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Qui sommes-nous ?
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La grande aventure missionnaire
(1852-1968)
Ignace Schwindenhammer
Avant de mourir, le 2 février 1852, le P. Libermann désigne, pour lui succéder,
le P. Ignace Schwindenhammer. Celui-ci est sans doute l’un des supérieurs les
plus contestés dans l’histoire de la Congrégation (notre photo : armoiries de
la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie). Le premier
reproche que lui font certains de ses confrères de l’époque, c’est de passer
beaucoup de temps dans des directions spirituelles pour des personnes pieuses
ou des religieuses. La fin du XIX°siècle et le début du XX°sont des périodes
riches en phénomènes mystiques (peut-être par réaction avec le rationalisme de
l’époque !) et le P Schwindenhammer semble s’être trouvé à l’aise dans cette
atmosphère. Il exigeait aussi de chaque membre de la Congrégation une lettre
périodique de direction, même si l’on se trouvait à l’autre bout du monde. Il
créera assez vite une administration très centralisée : pour la moindre des
choses, il fallait s’adresser à lui et, en tout cas, lui rendre compte. Par le
fait même, il a considérablement développé les archives spiritaines. Car tout
était numéroté et conservé.
Avec les religieuses, il ira assez loin dans des projets d‘union, en
particulier avec les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Dans la ligne des
premiers supérieurs du Saint-Esprit, en 1853, il accepte, pour la Congrégation,
la création et la direction du Séminaire Français de Rome. Depuis Poullart
des Places, les Spiritains avaient toujours rejeté le gallicanisme et le
jansénisme. Ils paraissaient donc doctrinalement sûrs. Il y aura pourtant,
quelques soixante-dix ans plus tard, la crise de l’Action Française.
Le P. Schwindenhammer et ses premiers successeurs vont aussi investir beaucoup
en France dans les collèges, les orphelinats, les pénitenciers pour enfants :
la liste en est longue et il n’est pas rare que les Spiritains se fassent
exploiter. Ces établissements étaient souvent créés par un prêtre diocésain
voulant remédier à une misère réelle. Avec le développement de l’œuvre, il
n’arrivait plus à la maîtriser et cherchait alors une Congrégation... tout en
voulant rester le directeur ou le supérieur. D’où bien souvent des problèmes,
en particulier de finances.
L’extension en France
En 1853, sur la proposition de Jean-Marie De la Mennais, les Spiritains
acceptent le collège de Ploërmel. C’est un succès mais les Frères de
l’Instruction chrétienne ont peur d’être absorbés par les Spiritains. Dès
l’année suivante, l’expérience est arrêtée. Le P. Collin qui le dirigeait et
ses confrères prennent alors l’école de Gourin, en Bretagne aussi, en 1854.
L’abbé Maupied, son directeur, leur avait fait entrevoir la possibilité
d’acquérir l’abbaye de Langonnet. Le P. Levavasseur vient lui-même pour les
démarches dès fin 1853 et, en 1856-1858, c’est chose faite : petits
séminaristes qui étudiaient dans le cadre du collège de Gourin, philosophes,
jeunes élèves du séminaire des colonies, tout le monde déménage à Langonnet en
juin-juillet.
En 1855, nous avions pris en mains Saint-Ilan, toujours en Bretagne. C’était
un pénitencier pour enfants, fondé par M. De Clésieux et dirigé par les Frères
Léonistes. Ceux-ci sont invités à fusionner avec la Congrégation du
Saint-Esprit. Evidemment ces écoles absorbent beaucoup de personnel : vers la
fin du siècle, Saint-Ilan accaparait six Pères et 34 Frères ! En 1856, la
Congrégation accepte le financement d’une religieuse Visitandine de Riom, Sœur
Marie-Emmanuelle Andraud, et crée à Cellule (Auvergne), en accord avec elle,
un orphelinat, un noviciat de Frères et une école qui sera transformée en
petit séminaire.
