LE R. P. LOUIS-PHILIPPE WALTER
Décédé à Épinal,le 3 mai 1910, à l'âge de 74 ans.
(Not. Biog. V p.161-173)
Le P. Walter naquit le 28 avril 1836, à Kaysersberg, au diocèse de Strasbourg. Il appartenait à l'une de ces chrétiennes familles d'Alsace, à nombreuse et forte progéniture : elle comptait onze enfants. Il reçut au baptême le nom de Louis-Philippe. Ce prénom, aujourd'hui démodé, était populaire alors, sous le gouvernement de celui qui se fit appeler à son avènement au trône, Louis-Philippe, roi des Français. Sans doute, il avait été choisi dans la pensée d'exprimer, outre la foi religieuse de la famille, sa foi politique. Le père, en effet, était instituteur et attaché comme tel à la citadelle de Strasbourg.
Le jeune Louis-Philippe travailla d'abord dans une étude de notaire, se lit ensuite apprenti mécanicien et finalement, vers lange de quinze ans, se mit à apprendre le latin auprès du vicaire de son village. Poussé par ce dernier jusqu'à la quatrième, il fit cette classe au petit séminaire de Strasbourg, d'où il passa au petit scolasticat de Langonnet.
Dans cet établissement, comme plus tard au grand scolasticat et au noviciat, il se montra toujours d'un caractère sérieux, d'un esprit appliqué, d'un coeur plein de charité pour ses confrères. Ses notes d'alors, en spécifiant ces dispositions, témoignent en outre de son ouverture et de sa parfaite obéissance à l'égard de ses directeurs. Elles marquent aussi son renoncement et son dévouement, son estime, son affection profonde pour la vie religieuse. Ce lut sous l'empire de ces sentiments si dignes de louanges chez un aspirant, qu'il émit le voeu de « stabilité. Il préludait aussi par les voeux privés de religion à ceux de sa profession, laquelle eut lieu le 25 août 1867.
Ayant reçu son obédience pour la Sénégambie, le P. Louis Walter - il avait modestement allégé sa signature de son second prénom - arriva en décembre de la même année à Saint-Joseph de Ngazobil. Ses débuts furent difficiles. Son tempérament nerveux, surexcité par l'influence du climat, comme aussi par les premiers déploiements de son zèle, semblait devoir se refuser à. tout acclimatement. Grâce à Dieu il triompha cependant de maux d'estomac très tenaces, auxquels succédèrent différentes autres indispositions, dont il guérit également.
C'était providentiel. En effet, au mois de mai 1869, le choléra éclatait en Gambie. Bientôt le fléau commença à sévir à Nianning. Grande terreur des indigènes fuyant l'épidémie, abandonnant; sans secours leurs compatriotes, leurs parents atteints et laissant les morts sans sépulture. Mgr Kobès désigna alors le P. Walter pour se rendre auprès des cholériques, lui adjoignant pour aide le F. Georges. La besogne, prolongée durant près de deux mois, fut dure et périlleuse. Au ministère du prêtre s'ajoutaient toujours l'office de médecin et celui d'infirmier. Très souvent aussi il y avait à se faire simple croque-mort et parfois fossoyeur. Dieu bénit un zèle marqué de tant de dévouement et de courage. Le Père n'éprouva aucune atteinte du mal et il eut la consolation de donner le baptême à beaucoup de moribonds…..
A la fin de janvier 1870, le P. Walter quitta Saint-Joseph de Ngazobil pour Sainte-Marie de Gambie. Dans une lettre du 5 mai, il donne des détails intéressants sur l'état de cette station. Il se plaisait surtout à constater la présence de nombreux protestants aux cérémonies religieuses, répétant cette parole de l'un d'eux : « Nous. préférons vos solennités à nos prêches, car on sort de nos temples comme on y est entré, le coeur froid. » Sa lettre exprimait aussi sa joie du bien qui se faisait auprès des païens indigènes régulièrement catéchisés et préparés au baptême et à la première communion
Au départ pour France du P. Lacombe, le P. Walter fut chargé de la direction de la communauté. Il dut alors ajouter aux occupations du saint ministère, le soin d'apprendre aux enfants le chant et les cérémonies de l'église, chose si importante pour la digne célébration des offices et véritable moyen d'apostolat auprès des protestants, comme nous venons de le voir. Aussi, le fit-il de tout coeur.
