LE P. MARTIN STREICHER Décédé à Ufiomi,
le 30 juillet 1910, à l'âge de 30 ans.

(Not. Biog. V p.183-188)

Le P. Streicher naquit le 1er janvier 1881, à Pfaffenheim, en Alsace, au diocèse de Strasbourg. Lui-même, dans une de ses lettres nous fournit pour les premières années de son curriculum vitae les détails suivants :

" Vers la fin du mois de septembre 1894, j'entrais au Petit scolasticat de Mesnières. J'étais à peine arrivé qu'une épidémie se déclarait. Je dus prendre le chemin de la Bretagne C'est à Notre-Dame de Langonnet que j'ai passé la majeure partie de mon scolasticat. C'est dans cette sainte maison que j'eus le bonheur de revêtir le saint habit religieux, le 1er novembre 1895. Depuis cet heureux moment, mon désir d'être religieux dans la Congrégation alla toujours en augmentant. J'ai passé mes deux dernières années de scolasticat à Notre-Dame d'Espérance de Merville." (Lettre du 19 août)

Ses notes, à la fin de sa rhétorique, le font connaître remplissant avec soin les charges qui lui étaient confiées, et doué d'un caractère "souple et bon ". Ce dernier trait devait s'accentuer encore. " il est aimé et estimé de tous ses confrères ", portent ses notes du noviciat. Et sur la même feuille, écrite de la main du si regretté P. Fraisse, se lit cette annotation : Devenu un peu légendaire dans ces derniers temps par sa bonasserie; mais vraiment bon, dévoué, sérieux. Plût à Dieu que les trois épithètes Précédentes pussent s'appliquer à tous ceux que suit une légende, et expliquer celle-ci d'une si avantageuse façon.

Toujours est-i1 que ces deux qualités, application à ses fonctions et bonté, sont restées les caractéristiques de cette vie de missionnaire, courte sans doute, mais si bien remplie. Il fit sa profession à Grignon, le 30 septembre,1903, et reçut à Chevilly ses différentes ordinations, dont la prêtrise, le 28 octobre 1907, Consacré à l'apostolat le 22 juillet 1908, il va saluer sa terre natale d'Alsace, tournant ses regards vers la terre africaine avec l'espoir de s'y dévouer enfin à son apostolat désiré. Le 14 août suivant, il s'embarque à Marseille pour Bagamoyo où il arrive le 7 septembre. La station d'Ufiomi venait d'être fondée : il fut appelé par Mgr Vogt à en faire partie, tout en restant provisoirement attaché à celle de Bagamoyo.

" Le P. Martin Streicher n'a passé que peu de mois ici, écrit Sa Grandeur, mais il a laissé le meilleur des souvenirs. Je ne crois pas exagérer en disant que le cher Père a été un modèle de bon confrère. Bien qu'en passage seulement, il se mit tout de suite à l'oeuvre. Il rendit de grands services à la Procure et mit, en ordre les livres de la bibliothèque. Jamais on ne le vit désoeuvré ou occupé à des futilités ou à des lectures simplement intéressantes. Quand il n'avait pas de travail manuel, on le voyait sous la véranda, allant et venant, tenant d'une main sa grammaire swahili qu'il étudiait, et de l'autre, entre ses doigts nerveux, tiraillant les poils de sa barbe naissante. " (Lettre du 4 août 1910.)

Mgr Vogt n'avait retenu à Bagamoyo le P. Martin (comme on l'appelait dans la Mission), que pour le faire voyager avec lui, le conduisant lui-même dans la station où il avait à se rendre et que Sa Grandeur devait visiter. Son séjour à la côte dura jusqu'au 11 novembre, fête de son saint Patron. Le lendemain avait lieu le départ pour Ufiomi.

" Pendant le voyage, continue Mgr Vogt, j'ai eu le loisir de l'observer, et souvent je remerciais le bon Dieu de nous avoir envoyé un confrère si bon, si dévoué, si bien appliqué à ses affaires. Le matin, pendant lu première moitié, de ma messe, il réveillait les porteurs, faisait lier les charges et préparer le déjeuner. A l'élévation, il venait se préparer à célébrer à son tour, le saint sacrifice: ce qu'il faisait chaque matin. Une fois la caravane en marche, il faisait son oraison, et pendant le reste de la journée, il disait son bréviaire et son chapelet on travaillait sa grammaire. Aux heures des repas, il cherchait à converser avec les porteurs. En toute circonstance il savait se montrer compagnon aimable et serviable, ingénieux, d'ailleurs à parer à tous, les incidents ennuyeux du voyage, ou à les tourner en amusante diversion. Nos bourriquets, têtus au possible, parfois, refusaient d'avancer, et il fallait mettre pied à terre. Alors, nous y prenant à deux, je tirais l'âne par devant, tandis que, par derrière, le P. Martin faisait l'office de " Martin-bâton ". Le procédé néanmoins ne fut pas toujours efficace et il nous arriva de devoir nous résigner à aller à pied des journées entières, laissant nos revêches montures trottiner à vide. Enfin, la veille de Noël, après quarante journées de voyage, nous arrivions à Ufiomi. " (Lettre du 4 août.1910)

