P. François THEVAUX
Décédé à l’île Maurice le 21 janvier 1877
Bulletin Général Tome XI n° 131,p. 588 p. 613


né à Parent (Puy-de-Dôme), diocèse de Clermont-Ferrand, le 15/08/1820 ; premiers vœux à La Neuville, le 21/11/1844 ; vœux perpétuels à Port-Louis, le 27/08/1859 ; décédé à Port-Louis, le 21/01/11877, à l’âge de 57 ans, après 33 ans de profession . Il a travaillé à Maurice du 09/10/1847 jusqu’à son décès ; il est enterré à La Petite Rivière .

La Mission de Maurice et la Communauté de la cathédrale, en particulier, ont été particulièrement éprouvées par la perte du P. Thévaux, décédé le 21 janvier 1877 . Nous devons à la mémoire de ce cher Père, l’un des premiers et des plus zélés compagnons du Père Laval, une notice spéciale . Pour ne pas interrompre la suite des faits relatifs à la Communauté et à ses œuvres, nous la remettons à la fin de ce Bulletin .

Le P. François Thévaux naquit à Parent, diocèse de Clermont (Puy-de-Dôme) le 15 août 1820, de parents chrétiens et vertueux, à qui Dieu a donné dès cette vie, comme récompense de leur piété, une longue et verte vieillesse . En effet, son père, vieux soldat du premier Empire, mourut en 1866 à l’âge de 81 ans, et sa pieuse mère portait encore avec vaillance le poids de ses 80 ans, lorsque notre confrère succomba en 1877, épuisé par ses travaux apostoliques .

Quelques traits de son enfance, conservés avec édification dans les souvenirs de sa famille, annonçaient déjà en lui un e âme forte et généreuse . Il avait à peine une dizaine d’années, M. le curé de St Babel lui faisait la classe, à lui et à quelques autres écoliers . Pendant qu’ils prenaient leurs ébats, l’un de ses petits camarades, en s’amusant, lui porta un coup de pioche qui le blessa au côté droit . Le jeune François ne laissa échapper ni une plainte ni un murmure .

M. le curé de Babel ayant trouvé en lui des marques de vocation, le fit envoyer au collège de Billom . Il en suivait les cours comme externe . Les personnes chez lesquelles il était en pension étaient assez pauvres, ses parents voulurent le placer dans une autre maison où il fut mieux . Mais le jeune écolier répondit à sa mère que ce serait faire de la peine à ces pauvres gens ; que sa pension était pour eux un secours ; et qu’ainsi il préférait rester chez eux .

Quelques mois plus tard, il se fit une forte contusion au genou, et n’y apporta aucune attention. Mais la plaie s’aggravant, on dut le faire transporter à l’hôpital de Clermont . A la première inspection, le médecin déclara que le mal était très grave, et que probablement on serait obligé de faire l’amputation de la jambe . On voulut cependant essayer des cautérisations . Mais à la vue du fer rouge, le pauvre enfant fut tellement saisi de frayeur que l’on dut renoncer à l’opération pour ce jour là . Le lendemain, nouvel essai . L’enfant est complètement changé . A l’arrivée du médecin, il présente lui-même son genou, refuse le secours de l’infirmier, et se laisse cautériser les chairs, sna pousser le moindre cri, sans faire entendre la moindre plainte . (Lettre de son frère, M. F. Thévaux, 9 mai 1877)

Pendant tout le temps de son petit séminaire, il se fit remarquer pas sa piété, sa douceur et son esprit de mortification . C’était la marque d’une vocation déjà bien assurée . Aussi, sur l’avis de son Directeur, entra-t-il avec joie au grand séminaire de Clermont, au mois d’octobre 1839 . Quelques notes, écrites par lui à cette époque, nous révèlent les aspirations les plus intimes de son cœur . « Considère, ô mon âme, se disait-il à lui-même, que le séminaire est uniquement pour les élèves du sanctuaire . Considère combien doivent être droites et pures les intentions de ceux qui viennent y prendre place . Tremble et hâte-toi de réformer tes vues, si tu n’es venu ici qu’avec l’intention d’enrichir tes parents, d’acquérir l’estime des hommes et un rang distingué dans le monde . Je tâcherai de purifier mes intentions, de n’avoir d’autres vues que la Gloire de Dieu et sa plus grande gloire . Tout pour mon bon Maître .