En date du 13 septembre 1870, le Père écrit les lignes suivantes : «Le travail augmente journellement. De pauvres mariniers, bateliers et pêcheurs, se pressent autour de nous, désireux de se faire instruire. Mais quel dommage! Leur langue n'est ni l'anglais, ni le portugais, ni le volof. C'est avec toute la peine du monde que nous nous efforçons de leur apprendre les prières et les vérités essentielles. Dieu aidant, nous réussissons cependant »
….Très zélé pour travailler au salut des autres, le P. Walter ne négligeait pas le soin de sa propre perfection. Prévoyant l'expiration de ses premiers voeux, il écrivait au T. R. Père, en date du 11 février 1870. « C'est le moment de me remettre de nouveau entièrement entre vos mains désirant de tout mon coeur, non pas renouveler mes vœux pour un certain laps de temps, ou quelques années, mais pour la vie, en émettant mes voeux perpétuels. » Il y fut admis par décision du 7 juin 1870.
Mais à Sainte-Marie de Gambie comme à Ngazobil le P. Walter passa par de terribles. épreuves de santé. J'ai cru, écrivait-il, que j'allais changer encore de poste, mais cette fois pour celui de l'éternité. » (Lettre du 11 fév. 1870)
Et en effet, en décembre 1869 déjà et en janvier suivant, il souffrit à différentes reprises de coliques sèches et aussi de douleurs rhumatismales articulaires. Plus tard reprise de ces mêmes crises si douloureuses de coliques sèches jointes à des fièvres réitérées. Il fut bientôt réduit à un état de faiblesse excessive et il n'alla plus qu'en se traînant : ce qui rendit nécessaire son retour en France.
Peu après son embarquement à Dakar, il se trouvait déjà mieux, quand il faillit payer de sa vie l'imprudence d'un des passagers. Celui-ci, son compagnon de cabine, trouvant qu'il n'avait pas assez d'air, ouvrit le soir un des hublots et le laissa ainsi toute la nuit. Faible comme il l'était, le Père fut saisi par le froid. Une fièvre des plus violentes se déclare et il tombe dans le délire. Quelque temps on craint qu'il ne succombe. Par bonheur le médecin du bord réussit à couper cette fièvre. Il est sauvé; mais il reste comme perclus de tous ses membres. Il arriva dans ce lamentable état à la Maison-Mère. Des soins assidus lui permirent de se remettre suffisamment pour se rendre en Alsace et là entre prendre une cure complète sous la bienfaisante influence de l'air natal.
Mais sa santé avait été trop ébranlée pour ne pas avoir besoin d'un séjour prolongé en Europe. Il fut donc placé à Cellule, sans attribution spéciale. Nous le voyons, en juillet 1872, faire une saison à Saint-Nectaire. Il y rencontre la famille de Laprade et se lie avec le précepteur, un prêtre pieux, qui profite de toutes les occasions pour le faire parler des missions. Ses entretiens furent maintes fois préférés à des réunions mondaines, distraction s ordinaires des stations thermales. Le séjour de Cellule se prolongeant ne pouvait rester une sinécure. En 1873, le P. Walter est chargé de la classe de sixième. C'était pour lui chose nouvelle ? Fabricando fit faber, écrivait-il peu après. Il s'appliqua à, cette tâche, y prit goût et y réussit assez bien.
Mais une autre occupation avait ses préférences. M. le curé de Villeneuve étant souffrant, le P. Hubert désigna le P. Walter pour le suppléer. Offices des dimanches, baptêmes, enterrements et, pendant le Carême, prédications suivies; vive impulsion à donner à cette population chrétienne assez oublieuse de 'ses devoirs; confessions, communions de vieux retardataires : ce fut là pour le missionnaire exilé loin de ses novices d'Afrique, un bien agréable retour à l'apostolat. Il eut un plein succès. En effet, il gagna si bien les coeurs, que le curé étant mort, il essaya vainement d'arrêter une pétition adressée à l'Évêché de Clermont et le demandant pour succéder au pasteur disparu.
