attendions la visite de Mgr Biéchy à cette date. Monseigneur trouva le père alité et envisagea de prévenir de nouveau le Dr Gourtay, en passant par Fort-Rousset.

Le dimanche 1er février, tandis que nous chantions le salut du Saint Sacrement, un camion faisait son entrée dans notre communauté. Le docteur était là. Il vit aussitôt le père, et lui trouva un paludisme d’accès très pernicieux. Comme en 1939, le docteur résolut d’emmener le malade à Fort-Rousset en attendant qu’il puisse supporter le voyage de Brazzaville par bateau sur le Congo.

Les adieux furent simples et touchants. Le père accepta le sacrifice de ne plus revoir sa chère mission, pour laquelle il se dévouait depuis dix-sept ans. « Je n’aurais jamais dû revenir, avoua-t-il. Qui sait si on ne va pas encore devoir me rapatrier ? Il est pénible de se sentir anéanti tout en se sachant encore jeune. »

La mission de Fort-Rousset hébergea le P. Scheer. Le docteur le visitait fréquemment, intensifiait les doses de quinine. La fièvre résistait. Le docteur appela d’urgence Mgr Biéchy, alors en visite à la mission de Makoua (soixante kilomètres de là). Le P. Scheer était à l’agonie. Passerait-il la nuit ? Sa forte constitution opposa une résistance à la mort. Le lendemain matin, il déclarait qu’il pouvait se lever. On l’en empêcha heureusement. Quelques heures plus tard, la fièvre reprenait de plus belle.

Un bateau arrivait à cette date. Le docteur jugea le père capable de supporter ce voyage; Mais ce fut sur son lit qu’on dut le transporter au bateau. Le docteur tint à accompagner ce malade une partie du parcours. Un père veillerait jusqu’à Brazzaville. Quelques jours plus tard, nous recevions de brèves nouvelles : « Le père semble se remettre doucement. On l’hospitalisera à Brazzaville. Il y a léger mieux. »

Hélas ! À 200 kilomètres de Brazzaville, dans la nuit de samedi à dimanche, 14 mars, tandis que le bateau accostait à N’Gabé, le P. Scheer rendait son âme à Dieu. Il fut enterré sur place. -
Raymond Grymonpré. - BPF, n° 42, p. 47.

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