Le Père Florent WILLEM
par S. E. Mgr Graffin


Le Père Florent Willem vient de mourir au Cameroun : missionnaire obscur, qui n'a pas fait de bruit et a fait du bien dans la même mesure. Vous, qui l'avez connu intimement, ne pourriez-vous pas nous en parler ? "

Comment refuser ? Je ne fais que rendre, là, un devoir d'amitié à mon compagnon de trente-cinq années d'apostolat, qui fut l'un des plus valeureux pionniers de la Mission de Yaoundé. Pourtant, la tâche n'est Pas facile, précisément parce qu'il ci n'a pas fait de bruit ". Par exemple, n'aurai aucune histoire savoureuse à raconter.

Il était tout le contraire de ce qu'on dénomme un " original ". Vrai fils d'Alsace, admirablement équilibré, au jugement sûr et à l'esprit cultivé; paysan méthodique et patient; - travailleur acharné. Hormis quelques congés en France,. il ne sut s'accorder les moindres vacances; tenace, parfois jusqu'à l'entêtement quand il s'est fixé un but à atteindre. On se figure trop souvent, que, pour être missionnaire d'Afrique, il faut le goût de l'aventure, des grandes chasses, des explorations pleines d'imprévu. Tel n'était point le genre du Père Willem. S'il tenait maintes histoires à conter, c'étaient celles de ses ouailles, qu'il aimait profondément. De lui-même, rien.

UNE PAROISSE LONGUE DE 800 KILOMETRES.

Il débarqua à Douala en 1919. La guerre 14-18 avait chassé les Pères Pallotins allemands, premiers ouvriers de l'évangélisation du pays. Quelques, Spiritains français venaient les remplacer. Le Père Willem débuta à Yaoundé, simple poste de brousse, qui deviendrait capitale quelques années plus tard.

En ce temps-là, le territoire de la Mission s'étendait jusqu'à l'Oubangui-Chari et le Congo. Chacun des quatre Pères de Yaoundé avait son " secteur ". Celui du Père Willem se prolongeait jusqu'à Moundu, à quelques huit cents kilomètres. Comme si le Curé de la Madeleine, à Paris, devait desservir Marseille ... à pieds!

Tout est à créer dans ce pays peuplé de braves gens, un peu anthropophages sur les bords, pas encore très soumis à la puissance européenne. Il va y semer des postes de catéchistes et, chaque année, prenant à pied la route, il partira le lendemain de Noël, accompagné de quatre ou cinq porteurs, visiter ses catéchumènes, baptiser, marier... Un itinéraire de 2 000 km, jalonné, à l'aller, par Akonolinga, Abong-Mbang, Batouri, Yokadouma et, enfin, Molundu, d'où il redescendait par la piste du nord de Doumé, Esse. Il sera de retour juste pour la Semaine Sainte, afin d'aider ses confrères débordés par les milliers de confessions.

LE LANGAGE DES TAMS-TAMS.

En route, il aura logé chez l'habitant, dans ces cases d'écorce, de la grande forêt ou de la savane, partageant la nourriture des Africains. - Un jour, on apprit de Yaoundé que ses hôtes l'avaient mis à la casserole ... Gros émoi ! un détachement militaire s'apprête à partir enquêter sur place, quand, heureusement, arriva le démenti de la fausse nouvelle transmise par les tam-tams. Jamais ses paroissiens n'auraient songé à lui ménager pareil accueil. Ils le respectaient trop !

A sa première visite de Molundu, une agréable surprise lui était réservée. L'Administration avait envoyé un sergent africain, chrétien marié, qui s'était fait accompagner de sa femme. Celle-ci, pour occuper ses loisirs, avait, de sa propre autorité, ouvert un "poste de catéchiste ". Fièrement, elle présenta au Père une quarantaine de catéchumènes parfaitement instruits et préparés au baptême. Celle-là faisait de l'Action Catholique sans le savoir, comme Monsieur Jourdain de la prose.

Au cours de ses longues randonnées, il aurait pu s'offrir de partager la vie pittoresque des Pygmées, qu'il rencontrait souvent en train de pourchasser l'éléphant ou le buffle. Il n'était point venu pour cela. Le ministère, - règlements de " palabres ", catéchisme, distribution des sacrements - prenait tout son temps. Ses rares moments libres, il les consacrait à l'étude des moeurs et de la langue, qu'il possédait à la perfection.

Sa mémoire était prodigieuse : il connaissait tout le monde, se rappelant, au bout de plusieurs années, les " palabres " de chacun. Un candidat se présentait-il pour une charge de catéchiste, jurant hautement qu'il s'était toujours montré chrétien exem ' plaire, il suffisait de dire : " Attends, je vois demander au Père Willem s'il te connaît. , L'intéressé préférait aussitôt avouer, de lui-même, ses fredaines de jeune homme. C'est pourquoi le Père Willem se révélait la providence des jeunes missionnaires, les renseignant sur tout ce qui pouvait leur être utile des choses et des gens du pays.