Fin 1863, Chevilly (banlieue sud de Paris) est acheté. Le P. Schwindenhammer
aurait aimé y mettre la Maison mère (les réunions du conseil général ont eu
lieu un moment au « château » de Chevilly). Dès Pâques 1864, 50 scolastiques
viennent occuper les anciens haras. On rapporte aussi, dans un ossuaire, puis
dans la chapelle construite pour cela, les restes du P. Libermann. Pendant 60
ans, on n’arrêtera pas de construire.
En 1866, le P. Schwindenhammer accepte de prendre en charge une cité ouvrière
à Toulon (Provence), avec école, patronage, aumônerie des marins. Dans le
personnel spiritain se trouvaient trois Allemands, ce qui occasionne crise et
fermeture au moment de la guerre de 1870. Un procès s’en suivra (gagné pour
une fois par la Congrégation). Mais la situation reste difficile, à cause
d’une municipalité anticléricale, et Toulon est abandonné en 1876.
Entre temps nous est offerte, en 1874, à Beauvais (Picardie), la direction de l’archiconfrérie de Saint-Joseph (notre photo : statue de Saint-Joseph, à Allex, maison qui a pris le relais de Beauvais et de Seyssinet), ainsi que l’aumônerie du pensionnat des Frères des Ecoles Chrétiennes. A côté de ces œuvres, le P. Amet Limbour commence, le 15 octobre 1875, l’école des « Clercs de Saint-Joseph ». L’œuvre se développe beaucoup, crée des jalousies, des malentendus avec l’évêque du lieu. Les Spiritains quittent alors Beauvais pour Seyssinet (Dauphiné) et y fondent, en 1889, l’Institut du Saint-Esprit. C’est là que le P. Chauffour crée une nouvelle confrérie de Saint-Joseph. Le premier numéro du « Lys de St Joseph » y paraît en décembre 1889.
En 1875, les Spiritains prennent la direction du collège de Langogne (Lozère),
jusqu’en 1883. En 1876, c’est le tour de Merville (Nord) qui tiendra jusqu’aux
fameuses lois de 1903. Pendant une année scolaire (1876-77), une équipe
spiritaine assure également la marche de l’école de Gravelines, près de
Dunkerque ; le P. Ott, directeur du collège, s’aperçoit heureusement assez
vite qu’il n’y a là aucun avenir pour la Congrégation ; le conseil général
avait accepté l’offre pour faire plaisir au cardinal archevêque de Cambrai,
mais sans vérifier suffisamment les renseignements donnés.
En 1878, on appelle la Congrégation au secours pour faire réussir l’orphelinat
et le collège de Mesnières (Normandie). Jusqu’aux lois de laïcisation, ce sera
une œuvre importante qui comptera (en 1891) une école professionnelle de 110
élèves, 70 petits scolastiques, 300 pensionnaires du primaire... mais aussi
une quarantaine de Pères et de Frères. En 1880, la Congrégation prend en
charge le collège de Rambervilliers, dans les Vosges, jusqu’en 1888 ; à cette
date, le personnel spiritain se transporte à Epinal, ville plus importante.
L’idée, c’était d’avoir un collège proche de l’Alsace, alors occupée par
l’Allemagne.
Les successeurs du P. Schwindenhammer continuent la même politique :
Grand-Quevilly est accepté en 1882, Saint-Mauron (Nord) en 1884, Douvaine et
Saint-Joseph du Lac, en Savoie au bord du Léman, en 1885 (jusqu’en 1897), «
Gethsémani » dans l’Ariège (de 1885 à 1886 !). Grignon-Orly est acquis en 1886
pour y transporter le noviciat. En 1887, les Spiritains s’engagent à
Castelnaudary (Languedoc) dans une oeuvre offerte par l’abbé Le Camus ; ils
obtiennent de beaux succès scolaires mais doivent faire face à de longs procès
et ils quittent la région en 1896. De 1891 à 1896, une fondation est essayée à
Drognens, en Suisse. En 1892 et jusqu’à la fin du siècle, l’orphelinat
d’Orgeville (dans l’Eure) est dirigé par les Spiritains.