Mais Villeneuve n'était pas Sainte-Marie de Gambie, ni l'Auvergne l'Afrique. Missionnaire apostolique, nul titre pour lui n'égalait celuilà.'111 le relevait toujours sous sa signature, et se réjouissait d'appartenir à tout jamais à la Congrégation qui le lui avait donné et devait le lui garder.
Si vif que fût son désir de retourner en Afrique, ce ne devait être pour lui, pendant dix années encore, que matière à un méritoire sacrifice. Avant tout en effet, il plaçait l'obéissance à ses Supérieurs. Il exprimait nettement ces sentiments dans une des dernières lettres adressée de Cellule au T. R. Père. « Je laisse toute considération de côté, disait-il, me soumettant à tout ce que vous déciderez dans votre sagesse. Si, ce soir, vous me dites Allons, il faut partir pour la Sénégambie, eh bien! je partirai avec bonheur. Si vous me dites au contraire : Vous irez ailleurs, ou vous resterez où vous êtes, ce sera avec le même bonheur : Paratus ad omnia. Je me soumets en conséquence à toutes vos décisions. , (Lettre du. 8 août 1874.)
En 1875, le P. Walter lut envoyé à Saint-Ilan, pour remplacer le P. Bangratz. Et là, nous le voyons chargé de l'économat et des constructions. L'année d'après, nous le trouvons à Notre-Dame de Langonnet. Quelles sont ses occupations? Il passe par une série d'emplois, ayant à fournir sa part de travail tant à la colonie de Saint-Michel qu'à l'Abbaye, et ici, s'occupant soit des grands scolastiques, soit des élèves du collège.
Dans ses lettres de direction, écrites très régulièrement chaque année, il se révèle bon à tout faire -même à enseigner au Grand Scolasticat la physique et la chimie - et de ce fait, adjoint à l'économe pour de travaux et autres détails matériels, ce qu'il accepta de grand coeur, bien que frustré ainsi du repos des vacances .
En l'année scolaire 1880-81, ce fut lui qui prêchat la retraite des Frères. Sans doute sous l'impression exercices donnés par lui, sa pensée courait à ses pauvres abandonnés d'Afrique. « Je gémis, disait-il, loin de âmes que je porte tous les jours dans mon coeur, en montant au saint autel. Mes souffrances et mes prières s'unissent au sang de l'Agneau devant le trône de Dieu. Je ne vis que du passé, du souvenir qui, me reste de la profonde misère de ces âmes que le Vénérable, Père chérissait tant. » (Lettre de septembre 1881.)
Son désir de retourner en Afrique, persévérant quoique discrètement. exprimé à son Supérieur général, était en même temps une prière que Dieu daigna exaucer enfin. En 1883, il recevait son obédience pour nos Communautés de Mayotte et de Nossi-Bé, dont le personnel était en souffrance. Il s'embarqua le 1er avril à Toulon, sur le transport la Creuse. Le commandant, M: Antoine Hernandez, capitaine de frégate, était un excellent homme et un chrétien. «Le dimanche, écrit le P. Walter, il mettait à ma disposition le grand carré du bord, orné de tentures et de drapeaux, pour la célébration des saints mystères. Les passagers, tout l'équipage, et de plus un piquet d'honneur de douze hommes en armes, y assistaient. « Avez-vous remarqué, me dit-il le premier jour, après la cérémonie, avez-vous remarqué l'empressement et l'attitude recueillie des assistants.? Le sentiment chrétien, voyez-vous, Monsieur l'abbé, on ne parviendra jamais à l'ôter de là » : et il portait la main sur son coeur. (Lettre du 8 avril 1883.)
