Monseigneur Louis TARDY,
1882-1947.


Louis Tardy est né le 21 décembre 1882 à Saint-Pierre-de-Bressieux. Cette modeste famille artisanale avait une illustration bien à elle ; outre plusieurs prêtres et religieuses, elle comptait trois évêques : Mgr Bonnet né à Langogne en 1835, évêque de Viviers de 1876 à 1923 ; Mgr Servonnet né à St-Pierre-de-Bressieux en 1870, archevêque de Tours de 1897 à1909 ; et Mgr Champavier.né à St-Pierre-de-Bressieux en 1866, évêque de Marseille de 1923 à 1928.

Au petit séminaire de la Côte-Saint-André, Louis Tardy fut un bon élève, moins soucieux d'émulation que curieux de savoir et capable d'approfondir. Réservé et timide, il avait une âme très droite et sans complications ; une piété stable, d'ailleurs, gouvernait déjà sa vie. Son frère aîné appartenait aux Missions Africaines de Lyon et se trouvait déjà en Côte d'Ivoire. Louis opta personnellement pour les Pères du Saint-Esprit. A cette occasion, le supérieur de La Côte-Saint-André, le chanoine Gautarel, le recommanda chaleureusement : "Ce candidat est une nature d'élite. Vous pouvez l'accepter les yeux fermés et il vous donnera pleine satisfaction." Cette prédiction ne fut pas démentie.

Profès en 1905, il fut envoyé à Fribourg où l'on venait de fonder en Suisse une maison spiritaine d'études universitaires. Le séjour était bénéfique à sa santé, le pays ressemblait au sien, les maîtres avaient de la renommée. Il y termina ses cours, fidèle à sa ligne d'élève appliqué, réussissant bien, d'allure à la fois douce, délicate, distinguée et, par là, exerçant une certaine attirance. Mais on continuait à dire de lui : petite santé.

Prêtre en 1908, il reçut en 1909 son obédience pour le Gabon. Mgr Adam l'envoya à Ndjolé, poste fondé en 1897 sur la rivère de l'Ogooué, au delà de Lambaréné. Contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, son acclimatement physique et moral fut prompt et se passa bien. Il n'essaya pas de voir les choses en beau ni de se payer de mots : il se plaça d'emblée devant le réel. Dès le début, le Père Tardy prit une excellente méthode d'adaptation, et sans doute l'apprit-il du Père Martrou, son premier supérieur, son futur évêque, qui fut un savant et un saint. Il se dit que, comme l'art, comme la science, la vie en mission a ses problèmes, ses joies et ses consolations. Mais plusieurs passent à côté de celles-ci parce qu'ils ne se sont pas donnés entièrement à elle, et qu'ils lui apportent des préoccupations venues d'ailleurs. Le jeune Père Tardy ne commit pas cette erreur et il apprit à vivre, dans son cadre, la vie que sa vocation lui avait assignée.

Dans sa troisième année de mission, il devint supérieur de Ndjolé. On ne lui avait pas demandé son avis et il n'y avait guère à choisir : il accepta sans faire de manières. Un peu plus tard, il fut désigné comme conseiller du Vicariat. "Conseiller aulique, plaisantait-il : songez que pour assister à une séance de ce Conseil, il me faudrait un mois et demi de déplacement et encore que ce fût la saison des bateaux." Sa place était acquise et sa réputation faite : on le déclarait bon missionnaire, homme de devoir et charmant confrère. Sa santé seule restait le point faible, semblait-il, à cause de sa maigreur.

La guerre, entre temps, était venue et, dès le début, elle s'étendit aux colonies. Mobilisé dès les premiers jours, le P. Tardy servit comme aumônier dans la colonne du Gabon qui attaquait par le Sud la frontière du Cameroun où se massaient les Allemands en retraite. Dès 1916, les hostilités se trouvèrent terminées de ce côté et déjà notre missionnaire avait repris son poste à Ndjolé ; mais cette courte campagne l'avait renseigné sur les populations du Nord de la colonie et sur l'urgence qu'y créaient pour nous les entreprises protestantes. Dans l'entrefaite, Mgr Adam s'était retiré. Le Gabon avait pour évêque Mgr Martrou, et le chiffre des chrétiens montait partout d'une façons inespérée, en pleine contradiction avec ce qu'eût pu faire craindre le trouble de la guerre.