Mgr Leroy, devenu supérieur général en 1896, va « calmer le jeu » car il a
l’expérience des besoins de l’Afrique. Il acquiert cependant, en 1898, une
propriété à Perroton, au sud de Bordeaux, pour en faire un sanatorium
spiritain. Comme beaucoup d’autres, cette maison sera fermée en 1904. En 1900
toujours, le conseil général décide la création d’une procure à Marseille, en
vue surtout du départ des missionnaires vers l’Afrique ou Madagascar. Enfin,
en 1901, la Congrégation accepte de reprendre l’œuvre fondé par le P. Abram à
Misserghin, en Algérie. Elle « récupère » en même temps la plupart des Frères
de N.D. de l’Annonciation, dont le fameux Frère Marie-Clément Rodier,
l’inventeur de la Clémentine. C’est une troisième « fusion » et peut-être pas
la dernière !
La première extension en Europe
Allemagne
Dès 1841, le P. Libermann pensait à une maison à Strasbourg qui pourrait
rayonner aussi sur l’Allemagne. A son insu, M. De Brandt, un de ses anciens
novices de Rennes, fait des démarches auprès de l’évêque d’Amiens dont il est
le secrétaire : l’évêque est prêt à l’ordonner et une petite maison est
trouvée pour la Congrégation naissante. Le P. Libermann accepte et par le fait
même renonce à l’Allemagne, mais « cela me fait mal au cœur ». La province
d’Allemagne se développera plus tard, grâce au P. Acker. Avant lui, dès
novembre 1863, le P. Locher prend la direction d’une maison à Kaiserswerth. Il
s’agit d’une maison de retraite pour prêtres âgés. L’offre est acceptée parce
qu’elle permet une implantation en Allemagne. Le P. Strub, revenu de Dakar,
devient vice-provincial l’année suivante, en même temps que supérieur de la
communauté de Marienthal. Le P. Locher est tranféré à Marienstadt. Ces deux
établissements sont confiés à la Congrégation en 1864. Trois implantations en
deux ans, cela augurait bien de l’avenir. Mais elles ne résisteront pas au «
Kulturkampf » de Bismark, surtout aux lois de mai 1873-1875. Les Spiritains,
assimilés aux Jésuites, doivent quitter le pays. Il faudra attendre 1895 pour
que le P. Acker s’installe à Knechsteden (notre photo).
Le 14 novembre 1899, est achetée l’ancienne gendarmerie de Saverne (Alsace,
alors allemande), la ville de naissance du P. Libermann. C’est le P. Lorber,
premier Préfet apostolique de Guinée, qui en devient le premier supérieur. En
septembre 1900, l’école apostolique commence avec 32 élèves.
Portugal
Au moment où tout est compromis en Allemagne, tout se consolide au Portugal.
Le P. Duparquet avait donné la première impulsion, le P. Eigenmann développe
les lieux de formation : Braga en 1872, Porto en 1886, Cintra la même année.
En 1887, le Portugal est vice-province.
Les premiers missionnaires du Congo portugais, les Pères Poussot et Espitallié,
ont négligé d’apprendre le portugais et sont assez mal accueillis ; du reste,
les deux missionnaires sont bloqués sur la côte à Ambriz. Aux Cortès
(l’assemblée portugaise), le gouvernement se fait interpeller sur cette
présence de missionnaires français en territoire portugais : le « droit de
patronage » est à nouveau invoqué. Le P. Duparquet, qui avait enclenché le
processus des missions modernes en Angola, se rend alors à Lisbonne, s’y fait
des amis en haut lieu et, avec leur appui, repart en Angola. Devant
l’opposition du gouverneur local, Duparquet retourne au Portugal en mai 1867,
rencontre les ministres et fait approuver son projet de séminaire-collège mais
à condition d’avoir des professeurs portugais. Qu’à cela ne tienne. Il obtient
de créer, au Portugal, une maison de formation à Santarem, rassemble des
postulants, est rejoint par le P. Carrie (le futur évêque de Loango), puis, en
1868, par le P. Eigenmann, qui lui est considéré par les Spiritains portugais
comme leur fondateur. Après un intermède à Gibraltar, la maison est établie à
Braga, en 1872.