Voici ses résolutions à sa retraite du mois de février 1840 . « 1°. Je ne perdrai jamais mon Dieu de vue ; - 2°. Je m’immolerai continuellement à lui ; - 3°. Je tâcherai de me faire oublier et de traiter durement mon corps, ce corps qui ne pense qu’à lui ; certes je suis bien digne d’être honoré, moi qui suis si abominable, si exécrable ! »

« Je me trouve fort bien au séminaire, écrivait-il à sa famille, et comment pourrait-il en être autrement dans un lieu où l’on vit tout en Dieu ; oh ! que ne puis-je y passer ma vie toute entière ! … »

Dès la première année de son séminaire, il se consacra au Seigneur par le vœu privé de chasteté, qu’il émit avec le consentement de son Directeur . C’était le 12 juillet 1840, jour où se célébrait dans le diocèse la fête du Sacré Cœur de Jésus . Il le marqua dans ses notes de piété comme l’un des beaux jours de sa vie .

Le soin de sa sanctification ne lui faisait pas oublier celle des âmes qui lui étaient chères . Il avait alors un de ses frères sous les drapeaux . Pour le soutenir dans la vertu, au milieu des dangers de la vie militaire, il lui envoya un petit cahier rempli de conseils pratiques parfaitement appropriés à sa position . Rien de plus touchant que ces avis dictés par une affection toute surnaturelle et par une tendre piété. (note du 23 janvier 1840)

Les lettres qu’il adressait du séminaire à sa famille respirent le même esprit de foi et de piété . Il ne manque jamais de profiter de ces occasions pour les porter de plus en plus vers Dieu . -

« Oui, mes bien chers parents, leur écrivait-il dans une de ses lettres, la gloire de Dieu et notre salut, voilà tout ce que nous avons à faire . Ce n’est que pour cela que Dieu nous a créés . La vie passe, le corps périt, mais l’âme subsiste toujours et l’éternité demeure ! Je voudrais vous sauver tous, je voudrais vous trouver tous dans le paradis où j’espère que nous entrerons par les mérites infinis de Notre Seigneur Jésus Christ .



Au séminaire, je puis me sauver facilement ; vous n’avez pas, vous autres , tant de moyens d’y parvenir . Ce sont ces considérations qui me portent à vous donner quelques avis dont vous ne serez pas fâchés. Le bon Dieu m’a donné de bons parents ; oh ! s’ils étaient fervents chrétiens, il ne manquerait plus rien à mon bonheur . »

L’apostolat qu’il exerçait dès lors auprès de ses parents, il le continua d’une manière encore plus parfaite le reste de sa vie . Il leur écrivait de temps à autre pour les soutenir et les consoler, mais en s’attachant toujours à élever leurs âmes vers le Ciel . Son père ayant eu une position nouvelle, qui pouvait lui créer des difficultés pour ses devoirs religieux, il lui écrivait : « Prenez garde, mon bien-aimé père ; montrez-vous généreux chrétien . Pas de respect humain . Il faut au moins avoir autant de courage devant les mauvais chrétiens que vous en avez eu devant l’ennemi . » - Montrez au monde, ajoutait-il dans une autre lettre, que vous êtes les parents d’un missionnaire, et que vous n’attendez pas les consolations du monde, mais celles de Dieu et de son éternité . Que votre conduite soit exemplaire dans la paroisse ! Dans votre pauvreté, vos misères, vos souffrances, soyez résignés à la volonté de Dieu, et portez vos peines pour son amour . »

Du temps où il se trouvait au grand séminaire de Clermont, dirigé par la Compagnie de St Sulpice, il y avait, parmi les directeurs, un des amis dévoués de notre Vénérable Père, M. l’abbé Gamon . C’est par lui spécialement, que notre jeune séminariste connut l’œuvre des noirs . Rien ne répondait mieux aux aspirations de son âme ; et il résolut aussitôt, avec l’un de ses condisciples, le Père Lossedat, d’y consacrer sa vie . Ils écrivirent l’un et l’autre à notre Vénérable Père, qui leur répondit le 12 février 1843, par une admirable lettre, que l’on peut lire dans le recueil de ses lettres spirituelles . (Tome II, p. 342)