La traversée fut longue et pénible surtout dans la mer Rouge à cause de l'extrême chaleur. D'Aden on se dirigea vers la Réunion. Le 21 juin, le bateau quittait Saint-Denis et gagnait Tamatave pour participer aux, opérations de guerre que l'amiral Pierre poursuivait contre les Hovas. Le lundi 4, la Creuse est en rade du port malgache, et s'ajoute aux cinq navires formant l'escadre : quatre bateaux de guerre et un transport, la Nièvre. Les négociations se continuent; mais elles, n'aboutissent pas au gré de l'amiral; celui-ci lança l'ultimatum et le lendemain, un dimanche, le bombardement s'ouvrit. L'action simultanée des six navires contre Tamatave fut plus terrifiante que terrible. Beaucoup d'obus lancés. De nombreux incendies, dont celui du bazar de la Reine - un énorme dépôt de rhum et de pétrole allumé par les Hovas eux-mêmes; mais, par bonheur, les gens se sauvant et réussissant à échapper aux flammes comme aux éclats des bombes; puis une descente de fusiliers marins, le lendemain, pour reconnaître l'effet du bombardement sur la ville et achever de détruire un village de 780 paillotes : tels sont les faits de guerre qui se fixèrent dans la mémoire du P. Walter pour accentuer davantage leur contraste avec les opérations, toujours militantes pourtant, du missionnaire, lui, le bonus miles Christi, ainsi que le nomma l'apôtre. (Lettre du 12 juin 1883.)
« De Tamatave, ajoute le Père, l'amiral Pierre nous fit prendre la route de Majunga. Là, nouveau débarquement de troupes qui durent se porter jusque dans le haut fleuve. Je descendis moi-même pour faire l'enterrement d'un malheureux gendarme. » Ce fut le 27 juin au soir que le Père débarqua à Nossi-Bé. Il avait eu quatre-vingt-cinq jours d'une traversée qui aurait pu être comptée comme campagne pour un militaire.
Voilà le P. Walter rendu à sa chère terre d'Afrique, mais dans l'autre hémisphère, sur la côte orientale, dans un archipel, aux îles disséminées dans l'Océan Indien, théâtre désormais assigné à son zèle.
Appelé à faire de nouveau descendre, 1es dons du ciel sur les pauvres Noirs dont il aimait tant les âmes, il eut à les mériter par de nouvelles et douloureuses épreuves de santé. Les coliques sèches le reprirent et le réduisirent à un tel état, qu'il perdit presque l'usage de ses membres. D'urgence il fut envoyé à la Réunion où arrivé le 7 novembre il se rendit le lendemain à Salasie.
Quoique non entièrement guéri, après deux longs mois de traitement et contre l'avis des médecins, qui conseillaient son rapatriement, le P.Walter revint à son poste de Nossi-Bé. où il arriva le 27 février 1884. Peu après, il devint Supérieur de la communauté. Désormais, ce qu'il n’avait pas rencontré en Sénégambie et qu'il n'aimait guère - lui plutôt missionnaire de la brousse - les relations officielles avec l'administration il allait comme s'y heurter à chaque pas, sans trébucher jamais, heureusement.
Il est à peine Supérieur que voilà les inspections qui commencent. La première, faite par l’inspecteur général lui-même, est très minutieuse. Il visite l'école, les ateliers où il exige qu'on fasse fonctionner devant lui tous les métiers, petits et grands. Il demande ensuite au P. Walter une vue de l'établissement. Et le bon Père doit s'improviser machiniste d'abord puis dessinateur sinon photographe.
Après l'Inspecteur général, c'est le tour du Chef du service de l'Intérieur. Enfin, voici venir, au grand complet, la commission des études, tout comme dans le monde scolaire de la Métropole. Mais le Père est, en toute circonstance, d'une patience à toute épreuve, d'une complaisance qui témoigne du dévouement et de la bonne volonté des inspectés; de sorte que, toujours satisfaits, du reste, des résultats de leur contrôle, ces Messieurs de l'Administration se montrent, en général, favorables et promettent des secours. Ce fut toujours là le secret de ses bons rapports, de ses succès même, dans ses relations officielles.
Cependant les années se suivent, remplies par le fonctionnement régulier des oeuvres et du ministère paroissial. Mais les fonctions se compliquent de charges qui alourdissent la besogne; l'influence néfaste du climat se fait de nouveau sentir sur le tempérament nerveux du Père, et la pauvre machine humaine va se détraquant. Ainsi il devient économe de la communauté dont il est déjà Supérieur, économe aussi de l'hôpital militaire et, pour ce même hôpital, aumônier de tout le personnel, religieuses et malades. Aussi, en janvier 1890, il est contraint de rentrer en France pour remettre sa santé à bout de forces.