Irlande
Mais la première maison en dehors de la France est celle de Blanchard’stown,
en Irlande, commencée en 1859. C’est le P. Leman qui est chargé de cette
fondation, aidé par Jérôme Schwindenhammer, le frère du Supérieur général. On
pense que ce pays très chrétien donnera beaucoup de vocations : c’est, aux
yeux de la Congrégation le seul moyen d’avoir des missionnaires « anglais »
puisque l’Irlande est encore sous la coupe britannique. Les Spiritains sauront
plus tard jouer de l’amélioration des relations franco-anglaises pour
s’installer durablement et solidement en Irlande. Less enfants se présentent
très vite, si bien que l’établissement est transféré à William’stown et
prendra le nom de collège de Blackrock (notre photo), selon le nom du village
le plus proche, en 1862. A cette date, il compte déjà 85 personnes. En 1864,
le conseil général accepte la création à Rockwell, d’un séminaire et d’une
nouvelle communauté. Du temps du P. Emonet, une autre implantation se fera à
Rathmines, dans la banlieue de Dublin, le 8 septembre 1890.
L’extension de la Mission
Malgré l’orientation de plusieurs de ces œuvres vers le recrutement de
vocations spiritaines, on peut imaginer cependant les récriminations des
missionnaires d’Afrique devant ces investissements et le nombre de personnes
bloquées en Europe. Les missions, pourtant, ne sont pas abandonnées, mais
elles coûtent cher, en argent et en vie humaines : sur les 108 missionnaires
envoyés en Afrique entre 1843 et 1862, en 20 ans, 42 sont décédés, 37 ont été
obligés de revenir dans les pays tempérés, surtout pour raison de santé.
L’évangélisation progresse, mais lentement.
Au fur et à mesure du développement des missions, de nouveaux vicariats
apparaissent : la Sierra Leone est confiée tout d’abord, en 1859, aux
missionnaires de Lyon (SMA) ; Mgr De Marion-Brésillac y vient lui-même avec
quelques membres de sa nouvelle société, mais toute l’équipe meurt dans les
semaines qui suivent et les Spiritains sont obligés de reprendre ce territoire,
tandis que les Pères de Lyon, sur la proposition du P. Schwindenhammer, se
verront octroyer par Rome la région du Bénin actuel (le Dahomey), puis ce
qu’on appelle maintenant la Côte d’Ivoire. Jusqu’alors les Spiritains de
passage vers le Gabon desservaient les ports. A Grand Bassam, deux essais de
mission stable ont été tentés, entre 1843 et 1852 : deux Spiritains y sont
enterrés !
En 1863, les « Deux-Guinées » sont coupées en deux, Mgr Kobès reste
responsable de la Sénégambie. L’évangélisation de la Guinée commence en 1875 à
partir de la Sierra Leone, par deux Alsaciens, le P. Gommenginger Charles (qui
partira ensuite explorer l’Afrique de l’Est) et le P. Muller, fondateur de
Boffa. De Guinée, partira le premier Préfet apostolique du Bas-Niger (Nigéria
actuel), le P. Lutz. La Préfecture est créée un peu plus tard en 1889.
