Albert Sundhauser avait 18 ans quand il entra, en octobre 1855, dans la Congrégation du Saint-Esprit. Prêtre en avril 1862, il partait à la fin de la même année, avec deux compagnons, pour établir un collège dans l'île anglaise de la Trinidad; le collège de la Martinique avait obtenu de si beaux succès en deux ans que les îles voisines réclamaient des oeuvres semblables. Le collège de la Trinidad connut, dès les premières années, une magnifique prospérité due, pour une grande part, au P. Albert Sundhauser. Après dix ans de travail à Port-d'Espagne, le Père passa à la Martinique comme préfet de discipline. Il en revint en 1877 pour diriger le collège de Langonnet, et prendre en mains, en 1880, le collège de Ram­bervillers, devenu, en octobre 1888, le collège d'Epinal. Il fit merveille dans les Vosges et sa réussite fut entière, Il mourut trop tôt, le 5 février 1890, à l'âge de 53ans.

C'est à cette date que le P. François-Xavier Sundhauser allait commencer son apostolat. Comme l'oncle, le neveu fut professeur ou supérieur d'institutions scolaires pendant toute sa vie. S'il fallait apprécier leur action respective, la comparaison serait peut-être à l'avantage de l'oncle. C'est la même ardeur pour le bien, mais avec une pointe de témérité chez Xavier; homme d'études, il vit un peu au-dessus de l'humanité vulgaire et ne connaît pas toujours les ménagements de cette prudence qui sait voiler une part de la vérité pour ne pas déplaire.

Il naquit à Kaysersberg, le 16 novembre 1864. Entré un peu plus tard, à 18 ans, dans la Congrégation, il débuta en quatrième an petit scolasticat de Merville. Ses études classiques achevées sans incident, il passa en philo­sophie à Chevilly, en octobre 1886, puis en théologie au Séminaire Français de Rome. Une des grandes bénédictions de sa vie fut d'avoir comme pro­fesseur le futur Cardinal Billot, alors dans tout l'éclat de son enseignement. Toute sa vie il gardera pour ce maître une affectueuse vénération. Le jeune Sundhauser subit sans réserve l’ascendant de cette intelligence supérieure et il s'attacha à son professeur comme à la vérité qui restera l'unique attrait de son âme. C'est au pied de cette chaire qu'il trouve sa voie; c'est là qu'il apprend à tout sacrifier au bien de ses élèves. En effet, s'il aime la vérité, c'est pour la transmettre à d'autres. Toujours à l'exemple du P. Billot, il s'efforcera d'être lumineux dans son enseignement et ne sacri­fiera jamais au désir d'exposer de belles théories si elles ne peuvent éclairer les plus humbles de ses auditeurs. Il aimera les solutions simples et ne connaîtra que le dogme tel qu'il est enseigné par l'Eglise, sans souci des doctrines trop particulières des écoles théologiques.

Il fut ordonné prêtre à Rome, le 20 septembre 1890. Un mois plus tard, nous le trouvons au noviciat de Grignon, où il émettait ses premiers vœux, le 10 août 1891.

Au Scolasticat de Chevilly, la chaire de dogme avait été laissée vacante par le départ du P. Michel qui entrait chez les Chartreux. Le P. Michel avait été un maître très brillant, aimé et admiré de ses élèves. Il était toujours prêt à répondre aux objections les plus diverses.

Le P. Sundhauser, lui, cherchait uniquement à rendre ses Scolastiques capables d'enseigner la doctrine catholique. A chaque cours, il faisait d'abord réciter la leçon, dictait eu quelques lignesun i résumé de l'auteur qui était alors Hurter, traduisait sa dictée avec un souci extrême de pré­cision, enfin expliquait la prochaine leçon. Ce n'était pas le genre du P. Billot, mais c'était son esprit.

Trois années durant, il enseigna ainsi la théologie : il s'y fatigua. Aux vacances de 1893, on cherchait un professeur de philosophie pour Merville : il accepta ce poste, laissant à l'un de ses élèves, le P. Decaillet, sa succession à Chevilly.