POUR LA LIBERATION DE LA FEMME AFRICAINE.

Très apprécié des Européens, planteurs, commerçants, médecins ou administrateurs (il était devenu l'ami intime du célèbre Dr Jamot, le " vainqueur de la maladie du sommeil "), il ne leur accordait, lors de ses déplacements, que le temps nécessaire. Personne, du reste, n'aurait eu l'idée de le retenir pour une partie de cartes ou une soirée de bavardages. On le savait tout entier à son travail. Il n'en était que davantage apprécié.

Il eut, pourtant, à lutter contre l'Administration coloniale qui, sous prétexte de respecter les coutumes indigènes, se faisait trop souvent la protectrice des polygames et, par le fait même, de l'esclavage des femmes. Celles-ci, pour devenir chrétiennes et se marier religieusement, cherchaient à se libérer. Qu'y pouvait le missionnaire ? sinon les aider au risque de ... s'entendre menacer des pires châtiments, dans le cas, - pas tellement extraordinaire - où l'administrateur était un anticlérical bon franc-maçon. Sans aucunement se départir de son calme, le Père savait maintenir sa position. Il en imposait tellement à tout le monde que, la plupart du temps, il obtenait gain de cause.

Sévère de réputation, il l'était dans la réalité, du moins extérieurement, ignorant la plaisanterie et le bon mot, meilleurs moyens de ramener à l'occasion le calme ou la bonne humeur. – De ses chrétiens il exigeait une formation solide. Quand la paresse ou la mauvaise conduite motivaient le refus du baptême, les larmes ou les manifestations de désespoir restaient sans effet.

Toutefois, cette apparence de sévérité cachait un coeur d'or: son zèle à visiter les malades en fournissait la meilleure preuve, - tout comme les longs voyages effectués en dépit de la fatigue ou de la maladie. Combien de fois les maux d'estomac ne l'ont-ils pas condamné à vivre des journées entières sans absorber la moindre nourriture et, pour autant, sans interrompre son travail ! Ses gens ne s'y trompaient pas.

LA MITRE N'EST PAS POUR LUI.

A mon arrivée - il avait alors sept ans de Cameroun, - il fut mon guide, m'apprenant à résoudre les cas de conscience, surtout en ce qu concernait les mariages, comme à démêler le vrai du faux dans les " palabres ". Quel sujet d'édification fut, pour moi, son esprit de foi lorsque devenu son supérieur, je le voyais venir, à son tour demander conseil en toute humilité!

Il aurait pu, aussi bien, écrire des volumes sur tout ce qu'il avait appris au cours de ses tournées et se faire ainsi une réputation d'ethnologue. Convaincu de son inutilité, il préférait rester inconnu.

En 1931, il fut chargé de préparer la fondation d'un futur diocèse dans cette région de l'est qu’il connaissait si bien et qui lui devait tant. Il part donc pour Doumé, mais à la condition qu'il ne serait jamais question, pour lui, de la mitre ! Lorqu'il jugea que tout était suffisamment préparé, il sollicite son retour vers Yaoundé. Après un temps comme supérieur à Omvan, l'un de ses anciens postes de catéchiste devenu une belle et confortable mission, il s'estima trop vieux pour continuer et demanda une charge de vicaire dans une mission de vraie de brousse, à Ntui, où il se fit professeur d'arithmétique sous la direction d'un confrère beaucoup plus jeune.

" UN CERCUEIL COUTE MOINS CHER QU'UN VOYAGE ".
La surdité venant, il pensa qu'il ne pourrait plus confesser ni rendre service et, à son dernier congé en 1960, il envisagea de prendre une retraite bien gagnée. Un appareil lui fit recouvrer un peu d'oreille. Il repartit donc en août 1961, à 70 ans mais, cette fois, pour aller encore plus en brousse second vicaire à Ndelé, à 150 km de Yaoundé - là même où, quarante ans plus tôt, il installa les premiers catéchistes. Au bout d'une année de travail, le Bon Dieu est venu l'y chercher : épuisé usé, son coeur refusait tout service. Le médecin parlait de le rapatrier, dans l'espoir que l'air natal et le repos conjureraient le mal. – " Non, dit le Père Willem, un cercueil coûte moins cher qu'un voyage! "

A quelques jours de là, sans bruit, bien " à sa manière ", il s'endormait paisiblement dans le Seigneur, pour s'entendre dire, sans aucun doute le " Viens, bon et fidèle serviteur : parce que tu as été fidèle dans les petites choses, ta récompense sera grande. Entre dans la joie de ton Maître. "

Que le Seigneur daigne envoyer beaucoup de " manoeuvres silencieux " de ce genre, pour achever la conversion de l'Afrique !

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