Auparavant, en 1861, le conseil général décide la création d’une communauté
spiritaine à Chandernagor, en Inde, dans la Préfecture apostolique de
Pondichéry puis une deuxième communauté dans cette dernière ville. Les
Spiritains sont surtout engagés dans des œuvres scolaires. Quand la hiérarchie
est établie en Inde, en 1886, on propose aux Spiritains, non seulement de
garder les communautés existantes, mais de prendre en plus un champ d’action
dans le Bengale. Les écoles ayant été laïcisées en 1887, le conseil général
décide de retirer son personnel au grand regret de toute la population. Le
conseil voulait favoriser les missions d’Afrique Centrale alors en pleine
expansion. Avec le recul du temps, on peut regretter cette décision.
Dans cette seconde moitié du XIX° siècle, la mission va se développer
considérablement au sud de l’équateur. Mgr Bessieux continue de travailler au
Gabon ; il y meurt le 30 avril 1876. Aux États-Unis, quelques contacts avaient
été établis dès le XVIII° siècle, par les « Messieurs du Saint-Esprit », avec
les Acadiens. Au moment de la Révolution française, plusieurs prêtres chassés
de Guyane viennent s’établir, vers 1795, à Baltimore et dans le New-Jersey.
Une demande officielle est faite en 1841 par l’archevêque de Cincinnati. Après
l’union des deux Congrégations, de nombreuses propositions parviennent au
conseil général. L’expulsion des Spiritains d’Allemagne donne au P.
Schwindenhammer la possibilité de répondre aux appels, à partir de 1873. La
vice-province des Etats Unis est érigée dès 1875, avec, à sa tête, le P.
Strub. Après plusieurs essais plus ou moins heureux, les Spiritains
s’implantent à Pittsburg et se mettent à construire, en 1878, un collège qui
deviendra, en 1911, l’université Duquesne (notre photo).
Du temps du P. Emonet, la Congrégation accepte la direction du petit séminaire
Sainte-Marie de Belem, au Brésil, nouveau champ d’action qui va prendre
bientôt de l‘extension. Un essai est tenté au Pérou. Le nouveau supérieur
général, le P. Emonet, élu en août 1882, continue dans la ligne
Schwindenhammer : centralisation, développement des écoles, ligne assez
monacale des Constitutions...
Alexandre Leroy
Le développement de la Congrégation à l’extérieur de la France continuera sous
la direction de Mgr Leroy, supérieur général de 1896 à 1926. Les événements le
favoriseront.
Déjà, en fin XIX° siècle, la France avait connu des poussées de fièvre
anticléricale. Celle-ci devient virulente au tournant du siècle. En 1901 sort
la loi sur les associations et les Congrégations. Une première fois, le 16
janvier 1901, le Conseil d’Etat reconnaît les « Prêtres du Saint Esprit »
comme Congrégation autorisée. Un mois plus tard, le 14 février, après étude
des statuts, le même Conseil considère que la Congrégation actuelle n’est plus
le « Saint Esprit » de Poullart des Places, mais un nouvel institut fondé par
le P. Libermann ; c’est d’ailleurs ce que pensaient et même écrivaient bien
des Spiritains. Par conséquent, l’autorisation légale est supprimée. Moments
d’angoisse. Mgr Leroy se met alors à étudier les sources, avec l’aide du P.
Barillec son archiviste. Il découvre... que lui-même ne connaissait pas
l’histoire de sa Congrégation et il s’aperçoit que les textes sont formels :
la Congrégation du Saint-Cœur de Marie a cessé d’exister au moment de la
fusion. Il écrit alors une lettre-rapport de 30 pages adressée au Ministère
des Colonies qui transmet au conseil d’Etat. Celui-ci, chose inouïe, revient
sur la décision, sans doute après une intervention de Waldeck-Roussseau, le
premier ministre, qui comprenait l’importance de la Congrégation dans les
colonies. Le 1° août, le Conseil d’Etat reconnaît que la Congrégation du
Saint-Esprit jouit bien d’une existence légale.