De Merville, il fut envoyé l'année suivante à Epinal, an collège Saint­ Joseph, où il resta jusqu'en 1903, quand la Congrégation fut chassée de cette maison, Il y enseigna la philosophie et prépara la seconde partie du baccalauréat. Ce fut la période de ses plus beaux succès; ses élèves, en effet, réussissaient à merveille aux examens tant leurs notions étaient précises, exactes et nettes,

En 1903, le P. Sundhauser est appelé an Séminaire des Colonies, puis, en 1904, à Gentinnes, en Belgique, où s'étaient réfugiées les écoles secon­daires de la Congrégation après leur expulsion de France. D'abord pro­fesseur de philosophie, il est ensuite nommé supérieur, en 1909.

A la tête d'une maison formant des aspirants à l'apostolat lointain, il procède en homme pratique selon la méthode rigoureuse qu'il a employée dans son enseignement : il subordonne tout à la fin.

« Nous sommes obligés, dit-il, de nous adapter aux exigences créées par la persécution religieuse. L'éducation proprement dite prime tout autre souci et demande les soins les plus urgents et les plus dévoués. C'est pour cela que le personnel tout entier s'adonne, dans les diverses fonctions, à l’œuvre de la culture morale des âmes. L'indifférence a entamé les familles. L'école primaire est neutre ou hostile : les enfants ne reçoivent plus avec le lait - du moins plus aussi abondamment que par le passé - la saine doctrine et la tenue de l'honnête homme et du chrétien. Il faut, bien souvent, reprendre à fond tout le travail, quelquefois restaurer en toute patience avant de pouvoir cultiver.

« Dans ce but, nous habituons nos enfants à vivre d'une vie de grande honnêteté, de dévouement, de solide, piété, d'abnégation et de sacrifice, les préparant à devenir plus tard de saints et vaillants missionnaires. »

Il contribua ainsi, pour une grande part, à établir sur des bases solides l'esprit de cette maison de Gentinnes.

On put constater les fruits de cette vieille éducation en 1914 : ces jeunes gens de France, isolés en Belgique, en région occupée par l'ennemi, surent faire face à tous leurs besoins. Avec leurs maîtres, ils se mon­trèrent vraiment héroïques.

Mais pendant la guerre le P. Sundhauser était au Canada. Il y avait été envoyé en 1912 pour aider à la fondation d'un collège. Cette fondation connut bien des aléas; or rien ne répugnait tant à la nature bien ordonnée du Père que les changements, les secousses, les heurts, les adaptations sans but bien défini. Il s'y dévoua, mais ne fut pas fâché de revenir en France.

- Il arriva en août,1918. La victoire émut son vieux sang alsacien. En philosophe, il médita sur les causes de tous les événements, et la leçon qu'il en tira fut une confiance accrue dans la Providence divine. Pour lui, les chefs de nos armées étaient les envoyés de Dieu, et les boulever­sements qui suivirent, l'expression même de la justice du Tout-puissant. Il ne se fit pas faute de le dire bien haut.

Retenu à Paris, à la Maison-Mère, il donna, le 12 janvier 1919, le sermon de notre pèlerinage annuel à Notre-Dame des Victoires. Il s'en acquitta si bien que le curé l'invita à prêcher les réunions de l'Archicon­frérie du Saint-Coeur de Marie, les deux autres dimanches du mois.

Pendant un an, il fit du ministère dans la capitale.
En 1919, le Séminaire des Colonies vit le retour de ses élèves dispersés par la mobilisation. Leur premier directeur fut le P. Le Hunsec, qui revenait de Dakar. Mais Mgr Jalabert avant péri dans le naufrage de l'Afrique, Mgr Le Hunsec fut appelé à le remplacer, et c'est au P. Sund­hauser que fut confié le poste de la rue Lhomond. Au mois d'octobre suivant, il dut encore assurer les cours de dogme. mais ne pouvant suffire à tout, il abandonna la direction générale pour se consacrer uniquement à ses cours. Pendant trois ans, il s'acquitta de cette besogne. A la rentrée de 1924, toujours pour rendre service, il accepta, en plus de ses cours, une partie des conférences aux élèves; mais, an bout de cinq mois de ce régime, il dut céder.

Il avait soixante ans, et trente-trois années d'un labeur assidu l'avaient puisé.

