Le Père Joseph Soul, 1882-1956.

Le Père Dussercle (de Granville), qui a rédigé la notice biographique du Père Soul, débute par cette remarque : "Puisque le Père Soul a jugé bon de commencer la rédaction de son dossier, accordons-lui de nous exposer lui-même ce que furent ses années de jeunesse et de formation le testament d'un mourant est toujours chose sacrée... " Le voici :

" Je suis né, le 12 mai 1882, à Saint-Cyr du Bailleul, au diocèse de Coutances. Le bon Dieu m'a fait la grâce de me faire naître dans une famille profondément chrétienne. Mes parents étaient des cultivateurs exploitant une ferme assez importante, dans ce pays qu'on appelle quelquefois le Bocage Normand, entre Mortain et Domfront. Mon père était de Saint-Cyr; ma mère était originaire de Barenton, la paroisse voisine, et c'est dans cette paroisse que se trouvent la plupart de mes nombreux cousins. C'est pourquoi on m'a toujours considéré comme étant de Barenton. La famille de ma mère est une très vieille famille de cette paroisse.

" J'ai reçu une éducation très chrétienne. Je fréquentais l'école communale et le catéchisme au bourg de Saint-Cyr, distant de 2 km. de notre village appelé La Granulera. Il y avait un vicaire très zélé, l'abbé Ledos. C'est lui qui me discerna au catéchisme et me proposa de commencer des études pour devenir prêtre. Mes parents ne s'y opposèrent pas ; ma mère fut heureuse de me donner au bon Dieu.

" Quand j'eus 11 ans, aussitôt après ma Première Communion, le vicaire me prit au presbytère, et je commençais avec lui l'étude du latin. J'y restai deux ans.

" En 1893, il me fit entrer au Petit Séminaire de l'Abbaye Blanche à Mortain, en classe de quatrième. Il y avait comme professeur de sciences, Monsieur l'Abbé Pasquet, qui est devenu Évêque de Séez. J'ai montré des dispositions pour les mathématiques, et j'ai été en excellentes relations avec le professeur. Il y avait aussi le jeune Abbé Grente, futur évêque du Mans et cardinal, qui professait en troisième ; je n'eus pas la chance d'être son élève.

" Je me rappelle particulièrement la réception qui fut faite en 1897 à Mgr Le Roy qui avait été élu Supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit l'année précédente. Le petit séminaire recevait avec tous les honneurs ce brillant ancien élève qui était déjà célèbre. Il avait 43 ans et était en pleine vigueur. Un soir, il vint à l'étude des grands, et nous fit une conférence pétillante d'esprit sur le Gabon. On revit Mgr Le Roy plusieurs fois dans la suite pour présider des réunions d'Anciens Élèves.

" Ma vocation missionnaire n'était pas décidée à cette époque ; ce fut plus tard, au cours de mon année de philosophie. Un jeune profès de la congrégation passa pour revoir ses anciens professeurs. Je n'eus pas l'occasion de lui parler en particulier, mais j'entendis ses conversations avec les élèves ; et de le voir avec son costume de la congrégation, je me sentis attiré. Je pensais alors à me faire missionnaire dans cette congrégation. Il faut dire aussi que je prenais grand plaisir aux récits d'exploration qui paraissaient à cette époque. En vacances, je parcourais la collection des Missions Catholiques, les Annales des Missions.

" En 1900, je terminais mes études au petit séminaire. On nous appelait la "Philosophie fin de Siècle ". J'avais fait part de mes désirs à Monsieur l'Abbé Pasquet qui était mon directeur. Il ne prit pas la chose comme déterminée et il me dit d'aller au grand séminaire, puisque c'était pour cela que j'étais entré à l'Abbaye Blanche.

" J'entrai donc au grand séminaire de Coutances en octobre. Il y avait beaucoup de bruit au sujet des vocations missionnaires. Plusieurs séminaristes pensaient aux missions. L'un d'eux (le futur Père Le Gallois) auquel on avait refusé la permission de partir, quitta le séminaire en cours d'année et se présenta au Noviciat d'Orly. L'affaire ne s'arrangea pas et il fut obligé de revenir. Mgr Guérard, l'évêque de Coutances, croyait à une sorte d'exaltation des jeunes gens, et était de moins en moins décidé à accorder des permissions de sortie. Je lui fis plusieurs demandes au cours de cette année, et fus toujours écarté.