Cela sauvegardait l’essentiel. Mais l’interdiction d’enseigner faite aux
religieux va entraîner la perte de la plupart de nos écoles en France. Pour
les sauver, s’il ne se trouve pas de prêtres diocésains pour assurer la suite,
un certain nombre de Pères et de Frères accepteront d’être sécularisés. Epinal,
Beauvais, Merville, Mesnières, Pierroton, Saint-Ilan, Orly, Misserghin,
Seyssinet, St Michel en Priziac sont abandonnés par la force des choses.
Restent la Maison-Mère, Chevilly où se regroupent noviciat et scolasticat,
Langonnet comme maison de retraite et les deux procures de Bordeaux et de
Marseille. Les enfants de Merville et de Cellule sont alors transportés à Suse
en Italie et à Gentinnes en Belgique. Neufgrange (en Lorraine allemande, à
l’époque) devient noviciat en 1904. Fribourg est ouvert en Suisse, la même
année. Saint Alexandre est ouvert au Canada en 1905. On laisse passer
l’orage...
La guerre 1914-18 permettra une réconciliation des Français. Le P. Brottier
s’y rend célèbre avant de re-dynamiser l’œuvre des orphelins d’Auteuil. Mgr
Leroy est alors un « personnage » en France, aussi bien aux yeux de l’Eglise
de France que sur le plan scientifique où ses connaissances en ethnographie,
botanique, géographie sont reconnues dans les milieux spécialisés. La période
de Mgr Leroy (notre photo) connut d’autres épreuves encore : l’éruption de la
Montagne Pelée, à la Martinique, fait disparaître, en 1902, 14 Spiritains (et
presque trois fois plus de religieuses). Au Portugal, la révolution de 1910
provoque la fermeture momentanée des maisons spiritaines et l’expulsion de
tous les étrangers. 124 Spiritains, allemands et français, laisseront leur vie
dans la première guerre mondiale. Le naufrage de « L’Afrique », le 12 janvier
1920, provoque la mort de Mgr Jalabert et des 18 confrères qui
l’accompagnaient ; ils avaient été heureux d’échapper à la guerre.... En
Afrique, bien des postes ont dû être fermés pendant la première guerre
mondiale. L’évangélisation sera parfois compromise sérieusement, par exemple,
dans les pays où l’Islam gagne rapidement.
Il y a cependant des moments plus heureux, en particulier la reconnaissance de
l’héroïcité des vertus du P. Libermann qui lui donne le titre de « vénérable »,
le 19 juin 1910. De même, les Provinces se développent : celle de Pologne
naît à partir des Pères Polonais d’Amérique. Elle commence petitement en 1922
et devient vice-province en 1926. Le Portugal renaît en 1919. L’Irlande
continue de se développer : en 1911, un ancien élève des Spiritains, De Valéra,
conduit le pays à l’indépendance.
En 1900, en Belgique, une école apostolique avait été installée à Lier. Il
fallait, en Belgique, chercher des vocations belges, le gouvernement voyany
d’un très mauvais œil l’implantation de missionnaires français au Congo... La
Belgique a beaucoup souffert de la guerre, mais les fondations reprennent
après 1921. Gentinnes, Lierre passent à la nouvelle province. La première
fondation aux Pays Bas date de 1904. Après une période d’union avec la
Belgique, la province de Hollande est érigée le 25 juin 1931. Canada, Suisse,
Allemagne, Etats Unis grandissent et prennent leurs propres missions. Au
Cameroun, les Spiritains sont obligés de remplacer les Pallotins Allemands
chassés par la guerre. Et bientôt, c’est « l’explosion catéchuménale »... Mgr
Shanahan , au Nigeria, évangélise le sud-est du Nigeria.
