Le Père Alphonse VAQUEZ,
décédé à Liranga, le 14 juin 1909,
à l’âge de 30 ans.


Alphonse Vaquez naquit à Houdan, diocèse de Versailles (Seine-et-Oise), le 19 mars 1879. Son père, Camille Vaquez, remplissait dans cette ville la charge de greffier qu’il tenait de son père, et jouissait parmi ses concitoyens d’une réputation de loyauté que ses convictions religieuses très connues et ses connaissances juridiques rendaient plus estimable.

Ce fut le jour de la fête de saint Joseph que le jeune enfant fit son entrée dans le monde. Le P. Vaquez se plaisait à rappeler cette heureuse coïncidence qui lui valait, disait-il, la protection particulière de saint Joseph. Un prêtre éminent, ami et conseiller de la famille, M. l’abbé Foucault, aujourd’hui évêque de Saint-Dié, voulut être le parrain du premier-né de la famille. Dans un milieu aussi foncièrement religieux, les jeunes années de l’enfant s’imprégnèrent de foi et de vie chrétienne. La grâce de Dieu et ses efforts personnels en firent une âme simple et franche, sérieuse et dévouée. – À l’âge de neuf ans, le jeune Alphonse tomba gravement malade : une fièvre thyphoïde le mit aux portes du tombeau. Cette maladie paraît avoir influé un peu sur ses facultés intellectuelles, car il éprouva dans la suite de sérieuses difficultés dans ses études. Toujours est-il qu’il perdit la mémoire et dut rapprendre la lecture, l’écriture et les premières notions qu’il possédait déjà du catéchisme.

Après sa première communion, Alphonse fut envoyé poursuivre ses études secondaires à l’Institution Sainte-Marie de Tinchebray. C’est pendant son séjour dans cette sainte maison qu’il ressentit les premiers attraits pour la vie apostolique. Voici comment il s’en explique dans une lettre adressée à Mgr le T. R. Père, à la veille de prononcer ses vœux de religion.

“ Ma vocation Monseigneur, ne date pas d’aujourd’hui, ce n’est pas un coup de tête ; de puis longtemps déjà je voulais sauver des âmes, en un mot, être missionnaire. C’est pendant l’année de ma cinquième que je sentis les premiers attraits pour les missions. Comment me vinrent-ils ? Je l’ignore ; toutefois, au lendemain de votre sacre, vous étiez venu à Sainte-Marie nous donner une petite conférence et, là, à votre insu, Dieu s’est peut-être servi de vous pour m’appeler à lui. Que son saint nom soit béni ! ” Pendant sa quatrième, les récits des travaux apostoliques du R. P. Lejeune firent impression sur sa nature enthousiaste et généreuse, et ses désirs de se donner à Dieu devinrent plus pressants.

Dès lors, les yeux fixés sur le but à atteindre, il se prépare à sa future vocation. Les notes de ses maîtres de Tinchebray nous le montrent élève exemplaire, sérieux et dévoué. Seul, son directeur fut pendant deux années le confident de ses pieuses aspirations à la vie apostolique ; plus tard, après la mort de sa mère, sûr de la discrétion de son affectueuse sœur, il la mit dans le secret de sa vocation.

Recueilli par sa grand’mère à Nogent-le-Rotrou, à la mort de sa pieuse mère, la bonne aïeule se chargea de l’entretien et de l’éducation de son petit-fils et filleul. Elle se réjouissait secrètement à la pensée de le voir devenir prêtre dans le diocèse. Aussi bien, ce fut pour elle une rude épreuve, lorsque Alphonse lui découvrit le désir qu’il avait de devenir missionnaire. Néanmoins, elle fit généreusement le sacrifice de ses goûts personnels, devant le désir manifeste de son petit-fils. Nous trouvons des traces de sa tendre sollicitude dans la confection du trousseau qu’elle voulut lui fournir aussi complet que possible, à son entrée au noviciat.

Après sa rhétorique, M. Vaquez sollicita donc son admission au noviciat de Grignon où il arriva le 4 octobre 1898. Pendant cette année il se forma à la vie religieuse et prit de viriles résolutions : “ Saint ou vaurien, lit-on dans une de ses notes, celui qui se donne à Dieu doit être tout à Lui, sous peine de déchoir et de se rendre inutile à son service. ” Ses supérieurs jugeant qu’il avait donné des gages suffisants de vocation sérieuse, il fut admis, le 28 octobre 1899, à faire sa profession religieuse.