Lorsque vinrent l'armistice et la paix, le P. Tardy rentra en France. L'homme frêle avait tenu, pendant dix ans consécutifs, en un poste qui se situait juste sous le zéro équatorial, et il n'en revenait pas, extérieurement, trop démoli.

Il se trouvait au repos dans notre maison de Monaco lorsqu'on eut besoin de pourvoir à la nomination d'un directeur pour le grand scolasticat de Chevilly. Le choix tomba sur son nom. Mgr Martrou consentit à le céder "pour un plus grand bien." Cette fois c'est le P. Tardy qui fit le plus d'objections, car c'était toute sa vie qui changeait d'axe, et les responsabilités lui apparaissaient considérables. C'est ainsi qu'en 1921 il prenait en main un Séminaire de deux cents élèves qui revenaient de la guerre : "Une cuvée en fermentation" disait-il parfois. - Le respect, le P Tardy l'eut d'emblée et complet, car il était l'intégrité en personne. L'influence vint avec le temps. Beaucoup de ses anciens ont avoué ; "Nous nous retenions de lui faire de la peine. Sa parole ne nous eût peut-être pas convaincus, car il n'avait pas le don oratoire, mais sa bonté nous dominait et nous lui savions gré de nous traiter en hommes."

Ainsi se passèrent cinq. années, où il ne se fit aucune perte bien sen' sible et au cours desquelles le progrès des effectifs continua sa marche ascendante. C'est à ce moment que l'évêque du Gabon vint à mourir ; et les missionnaires consultés sur le successeur à donner à Mgr Martrou firent bloc sur le nom de leur confrère, le Père Tardy. Ce simple fait en dit plus long que des commentaires sur l'estime qu'on faisait de lui.

Le sacre eut lieu à Paris, dans la chapelle de la Maison-Mère, rue Lhomond, le 25 janvier 1926, sous la présidence du Cardinal Dubois, avec Mgr Champavier, de Marseille, comme prélat consécrateur. Ce ne fut qu'à l'automne de cette même année que Mgr Tardy rejoignit son poste, et le Gabon lui fit un accueil triomphal.

L'épiscopat de Mgr Martrou, malgré la guerre, avait vu ce qu'on peut appeler le premier démarrage de la Mission. En 1913, au moment de son sacre, le Gabon n'avait encore que 15.000 chrétiens, et encore à peine, en dépit d'un apostolat de soixante-dix ans. On avait fondé peu de postes, mais on avait amplifié largement l'action des catéchistes et celle des écoles. Le séminaire indigène avait pris une existence stable, mieux organisée. Presque spontanément, une congrégation de Sœurs du pays était apparue. Toutes ces heureuses modifications n'avaient pas tardé à fructifier et, en 1926, la Mission passait à un total de 30.000 chrétiens.

Mgr Tardy se mit immédiatement à l'ouvrage et porta son attention sur les vides de son. échiquier épiscopal. Vers le nord, il y avait une région sans missions, où s'étaient établis des postes civils et militaires et même des fondations protestantes. On allait s'y trouver dépassés. Coup sur coup, on vit se fonder ou s'amplifier trois postes catholiques : Midzik, à mi-route de la frontière ; puis, plus au nord, Oyem, avec son annexe de Bitam. Ce furent les vieilles stations de l'Ogooué qui fournirent provisoirement les catéchistes : il en vint d'un seul coup plus de cent. Oyem, le centre principal, au bout de six ans de fondations, avait déjà près de 5.000 baptisés.

Le Sud de l'Ogooué n'avait pas attendu ces résultats pour réclamer à son tour des fondations nouvelles. Mgr Tardy se rendit en personne sur le pays et l'on fonda la station de Mbigou, par la suite transférée à Dibwangui, qui fut comme une métropole de la tribu importante des Ndjavis. De là, on pouvait atteindre Koularnoutou et Lastourville, mais il y fallait dix jours de marche extrêmement durs. Peu à peu, par une chaîne de postes chrétiens et par des pistes qui allaient s'élargissant, Franceville se trouva relié quelque peu au reste du monde. Tout cela avec la collaboration très appréciée des Sœurs indigènes.

Sous la direction des Pères Fauret, Neyrand, Berger, le Séminaire indigène allait bien et les Missions voisines de Loango et de Brazzaville, lui montraient de l'estime en lui confiant leurs jeunes clercs. Mgr Tardy se gardait d'en changer la marche ou d'en modifier l'ordre : il n'était pas de ces chefs d'année qui empiètent sur les attributions de leurs sous-lieutenants.