Son séjour, cette fois, ne se prolongea pas au delà de cinq mois. Le 12 mai 1890, en effet, le voilà s'embarquant à Marseille pour Nossi-Bé. Il reprend là ses fonctions précédentes et est, de plus, chargé de la direction des écoles. Le saint ministère le retrouva aussi, animé du même zèle et du même dévouement.
Survient la mort, du regretté et vaillant P. Guilmin; et, par décision du 10 mars 1892, il est nommé Supérieur des communautés de Mayotte et de Nossi-Bé. La Préfecture apostolique de ces mêmes îles était devenue vacante à la suite de ce décès. Aussi, par décret de la Propagande du 22 mai de cette même année, il se voit élevé par Rome à la dignité de Préfet apostolique
Cette maxime « Ubi honor, ibi onus », nul n'en était plus pénétré que le nouveau R. P. Préfet. Dès la fin de 1892, nous le voyons accomplir un intéressant mais fatigant voyage sur la côte de Madagascar. Ce pays était sous la juridiction de Mgr Cazet. Mais le zélé prélat fut heureux de lui conférer tous les pouvoirs nécessaires pour l'exercice du saint ministère.
Le 7 octobre, il prend passage sur le Mpanjaka, un paquebot des Messageries, et, le lendemain, il descend à Majunga. Les catholiques, blancs, hovas, arabes et sakalaves, le reçoivent avec grande joie et le conduisent dans la demeure d'une. Excellente famille chrétienne, où, comme par enchantement, on installe une chapelle. Très grande affluence le lendemain, rendue plus imposante par la présence, du Résident et de l'équipage du bateau. La messe est célébrée avec ' toute la solennité possible et marquée de nombreuses communions. C'était là le plus important. Aussi, dans son sermon, le R. P. Préfet eut soin d'en exprimer toute sa joie et de recommander la persévérance. Dans la soirée on fait route pour Maintrano où l'on arrive le lendemain. Mais impossible de débarquer, au grand mécompte de toute la population, pas une pirogue ne pouvant prendre la mer.
Le jour suivant,. avant midi, on est au large de Morondava. Descente difficile à terre pour s'aboucher avec quelques catholiques et divers employés, Toutefois, c'est à Nossi-Bey que doit se faire la concentration de tous les chrétiens de ces parages. On n'atteint ce point qu'après trois jours de mauvaise mer. Mais, quelles manifestations de joie au débarquement ! Toute la population est là, et c'est le Père, le missionnaire, dont on veut s'approcher, prendre la main, lui qu'on salue de la façon la plus avenante et la plus respectueuse en même temps.
Depuis des années, cérémonie religieuse n'avait été célébrée à Nossi-Vey. Aussi, c'était un concours enthousiaste de toutes les bonnes volontés pour le succès de la tête. Le Résident livra son salon pour y dresser l'autel; le Commandant organisa le travail d'aménagement et de décoration de la chapelle improvisée; les officiers avaient préparé des chants en faux-bourdon ; bon nombre d'anciens enfants de la baie de Saint-Augustin, étaient là pour les cérémonies; enfin tout aboutit à une solennité des plus touchantes et aux résultats les plus consolants. Il y eut non seulement des confessions et des communions mais aussi des baptêmes. Une Messe de Requiem pour le repos de l'âme de tous ceux qui étaient morts pendant l'absence d'un missionnaire, fut la plus émouvante et qui arracha bien des larmes.
De ce point commence le voyage de retour. De nouveau on fait escale à Morondava. La cérémonie religieuse a lieu cette fois. Aux chrétiens de l'endroit qui y assistent, se joignent les protestants anglais, le gouverneur hova, sa femme et toute sa suite. Là aussi, le R. P. Préfet a la joie de conférer des baptêmes.
Nouvelle tentative pour aborder à Maintirano. Mais la mer n'est pas plus clémente que la première fois et, à son grand regret, le R. P. Préfet ne peut apporter aux braves chrétiens de cette localité les secours et les consolations de son ministère.
