Père Constant TASTEVIN
décédéle 25/09/1962 à 82 ans


Profès des vœux per­pétuels, décédé à la Maison-Mère, le 25 septembre 1962, à l'âge 82 ans et après 61 années de profession.

Malgré son nom bien français, le P. Constant Tastevin était « breton­-Bretonnant, » étant né à Lorient, le 21 février 1880, et ayant été élevé Pont-Scorff, puis à Cléguer, dont le recteur orienta sa vocation vers notre apostolique de Seyssinet. Après son noviciat et un an de philosophie à Chevilly, il fut envoyé au Séminaire Français de Rome, pour y poursuivre ses études cléricales à l'Université Grégorienne; il y conquit le doctorat en philosophie, et mérita même, en 1903, la médaille d'or pour thèse sur l'Inspiration de la Sainte Ecriture.

Après son ordination sacerdotale, le 2 août 1904, ses dispositions et succès lui valurent d'être envoyé à l'Ecole Biblique, que les Pères Dominicains avaient ouvert, peu avant, à Jérusalem. Cet établissement devait rendre à la science biblique catholique d'éminents services, mais on était alors en pleine crise moderniste, et l'enseignement qu'on y dispensait passait pour audacieux, voire téméraire. Aussi le jeune P. Tastevin, à son regret, fut-il rappelé en France au bout de quelques mois, et, après sa consécration à l'apostolat, expédié au fin fond du Brésil, en Amazonie, où, semble-t-il, ses études supérieures et ses diplômes ne lui seraient pas ne grande utilité ! Il est vrai qu'il avait lui-même exprimé une préféren­ce pour cette lointaine mission, nouvellement confiée à la Congrégation Saint-Esprit et bien différente de celles où elle travaillait déjà. C'est donc avec entrain qu'il s'adonna au ministère itinérant le long des rives du Jurua et des autres affluents du Haut-Amazone, ne se contentant pas de s'adresser aux Blancs et aux Métis, mais entrant en contact avec Indiens, apprenant leurs langues, vivant avec eux et les accompagnant dans leurs déplacements.

La guerre de 1914 provoqua son retour en France. Simple brigadier il servit dans l'artillerie, puis comme infirmier-brancardier, et enfin comme interprète du contingent portugais. Il s'en tira sans mal ni blessure. avec le grade de maréchal-des-logis et la Croix de guerre avec citations.

En 1919, il repart pour le Brésil et reprend son ministère, mais ajoute des travaux cartographiques, linguistiques et ethnographiques orientés par le Professeur Rivet, du Musée de l'Homme, et subventionnés par le Gouvernement français. Il fait paraître une grammaire et un dictionnaire de la langue tupy et publie de nombreux articles dans les revues ­scientifiques, ce qui lui vaut, avec l'estime du monde savant, les Palmes académiques.

Sur le plan religieux, il est nommé Vicaire Délégué par son Prefet apostolique, Mgr Barrat. Mais la fatigue et la maladie le forcent à revenir en France en 1926. Il prend part au Chapitre Général qui se tient année-là, et entreprend diverses dêmarches en faveur de sa Mission. insistant pour qu'elle restât confiée aux Pères du Saint-Esprit. Quant à lui, il ne devait plus la revoir...

Ainsi donc, après un séjour de 17 ans dans ce qu'on a appelé " l'enfer vert " c'est-à-dire dans la forêt vierge et le long d'immenses cours d'eau, aux confins du Brésil, du Pérou et de la Colombie, le Père Tastevin revenait, épuisé, mais muni d'une documentation extraordinairement riche, qu'il allait mettre à profit dans de nombreuses conférences et publications et dont la science et les missions bénéficieraient également. Il se fit ainsi une place de premier rang parmi les Américanistes.

Affecté définitivement à Paris, et d'abord rattaché au Secrétariat général de la Maison-Mère, il fut chargé de cours au séminaire du Saint-Esprit et au scolasticat de Chevilly, ce qui lui laissait des loisirs suffisants pour mettre au point ses travaux scientifiques.

En mars 1927, il eut l'honneur d'être invité par Mgr Baudrillart à inaugurer la chaire d'ethnologie à l'Institut Catholique de Paris. il l'occupa pendant trois ans comme titulaire, et ensuite, de temps en temps, comme professeur honoraire.

La nature de son enseignement et les contacts qu'il avait nécessairement, rue Lhomond, avec ses confrères allant en Afrique Noire ou en revenant, firent que son intérêt se porta de plus en plus sur ce continent. Il n'en avait pas une connaissance personnelle et de première main, fruit d'une longue expérience " in situ, " comme celle qu'il avait acquise en Amazonie. Il se documentait, surtout dans les livres et les revues, qu'il épluchait minutieusement, la plume à la main, soulignant les mots et annotant les marges. Africaniste en chambre, il en arriva à se forger, sur l'origine et le mécanisme des langues africaines, des théories originales et non dénuées de fondement scientifique, mais qui, par suite surtout d'une présentation défectueuse et d'erreurs de détails, furent loin de rallier l'assentiment des experts. Ce fut le cas de son livre " La Petite Clef des Langues Africaines " publié en 1946.

Tant d'activité déployée et de science accumulée lui valurent, du moins, de nombreuses distinctions honorifiques, qui le consolèrent de l'incompréhension qu'il rencontrait en certains milieux : quatre médailles d'or de la Société de Géographie, rosette d'officier de la Légion d'Honneur, d'officier de l'Ordre brésilien de la Croix du Sud, d'officier de l'Instruction Publique ; ajoutons-y ses titres de membre de l'Académie des Sciences Coloniales, de professeur honoraire de l'Institut Catholique, de titulaire de la chaire d'ethnologie sud-américaine à l'École d'Anthropologie de Paris, etc.

Cela ne l'empêchait pas de rester modeste et discret, pas plus que son labeur scientifique ne lui faisait perdre de vue sa qualité de prêtre et de religieux Au contraire, il se reprochait jusqu'au tourment de faire si peu en ce domaine ! ses notes personnelles en font foi. Et pourtant, il était toujours prêt à apporter son concours à quelque ministère que ce fût. Il se montra un infatigable aumônier et confesseur de religieuses, surtout à l'égard de la communauté de l'Adoration Réparatrice de la rue d'Ulm, à laquelle il prodigua ses services depuis 1930 jusqu'à sa mort. Sa silhouette menue était familière dans les environs de la maison-mère. Il allait d'un pas vif, presque toujours plongé dans une lecture, au risque de se faire tamponner par les autos, ce qui lui arriva au moins une fois !

Alerte encore, il avait célébré en 1954 ses noces d'or sacerdotales. Le samedi 22 septembre 1962,il rentrant de son ministère de la rue d'Ulm, il ressentit une vive douleur au creux de l'estomac : on diagnostiqua une occlusion intestinale. Le dimanche matin, il reçut en pleine connaissance les derniers sacrements, puis il s'enfonça progressivement dans l'inconscience, qu'il entrecoupait parfois de quelques paroles en breton. Le mardi, il rendait paisiblement son âme à Dieu. Il avait 82 ans.
Père Bouchaud

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