Ce n’est cependant que l’année suivante que l’abbé Thévaux put exécuter son généreux dessein . C’est la veille de la fête de St Joseph, le 18 mars 1844, qu’il arriva au noviciat de La Neuville . Il n’était encore que diacre . Il reçut la prêtrise à Amiens, des mains de Mgr Mioland, aux quatre-temps de septembre . Et deux mois plus tard, il avait le bonheur de faire sa consécration dans la Société du St Cœur de Marie, le 21 novembre, fête de la Présentation de la Ste Vierge . Sa piété, sa vertu, sa fidélité à la Règle avaient fait abréger, pour lui, l’épreuve ordinaire du noviciat, à cause des besoins que l’on avait de missionnaires .

Notre Vénérable Père le destinait à la Mission d’Australie, pour laquelle Mgr Brady lui avait demandé des prêtres avec instance . Il s’embarqua à Londres le 15 septembre 1845, pour cette contrée lointaine, avec les PP. Bouchet et Thiersé, et les Frères Vincent et Théodore . Ils y arrivèrent le 9 janvier 1846, et furent envoyés dans le district de King-Georges-Sound . Mais on les y laissa sans argent et sans vivres, de sorte qu’ils éprouvèrent tout ce que la faim et le dénuement ont de plus pénible . En outre, la mission se trouvait toute différente de ce qu’on avait annoncé . Au lieu de 4 millions de sauvages, il n’y en avait pas plus de mille dans leur district . La seule œuvre à tenter, c’était une école, et pour l’établir, ils étaient sans ressources . Dans ces conditions, y avait-il lieu de continuer cette mission ; et ne valait-il pas mieux porter ses efforts sur d’autres points, où les missionnaires succombaient sous le poids du travail .

D’après l’avis de ses confrères, le P. Thévaux se remit en mer pour en conférer avec notre Vénérable Père . Mais le navire à bord duquel ils avaient pris passage, ayant relâché à l’île Maurice, le P. Laval, qui ne pouvait suffire à ses travaux, crut voir à un trait de la divine Providence . Il retint son confrère et il obtint de notre St Fondateur, avec l’approbation de la S.C. de la Propagande, l’autorisation de le conserver auprès de lui . (Vie du P. Laval, p. 316)

A Maurice, en effet, la moisson était des plus abondantes . Deux ouvriers, les PP. Laval et Lambert ne suffisaient pas à instruire les pauvres noirs que l’émancipation venait de jeter, quelques années auparavant, avec leur ignorance et leurs vices, au milieu de la société . Le P. Thévaux se mit à l’œuvre, comme eux, avec cœur et activité . Notre Vénérable Père rendait ainsi hommage à son zèle dans une lette à M. Gamon : « Le P. Thévaux est aujourd’hui avec le bon P. Laval, à Maurice, partageant ses travaux et faisant, comme lui, des merveilles . La belle Mission que celle de Maurice ! Les chapelles s’y élèvent comme par enchantement ; on en compte déjà plus de vingt ; et chacune est un foyer de grâce, qui touche et convertit . » (lettre du 21 janvier 1849)

Les journaux de l’île, le Cernéen et le Pays, ont raconté avec éloge tout ce qu’il a fait pour le bien de la colonie . Voici quelques extraits de leurs colonnes .

« Pendant trente années consécutives, les diverses paroisses de Maurice ont été successivement le théâtre de son zèle apostolique et de son dévouement pour les âmes . Continuellement sur pied, rien ne le rebutait . Il parcourait les quartiers, établissait des réunions, organisait des catéchismes et construisait des chapelles . Ce fut ainsi qu’il construiit les premières églises des Bambous, de Chamarel et de la Petite-Savane . Son activité était prodigieuse . Le dimanche matin, il allait dire la Ste Messe aux Bambous, à cinq ou six lieues de PORT6Louis, il y exerçait le sait ministère, et il revenait en ville prêcher à la messe de 11 heures .

« Les populations de Chamarel étaient restées longtemps sans secours religieux . Il déposa parmi elles des semences si bien fécondées par ses sueurs que l’on en récolte encore aujourd’hui les fruits .