" Pendant l'année du grand séminaire 1900-1901, j'avais eu l'occasion de voir Mgr Le Roy venu en visite. Nous étions trois ou quatre confrères qui voulions lui parler, ce n'était pas facile de l'aborder sans éveiller l'attention des directeurs ou des séminaristes. Nous pûmes cependant le rencontrer ; il ne jugea pas opportun de nous recevoir dans son appartement, et il nous parla avec une grande bienveillance dans un coin du corridor. Plus tard il m'écrivit une petite lettre d'encouragement. " Un de mes camarades de l'Abbaye Blanche, Pierre Mitrecey, était déjà au noviciat (1900-1901). Je lui écrivis plusieurs fois et il me conseilla de venir sans permission, quoi qu'il arrive.

" Donc, en septembre 1901, pendant les vacances, je décidai de ne pas rentrer au grand séminaire. Le Père Genoud, Maître des Novices, m'écrivit que je pouvais me présenter. J'arrivai à Orly le 17 septembre pour commencer le postulat ; il devait durer plusieurs mois. Mgr Guérard refusa de donner les lettres testimoniales. Ce fut l'occasion d'un différend sérieux entre l'évêque de Coutances et le Supérieur général. Pour en finir avec ces difficultés au sujet des vocations, Mgr Le Roy décida de porter mon cas à Rome, à la Congrégation des Évêques et Réguliers. On me fit signer un papier qui devait contenir une réclamation ou une plainte, et il fallait attendre la solution du conflit. Je dus rester postulant pendant des mois qui me paraissaient bien longs. Je me distinguais de tous les autres parce que je ne portais pas le cordon. Ce ne fut qu'au commencement de février 1902 que je pus prendre l'habit et commencer l'année canonique du noviciat, l'évêque de Coutances ayant enfin envoyé les lettres testimoniales sur l'injonction de la Congrégation Romaine. J'ai toujours gardé une grande reconnaissance à Mgr Le Roy pour toute la peine qu'il s'est donnée pour moi. "

Après ces souvenirs de jeunesse, véritable bain de jouvence, nous allons résumer rapidement la vie si remplie du Père Soul. Sa formation spiritaine bénéficia de la haute personnalité du Père Genoud au noviciat d'Orly, et du Père Le Floch au scolasticat de Chevilly. Le Père Soul pouvait alors se consacrer à l'apostolat en des pays et des fonctions bien différentes.

De 1907 à 1915, c'est le Kenya, chez les Kikouyous au temps de la révolte des MauMau, dans les postes de Nairobi, Mangu et Lioki.

De 1915 à 1919, il participe aux grands combats en Belgique et le Nord de la France avec l'armée française, puis avec l'année américaine en qualité d'interprète. Mais il note au passage "Messe en forêt, 150 communions".

De 1919 à 1922, il remplit la fonction fort délicate d'administrateur apostolique du vicariat du Kilimandjaro au départ des Allemands et à l'arrivée des Anglais.

De 1922 à 1927, il est responsable à Paris de la gestion financière de la Province de France.

De 1927 à 1936, visiteur général des missions spiritaines d'A.E.F., d'A.O.F., et des colonies anglaises de l'Ouest africain, puis de l'Afrique orientale et de l'Océan indien. Neuf années d'activités sous ces climats et dans ces pays, sans la moindre maladie. Un record !

De 1936 à 1956, il est supérieur de notre Maison de Fribourg, puis de l(Abbaye Blanche à Mortain, puis aumônier des Sœurs spiritaines à Nogent-sur-Marne. En 1955, il célèbre ses noces d'or sacerdotales. Le 18 août 1956, cet infatigable ouvrier de l'Évangile se présente au Maître, les mains pleines de grains de qualité.

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