LE FRÈRE CORNEILLE SIEPE
(Notices Biog V p. 271-274)


Le F. Corneille n'a pas été seul de sa famille dans la Congrégation. Il était de même père et de même mère que le F. Darius. Celui-ci, après nombre d'années passées au Zanguebar, avait été en dernier lieu attaché à la communauté de Knechtsteden, où il mourut.

Leur nom de famille est Siepe. Guillaume, celui qui nous occupe, naquit le 4 septembre 1854, à Stachelau, diocèse de Paderborn. Lui-même nous apprend qu'il a été à l'école jusqu'à quatorze ans; qu'ensuite, il apprit le métier de cordonnier pendant les trois années qui suivirent, ajoutant à ses occupation s certains travaux des champs, où il aidait les siens. Ce fut à l'âge de dix-sept ans, qu'avant appris à connaître la Congrégation par un digne ecclésiastique, M. l'abbé Clarcke, recteur d'un petit collège, il se présenta, se croyant appelé à la vie religieuse, et couvert d'ailleurs par la recommandation de ce prêtre. Le témoignage de ce dernier sur sa conduite antérieure était tout à sa louange. Aussi put-il entrer le 14 février 1878, à la communauté de Chevilly.

Après huit mois de postulat, il sollicita et obtint la faveur d'être admis au Noviciat des Frères (24 février 1879). Les appréciations portées sur lui par ses directeurs étaient satisfaisantes. -Elles devaient être meilleures encore plus tard. Sur son caractère, leur jugement se formulait ainsi: « Parait calme, quoique un peu susceptible » - N'est-ce pas plutôt irritable qui était le mot? Plus tard en effet, lors de sa demande de voeux perpétuels, son supérieur tout eu le qualifiant de « bon religieux », relevait certains vers dont il ne réussissait pas à se débarrasser, comme de se fâcher pour des riens contre les enfants à lui adjoints dans sa charge de réfectorier; de s'émouvoir pour des espiègleries de gamins, courant après eux avec un bâton. » (Information 3 juin 1883) Curieuses annotations sans doute, mais qu'il n'est pas inutile de reproduire. Elles montrent en effet la justesse de l'observation si vivement exprimée dans ce vers :

Chassez le naturel, il revient an galop ....
Et cela est vrai malheureusement, même quand on s'est aidé de la grâce pour le mettre dehors. Si bien qu'il rentre de nouveau et se réinstalle, si, toujours armé de celle divine grâce, on n'en surveille pas les retours pour les interdire sans relâche.

Le 8 septembre 1880, il eut le bonheur de faire sa profession religieuse. Il avait bien mérité cette grâce par ses efforts pour correspondre à sa vocation, sa régularité, son renoncement, l'esprit de foi qui l'animait, sa piété, son obéissance. Le R. Père Burg alors directeur du Noviciat portait de lui ce jugement: « Ce frère est un bon sujet ; bon cordonnier quant à son métier, et bon religieux quant à sa profession. »

Ayant reçu son obédience pour la Sénégambie, il s'embarqua à Bordeaux le 20 novembre 1880. Ce fut à Saint-Joseph (le Ngazobil qu'il fut placé en arrivant el qu'il demeura jusqu'à, la fin, en qualité de cordonnier. Il ajoutait à cet emploi d'autres charges secondaires, comme portier, réfectorier, frère affecté au service intérieur. Toutefois il ne se sentait à l'aise que dans l'isolement de son office. Craignant de paraître ainsi ne pas aimer les Missions, il s'en expliquait avec son supérieur « : Ce que je n'aime pas écrivait-il, ce ne sont pas les Missions, mais bien les rapports continuels qu'on y a avec l'extérieur; car j'aime beaucoup la clôture. Mais je suis bien content de travailler en Mission pour les pauvres noirs. » (Lettre du 2 juillet 1887).

A quoi tenait cette disposition? A son naturel qu'on avait signalé pendant son Noviciat comme « irritable et nu peu timide. »

*Et ces deux qualificatifs, en apparence contradictoires s'allient très bien chez lui. Connaissant ce premier défaut, l'irritabilité, il s'appliquait à fuir toute occasion qui aurait pu en provoquer des actes, et ainsi devenait timide. Il tendait donc à se garer des relations et des contacts, et il cherchait une occupation l'isolant, autant que possible. Du reste il joignait à cette infirmité morale une faiblesse physique qui l'empêchait de rester un certain temps debout. Il n'aurait pu surveiller les enfants dans leurs allées et venues, ou stationner auprès d'eux longtemps.

Le F. Corneille émit successivement ses voeux de cinq ans, ceux puis ses voeux perpétuels; ceux-ci prononcés le 8 septembre 1887 à la communauté de Chevilly.

Il eut occasion de revenir plusieurs fois en Europe pour se remettre des fatigues du climat d'Afrique. Son bonheur était de revoir la communauté du Saint-Coeur de Marie. Il avait le sentiment que c'était le berceau de sa vie religieuse. Et puis là, il trouvait aussi le silence de l'isolement, cette sorte de milieu et d'atmosphère qu'il convoitait tant pour l'exercice de ses fonctions. « Son rêve écrivait un de ses supérieurs, serait d'être cordonnier au Saint-Coeur de Marie, avec le F. Agapit. » (Information 3 juin 1889). Et là vraiment il édifiait tout le monde. « Ce Frère vient de nous arriver à Chevilly dit le P. Grizard, dans une note au bas d'une de ses lettres; il fait bonne impression dans la communauté. » (11 juillet 1887).

Son dernier séjour en France eut lieu en 1905 du 16 mai au 5 décembre. Il alla occuper à son retour son poste de Ngazobil, toujours comme chef cordonnier. -- En 1909 déjà, ses forces commencèrent à baisser et cette décroissance alla s'accentuant. On pensait à l'envoyer une fois encore en Europe au printemps de 1911. Cependant l'hivernage passé on put espérer un retour des forces avec la belle saison. Mais subitement, le 2 novembre, cette lassitude qu'il éprouvait sans sentir de douleur, devint une vraie prostration. Le P. Ezanno jugea prudent de le conduire à Dakar. A Joal, où ils se rendirent pour s'embarquer le samedi 4 novembre, le Frère eut une syncope. « Le lundi matin écrit son compagnon , je crus prudent de lai administrer les derniers sacrements. Il les reçut avec cette piété simple, cet esprit de foi qu'admiraient en lui tous ceux qui ont en le bonheur de vivre à ses côtés. Il était pleinement abandonné à la volonté de Dieu. Dans la soirée de ce même jour, nous pûmes partir pour Dakar. La Providence nous envoya une brise favorable, et le lendemain avant 10 heures nous étions arrivés. Le médecin, immédiatement appelé, déclara le cas très grave: accès pernicieux, congestion cérébrale. Malgré les soins des confrères et des soeurs de l'Immaculée ­Conception, le bon F. Corneille expirait doucement à neuf heures du soir de ce même jour, mardi 7 novembre.

« Dans le F. Corneille, la Mission de la Sénégambie perd le doyen, et j'ose l'affirmer, le modèle de ses Frères missionnaires. Pendant plus de trente ans, il s'est dévoué sans bruit, toujours sous le regard du divin Maître, dans sa chère Mission de Saint-Joseph, le seul poste qu'il ait occupé pendant tout son long séjour au pays d'Afrique. Aujourd'hui, nous l'espérons bien, il jouit là-haut de la récompense promise au bon et fidèle serviteur. » (Lettre du 10 novembre 1911).

Le F. Corneille était âgé de 57 ans. Il comptait trente-trois années de vie de communauté, dont trente-et-une et deux mois de profession religieuse.

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