« Le pieux et zélé missionnaire fut vite apprécié par Mgr Collier ; et Sa Grandeur lui confia la cure de Pamplemousses, où il avait été envoyé dès 1853 . L’église qui suffisait à son arrivée aux fidèles ,ne tarda pas à devenir trop petite sous l’action de son zèle . C’est qu’il n’attendait pas que les brebis vinssent le truver au bercail ; il allait lui-même les chercher . Il fallut donc agrandir l’église ; et son activité y réussit en peu de temps . Le succès couronna pleinement ses efforts ; et, même agrandie, l’église se trouva encore étonnée de son exiguïté .

« Ces résultats cependant ne s’étaient pas obtenus sanzs de grandes fatigues, dont les conséquence faillirent amener la perte de l’une de ses jambes, malade depuis son retour d’Australie . Plusieurs médecins furent d’avis de faire l’amputation . Le P. Laval qui était aussi bien médecin du corps que de l’âme, fut, avec le Dr Koenig, d’un avis contraire . Il pensait qu’une guérison était possible sans amputation . Il fallait tout tenter pour obtenir ce résultat ; un prêtre privé d’une jambe, ne pouvait plus exercer le saint ministère d’une manière active . Le P. Thévaux était prêt à tout ce que voudrait son Supérieur . Pourtant il lui demandait ce qu’il lui faudrait rester de temps inactif pour être guéri de cette manière - « Douze mois, dit le P. Laval . - C’est trop, répondit le P. Thévaux, mieux vaut l’amputation ; douze mois sans travailler pour Dieu, non, je ne puis . » - Le P. Laval lui fit comprendre qu’il pourrait parfaitement exercer une partie de son ministère pendant sa convalescence . Le P. Thévaux accepta alors . Il savait du reste de qui tenir en bravoure, et le fils d’un vieux soldat aux armées françaises n’eût pas reculé devant une souffrance corporelle . La guérison eut lieu . Sa jambe resta raide, par suite de l’anchylose ; mais il n’en continua pas moins son ministère comme précédemment . Il dut cependant, à cette occasion, revenir en ville, non sans quitter avec regret le quartier qu’il avait régénéré par son zèle .

« Sa nature charitable et bonne le portait vers les œuvres modestes ; il desservit pendant quelques années l’église de Ste Croix, dans la Vallée des Prêtres . Nous le retrouvons aussi à la paroisse de N. D. de la Salette, à la Grand-Baie, à l’église du St Sacrement aux Cassis, et à l’église du St Cœur de Marie, à la Petite Rivière ; partout, en un mot où il y avait une œuvre chrétienne à créer ou à continuer au pris d’incessants labeurs .

« Digne continuateur de la grande œuvre entreprise par le P. Laval, qui ne l’avait précédé que de quelques années à Maurice, le P. Thévaux, appelé à la Cathédrale, se livra sans réserve aux travaux de la Mission parmi les Noirs . Comme le P. Laval, il aimait les appeler ses chers enfants ; et il se montrait véritablement leur père .

« Son ministère au Port-Louis fut fécond. Il y établit la pieuse association de St Joseph, qui fait tant de bien parmi les ouvriers ; il installa les Filles de Marie, acheta et paya la maison rue de la paix . Lorsque le P. Laval mourut, il s’occupa des prisons, dont il devint l’aumônier . Avec quel bonheur, il remplissait cette fonction ! Il fonda plusieurs écoles pour les enfants pauvres tant à la Ste Croix qu’en ville ; et, pour soutenir ses œuvres, il faisait lui-même les collectes nécessaires à leur existence .

« La plupart des œuvres religieuses de la Cathédrale le comptaient au nombre de leurs Directeurs . Partout, ses vertus lui attiraient tous les cœurs . On aimait en lui la rectitude de son jugement, sa conciliante franchise, son humilité, son inaltérable douceur . » (Le Pays, Journal de Maurice)

En 1866, le T.R. Père le fit venir en France, pour lui procurer un repos de quelques mois, bien nécessaires à sa santé, et lui faire préparer le travail de la vie du P. Laval . La Providence lui réservait aussi à cette occasion, la consolation de porter à son vieux père les derniers secours de la religion. Il donna de sa main le St Viatique, et encouragea sa famille pas ses avis, en y ajoutant l’exemple de ses vertus . Aussi son séjour dans son pays natal laissa-t-il partout une impression de pieuse édification .

