Cahier histoire (11)



  La fondation des Soeurs Missionnaires du Saint-Esprit
Soeur Marie-Bernadette Delpierre

"Sans pour ainsi dire ni fondateur ni fondatrice. Seul l'Esprit-Saint parait l'avoir fait surgir, au moment précis où sa nécessité s'imposait", écrivait Mgr Alexandre Le Roy en 1923. Aujourd'hui, les Spiritaines reconnaissent en Eugénie Caps (1892-1931) leur fondatrice.

Dans l'histoire de l'Église, les naissances de congrégations religieuses suivent généralement un développement identique et les cas de fondateurs oubliés ou mis à l'écart sont assez fréquents. Eugénie n'y échappe pas. En 1967, Soeur Johanna Ammeux, supérieure générale des Spiritaines disait de Soeur Eugénie : "Son mérite est d'avoir pris la décision de commencer". Comme l'exprimait Mgr Le Roy, le premier rôle revient à l'Esprit Saint, mais sans oublier le groupe fondateur. Soeur Eugénie offre le charisme, elle est active dans toutes les étapes de la genèse de l'institut jusqu'à celle de la mise en forme. Là, le relais est pris par Mgr Le Roy, puis par soeur Michaël Dufay.

Un jour une Parole de Dieu tombe dans le coeur d'une personne et fait naître en elle le désir d'en vivre avec d'autres. Eugénie est la terre qui reçoit cette parole (vocatio).

Eugénie Caps est née en Lorraine, dans une famille unie, où elle reçoit une éducation catholique et française. Elle grandit près des religieuses qu'elle admire beaucoup. Inscrite à la Sainte Enfance elle découvre la mission.
A la mort de son père, elle a 18 ans ; à sa grande peine, s'ajoute le devoir de soutenir la famille qui s'installe à Bouzonville. "Papa avant sa mort nous ayant acheté des machines à tricoter, j'y travaillais donc:" C'est en 1912, à la lecture d'une poésie "je veux être missionnaire", trouvée dans une revue de l'Enfant-Jjésus de Prague qu'elle date sa vocation missionnaire et religieuse. Cette poésie était signée Père Le Roy. Elle la gardera très précieusement et à sa mort, les soeurs la retrouveront dans ses affaires personnelles. Monseigneur Le Roy, déjà lui, missionnaire et poète, instrument de l'Esprit a semé une parole dans ce coeur ouvert.

Avec des jeunes filles de Lorraine et accompagnée par l'abbé de la paroisse, cette parole prend forme. Elfe devient projet, désir de vivre (desiderium).

L'abbé Eich, vicaire à Bouzonville, est son directeur spirituel dès 1913. II aide et dirige plusieurs autres jeunes filles qu'il met en relation. Le 25 avril 1915, pendant son action de grâces, elle fait une expérience spirituelle forte et décisive, elle reçoit l'intuition qu'une nouvelle aeuvre missionnaire doit être fondée : "Jésus me fit comprendre après la Sainte Communion qu'il demandait une nouvelle oeuvre de Soeurs Missionnaires et que l'abbé Eich et moi nous serions les premiers à nous en occuper." Pendant plusieurs jours, elle se débat, croyant impossible d'accepter. Elle ne retrouve la paix qu'après avoir dit oui. Mais l'abbé Eich a des projets personnels de fondations qui ne vont pas faciliter la réalisation de ceux de Soeur Eugénie. La jeune fille souffre de l'incompréhension de son directeur spirituel.

Avec d'autres, elle cherche quelle sera la manière de vivre cet appel (conversatio)

D'autres jeunes filles se regroupent autour d'Eugénie. Leur vie de prière s'intensifie et, sur ce point, les échanges avec le directeur sont fructueux. Plutôt jolie femme et agréable en société, elle repousse quatre demandes en mariage. Nullement rêveuse, elle travaille dans une banque où elle a la confiance de ses chefs. Cependant, elle désire avec ses compagnes quitter le monde pour embrasser la vie religieuse et partir en mission.
Dans sa grande encyclique missionnaire Maximum illud, en novembre 1919, le Pape Benoît XV rappelle le devoir missionnaire de l'Église et son urgence. L'Église doit susciter des missionnaires "qui quittent pays et familles pour gagner au Christ le plus d'âmes possible... II faudra des sueurs pour les hôpitaux, les hospices et les écoles". Le missionnaire doit être avant tout, un homme de Dieu, fidèle à l'oraison. Ces thèmes rejoignent les jeunes filles dans leur recherche. Mais comment fonder une oeuvre de sueurs missionnaires ?