C'était le 24 décembre 1908. Tout de suite et avec un entrain auquel laissait libre cours l'entrée régulière dans les fonctions à lui assignées, le P. Martin se mit à l'oeuvre. Il se forma si vite et si bien que le Supérieur de la station, le P. Dürr, ayant à prendre un congé que réclamaient ses onze années consécutives de ministère en Afrique, crut pouvoir lui confier la direction de la Mission. Dès le commencement de février 1909, nous le voyons à la tête de toutes les oeuvres d'Ufiomi et " parfaitement à la hauteur de la situation ", comme s'exprime son Vicaire apostolique.

Nous ne saurions le suivre dans le détail quotidien de ses travaux, mais nous pouvons en embrasser l'ensemble et les résultats, par la lettre suivante du P . Dürr. Elle est écrite, à son retour dans la station, en mai 1910, et adressée à Mgr Vogt. Ces deux dates, février 1909 et mai 1910, fixent à une durée de quatorze mois le temps pendant lequel le P. Martin administra la Mission d'Ufiomi. La période est courte pour tout ce qui l'a remplie, comme on va le voir.

" Je suis enchanté, dit le P. Dürr, de tout ce que j'ai trouvé ici, dans notre Mission d'Ufiomi. J'y suis, j'y reste; adieu à tous les Paris. Le cher P. Martin a fait des merveilles et nos bons Frères aussi. Belle et grande maison, flanquée de deux jolies tours. Devant la maison, de vas-tes champs de pommes de terre et autres légumes, de froment, de maïs. Ils sont séparés par des allées d'arbres divers. Puis voici la basse-cour et ses hôtes: poules, canards, oies, l'étable, avec ses boeufs, vaches, moutons, chèvres; enfin, une sorte de pare, où sont réunis ânes, zèbres, autruches. J'ai oublié les caféiers plus de mille pieds sont plantés et plus de quatre cents rapportent déjà. Il faut rendre justice à tout le personnel d'Ufiomi, ils ont tous bien travaillé.

" Mais, ce qu'il y a de mieux, c'est qu'un changement en bien s'est opéré dans la population. Avant mon départ c'est à peine si les gens étaient abordables; personne ne venait au travail. Maintenant, du matin au soir, hommes et femmes sont à la Mission. Nos écoles sont aussi très prospères , elles comptent plus de six cents enfants. Il n'y a que les mourants dont le P. Martin ne soit pas content. " ils meurent trop vite, dit-il, ou sans que j'aie été averti, ou avant que j'aie eu le temps d'arriver. "

Cette lettre du P. Dürr, dit Mgr Vogt, montre les progrès que la Mission a faits sous la direction du P. Martin Streicher. " (Lettre du 4 août 1910.)

On aurait tort de croire que la prospérité matérielle de la station fût~peut-être le souci capital du cher Père. Nous venons de voir le développement merveilleux que prirent ses écoles.

Également aussi nous avons pu nous édifier de cette pensée si fortement tournée du côté des mourants, cause, pour lui, souvent, de ces déceptions amères dont il se plaignait. Une de ses lettres, adressée à Mgr Vogt, nous le montre bien renseigné sur le tempérament moral et reli-gieux de ces wafiomis, qu'il étudiait pour savoir par où les prendre. " Ce sont de gros bourgeois, écrivait-il. Ils ont tout ce qu'il leur faut et dès lors ne se soucient guère d'une religion. Ils sont tout entiers à leurs vaches, leurs chèvres, leurs moutons; en voilà assez pour leur bonheur et ils n'en rêvent pas d'autre. Ils témoignent cependant assez d'intérêt à écouter les vérités que nous leur enseignons. Espérons qu'avec le temps et la grâce du bon Dieu, ils deviendront chrétiens. "

Tout en travaillant à la conversion de ces pauvres Noirs, le P. Streicher s'appliquait aux vertus religieuses. Comme, il le disait lui-même, dans une de ses lettres, il avait à coeur de fournir toutes " les étapes de la formation religieuse et apostolique ".