A son retour à Maurice, l’année suivante, il reçut de tous l’accueil le plus cordial et le plus empressé, les noirs surtout étaient heureux de revoir leur bon Père, qu’ils avaient vu partir avec regret . C’était pour eux, à cette époque, une consolation d’autant plus sensible qu’un épidémie terrible sévissait alors à Maurice . La ville du Port-Louis paraissait n’être qu’un vaste hôpital . On y évaluait le nombre des malades à au moins 40.000 personnes ; c’était plus de la moitié de la population . Les ministre protestants restaient prudemment enfermés chez eux . « Honte à nos ministres, disaient les protestants eux-mêmes, on ne voit plus dans les rues et auprès des malades, du soir au matin, que des missionnaires catholiques et des religieuses . »

Le P. Thévaux donnant l’exemple à tous, se dépensait sans réserve . Il sut si bien organiser la visite des malades, que presque aucun catholique ne mourait sans être administré ; et il eut, avec les autres Pères, la consolation de baptiser bon nombre de païens et de recevoir dans le giron de l’Eglise beaucoup de protestants, convertis par le touchant spectacle du dévouement des missionnaires . Bientôt, il fut pris de la fièvre et condamné à un repos forcé . Mais les soins qui ui furent prodigués le rétablirent assez promptement, et il reprit avec un nouveau zèle les fonctions du saint ministère . (Lettre du P. Guilmin, 16 avril 1867)

Nommé Supérieur provincial dans nos Etablissements de Maurice, après le départ du R.P. Collin, en 1862, son humilité lui faisait désirer depuis longtemps d’être déchargé d’une telle responsabilité . Il alléguait, à cet effet, son incapacité, ses défauts etc. ; mais un autre motif qu’il apportait aussi, montre les faveurs particulières dont Dieu récompensait sa fidélité à la grâce . Il l’expose ainsi lui-même en ouvrant son âme au T.R. Père avec simplicité, tout en s’abandonnant à sa décision .

« Une autre raison pour laquelle je souhaiterais d’être déchargé de toute supériorité, c’est que je me sens depuis quelques temps fortement attiré par l’esprit de prière et d’union à Notre Seigneur . Depuis mes dernières maladies, mon bon Jésus m’a fait de grandes grâces . Il m’a attiré si fortement à lui, j’ai tant de goût, de complaisance dans l’oraison, que je ne voudrais avoir à faire que cela seul . S’il m’était permis, je me retirerais volontiers dans un désert où je n’aurais qu’à aimer et contempler Notre Seigneur . Cet attrait, ce goût me poursuit sans cesse ; et lorsque j’ai un moment de temps pour me mettre devant Notre Seigneur, je me sens aussitôt fortement attiré pour être tout à lui . Cela dure depuis un an à peu près . Jugez vous-même, mon T.R. Père, ce que je dois faire dans cet état de choses . » (Lettre du 6 juillet 1860)

« Je voudrais, disait-il dans une autre lettre, n’avoir plus qu’à obéir . L’obéissance, l’obéissance ! voilà le point capital . Oh ! si on savait tous obéir, que de bien on ferait et que de mal on éviterait ! … Je ne voudrais pas mourir étant Supérieur ; il me faudrait au moins un peu de temps pour m’occuper de moi-même et me préparer à mourir saintement . » (Lettre des 8 mai et 16 août 1876)

Aussi, quand en 1872, il fut remplacé dans la charge de Provincial, il en exprima au T.R. Père ses vifs remerciements par des paroles qui sortaient vraiment du cœur . Il ajoutait avec une touchante humilité : « Maintenant, mon Très-Révérend et bien aimé Père, permettez-moi de vous demander un grand pardon pour toutes les fautes que j’ai commises dans ma longue supériorité … Enfin, vous avez bien voulu me retirer cette charge trop lourde pour mes faibles épaules ; vous voudrez bien à présent me pardonner toutes mes fautes volontaires ou non, afin que le Bon Dieu ait pitié de moi quand je paraîtrai devant lui . Désormais, je dois m’appliquer à me sanctifier moi-même et à sanctifier les pauvres âmes . Plaise au Seigneur, que je sois plus fidèle ! C’est assurément ma ferme résolution . Mais hélas ! puis-je compter sur moi-même ? Veuillez bien, mon Très-Révérend Père, prier pour moi, qui commence à être un de vos vieux enfants, et qui me ferai toujours un devoir d’être un des plus obéissants et des plus soumis . » (Lettre du 3 mai 1872)