Le bateau regagne Majunga. Nouvel empressement de la population, nouveaux baptêmes et célébration solennelle des offices dans la chapelle improvisée qu'on a eu soin de conserver pour ce retour. Mais il faut rentrer à Nossi-Bé. Dans une allocution d'adieu, le R. P. Préfet émeut jusqu'aux larmes cette bonne population. Il s'en sépare peu après au milieu des démonstrations d'un sympathique et religieux attachement. Le lendemain, le Mpanjaka mouille à Nossi-Bé c'est la fin de cette tournée apostolique.
Elle fut suivie l'année d'après (mars-avril 1893) de la visite des îles Comores, relevant de la juridiction du Préfet apostolique de Mayotte. Le P. Walter de la station se rendit d'abord à Anjouan sur l'aviso de la station, le Sagittaire. Le commandant, le sultan de cette île, le Résident français, parurent bien disposés envers lui. Mais on ne put guère qu'émettre des voeux et énoncer de vagues projets. Deux ans auparavant, lors d'une expédition française, deux lettres du R. P. Guilmin proposant le P. Ball comme aumônier étaient restées sans répouse. Pratiquement, les choses en étaient au même point : pas de missionnaire et pas d'oeuvre pour la population de cette île. Mais quelle population ! Des musulmans en grande majorité !
D'Anjouan, le R. P. Préfet fut transporté à la Grande-Comore où le laissa le Sagittaire. Là, il se rendit chez le résident français, M. Humblot, le plus important propriétaire de l'ile et une de ses anciennes connaissances. Du reste, ce dernier était venu le prendre à bord. « Maintenant je vous tiens, lui avait-il dit en lui serrant la main. Comment avez-vous pu nous laisser si longtemps. sans prêtre » M.. Humblot parlait en son nom et au nom d'un très petit nombre de catholiques disséminés dans l’ile. Plus encore qu'Anjouan, la Grande-Comore est un loyer d'Islamisme. Il a de fidèles et fervents adeptes entretenus dans leur attachement au Coran par le sultan Saïd-Ali, prince dont le fanatisme 1 religieux est bien connu et se révèle, du reste, au turban vert dont il a soin de ceindre son front. Haine des chrétiens, haine des Français, ces deux sentiments sont au fond du coeur de ces sectateurs du prophète. C'est comme par miracle que, quatre fois, M. Humblot a échappé à des tentatives de meurtre dirigées contre sa personne.
Cette influence musulmane s'étend a toutes les îles de cette région maritime. Les pauvres Noirs, malgaches ou originaires de la Côte d'Afrique, la subissent; et une fois qu'ils sont un peu frottés de mahométisme, cela devient chez eux une tare qu'il est difficile, sinon impossible, de faire disparaître en les convertissant au christianisme.
Malgré tout, dans les relations avec les Blancs, ceux de la résidence surtout, ces musulmans s'astreignent à certaines formes ou certains procédés qui, pour être courtois, n'en sont pas moins entachés d'hypocrisie. De chez lui, M. Humblot accompagna le R. P. Walter à Moroni, la capitale de Pile, où il lui fit faire une réception à la fois s solennelle et en apparence cordiale par le sultan Saïd-Ali. Dans un entretien qu'il eut avec Sa Hautesse, celui-ci lui dit: « Je serais heureux de vous voir vous établir ici, en un point que nous choisirions, M. Humblot et moi. » Ces paroles toutefois ne furent suivies d'aucune proposition ferme; et les choses en restèrent là.
Le 9 août, le boutre sur lequel il avait pris passage pour quitter la Grande-Comore, le déposait à Nossi-Bé.