Eugénie trouve la réponse dans une biographie de Libermann et la propose au groupe (propositum).

En 1919, Eugénie se rend dans une ville voisine pour visiter une exposition missionnaire. Elle trouve une biographie du Vénérable Père Libermann. "Voici notre esprit tout trouvé " s'exclame-t-elle. La découverte de la spiritualité de Libermann va permettre au projet de prendre corps. Les jeunes filles se procurent les écrits du Père Libermann, elles vont rapidement souhaiter rencontrer des fils de Libermann. L'abbé Eich finalement leur donne l'adresse des Spiritains de Neufgrange. Sans tarder, Eugénie écrit au Supérieur, le P Émile Clauss : "Nous sommes ici plusieurs filles de Lorraine qui aspirons depuis bien longtemps à la vie intérieure et aux missions. Nous vous prions de vouloir nous aider à fonder notre congrégation lorraine et de prendre entre vos mains la direction de nos âmes et de notre vocation." La réponse du Père Clauss se veut prudente, mais Eugénie insiste: "Nous ne désirons au commencement qu'un petit réduit, un morceau de pain, un banc de communion et le libre exercice de notre zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes surtout parmi la jeunesse et en vue des missions."

La rencontre des Spiritains donne forme à cette institution (institutum).

Lors d'une visite à Neufgrange, en 1920, Monseigneur Le Roy partage à ses frères son souci de trouver des religieuses pour aider dans les missions. II y voit un signe de la Providence quand les Pères de Neufgrange osent lui parler de la correspondance reçue du petit groupe de Bouzonville. Le 20 octobre, à Paris, il reçoit l'abbé Eich, Eugénie et Lucie Lay. Puis il note : "II fut facile de s'entendre ; un institut nouveau serait formé ayant ses propres règlements, son but : travailler en collaboration avec les Pères du Saint-Esprit, dans leurs missions et leurs oeuvres!' L'évêque de Metz donne l'autorisation d'ouvrir la première communauté dans son diocèse. Le petit groupe est enthousiaste, mais à l'heure de la décision seules Elise Muller, Lucie Lay et Eugénie restent prêtes à s'engager le 6 janvier 1921 à Farschviller. Les vocations encouragées par de nombreux spiritains viennent de toute la France. En mars 1922, les soeurs s'installent dans une plus grande propriété à Jouy-aux-Arches près de Metz. En ce qui concerne la fondation, Eugénie a terminé sa tâche. A cette étape, elle doit s'effacer. A la demande de Monseigneur Le Roy, Soeur Adeline Siffrid, des soeurs de Saint Jean de Bassel, est chargée de la formation de 1922 à 1924. Mademoiselle Marguerite-Marie Yvonne Dufay, future Mère Michaël, devient l'interlocutrice privilégiée de Monseigneur Le Roy qui mise sur ses capacités d'organisation. Eugénie est envoyée se reposer en famille, séjour qui sera prolongé : prévoyait-on vraiment son retour ? La fondation de Farschviller sera oubliée jusqu'en 1959, quand Mère Michaël Dufay, alors à la retraite, reconnaîtra : "L'initiative de la fondation remonte à nos chères Soeurs lorraines:'

Le premier chapitre général et le premier conseil organisent la vie propre aux Spiritaines (régula).

Soeur Eugénie fait sa première profession le 5 octobre 1924 à Bethisy dans l'Oise avec 22 de ses compagnes. Monseigneur Le Roy l'envoie à Mortain et nomme Sceur Michaël à Paris au 27 rue Lhomond, dans une communauté chargée de l'accueil et des questions administratives et matérielles. Le 25 juillet 1927 à Paris, sous la présidence de Monseigneur Le Roy, en présence des Pères Pascal et Onfroy, les directrices des différentes maisons et les déléguées élisent pour 3 ans Soeur Michaël première supérieure générale. Soeur Eugénie dont la santé ne cesse de s'affaiblir s'éteint en Suisse le 16 mars 1931, à la suite d'une intervention chirurgicale.

Une fondation est reconnue dans la mesure où elle appelle d'autres vocations.

Eugénie n'a jamais cessé de s'intéresser aux vocations, en témoignent ses nombreuses allusions dans les lettres à son amie Catherine. A sa mort, les Spiritaines sont environ 200 réparties dans différentes communautés en France, en Suisse, à la Martinique, au Cameroun, en Oubangui-Chari, et à Madagascar.

Soeur Marie-Bernadette Delpierre
est responsable du noviciat international
de la congrégation des Spiritaines au Cameroun.)


Illustrations :
Eugénie Caps
Les premières partantes pour le Cameroun se font photographier à Marseille, le 3 novembre 1924

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