Le bruit du départ du P. Thévaux s’étant répandu à Maurice, à l’occasion de la nomination du nouveau Supérieur provincial, les journaux s’emparèrent aussitôt de la nouvelle et firent paraître des articles pleins d’éloge et en même temps de regret de le voir quitter la colonie . - « Grand émoi, depuis 15 jours, écrivait-il lui-même, je ne suis occupé qu’à démentir le bruit de mon départ, quoi que j’eusse écrit à un des journaux pour l’avertir qu’il s’était trompé . » - Ce fait prouve une fois de plus l’estime et les vives sympathies qu’on avait pour lui .

- Cependant, depuis le commencement de l’année 1876, le bon Père avait été repris d’un fort mal de gorge . Pendant le carême et le mois de maire, il avait dû, à son grand regret, laisser à ses confrères la plus grande part de son ministère ; et vers le milieu de l’année, il se voyait obligé de renoncer à tout travail . A cette époque arrivait à Maurice la circulaire du T.R. Père annonçant l’introduction de la cause de notre vénérable Fondateur . Cette heureuse nouvelle lui fit en quelque sorte oublier ses souffrances . - « Oh ! quelle immense grâce pour nous, écrivait-il au T.R. Père, dans l’excès de son bonheur ! j’en ai éprouvé une si grande joie que je ne pouvais ni prier, ni travailler . C’est le dimanche 6 août, que votre aimable circulaire m’est arrivée, lorsque je me disposais à aller à la prison . Mon cœur débordait . Ma laryngite ne me laissait que tout juste de voix pour dire la Ste Messe à mes prisonniers . Comme je regrettais de ne pouvoir pas dire à mes pauvres enfants tout ce que j’avais dans le cœur ! Pour nous surtout qui avons eu le bonheur de le voir ce bon et vénérable Père, de le connaître, de vivre avec lui ; d’être les témoins de tant de sainteté, de tant de grâces, de tant de vertus ! jamais, non jamais, nous ne remercierons assez notre bon Jésus qu’il aimait tant, notre bonne Mère du Ciel, dont il avait si bien compris et goûté tous les trésors cachés dans son saint et immaculé cœur .

« Je me suis toujours rappelé cette parole que me dit M. Gamon, lorsque j’étais au séminaire, et que notre Vénérable Père, simple minoré, ne pouvait pas aller plus loin . M. Gamon me dit donc un jour : « Qui vivra, verra ; mais je suis intimement persuadé que M. Libermann est appelé à quelque chose de grand dans l’Eglise de Dieu . » Il ne s’était pas trompé . » (Lettre du 6 août 1876)

Le lendemain du jour où il écrivait cette lettre, le P. Thévaux s’embarquait en changement d’air pour Bourbon . Les médecins exigeaient un repos absolu ; et à Maurice la chose lui était bien difficile . On espérait en outre que les eaux de Salazie pourraient avoir pour l’affection dont il était atteint un résultat efficace . Pour lui, il se tenait entre les mains de Dieu, ne craignant rien, ne désirant rien, et ne recherchant que la volonté divine . Voici ce qu’il écrivait au T.R. Père dans une de ses dernières lettres . Elle montrera mieux que ceque nous pourrions dire, quels étaient les sentiments de son âme :

« Que vous dirai-je, mon T.R. Père, si ce n’est que mon âme se confond avec toutes celles de mes chers confrères, de tous vos enfants, pour vous exprimer tout l’amour, toute la reconnaissance et tout le dévouement que nous avons pour vous ? Tous, nous vous aimons, nous vous chérissons, et nous répandons nos âmes devant Dieu, devant Jésus et Marie, par la charité du Saint Esprit, afin que vous viviez de longs jours encore, pour tenir le gouvernail de notre chère famille religieuse, dans les temps difficiles que nous traversons . Nous avons la confiance d’être exaucés, parce que la Ste Vierge est avec nous et pour nous .