Au scolasticat de Chevilly, où il vient faire sa philosophie et sa théologie, M. Vaquez se signale surtout par son heureux caractère. Vigoureux et fort, simple et serviable, il jouissait de la sympathie de ses confrères. C’est à lui que l’on s’adressait le plus volontiers pour les besognes pénibles, sûr que l’on était de le trouver toujours prêt à rendre service. Dans toutes les charges qui lui sont confiées, il déploie beaucoup d’activité et de savoir faire. Le dévouement, telle fut la note caractéristique du cher défunt, depuis son noviciat jusqu’à son dernier soupir en mission.

En 1900-1901, M. Vaquez fut obligé d’interrompre ses études théologiques pour accomplir son année de service militaire à Paris. Après son sous-diaconat, pareillement, il fut appelé en Algérie pour une nouvelle période de vingt-huit jours, comme infirmier, à l’hôpital du Dey à Alger. Quand il revint à Chevilly, à son retour d’Algérie, M. Vaquez était très fatigué ; au service, il avait contracté les germes de fièvres paludéennes dont il eut beaucoup de mal à se défaire pendant son scolasticat.

Le moment de la Consécration à l’Apostolat approchait ; et au fur et à mesure qu’il franchissait les degrés des Saints-Ordres, s’accentuait aussi son amour pour les âmes et son besoin de se dévouer à l’évangélisation des pauvres Noirs. La lettre qu’il écrivit au Très Révérend Père à cette occasion, montre de quels sentiments il était animé à l’approche de ce grand jour.

“ Aujourd’hui, Monseigneur, à la veille de clore le cycle de mes études théologiqus, je viens humblement vous demander l’autorisation de me consacrer à l’apostolat, c’est-à-dire, au salut des âmes les plus délaissées, vers lesquelles, depuis longtemps, mon cœur aspire… Partout où l’on m’enverra j’irai, joyeux et content de mon sort, toujours prêt à me dévouer tout entier, car je verrai là la volonté de Dieu. ” Parmi ces âmes les plus délaissées, l’ardent aspirant laisse entrevoir que les Noirs de l’Oubangui ne lui sont pas indifférents, que ses rêves d’avenir se sont portés sur cette intéressante portion de la vigne du Père de famille. Toutefois, il s’en remet entièrement aux mains de ses supérieurs pour son placement.

Ses vœux furent exaucés. Le 15 septembre 1905, le P. Vaquez recevait son obédience pour la Mission de l’Oubangui, où il allait pouvoir se dévouer.

À son arrivée à Brazzaville, il fut placé provisoirement chez les enfants, “ en attendant, lui dit Mgr Augouard, que la Providence vous assigne un placement définitif ”. Pendant l’année qu’il passa au chef-lieu de la Mission, en dehors des fonctions déjà si absorbantes de l’œuvre des enfants, le P. Vaquez se mit à la disposition de ses confrères, cherchant les occasions de leur venir en aide de toute façon : tantôt à la chapelle, qu’il s’entendait à décorer avec un goût parfait, tantôt dans leur ministère, pour les enterrements et les baptêmes.

À Brazzaville, l’œuvre des Bangalas prenant de jour en jour une extension plus grande, Monseigneur fit descendre le P. Herjean de Liranga pour lui confier la direction de cette œuvre nouvelle, et le P. Vaquez monta le remplacer. Monseigneur, en annonçant l’arrivée du P. Vaquez, écrivait au Supérieur : “ Je vous envoie le bon P. Vaquez. C’est un homme solide, plein de générosité, de dévouement, et qui vous rendra les plus grands services pour le ministère. ” Généreux ! le missionnaire l’était, mais, sous des dehors robustes, il cachait une santé déjà altérée, comme on l’a vu, par son séjour en Algérie.

Quelques mois après son arrivée à Liranga, le P. Vaquez fut pris d’un accès de pleurésie purulente qui donna les plus graves inquiétudes pour ses jours. Dans cette circonstance douloureuse, le Père fit preuve d’un grand esprit de foi et d’un entier abandon entre les mains de Dieu, faisant avec courage et résignation le sacrifice de sa vie. Il demanda et reçut, vu l’imminence du danger, le sacrement de l’Extrême-Onction. Pourtant, grâce à sa forte constitution, il put se tirer de ce mauvais pas ; mais à partir de ce jour, ses forces diminuèrent sensiblement. Les sorties lui étaient très pénibles ; et il dut plusieurs fois rentrer à la mission, terrassé par la fièvre.

Persuadé qu’un missionnaire ne peut rien faire de sérieux, s’il ne possède la langue du pays, le P. Vaquez se mit résolument à l’étude du Boubangui. Partageant son temps entre l’étude et les fonctions qu’il exerçait, il put assez rapidement entrer en relation avec les indigènes. Les chrétiens qui avaient remarqué sa piété et connaissaient son dévouement, s’adressaient volontiers à lui pour éclairer leurs doutes et lui demander conseil. Le dimanche, à l’issue de la messe, il les réunissait et leur donnait des explications sur les commandements de Dieu et de l’Église. Ces instructions, qu’il soignait particulièrement, étaient très goûtées de son auditoire.