Vers ce même temps, le Gabon qui, à certains égards, est une colonie riche, connut une ère de prospérité financière qui put faire croire un instant à un essor définitif. Ce fut le règne des coupes de bois, qui exigèrent le développement des ports d'embarquement, surtout celui de Port-Gentil. La fondation d'une Mission s'y imposait. Le Père J.B. Barreau fut bien le curé qu'il fallait. Après la construction de la cure et de l'église, il eut le mérite de ne pas désespérer d'une chrétienté aussi disparate, aussi mouvante, et il sut y créer ce petit noyau de fidèles éprouvés qui suffit partout non seulement à encourager les apôtres, mais à enfanter par la suite les éléments d'une paroisse.

Toutefois, la tâche spéciale que s'imposa Mgr Tardy, fut celle de la visite annuelle de tout son Vicariat, qui correspondait alors à l'ensemble du Gabon (les diocèses actuels de Mouilla, Oyem et Franceville datent de 1959, 1969 et 1974). Et, en dépit de sa santé toujours limitée au suffisant, il y fut fidèle toute sa vie.

Après un séjour en France, les six années nouvelles furent une période d'affermissement et d'approfondissement dans l'évangélisation générale du Gabon. Le déplacement devenu nécessaire de la mission de l'Okano servit à amorcer la fondation de Makokou en 1947. Franceville se développait et se dédoublait ; Saint-Martin atteignait le poste lointain de Ndendé, à six jours de son centre. Mbigou avait des catéchistes jusqu'à Lastoumville, et Oyem jusqu'au delà de Mimvouli. Le total des baptisés était passé de 30.000 à plus de 70.000, et on comptait plus de 1.600 postes de catéchistes et moniteurs.

En 1938, lorsque Mgr Tardy rentra en France pour le Chapitre . général, il était assurément l'un des grands hommes de l'A.E.F.. Mais déjà l'on parlait de la guerre, et l'agitation provocante venue du nazisme allemand rendait celle-ci imminente.

On sait que cette guerre débuta par une année d'attente fiévreuse où l'on s'attendait au pire et où il n'arrivait rien. Puis ce fut, au terme de l'attente, la défaite foudroyante, la France vaincue et douloureusement partager en deux tronçons d'inégale importance, rapidement séparés par un antagonisme incurable. En A.E.F., ce fut à Douala et au Gabon que naquit le mouvement de la Résistance. On ne comptait, dans toute l'étendue de la colonie, que 5 à 6.000 Français ; l'option leur fut immédiatement proposée et chacun eut à prendre position. Traités pour la première fois en personnages officiels, les chefs des Missions durent adopter sans délai une attitude. Quand Mgr Tardy eut à répondre, il fut le seul à dire clairement un non qui parut ferme et sur lequel il ne devait pas aisément revenir. Or la Résistance de Brazzaville prescrivit au gouverneur du Gabon de se rallier au mouvement. Le gouverneur Masson obéit tout d'abord, mais les colons étaient divisés et l'adhésion du gouverneur fut combattue. C'est alors qu'il consulta Mgr Tardy, et celui-ci ayant conseillé le loyalisme envers la Métropole, M. Masson revint sur sa parole. On résolut alors d'intervenir par la force et les troupes gaullistes durent faire la conquête du Gabon. Il y eut bataille en plusieurs endroits, entre autres à Lambaréné, où le Père Talabardon fut tué. Libreville fut pris f e 11 novembre 1940 et à la suite de ces faits, Mgr Tardy, devenu otage de guerre, fut emmené à Lambaréné, où il resta six semaines en résidence surveillée, logé à la Mission, et exempt de tout sévice particulier. A la fin de l'année, sa captivité relative prit fin et il rentra à Libreville dans ses fonctions. La vie de la Mission continua dès lors, aussi exempte que possible des fluctuations de la guerre et de la politique.

En 1946, un assez long évanouissement de Mgr Tardy fit comprendre qu'il devenait urgent de hâter son retour en Europe. Lors de son passage en Bretagne, à la clinique de Malestroit, il fut opéré de l'estomac: on discerna un cancer déjà ancien. En convalescence à Chevilly, il y décéda le 27 janvier 1947. A ses obsèques la France était réconciliée : y assistaient l'ancien gouverneur de l'A.E.F., M. Boysson, tenant du Maréchal Pétain et un officier supérieur représentant du Gouvernement de la France libérée.

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