« Quant à moi, je suis toujours un pauvre soldat à l‘hôpital, incapable de me tenir sur les rangs. Le médecin a cependant constaté une amélioration, il y a quelques jours, dans l’état de ma gorge ; et de fait, depuis que je suis revenu de Bourbon, j’ai souffert beaucoup moins . Mais n’importe, je sais que le mal existe toujours, et je pense que le Docteur a dit vrai, il y a deux mois : qu’il faudrait un long temps pour la guérison, peut-être un an, deux ans … Dieu seul le sait . Je ne demande rien, je ne désire rien que la Ste Volonté du Seigneur .

« Sur l’invitation que m’en a faite mon Supérieur, le R.P. Guilloux, je vais retourner à Maurice, après avoir passé 4 mois à Bourbon ; j’ai reçu ici, de tous nos Pères, et surtout du R.P. Corbet, l’accueil le plus cordial et le plus fraternel . Tous les jours, j’ai expérimenté toute la douceur du « quam jucundum ! . Pendant quelques temps, j’ai cru que mon pèlerinage allait finir, et j’en étais content . Aujourd’hui comme alors, , je dis et je répète sans cesse : que la Ste Volonté de Dieu soit faite à jamais à l’égard de son pauvre et inutile serviteur ! » (Lettres 16 avril et 5 décembre 1876)

Le bon P. Thévaux revient en effet de Bourbon, plus épuisé que jamais . On craignait que le séjour du Port-Louis ne lui fût fatal . Le P. Guilloux, présumant l’autorisation de la Maison-Mère lui permit d’aller se reposer pour quelques temps dans une maison de campagne de St André, son ancienne paroisse, où M. Jules Langlois, un des meilleurs amis de la Communauté, voulait bien mettre un pavillon à sa disposition . Il y avait une chapelle, il pouvait y dire la Ste Messe tous les matins, et deux Sœurs de Charité, attachées à l’établissement, lui prodiguaient tous leurs soins . - « Cependant, ajoute le Bulletin de Maurice, ne plus vivre en communauté, c’était pour le bon Père, être hors de son élément . Aussi, dès qu’il se sentit un peu reposé, il s’empressa de revenir dans sa chère Communauté de Port-Louis, le dimanche 14 janvier, avec l’intention d’y rester . Mais les visites auxquelles il ne pouvait se soustraire, lui occasionnaient un surcroît de fatigue, et il fut repris de la fièvre . Il dut donc repartir pour St André . Mais le dernier coup était porté, la fièvre ne le quitta plus . Sentant ses forces diminuer de plus en plus, il exprima le désir de voir le P ; Guilloux pour s’entretenir avec lui . Le P. Supérieur se rendit aussitôt, le vendredi 19 janvier, auprès du cher malade, et reçut sa confession . « Je sens, lui dit alors le bon Père, que tout est fini, j’en suis arrivé au point où était le vénéré P. Laval . Du reste, ajoute-t-il d’une voix encore ferme : « Je n’ai pas peur de la mort, je suis prêt . »

« Dans la nuit, la fièvre lente qu’il éprouvait, l’agita beaucoup . Enfin le Samedi 20, nous reçûmes trois télégrammes coup sur coup, le dernier était ainsi conçu : « P. Thévaux, mourant . » Les PP. Guilloux et Guilmin partirent en toute hâte avec M. Langlois . Aussitôt arrivé, le P. Supérieur prépara le cher malade, et lui administra les derniers sacrements, qu’il reçut dans son fauteuil . Quel spectacle solennel et touchant ! C’était beau de voir ce bon et saint missionnaire, n’ayant de parole que pour remercier son Dieu, d’avoir été si bon et d’être encore si miséricordieux envers son indigne serviteur !

« Le cher Père conserva sa connaissance jusqu’à 10 h du soir ; ce n’est qu’un peu avant, qu’il consentit à se mettre sur son lit . Dès lors, il s’affaiblit de plus en plus, et il s’éteignit sans souffrance et sans peine entre les bras du P. Jouan, dans la paix du Seigneur, vers le milieu de la nuit du 20 au 21 janvier, à l’âge de 57 ans .