Louis Le Hunsec
La période d’entre les deux guerres, le temps de Mgr Le Hunsec, voit se
développer considérablement les différentes missions, avec tout leur appareil
scolaire et sanitaire. Le développement économique et humain est déjà une
préoccupation constante. Le clergé africain commence à naître, mais bien
lentement encore. Le premier prêtre de Guinée Conakry n’est ordonné qu’en 1939
! Il est vrai que la première génération de chrétiens ne donne jamais beaucoup
de prêtres. Il semble aussi que cette période, qui a vu augmenter la
collaboration entre l’administration et les missionnaires (mais c’est très
variable suivant les lieux et les personnes en poste), a vu croître aussi
l’esprit colonial (et, pour certains, colonialiste). Il faudra attendre 1954
pour que le P. Joseph Michel ose parler du « devoir de décolonisation ». Le
développement des missions permet cependant, vers les années 1950-1960, la
création d’églises locales, à travers toute l’Afrique, avec, assez vite, une
hiérarchie autochtone. Le rôle des Congrégations missionnaires en est
évidemment complètement modifié : elles ne sont plus les premières
responsables de la mission. Une grave affaire, qui va profondément diviser
l’Église de France, atteint la Congrégation par le biais du Séminaire Français
de Rome (notre photo) : l’Action Française. Il s’agit d’un mouvement
nationaliste et royaliste, qui évoluera rapidement vers le fascisme et
l’extrémisme de droite. Charles Maurras devient le maître à penser de cette
idéologie à laquelle se rattache tout un pan du catholicisme français,
anti-républicain et antisémite, méfiant à l’égard du mouvement social qui se
développe dans la société et dans l’Église à la suite de Léon XIII et plus
tard de Pie XI, car Maurras soutient le pouvoir de l'Église catholique en tant
que force de cohésion sociale, c'est-à-dire pour une raison pratique.
Le militantisme de l'Action française n'hésite pas à recourir à la violence
physique, avec la création en novembre 1908 de groupes de jeunes gens, dits
les « Camelots du Roi », chargés de la vente du journal et aussi des coups de
mains dans la rue. L'Action française possède alors un très grand prestige
parmi la jeunesse étudiante réactionnaire, en particulier au Séminaire
Français de Rome, où le Recteur, le P. Le Floc’h, très apprécié dans les
organismes de la Curie, apporte sa caution et sa sympathie.
Le principal reproche fait au « maurrassisme » par le Vatican est de
subordonner la religion au politique et au nationalisme ; car Maurras,
rationaliste, se définit comme athée, et ne soutient le catholicisme que comme
le moyen d'unifier la Nation. Préparée dès 1913 par Pie X, retardée plusieurs
fois (même si certaines œuvres ouvertement agnostiques de Maurras sont déjà
mises à l’Indes), la condamnation aura lieu le 29 décembre 1926. Le pape Pie
XI condamne l'Action française qui, à ses yeux, dispose d'une trop grande
influence sur la jeunesse catholique : les livres de Maurras ainsi que le
Journal sont mis à l'Index par décret du Saint-Office. Le 8 mars 1927, les
adhérents de l'Action française sont interdits de sacrements. Le Séminaire
Français est touché : Pie XI ordonne que le P. Le Floc’h se retire
immédiatement. Ceci porte certes un coup très dur au mouvement, mais il
traumatise une certaine droite catholique le soutenant sincèrement.
La grande crise
Sur le plan Congrégation, les deux supériorats du P. Griffin et de Mgr
Lefebvre correspondent à une crise intérieure : les supérieurs ont le pied sur
les freins. Il semble que ce soit une réaction de peur devant les grandes
mutations qui commencent, sur le plan social comme ecclésial, surtout à partir
de l’ouverture du Concile Vatican II. Cela se voit à travers la correspondance
officielle. Autre tournant important : le transfert de la maison généralice à
Rome est décidé par le chapitre général de 1962. Le risque était de faire
perdre à la Congrégation sa situation légale en France. Plusieurs années de
tractations sont nécessaires pour aboutir à la reconnaissance légale de la
Province de France autonome.