Dans l’accomplissement de ses devoirs religieux, le Père apportait beaucoup d’exactitude et de fidélité. Souvent, après des nuits d’insomnie et de fièvre, il se levait néanmoins avec la Communauté, se traînait à la chapelle et, après l’oraison, au moment de célébrer la sainte messe, les forces trahissant son courage, il regagnait sa chambre les larmes aux yeux.

Sa charité pour les malades était particulièrement remarquée. Il ramena un jour à la mission un jeune enfant atteint de la maladie du sommeil et que l’on avait abandonné sur un banc de sable au milieu du fleuve. Les enfants firent la grimace en voyant arriver ce nouveau pensionnaire, et lui demandèrent s’il voulait les faire mourir. Afin de venir en aide à ces pauvres déshérités, sa charité lui suggéra l’idée de créer à Liranga un dispensaire où les malades, isolés des bâtiments de la Mission, trouveraient cependant des secours appropriés à leur situation. Il fit part de son projet à son supérieur et sollicita de sa famille et des personnes charitables qui s’intéressaient à son œuvre des secours particuliers. Une lettre qu’il écrivit le 5 juin, quelques jours avant de mourir, à une de ses bienfaitrices, Sœur Angèle Maugart, témoigne de sa tendre sollicitude envers ces infortunés.

C’est au milieu de ces préoccupations charitables que ce zélé missionnaire allait bientôt terminer sa trop rapide carrière. Une lettre arrivée à la Maison-Mère, par le courrier de juillet, annonçait en effet au R. R. Père la mort prématurée du cher P. Vaquez. Voici les détails que donne le P. Pédron, supérieur de Liranga, sur les derniers moments du regretté confrère : “ Le P. Vaquez était fatigué depuis un certain temps, et je lui avais enlevé tout travail pénible depuis le mois d’avril. Un médecin belge étant de passage au camp d’Irébou, j’envoyai le Père le consulter. Le docteur l’ausculta et ne découvrir rien d’anormal, sinon un peu de fatigue ; il lui prescrivit un petit traitement, et le Père s’en trouva si bien au bout de quelques jours qu’il parlait déjà de reprendre ses fonctions. Je voulus auparavant lui causer une agréable diversion en l’envoyant en compagnie du F. Sergius et de leurs enfants au lac Tumba (rive belge), où les indigènes réclamaient depuis longtemps les secours de notre ministère.

Tout se passa très bien ; Père, Frère et enfants revenaient enchantés, quand, au camp d’Irébou, le P. Vaquez tomba subitement malade. Quelques heures après, il m’arrivait en pirogue et, durant les quarante-huit heures à peine que dura son agonie, il ne put me dire une seule parole. Le Commissaire du district de Coquilhatville, avisé télégraphiquement, nous envoyait immédiatement le docteur de la station, qui arriva en steamer à dix heures du soir. Après une demi-heure de soins scientifiques, le Père mourait entre nos bras d’une congestion cérébrale, provoquée par une insolation. ”

Sa mort laisse un grand vide parmi nous et dans toute la mission de l’Oubangui, en même temps qu’elle affecte beaucoup Mgr Augouard, qui appréciait si bien le dévouement du bon P. Vaquez. Nous avons tous, du moins, le ferme espoir que le cher missionnaire qui s’est sacrifié pour sa chère mission de Liranga, prie pour nous du haut du Ciel, et qu’il continuera à s’intéresser aux âmes pour lesquelles il a donné sa vie.

Ces regrets et ces espérances, nos missionnaires seront heureux de les voir partagés par S. G. Mgr Foucault, évêque de Saint-Dié, et si affectionné “ à son cher enfant d’Afrique ”. Dans sa lettre à Mgr le T. R. Père, au lendemain de la nouvelle de cette mort, Sa Grandeur écrivait :

“ Je reçois ce matin, de Mgr Augouard, une lettre datée du 16 juin qui m’apporte la triste nouvelle de la mort de mon cher filleul, le R. P. Vaquez, victime d’une insolation.

Je n’ose pas le plaindre, puisqu’il est mort sur le champ de bataille, mais le coup m’a été d’autant plus douloureux que le cher enfant me racontait dans une lettre du 4 juin ses travaux et ses joies de missionnaire. De là-haut, il priera pour sa mission et pour nous. ”

Une généreuse offrande accompagnait cette lettre, en souvenir du jeune et regretté missionnaire, moissonné dans sa trentième année.

Charles Le Gouay
B, t. 4, p. 119 ss.

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