Nous, l'avons dit . sa dignité de Préfet apostolique n'était point pour l'exonérer de ses anciennes charges. S'il n'en exerçait pas toutes les précédentes fonctions, il en avait conservéles sollicitudes. À ce titre, bien des consolations, sans doute, lui venaient des oeuvres réalisées dans la Préfecture apostolique; mais atténuées souvent de peines, de soucis, ou faisant place à des désirs d'un bien meilleur poursuivi vainement. Ses rapports avec l'Administration demeuraient corrects et satisfaisants. Mais dépendant beaucoup d'elle pour des concours nécessaires à son ministère religieux, il lui fallait renoncer à bien des entreprises que lui inspirait son zèle-. Évangéliser la population dans l'intérieur de l'île ou dans les îles voisines, lui était rendu difficile, impossible même parfois. Comment faire apprécier aux administrateurs de la colonie ou à leurs délégués les motifs surnaturels qui l'animaient? « Laissez donc ces Noirs dans leurs croyances, lui disait-on. Pourquoi leur parler de dogmes et de sacrements? » Un jour, vient à mourir, après avoir été régulièrement soigné, instruit et baptisé, un vieux makoa (1). Une bande de ses coreligionnaires, un chef anjôuanais à leur tête, se présente et réclame son corps. Naturellement, opposition est faite à cette prétention. Mais ceux-ci font intervenir l'autorité civile, laquelle acquiesce immédiatement à cette demande sans plus se préoccuper de la mort chrétienne de cet homme et de la sépulture religieuse à laquelle il avait droit. Sur observations faites à l'administration, l'un de ces messieurs répondit d'un air narquois : « Ah! ces Noirs, laissez-les à leurs coutumes. Vous croyez que vous leur ouvrirez le ciel? » ,
Et, en effet, arracher le Noir à ce fonds de superstition atavique enracinée dans son âme est peut-être la chose la plus difficile dans l'évangélisation de cette race. Comment y réussir sans une action aussi intense que possible du ministère sacerdotal, pour révéler dans le prêtre . l'homme de cet autre monde surnaturel qu'il prêche, et assurer à ses paroles une force capable de détruire toutes les fausses croyances?
Et puis que d'instabilité dans les unions? Souvent après nombre d'années d'un mariage heureux, que voyait-on se produire? Une séparation subite pour des motifs futiles, et des scandales en dernier résultat, chez des jeunes filles, bien élevées cependant, un manque déplorable de persévérance, l'amour de la toilette des amusements; une vie désoeuvrée aboutissant à l'inconduite.
Il se forma même parmi la jeunesse une sorte de ligue ou association franc-maçonne, ayant à certaines époques déterminées des réunions et des bals nocturnes! Ceux qui en faisaient partie recevaient comme insigne et marque d'agrégation une Médaille portant sur, une de ses faces deux mains s'entrecroisant et munie d'un ruban vert ou jaune. Il y avait là un élément redoutable d'immoralité et de perversion. Mais comment le faire disparaître? Un appel fut adressé à tous les vrais fidèles, et une congrégation, affiliée à l'oeuvre de Montmartre, fut résolue. Deux cent cinquante noms furent réunis, une confrérie fut instituée, et le Sacré-Coeur directement invoqué contre l'entreprise maçonnique. Peu après, celui qui avait été l'organisateur de cette ligue quitta le pays, et le mal fut ainsi vaincu.
Noir de la Côte d'Afrique.
Un ministère que le R. P. Walter eut à exercer en qualité de Préfet apostolique, délégué spécialement par Rome, pour l'administration de ce sacrement, ce lut celui de la Confirmation. Cette cérémonie marquait fréquemment son passage dans les différentes localités où se trouvaient des Pères. C'est ainsi qu'à la communauté de Saint-Michel de Dzaoudzi, à la suite d'une première communion, il confirma, le 20 janvier 1895, vingt-deux personnes de différents âges.
Lors de la guerre de Madagascar, il dut se rendre à Nossi-Comba, où le gouvernement avait fait installer un sanatorium. Il aida d'abord, puis remplaça tout à fait l'aumônier militaire. Il avait à desservir 28 baraques échelonnées sur le versant de la colline, le long d'un chemin de 1.500 mètres, et abritant près de 600 malades. Les enterrements étaient en Moyenne trois ou quatre par jour. Vers la Toussaint, une amélioration générale de l'état sanitaire permit d'organiser une petite fête religieuse. Il y eut un certain nombre de communions. Le lendemain, jour des morts, grande procession à laquelle assistent le médecin en chef et ses aides, les Soeurs, les infirmiers et près de 400 convalescents. On se dirige vers le cimetière où la vue de la terre fraîchement remuée sur tant de tombes faisait monter au coeur de ferventes prières. Une allocution du R. P. Préfet ajouta encore au sentiment religieux une impression profonde de piété envers ces chers compatriotes disparus.