A partir de cette époque et jusqu'à la retraite définitive, il occupa divers emplois secondaires auxquels il se livra avec sa fougue coutumière. Envoyé à Monaco pour s'y reposer, il remplit divers petits ministères. En novembre 1927, il succéda, à Fribourg, au P. Decaillet qui venait de mourir. La charge de supérieur de cette maison, de peu d'importance pourtant à cette époque, était encore trop lourde pour la santé délabrée du Père. Ou le nomma aumônier du Noviciat des Sœurs Missionnaires du Saint-Esprit, à Béthisy-Saint-Pierre, dans le diocèse de Beauvais. Puis il revint à Monaco, où il fut aumônier du Pensionnat des Dames de Saint Maur, De là, il passa à la Procure de Marseille comme compagnon du P. Procureur. Enfin, il arriva à Langonnet, où il vécut sept ans encore en se préparant à la mort dans le travail.

Il avait gardé un excellent souvenir de toutes les maisons où il avait passé au cours de sa longue vie. Si certains se plaignent de leur demeure, de leurs occupations, du milieu, du pays, c'est qu'ils ne veulent pas reconnaître que le seul moyen d'être heureux est de s'adapter aux cir­constances, sans attendre que les circonstances s'adaptent à leurs propres goûts on à leurs propres désirs. Le P. Sundhauser eut cette sagesse et fut heureux partout. Il le proclamait lui-même avec conviction. Ainsi en fut-il encore dans sa retraite de Langonnet.

Il se fixa un règlement auquel il resta fidèle jusqu'au bout. A 4 h. 30, on frappait à sa porte pour le réveil. La dernière fois qu'on voulut lui rendre ce service, on le trouva mort dans son lit. Il disait sa messe à 5 heures, puis s'acquittait de ses exercices de piété. De retour dans sa chambre, il se mettait au lit, car il souffrait des jambes, et il travaillait jusqu'au repas, à 11 h. 30. Vers 2 heures de l'après-midi, on le voyait sortir, interroger le ciel d'un regard inquiet, s'éloigner enfin, appuyé sur son parapluie en guise de canne. De cette promenade recommandée par le médecin, le Père en avait fait une espèce d'exercice de règle. Il avait établi un cycle qui fixait un but déterminé pour chaque jour de la semaine : petit pèlerinage a une chapelle de sa dévotion ou visite de charité. Quand il était empêché de sortir, il égrenait son chapelet le long du corridor, saluant d'un signe de fête ceux qu'il rencontrait. Puis il rentrait dans sa chambre pour s'y occuper jusqu'au soir.

Il avait remarqué un manque de méthode chez les religieuses chargées de communautés et chez les maîtresses des novices en particulier. Il entre­prit donc de composer pour elles un cours complet et méthodique d'allo­cutions où seraient exposées les grandes vérités qui dominent et animent la vie spirituelle, sans toucher cependant à la vie mystique. Il écrivit ainsi 186 conférences de six pages chacune. Ces six pages réglementaires évoquent parfois cruellement le lit de Procuste.

Après une première rédaction, il jugea bon d'en composer une seconde, puis une troisième. Chacune de ces reprises lui donnait l'occasion de mieux saisir et de mieux embrasser son sujet.

Son oeuvre est bâtie sur un concept qu'il tenait du P. Billot : la parabole du bon Samaritain renferme tout le plan de la Rédemption. Système bien ingénieux, sans doute, mais quelque peu factice. A la lecture néanmoins, la parabole apparaît bien comme le fil conducteur qui ne nuit en rien à l'harmonie de l'ensemble.

Tout ce qui est dit dans ces conférences est simple et conforme à la plus stricte doctrine de l'Eglise. On y trouve des citations de l'Imitation, du Combat spirituel, de La Vie dévote, des Elévations et Meditations de Bossuet, des lettres du Vénérable Père et des écrits des meilleurs auteurs ascétiques modernes. Le ton est celui d'un Père qui se met à la portée de ses enfants dans la Foi; mais l'ancien professeur de dogme reparaît dans l'appareil des divisions et subdivisions, un peu subtiles parfois.

Ainsi le P. Sundhauser revivait sa vie entière, depuis ses premières études théologiques, jusqWau moment où. le bon Samaritain vint le prendre pour le transporter à l’hostellerie céleste, la vraie patrie de l'âme rachetée.

La mort vint le prendre sans le surprendre, taudis qu'il dormait paisi­blement. Au matin du 19 janvier 1944, on le trouva inanimé, sans trace d'agonie, sans aucune altération des traits, fidèle en son dernier repos au symbolisme de toute sa vie : l'amour de la vérité dans la doctrine révélée. C'est dans cet amour qu'il trouva une joie toujours égale, car la vérité ne change pas.
A. C.

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