Quelques coups durs se produisent encore en Afrique : le drame de Kongolo, le
1er janvier 1962 (cliquez ici pour des détails), la crise du Biafra à partir
de 1966-67, l’expulsion de tous les missionnaires (Sœurs, Frères, Pères) de
Guinée Conakry fin mai 1967... Et jusqu’à maintenant, dans un pays ou dans un
autre, les missionnaires peuvent être appelés à connaître des situations
dangereuses et même à donner leur vie. Une des plus grave crise que connaîtra
la Congrégation, alors que l’ensemble de l’Église catholique connaissait le «
printemps » de Vatican II, c’est l’« affaire Lefebvre ». Né dans les milieux
de la grande bourgeoisie du Nord de la France, formé aux principes
monarchistes et traditionalistes, partisan de l’« Action Française » (il est à
Rome lors de la condamnation du mouvement par Pie XI), Marcel Lefebvre se
montrera néanmoins un missionnaire accompli au Gabon où il commence sa vie
missionnaire ; il est vrai que son évêque, Mgr Tardy, partage les mêmes
idéaux. Il sera nommé en 1947 Vicaire apostolique à Dakar, dont il deviendra
plus tard le premier archevêque en 1955, et sera même Délégué apostolique pour
toute l’Afrique française en 1948.
A Dakar, s’il remplit bien son devoir épiscopal, des signes cependant
trahissent sa pensée profonde : méfiance critique à l’endroit de l’Islam (dans
un pays musulman à plus de 90%), refus d’implantation de l’Action catholique…
Néanmoins Jean XXIII le nomme à la Commission préparatoire du Concile.
Évidemment, il va dans le sens de la Curie qui voit d’un mauvais œil que l’on
veuille « ouvrir les fenêtres de l’Église » pour y faire rentrer un peu d’air
pur. Au Concile, il défendra bec et ongles cette position et s’opposera aux
grands schémas novateurs qui ouvrent les portes de l’œcuménisme, du dialogue
interreligieux, et même de la réforme liturgique.
De sa Congrégation dont il est devenu le Supérieur général en 1962, il veut
faire le fer de lance de la position traditionaliste dans l’Église : il chasse
des maisons de formation les professeurs ouverts à la théologie de Vatican II,
et non des moindres comme son successeur, Joseph Lécuyer ; il émet des
directives d’un autre âge, comme l’obligation faite aux Spiritains français de
porter la soutane, en dépit des directives épiscopales ; et surtout, il prend
des positions de plus en plus critiques vis-à-vis de Rome qui mettent mal à
l’aise la très grande majorité de ses confrères. Le résultat est un
mécontentement grandissant dans l’ensemble de la Congrégation, des départs
regrettables et un découragement qui atteint un certain nombre.
Nommé pour douze ans, selon les Règles et Constitutions de la Congrégation, il
est cependant dans l’obligation de convoquer un Chapitre général pour mettre
son Institut en conformité avec les réglementations issues de Vatican II. Ce
chapitre qui ne devait être qu’administratif se réunit à Rome en 1968 ; il se
déclare d’emblée « électif » ! Voyant qu’il sera rejeté, Mgr Lefebvre
démissionne et ne participe même pas au Chapitre. Ayant échoué dans sa
Congrégation, il veut désormais réformer toute l’Église, fondant la «
Fraternité Saint Pie X » et arrivant jusqu’au schisme qui subsiste encore
après sa disparition.
Au-delà de cette grave crise, la Congrégation va connaître néanmoins un
nouveau dynamisme ; c’est le Chapitre de 1968-1969 qui le lui donnera.
Père Gérard Vieira
Père Jean-Pierre Gaillard
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À plein temps et à vie
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Garder les yeux ouverts sur le monde
aujourd'hui comme hier
être proche de ceux qui sont loin
sans être loin de ceux qui sont proches,
porter l'espoir qu'un autre monde est possible
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