Le R.P.. Préfet eut occasion de voir le général Duchesne à son passage a Nossi-Bé avant l'expédition que, celui-ci devait conduire victorieusement à Tananarive. Avant de se rembarquer pour Majunga, le général voulut visiter le sanatorium de Nossi-Comba, dont le P. Walter put l'entretenir très pertinemment, car il avait été pendant sept mois, durant les deux, guerres de Madagascar, reconnu comme aumônier tant de l'hôpital que de cette station.
Après, la conquête de la grande île malgache, le général Galliéni qui succédait à des gouverneurs d'un choix regrettable et d'une politique désastreuse pour l'affermissement de l'autorité française dans le pays, devint, par la sagesse et l'habileté de son administration, le véritable pacificateur réclamé après la conquête. Il ne négligea pas de se rendre à Nossi-Bé où il voulut séjourner tout un mois. Il fut plein d'égards pour le R. P. Préfet, et les fréquents entretiens qu'il eut avec lui témoignent du désir qu'il avait de s'instruite à bonne source des vrais intérêts et de la situation du pays. Du reste, le général s'en exprima lui-même au P. Walter, pendant sept années de séjour au Sénégal, il avait vu à l'œuvre nos missionnaires, et avait appris à les estimer eux et notre Congrégation.
Les choses allaient changer pour le R. P. Préfet. Tout d'abord l'état de sa santé lui imposa un retour en France, et nous le voyons le 11 avril 1899, sur ordre formel des médecins, quitter la colonie. Bientôt il put constater que ses forces épuisées ne lui laissaient plus l'espoir de se remettre suffisamment pour reprendre ses fonctions de Préfet apostolique. Dans ces conditions, il voulut se défaire du titre lui-même et donna sa démission en date-du 10 janvier 1900.
D'autre part fallait-il s'abandonner tout à fait, sans lutter contre son mal, dans le but d'être utile encore à quelque chose? Il ne le veut pas; et, avec cette énergie qu'il savait mettre en tout, il s'astreignit à un régime dont on lui faisait espérer d'heureux résultats. Rien n'y lit. Sa santé alla toujours baissant. Pendant près de six années, sa vie ne fut qu'une perpétuelle et douloureuse infirmité dont il souffrit au moral comme au physique. Ce fut comme une sorte de grande retraite de préparation à la mort.
Il écrivait t en date du 16 janvier 1903 : « Dieu veut sans doute me faire faire mon purgatoire ici-bas. Je suis tout résigné. Souffrir encore et mourir, comme il le voudra. » Il ajoutait l'année suivante : « Le Seigneur a sans doute ses vues, je bénis sa sainte volonté. Je n'aurais jamais cru que je dusse traîner si longtemps ma croix. Je ne m'en plains pas. Il y a du bon dans ma mystérieuse maladie , c'est que la mort ne me surprendra pas. En présence de toute éventualité, je me répète l'estote parati ». (Lettre du 3 juin 1904.)
Ses sentiments loin de varier, ne firent que se perfectionner dans l'abandon au bon plaisir de Dieu. Ce fut dans cette disposition d'amoureuse résignation et de filiale confiance qu'il termina ces dix années de crucifiante épreuve. Sa mort, survenue le 3 mai 1910, mit le sceau divin, il faut l'espérer, à cette lente et douloureuse purification que lui-même appelait son Chemin de croix.
La lettre de faire-part adressée à cette occasion au nom de Mgr Le Roy et de la famille Walter, le qualifiait ainsi : Père de la Congrégation du Saint-Esprit, ancien Préfet apostolique des Îles Nossi Bé, Mayotte et des Comores, Supérieur ecclésiastique en retraite. Le R. P. Walter était âgé de soixante-quatorze ans, et il en avait passé cinquante et un dans la Congrégation, dont quarante-deux et huit mois comme profès. Il avait été rattaché à notre communauté d'Épinal, et c'est là qu'eurent lieu les obsèques.
Z . Z.