" C'est un vrai bonheur d'être en Afrique, écrivait-il à Mgr Vogt, dans une communauté où l'on s'entend. Ma grande maxime, c'est : de la paix, de la concorde par-dessus tout. Il n'y a rien d'aussi pénible que de vivre ensemble dans une sorte de mésintelligence. Avec cela on en a bien vite assez de l'Afrique et l'on perd tout goût et tout entrain. Heureusement que cela va bien chez nous. Quant à la vie religieuse, nous tâchons de faire de notre mieux nos exercices de piété et nos retraites. "

N'est-ce pas le scolastique et le novice à la légende d'extrême bonté, qui reparaît dans ces ligues, comme précédemment celui de l'accomplissement fidèle de ses charges, dans le missionnaire zélé, tout dévoué aux oeuvres confiées à ses soins par ses Supérieurs ! Et quelles réflexions pleines de vérité, de sagesse, de conseil éminemment pratique et dont on devrait toujours s'inspirer, en communauté de Mission surtout !

La pensée du Vénérable Père, aimé et invoqué, était aussi là, qui le suivait fidèlement. " Nous tâchons, écrivait-il encore, de faire de notre mieux pour réaliser la belle devise de notre Vénérable Père : " Ferveur, charité, sacrifice. " Espérons que le bon Dieu bénira nos efforts et répandra ses grâces sur nous tous. Ces lignes sont les dernières qu'il ait adressées à son cher et vénéré Vicaire apostolique, dont le souvenir s'unissait à ses prières, comme il lui en donnait l'assurance.

Qui n'eût présagé avec bonheur, pour ce jeune ouvrier de la première heure, de longues années de labeur et de riches moissons apostoliques dans cette vigne zanguebarienne, où se révèlent tant de Bulots de consolantes espérances? Eh bien! non; il devait être, quant à la récompense, un de ces travailleurs, à la courte échéance de la onzième heure.

Le 2 août 1910, sous le coup d'une profonde douleur, le P. Dürr adressait à Mgr Vogt les lignes suivantes : " Jusqu'ici n nous avions été les enfants gâtés de la Providence; aujourd'hui, malheureusement, il semble que ce ne soit plus ainsi. Un malheur terrible est venu frapper la communauté d'Ufiomi: le cher P. Martin Streicher n'est plus de ce monde. Le bon Dieu l'a rappelé à lui après neuf jours de maladie. En quoi cette maladie a-t-elle consisté, au juste ? Je n'ai pu le savoir et lui-même n'a su s'en rendre compte. Voici, en quelques mots, comment les choses se sont passées. J'avais envoyé le Père avec des porteurs chercher des charges et lui. avais permis d'aller jusqu'à Ilonga, station qu'il ne connaissait pas. Il rentra à Ufiomi le 21 juillet, le soir à 7 h. 1/2. Il avait l'air un peu fatigué. Le lendemain, nous visitâmes ensemble les champs, le jardin, la basse-cour. Le cher Père ne causait pas beaucoup, ce qui n'avait rien que dé très ordinaire chez lui, car il n'a jamais été fort parleur. L'après-midi, il paya les porteurs et se livra à d'autres occupations. Le 23, au déjeuner, il me fit part d'un état de souffrance caractérisé par des vomissements. Je l'engageai à se coucher et nous nous mîmes à le soigner de notre mieux. Mais impossible de découvrir le siège du mal et d'en reconnaître d'une façon précise le caractère. A toutes mes questions, il répondait : " Je n'ai rien; je ne souffre d'aucun organe." Son état ne s'améliorant pas, je l'entendis en confession le mercredi 27, et les jours suivants il reçut l'extrême-onction et le saint viatique. Le samedi dans l'après-midi, il s'est endormi profondément. Le dimanche 31, il était toujours dans le coma. Vers 3 heures, le F. Timothée m'appelle et je cours auprès du cher malade. Je lui donnai de nouveau l'absolution et commençai les prières des agonisants. Peu après le cher Père n'était plus.

En résumé, jamais le cher Père n'a donné un signe d'une souffrance localisée quelque part - jamais il ne s'est plaint. Il n'a jamais rien demandé, il restait les yeux fermés et ne disait rien. " Le cher défunt a été enterré le 1er août, à 11 heures. Cette mort a produit un grand effet sur les sujets de la Mission et les habitants du pays.

" Qu'ajouter encore? Cette mort est une grande perte, et pour la Mission d'Ufiomi et pour tout le Vicariat. Du cher défunt on peut dire : Consummatus in brevi explevit tempora multa. Il avait de nombreuses et excellentes qualités qui le faisaient aimer des Noirs et de tous ses confrères. Il était d'un dévouement et d'une obéissance à toute épreuve. Jamais je n'ai eu à me plaindre de lui, mais bien au contraire, à m'en louer. Prions pour ce cher Père. Adorons et bénissons la très sainte volonté du bon Dieu. " (Lettre du 2 août 1910.)

A ces dernières lignes, ajoutons un dernier mot de Mgr Vogt: " Je ne crois, pas exagérer, écrit-il, en disant que le cher P. Streicher a été un modèle de bon confrère. (Lettre du 4 août 1910.)
Z . Z.

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