« Le lendemain était un dimanche . Le P. Jouan, au milieu de la plus grande émotion des assistants, monta à l’autel et annonça qu’il allait offrir le St Sacrifice pour le cher défunt . Après la messe, le corps fut exposé à la chapelle de M. Langlois, puis à 3h. il fut mis dans le cercueil et emporté au Port-Louis, où l’on arriva vers 4 h 1/2 . Une chapelle ardente avait été préparée pour recevoir la dépouille mortelle, dans le logement même qu’avait occupé si longtemps le bon Père, à la Communauté de la Cathédrale . Une foule compacte se pressa dès lors dans la chapelle, elle fut littéralement envahie toute la nuit . Le lendemain, lundi, les obsèques furent célébrées dans la Cathédrale au milieu d’un immense concours de personnes appartenant à toutes les classes de la société . On ne e fait pas une idée de ce qu’il y avait de monde à l’église et sur la place qui l’environne. Ce fut un vrai triomphe pour la religion ; c’est, dit M. Langlois, la plus grande manifestation populaire que l’on ait vue à Maurice, depuis la mort du P. Laval . L’absoute fut donnée par Mgr l’Evêque du Port-Louis qui voulut, malgré la fièvre dont il souffrait alors, rendre cet hommage public à la mémoire de zélé missionnaire .

« Le prélat était assisté du clergé, à peu près au complet, de tout le diocèse, ainsi que des membres des diverses Congrégations religieuses qui y sont établies . Sa Grandeur avait donné elle-même connaissance de la mort au Gouverneur, qui lui envoya ses sentiments de sincères condoléances . Les cordons du poële étaient portés par le Dr Thomas Labauve D’Arifat, M.M. Jules Langlois, Georges Couve, Hyppolite Lemière, Nelzire Charon et Victor Delafaye .

« Après la cérémonie funèbre, le corps fut transporté à la Petite-Rivière, où il repose auprès du P. Lambert, son ancien compagnon de travaux et de combats pour le salut des âmes abandonnées . »

(v. Le Pays ; - Le Cernéen, n° du 23 janvier 1877 ; - l’Univers, n° du 9 mars 1877.)

Le Père François THÉVAUX, 1820-1877

François Thévaux, né à Parent, par Vic-le-Comte, quitta le grand séminaire de Clermont pour rejoindre les premiers disciples du Père Libermann. En septembre 1845, nommé supérieur religieux, il partit en Australie avec 4 confrères, deux pères et deux frères. L'évêque de Perth les envoya à 400 kilomètres pour fonder en brousse des postes de missions. Ce fut une aventure désastreuse, occasionnée par l'impéritie d'un évêque que Rome s'empressa de destituer en 1852.

En 1847, le P. Thévaux, anémié et malade, put rejoindre l'île Maurice et le Père Laval, qui y avait commencé son apostolat en 1841. Il se mit à l'œuvre avec cœur et activité : il fonda les premières églises des Bambous, de Chamarel, et de la Petite Savane. Ce vaillant missionnaire fut vite apprécié par Mgr Collier, qui lui confia la cure des Pamplemousses. L'église qui suffisait aux fidèles à son arrivée, ne tarda pas à devenir trop petite sous l'action du P. Thévaux, qui ne se contentait pas d'attendre les brebis, il allait les chercher. Il agrandit l'église, qui se trouva encore bientôt trop petite.

Son ministère à Port-Louis fut aussi fécond ; il fonda la congréga­tion de St-Joseph, installa les Filles de Marie, acheta et paya la maison de la rue de la Paix. A la mort du Père Laval, il s'occupa des pri­sons dont il devint l'aumônier. Il fonda plusieurs écoles pour les enfants pauvres. Cependant ses forces diminuaient. La fièvre et une maladie du larynx furent les causes qui l'amenèrent à la mort, le 21 janvier 1877. Ses obsèques eurent lieu à la cathédrale sous la prési­dence de l'évêque, assisté du clergé à peu près au complet, au milieu d'un immense concours de personnes, appartenant à toutes les classes de la société, venues de tous les points de l'île.

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